Chapitre 13
On sortit de l’appartement et on marchait dans les rues de Glenharm, la capitale, pendant dix bonnes minutes, tandis que ma mère m’expliquait une partie de l’histoire de la ville. C’était la première fois qu’elle me parlait autant, non pas pour me déplaire. À notre passage, les gens fuyaient. Elle avait dit vrai, ils avaient peur d’elle. Mais pourquoi ? En même temps, je les comprenais. J’avais aussi été terrifié par elle, jusqu’à hier encore. Ma mère nous conduisit jusqu’à une bijouterie. Quand on entra, tout le monde se figea sur place.
— V… Votre Majesté, je… bégayai la vendeuse.
— Ne faites pas attention à nous, reprit ma mère. Nous attendrons notre tour.
— Heu… d’accord.
On s’assit sur les sièges à disposition. La réaction de cette dame, je la comprenais totalement. J’avais eu la même, le jour où ma mère m’avait dit bonjour dès mon arrivée pour le petit déjeuner. Le jour du pique-nique.
— Que faisons-nous là ? la questionnais-je.
— Quand tu m’as empêché de tuer Océane, hier, j’ai compris que… j’ai pris une décision, chérie et je ne pourrais être là le jour de ton mariage.
— Je ne comprends pas. Tu es mourante ?
— Non. Mais, et ses femmes te le confirmerons, je n’ai plus ma place sur le trône. Je veux t’acheter la bague de fiançailles que tu offriras à ta future femme.
— Pardon ?
De toute sa phrase, je ne retenue que les derniers mots. Comment pouvait-elle savoir ça, elle qu’elle m’avait toujours ignorée et éloignée d’elle ? Me connaissait-elle plus que je ne le croyais ? Dans la boutique, les clientes s’étaient à nouveau arrêtées de parler. Elle semblait aussi perplexe que moi. Nous étions toute dans l’incompréhension la plus totale. Ma mère n’avait décidément pas fini de me surprendre.
— Oui, chérie, je sais. Je veux que tu te maries avec la femme que tu voudras. Non pas pour le bien de l’Empire, mais pour le tien. Je veux que ce jour-là, tu sois égoïste. Ton père même en étant Empereur m’a choisi malgré ses parents. Tu as aussi le droit de choisir avec qui te veut passer ta vie. Malheureusement, je ne peux pas supprimer la loi qui t’interdit de te marier avec une femme. Mais sache que je te l’autorise. Tu devras, seule, trouver le moyen de l’abroger.
Elle leva ensuite la tête vers les clients et la vendeuse qui nous regardaient, perdue.
— Vous passez le message, Mesdames ?
— Si c’est ce que vous voulez, oui, répondit l’une des clientes.
— Merci.
Quand les clientes eurent terminé leurs achats, elles quittèrent le magasin, tout en surveillant ma mère. La vendeuse s’approcha ensuite de nous. Ses traits étaient tirés, elle jouait avec ses doigts et sa lèvre inférieure était coincée entre ses dents. Elle était nerveuse.
— En quoi puis-je vous aider ?
— Comme vous l’avez entendu, je veux une bague de fiançailles pour ma fille, qu’elle offrira à sa future femme. Une bague digne de la prochaine impératrice.
— Je vais essayer de vous trouver ça.
— Merci Madame. Elena, regarde si un bracelet te ferait plaisir.
Pendant cinq minutes, je fis le tour des étales jusqu’à en trouver un parfait. Il était discret, d’un mélange de bleu, de violet et de rouge. Je le désignais à la vendeuse à son retour qui le sortit pour me le faire essayer. Elle montra ensuite la bague qu’elle avait trouvée. Elle était faite d’or et d’or blanc, surmonté d’un gros diamant et d’autre plus petit sur le cercle.
— Elle est magnifique, commentais-je.
— Elle est parfaite. Je vous la prends, ainsi que le bracelet.
Pendant que j’observais les passants dans la rue, ma mère payait les bijoux. Ceux qui regardaient à travers la vitre semblaient intrigués. Ils ne savaient pas qui j’étais, mais mon diadème leur donnait une réponse. De l’autre côté de la rue, un jeune homme était assis, une pancarte dans les mains. Il demandait de l’argent pour pouvoir manger. Je retournais vers ma mère, lui demandait si elle avait quelque chose à manger et elle me donna une boite de cookies du château. Je sortis de la boutique et m’approchais du jeune homme. Dans la rue, les passants s’arrêtèrent pour observer ce que j’allais faire. Il me jugeait, je le savais.
— Bonjour, commençais-je timidement. Un cookie, ça vous tente ?
— Vous m’offrez à manger ? Vous vous moquez de moi, c’est ça ? Parce que, contrairement à la princesse que vous êtes, je n’ai pas assez d’argent pour me nourrir.
— Mais non, pas du tout.
— Je ne veux rien venant de la fille pourrie gâter d’un monstre ! Je vous ai vu sortir de cette boutique de luxe.
— Je ne comprends pas. C’est la première fois que ma mère m’offre un cadeau, répliquais-je blessée.
— Oh vraiment ? Je suis sûr que vos cookies sont empoisonnés ! Partez d’ici, princesse, cracha-t-il.
— Elena ?
Derrière moi, ma mère m’appelait. Mais je ne voulais pas rester sur un échec. J’avais toujours craint ma mère, mais je n’avais pas peur de ce jeune homme qui devait avoir à mon âge.
—
— Tant pis pour vous, continuais-je en m’asseyant à ses côtés. Ils viennent certes du château, mais ils ne sont pas empoisonnés. Ils sont même très bons.
Je pris un biscuit et commençais à le manger. J’attendis une minute, espérant le faire réagir, en vain.
—
— Vous êtes sûr de ne pas en vouloir ? Je les donne à quelqu’un d’autre sinon.
— Bon, je dois reconnaitre mon erreur. Merci princesse.
— Mais de rien, ça me fait plaisir.
En souriant, je lui donnais la boite et rejoignis ma mère, qui elle aussi souriant.
—
— Je suis fière de toi, chérie. Je ne doute pas de ta capacité à réparer toutes mes erreurs quand tu seras impératrice. Même si ce sera compliqué.
— Pourquoi tu dis ça comme si j’allais le devenir demain ?
— Qui sait de quoi l’avenir est fait ?
— Tu me fais peur là.
— Excuse-moi, chérie.
— Maman, ils ont peur de ta couronne et de mon diadème. Alors ne je veux pas la garder.
Je la retirais, la regardèrent quelques secondes avant de la tendre à ma mère. Si les habitants craignaient ma mère, je ne voulais pas que ce soit le cas avec moi. Je ne savais pas tout, mais ça m’avait fait plaisir d’aider ce jeune homme.
— Je vais la garde précieusement dans mon sac, chérie.
— Pourquoi tu n’enlèverais pas la tienne aussi ?
— Et bien, c’est que… tu as raison.
Elle la retira à son tour et j’entendis un énorme soupire derrière moi, ce qui me fit sourire.
— Et voilà, je ne suis plus là en tant qu’impératrice, mais uniquement en tant que ta mère.
— Merci.
— Tu veux qu’on aille au restaurant ? Il y en a des sympas autour de la place principale. Je te laisse choisir.
— Avec plaisir.
On reprit notre promenade jusqu’en centre-ville, très animé par de la musique. On fit le tour des restaurants jusqu’à ce que j’en trouve un dont la carte me plaisait. Pour éviter les regarde apeurer des clients, j’entrais la première, malgré la boule de nervosité qui se formait dans mon ventre.
— Bonjour, mademoiselle, m’accueillit-on. Avez-vous réservé ?
— Non, désolé. On est deux, ça vous dérange ?
— Est-ce que la table dans le coin vous irait ?
— Ce serait parfait, merci beaucoup.
J’ouvris la porte et laissais entrer ma mère. Comme je m’y attendais, elle reçut le même accueil qu’à la bijouterie. Même sans couronne, ils l’avaient reconnu. J’attrapais sa main et l’emmenais directement à notre table.
—
— Si ce n’était que moi, je ne serais jamais sortie du château. J’ai fait trop de mal aux Eryenniens pour ne pas m’en vouloir.
— Pourquoi ? Pourquoi es-tu si différente de d’habitude ?
— Je suis moi-même, Elena. C’est malheureusement celle de d’habitude qui est différente.
— Je n’arrive pas à te suivre, maman.
— Tu comprendras bien assez vite.
— Mais…
— Tu n’es pas prête à tout entendre, Elena. Et je crains que tu ne le soit jamais. Je veux juste passer une journée ordinaire avec toi avant… bref.
Une serveuse arriva, interrompant ma mère. Elle donna la carte du restaurant qu’on étudia en silence. Ma mère commanda un saumon aux petits légumes et je choisis une salade de chèvres chauds. Durant ce repas, ma mère me parla un peu plus d’elle, de son passé, de sa rencontre avec mon père, mais surtout de ce qu’elle voulait que je devienne. Non pas la femme qu’elle avait élevée toutes ses années, mais une femme forte, sure d’elle, protectrice avec ceux qu’elle aime. Tout le contraire de la mère que j’avais toujours connu. L’après-midi, on rentra au château sur ma proposition. J’avais bien vu qu’elle commençait à fatiguer, dans son regard comme dans ses gestes.
— On se retrouve ce soir pour diner, tu peux faire ce que tu veux en attendant.
— Vraiment ? Tout ce que je veux ?
— Oui. Mais fais attention quand même. Je te rappelle qu’il n’y a plus que nous deux ici.
— Je ferais attention.
Pour profiter de mon après-midi, je me promenais dans les jardins. Pour une fois que je n’étais surveillée par personne, je voulais explorer. Sur les ordres de ma mère, Emma ne m’avait jamais autorisée à aller loin dans les jardins. Ma mère voulant toujours que je suis à porter de vision des fenêtres. Cette fois-ci, je m’aventurais un peu plus. Jusqu’à découvrir un magnifique grand chêne au bord d’un petit étang dont l’eau était claire. Je me dépêchais de retourner dans ma chambre pour prendre mes affaires de natation, afin de nager un peu dans cette eau si belle. Si ma mère m’avait appris à nager ici, j’aurais adoré suivre ses cours. Mais non, il avait fallu que j’apprenne dans une eau marron, giboyeuse qui me faisait vomir à chaque fois que je buvais la tasse. Dans cet étang, l’eau ne me collait pas à la peau et j’étais libre de mes mouvements. Tout comme aujourd’hui. Même si l’apprentissage avait été compliqué, la natation avait toujours été ma passion. Le moyen d’échapper à ma vie, de me dépenser, mais surtout de me vider l’esprit. Le seul moment où je pouvais être moi-même, c’était dans l’eau.
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