Chapitre 8
Cette nuit, je dormis très mal, ne cessant de m’inquiéter pour Emma et luttant contre ma claustrophobie. Je n’avais aucune nouvelle d’elle depuis cet après-midi et c’était une autre domestique qui était venue m’apporter mon dîner et me coiffer pour la nuit. Dès que j’entendais le moindre bruit dans le couloir, je me redressais aussitôt, espérant que ce soit Emma qui revenait. Pourtant, à chaque fois, ce n’était que le vent.
Au beau milieu de la nuit, vers deux heures du matin selon mon réveil, j’entendis ma porte se déverrouiller et s’ouvrir légèrement. Cette porte ouverte me donnait envie d’aller voir ce qu’il se passait. Mais je n’osais pas sortir de mon lit par peur des représailles de ma mère, si elle apprenait que je n’avais pas respecté le couvre-feu. Pourquoi la porte s’était-elle subitement ouverte ? Est-ce qu’Emma en était à l’origine ?
Après quelques minutes d’hésitation, je descendis de mon lit et me rapprochais de la porte entre-ouverte. Il n’y avait pas un bruit dans le couloir et il y faisait tellement sombre. J’en avais des frissons dans le dos. J’ouvris la porte en plus grand, le silence me faisait peur. Je fis un pas en avant, mais marchais sur un objet dur. À tâtons, je me baissais pour le récupérer et remarquais qu’il s’agissait d’une lampe torche. Qui avait bien pu la mettre ici ? Était-ce la personne qui m’avait ouvert ?
Vérifiant encore une fois qu’il n’y avait personne dans ce couloir lugubre, j’allumais la lampe qui illumina aussitôt l’espace, aspirant les ténèbres. Cette douce lumière me rassura légèrement. Lentement, j’avançais dans les couloirs, espérant de tout cœur ne croiser personne et surtout pas ma mère. Je marchais silencieusement pendant une bonne dizaine de minutes, parcourant le château en long et en large.
Subitement, un cri brisa ce silence. Je me figeais aussitôt. Un hurlement de douleur qui me fit regretter de plus en plus d’être sortie de ma chambre. Un deuxième déchira le silence à nouveau et instinctivement, je me tournais vers la droite et pointais ma lampe torche dans cette direction. J’y reconnaissais les grilles et l’escalier qui menait au cachot, lieu où j’avais la stricte interdiction d’aller. Les grilles que j’avais essayé de forcer cet après-midi.
Quand j’entendis un troisième cri, je compris que je n’avais rien à faire là. Pourtant quelque chose au fond de moi me poussait à prendre ses escaliers et à descendre. Peut-être que la vérité m’attendait en bas. J’avalais difficilement ma salive et posais lentement un pied devant l’autre, descendant le plus silencieusement possible. J’avais l’impression de descendre en enfer tellement il faisait de plus en plus sombre et de plus en plus froid. Pourquoi cette partie-là du château n’était-elle pas chauffée ?
Pendant cette longue minute de descente, je n’entendis plus aucun bruit. Pas même le souffle d’une respiration. Avais-je imaginé ses cris ? Quand mes pieds rencontrèrent enfin un sol plat, celui-ci collait sous mes sandales. J’y abaissais ma lampe torche et remarquais qu’il est poisseux. On aurait dit un mélange de sang et de poussière.
J’entendis ensuite un rire glaçant, rempli de haine qui me clouait sur place, rendant ma respiration de plus en plus difficile. Je ne pouvais plus ni avancer ni reculer. Je finis par tendre l’oreille et parviens à entendre légèrement une discussion. Il y aurait donc deux personnes. Mes pieds finirent par avancer d’eux-mêmes, de plus en plus proche de la discussion jusqu’à ce que je parvienne à tout entendre parfaitement.
— Je te le redemande une dernière fois. Donne-moi le nom de ton chef.
C’était la voix de ma mère. Elle n’avait cependant jamais utilisé ce ton avec moi et celui-ci me terrifiait. Si je devais retourner dans ma chambre sans qu’elle s’en aperçoive, c’était le moment idéal. Mais je ne parvins pas à faire demi-tour.
— Je vous ai déjà dit non.
Cette voix-là, je ne la connaissais pas.
— Tu ne veux pas parler, très bien. Je n’ai plus besoin de toi dans ce cas.
Je m’avançais encore plus, et finis par entrer dans une pièce éclairée. Il y faisait plus froid que dans les escaliers et je pouvais entendre de l’eau goutter. En plein milieu, il y avait une table de pierre et je remarquais que quelqu’un y était attaché. C’était une fille, mais je ne saurais dire son âge. Du sang coulait de ses bras et surtout de sa tête. Sur sa droite, en face de moi, je vis ma mère se retourner vers une autre table qui contenait de multiples outils. Elle attrapa une arme que je ne connaissais pas, mais qui ressemble aux pistolets à Impulsion Électromagnétique utilisés par les soldats. Lentement, et avec un sourire qui me glaça le sang, elle pointa le pistolet en direction de cette fille. Droit sur sa tête.
— Arrêtez ! criais-je, parcouru par un élan de folie qui me laissa moi-même perplexe.
Ma mère se retourna vers moi et son regard me donnait envie de courir me terrer dans ma chambre pour ne plus jamais en ressortir. J’étais incapable de bouger ni de dire quoi que ce soit d’autres. La fille attachée sur la table avait elle aussi tourné sa tête vers moi.
— Elena ! Retournez dans votre chambre immédiatement !
Jamais elle ne m’avait parlé ainsi et ça me terrifiait d’autant plus. Est-ce que c’était cette jeune fille et ce qu’elle lui avait fait qu’elle m’avait toujours cachés ?
— Rien qui ne vous concerne.
— Pourquoi vous… pourquoi elle…
— Elena ! Obéissez-moi immédiatement !
Je voudrais lui obéir, partir loin d’ici et oublier ce qu’elle avait fait à cette fille, mais je n’y parvenais pas. Mon regard restait fixé dans les yeux de celle que je ne connaissais pas. Alors que j’étais morte de peur, que j’avais envie de m’enterrer sous terre, elle me souriait.
— Elena, je ne me répéterais pas.
Je parviens à détacher mon regard et à le planter dans celui de ma mère. Je ne savais pas ce que je faisais, je savais que j’allais le regretter, mais je tentais le tout pour le tout. Si j’avais défié ma mère pour protéger Emma, je me devais de faire la même chose avec cette fille, même si je ne la connaissais pas. Je serrais les poings, redressais mes épaules et pris une grande inspiration avant de franchir la ligne rouge.
— Non.
Pendant une fraction de seconde, la rage dans les yeux de ma mère se transforma en incompréhension, avant de revenir. Pendant une fraction de seconde, je cru que la mère du pique-nique allait revenir. Finalement, elle reposa l’arme où elle l’avait pris, attrapa des clés sur le mur et détacha la fille. Sans jamais prononcer le moindre mot, elle ordonna à la fille d’aller à l’opposé de là où je venais d’arriver. Totalement pétrifié, je la regardais marcher difficilement. Ma mère revint vers moi et m’attrapa violemment le bras. Quand elle me poussa dans ce qui devait être une cellule, je pris appui contre le mur pour ne pas tomber et me retournais aussitôt. Je vis alors une grille de fer se fermer entre ma mère et moi. Quand elle tourna une clé dans la serrure, mon cœur s’emballa et je courus jusqu’aux grilles. Ma mère venait de nous enfermer, toutes les deux dans cette pièce sombre et humide, plus petite que ma salle de bain. Mes mains devenaient moites.
— Non, ne faites pas ça, tentais-je en attrapant les barreaux dans mes mains qui glissèrent aussitôt.
— On va voir combien de temps vous pouvez tenir sans votre servante.
Sa voix, comme son regard, me fit froid dans le dos et j’avalais ma salive de travers. Elle avait attendu ce moment pour utiliser ma claustrophobie contre moi, parce que je lui avais désobéi. En cet instant, elle n’était plus ma mère, ni la mère aimante, ni le tyran. Devant moi, je n’avais plus qu’un monstre.
— Pitié, mère. Tout, mais pas ça.
Les larmes commençaient à arriver et ma respiration se faisait de plus en plus saccader. Quand elle me tourna le dos pour s’éloigner, ce fut le coup de grâce. Mes jambes cédèrent sous mon poids et je tombais à genoux. Je finis par m’asseoir contre le mur. Il faisait tellement sombre que je ne voyais pas plus loin que mes pieds.
Je rapprochais mes genoux contre ma poitrine et enfuie ma tête dans mes bras. Contrairement à la dernière fois, la sensation d’enfermement était encore plus pesante. Il n’y avait ni lumière ni courant d’air. Il faisait tellement froid que l’air glacé me brûlait les poumons. Mes larmes coulaient en silence et je n’arrivais plus à respirer.
— Hé, ça va ? m’interpella celle qui était enfermée avec moi.
Sa voix de cristal résonna dans la cellule.
— Je… je n’arrive plus à respirer, répondis-je difficilement.
— J’arrive.
Quelques secondes plus tard, je vis une main se placer juste à côté de mes pieds et j’en sentis une autre se placer sur mon épaule.
— Inspire et expire calmement. Si tu le fais correctement, ça devrait vite passer.
J’avais beau essayer, l’air ne rentrait pas et j’étouffais.
— Il faut que je sorte d’ici.
— Il n’y a aucun moyen de sortir. J’ai déjà essayé.
Elle posa ses deux mains sur mes épaules pour essayer de me rassurer.
— Je ne peux pas rester là, je ne peux pas…
— Regarde-moi !
En ravalant difficilement ma salive, je levais les yeux. Elle était juste devant moi. Malgré l’obscurité, je pouvais voir ses yeux. Mon souffle se coupa quand je croisais son regard. Quand je compris que je ne respirais plus du tout, je repris une bouffée d’air et la panique était finalement passée. Dans ses yeux, je voyais le soleil, une immense clairière verdoyante. J’y voyais le paradis. Je réussis enfin à reprendre le dessus sur mes émotions. La cellule me paraissait plus grande même si ce n’était pas le cas. En réalité, elle était minuscule. Elle s’assit contre le mur en face de moi, replia ses genoux contre sa poitrine. Nos pieds se touchaient presque.
— Ça va mieux ? me demanda-t-elle une fois que je fus calmée.
— Oui. Merci.
— Tu es la Princesse si j’ai bien compris.
Sa voix m’hypnotisait. J’avais envie de tout le dire, de me confier à elle plus qu’à Emma. Je ne pouvais pas voir son visage à cause de l’obscurité, mais je devinais, par le timbre de sa voix, qu’elle devait être belle. Plus belle que moi-même.
— J’ai toujours cru que tu étais comme ta mère. Si tu étais différente d’elle, tu nous aurais sorties de là bien avant. Mais…
— Je ne suis pas comme ma mère ! m’énervais-je. Jamais je ne traiterais mes enfants comme elle l’a fait avec moi.
— Mais après ce que j’ai vu, reprit-elle, je suis persuadée que tu n’as rien avoir elle. Mais du coup, qu’est-ce que tu faisais là ?
— La porte de ma chambre était ouverte. Je suis sortie et… j’ai entendu un cri. C’était toi n’est-ce pas ?
— Attends, tu es en train de me dire que c’est la première fois que tu entends quelqu’un crier ?
— Oui pourquoi ?
— Parce que ça fait plus d’un an que je suis enfermée ici.
Je ne savais vraiment pas quoi dire face à cette déclaration. Je n’avais même pas eu le temps de comprendre ce que ma mère était en train de faire qu’elle m’enfermait à nouveau. Elle n’avait jamais utilisé ma peur contre moi jusqu’à aujourd’hui. Nous ne passions jamais de temps ensemble et pourtant, elle me connaissait comme si nous étions inséparables. Avait-elle des espions parmi les domestiques et les gardes ? Était-ce pour ça qu’elle connaissait la moindre de mes actions, de mes paroles ou de mes peurs ?
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