Chapitre 15

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À mon réveil, il faisait encore nuit. Les rayons de la lune parvenaient à se glisser à travers les rideaux. Je sortis de mon lit, mis mes pieds dans mes chaussons, récupérais ma robe de chambre et ouvris les rideaux. J’observais alors la cour encore dans l’obscurité. C’était si calme en cet instant. Rien à l’extérieur ne pouvait trahir la colère et la peine qui régnait dans mon cœur, suite au départ de ma mère. Aux levers du soleil, je devrais prendre la place de ma mère, devenir impératrice. Occuper cette place actuellement vacante. Mais je ne le voulais pas. Je n’étais pas prête et je ne savais même pas quoi faire. Fallait-il un couronnement ? Comment annoncer à ce peuple que je ne connaissais pas, le départ de ma mère et mon arrivée sur le trône ? Eux non plus ne me connaissaient pas. Allait-il accepter qu’une inconnue accède au pouvoir juste parce qu’elle était la princesse héritière ? Je restais plusieurs heures à regarder l’extérieur, sans bouger. Quand le soleil remplaça la lune, Emma entra dans la chambre et m’aida à me préparer.


— Des diplomates et des nobles attendent votre mère dans la Grande Salle.

— Ils peuvent attendre longtemps.

— Et si vous y alliez à sa place ?

— Qu’est-ce que je pourrais leur dire ?

— Je ne peux vous aider là-dessus.

— Je n’ai pas le choix de toute façon. Je ne peux pas les laisser attendre en vain.

— Je peux vous accompagner si vous voulez.

— Ça ira, merci.

— Votre diadème de princesse.


Apprêté comme la princesse que j’étais, j’approchais de la Grande Salle, la boule au ventre. J’allais devoir parler à des inconnus, de sujets inconnus. Tout ce dont ma mère m’avait toujours éloigné. Accepteraient-ils au moins de me parler, ma mère m’ayant toujours mis à l’écart ? Je respirais un grand coup avant d’entrer dans la salle. Les quatre hommes assis autour de la tête vers moi et se levèrent.


— Votre Altesse Impériale ? Qu’est-ce que vous…

— Ma mère est malade. Elle m’a demandé de la remplacer.

— Oh vraiment ? s’étonna le plus vieux. Sa Majesté est au pouvoir depuis dix-neuf ans et elle n’a jamais manqué la moindre réunion du Conseil. Et elle n’a encore moins jamais demander à sa fille de la remplacer.

— Tout change un jour, non ?

— Vous nous cachez quelque chose.

— Je ne sais quoi vous dire.

— Êtes-vous certaine qu’elle ne viendra pas ?

— Certaines, Monsieur.

— Dans ce cas, je ne reste pas. Vous n’êtes pas apte à prendre sa place.


Lui, comme les trois autres quittèrent la pièce. Seul le général, chef de la garde impériale, que je connaissais restait avec moi. Il était le seul parmi les quatre hommes de ma mère qui savait tout de la situation.


— Pourquoi ne pas leur avoir dit que votre mère avait disparu, vous laissant le trône ?

— Suis-je légitime à prendre le pouvoir ?

— Vous êtes la princesse héritière.

— Hormis ce titre qui ne veut rien dire pour moi, suis-je légitime ?

— Pour être honnête, non. Vous ne savez rien du peuple, de l’Empire. Vous n’avez actuellement pas les connaissances nécessaires pour gouverner seules, mais…

— Nous sommes d’accord là-dessus. Je refuse le pouvoir.

— Vous ne pouvez malheureusement pas refuser. Vous êtes la seule personne à pouvoir porter la couronne que vous le vouliez ou non. Les trois hommes qui viennent de partir étaient du côté de votre mère. Vous allez devoir apprendre à lutter contre eux.

— Et si je ne veux pas ?

— Vous n’avez pas le choix. Vous devez être couronné au plus vite. Avant que vos ennemies ne s’aperçoivent que le trône est vide.

— Qui sont ces ennemies ?

— Avec votre mère au pouvoir, le peuple et les royaumes voisins.

— Et vous voulez que je lutte contre des royaumes ? Il en est hors de question.

— Votre Altesse… si vous le désirez, je peux assurer l’intendance pendant une semaine, jusqu’à votre couronnement. Et je répondrais à toutes vos questions.

— Faisons ça, ça me laissera le temps de réfléchir.

— Avez-vous besoin de quelque chose ?

— Serait-il possible de sortir ? D’aller en ville ?

— Avec une unité armée, pour votre protection, oui.

— Dans une heure alors.


J’abandonnais le général pour retourner dans ma chambre, où j’enlevais immédiatement mon diadème. Sur le bureau, où je le posais, j’aperçus la clé que ma mère m’avait donnée hier. La clé de la bibliothèque était l’endroit où je pourrais avoir la réponse à un grand nombre de mes questions. La clé dans la main, j’approchais de cette immense pièce où je n’étais jamais rentrée, ma mère y allant toujours à ma place. La main tremblante, je tentais de glisser la clé dans la serrure, en vain. La main d’Emma se posa sur la mienne, l’empêchant de s’agiter.


— Besoin d’aide ?

— J’ai peur de ce que je vais découvrir derrière.

— Je vous accompagnerais dans vos découvertes. Vous devez passer par là quoi qu’il arrive.

— Je n’y arriverais jamais, Emma. Je ne peux pas devenir impératrice. J’en suis incapable.

— Je suis persuadée du contraire. Vous êtes une jeune femme extraordinaire, mademoiselle.

— Tu resteras avec moi ? Que je devienne impératrice ou non ?

— Si c’est ce que vous voulez, oui.

— Je ne veux pas te retenir parce que je te le demande, Emma. Je veux que tu restes parce que tu en as envie.

— Ne vous inquiétez pas pour ça.

— Je compte sortir en ville, tu veux venir avec moi ?

— Êtes-vous certaines que c’est une bonne idée ? Des soldats vont m’accompagner.


N’ayant pas réussi à entrer dans la bibliothèque, je partis faire un tour dans la cour, en compagnie d’Emma, en attendant les soldats. Quand la voiture fut prête, on retourna dans la cour. La dernière fois que j’étais sortie, c’était avec ma mère, sans imaginer ce qu’elle allait faire le lendemain. Une fois en ville, les habitants reculèrent en apercevant l’armée, comme lors de ma première sortie.


— Pourquoi teniez-vous tant à sortir ? me questionna Emma.

— Pour savoir. Pour comprendre ce qui a poussé ma mère à tout abandonner subitement.

— Je crains que vous ne trouviez cette réponse ni ici ni à la bibliothèque.

— Pourquoi ?

— Je ne saurais vous expliquer.


Je continuais de marcher, prenant le temps de tout observer. Que ce soit la façon dont vivaient les habitants, les constructions des bâtiments, mais aussi les routes.


— Il y a tellement de choses à faire, soupirais-je.

— Votre mère a malheureusement tout détruit.

— Pourquoi ? Est-ce que ce qu’elle a fait à Océane…

— Elle la fait à d’autres personnes ? Oui.

— Si j’accepte de devenir impératrice, je vais devoir tout reconstruire, c’est ça ?

— C’est ce que je pense, oui. Mais rien ne vous oblige à le faire seule.

— Et comment puis-je savoir de qui dois-je m’entourer ?

— Là-dessus, je ne peux malheureusement pas vous aider.


Je continuais ma découverte jusqu’à ce qu’une jeune femme m’interpelle.


— Excusez-moi. Êtes-vous la princesse ?

— En effet. Est-ce l’armée qui m’a trahi ?

— Oui. Je peux vous demander votre aide ?

— Bien sûr. Je vous écoute.

— Vous n’en parlerez pas à Sa Majesté l’impératrice ? Elle me tuerait sinon.

— Je vous le promets, Madame.

— Si vous voulez bien me suivre.


Dans mon dos, je sentais que les soldats étaient sur leur garde. Ils devaient surement penser que c’était un piège. Les ignorants, je suivis la jeune femme. Plusieurs personnes apparurent dans mon champ de vision, des assiettes fumantes dans les mains, autour d’une table.


— C’est une distribution gratuite de nourriture pour ceux qui n’ont pas assez d’argent pour se nourrir, m’expliqua-t-elle.

— En quoi avez-vous besoin de mon aide ? Que j’amène de la nourriture du palais ?

— Non, rigola-t-elle. On a ce qu’il faut. J’ai juste besoin d’aide au service. Est-ce que ça vous dérange ?

— Pas du tout, souris-je. Dites-moi ce que je dois faire.

— Merci beaucoup, Votre Altesse.


Je demandais à Emma de nous donner un coup de main. Parmi tous ses gens, seule celle qui m’avait emmené savait qui j’étais. En cet instant, je n’étais qu’une femme parmi tant d’autres et tous ses gens me souriaient. Dès qu’ils eurent tous à manger puis rentrer chez eux, j’aidais la jeune femme à ranger.


— Merci beaucoup pour votre aide, Votre Altesse.

— C’est normal, vous n’avez pas à me remercier.

— Au contraire. Surtout quand on sait qui est votre mère.

— Je ne sais pas tout ce qu’elle a fait, mais je ferais en sorte de tout réparer.

— Vous comptez devenir impératrice à sa place ?

— Je ne sais pas. Je ne pense pas être capable de le devenir.

— Vous êtes l’opposé même de votre mère. Elle a lutté pour garder le pouvoir, vous hésitez à le prendre. Je n’y connais rien en politique, mais n’est-ce pas là une force supplémentaire ? Aujourd’hui, tout le monde voudrait renverser votre mère pour prendre sa place et faire mieux. Mais vous, qui êtes légitime à cette place, vous hésitez. Si vous deviez être notre nouvelle impératrice, je vous soutiendrais. Parce que vous n’avez pas hésité à retrousser vos manches pour aider votre peuple.


Ce que venait de me dire cette femme, c’était la raison même de ce pour quoi j’avais voulu sortir. Pour avoir l’avis de ceux que j’allais devoir gouverner. Quoi qu’il arrive, j’allais devenir Impératrice dans une semaine. Mon seul travail des prochains jours serait d’en apprendre le plus possible sur l’Empire, mais surtout de légitimer mon accession au trône. Avant de rentrer au château, je décidais de rendre visite à Océane. Ayant son adresse, qu’elle m’avait donnée, Emma me montra le chemin. Arrivée devant cette belle maison, je frappais à la porte et un jeune homme m’ouvrit.


— Bonjour, c’est pour quoi ?

— Est-ce qu’Océane est là ?

— Vous êtes une de ces amies ? Je ne crois pas vous avoir déjà vu.

— Je suis une nouvelle amie, oui.

— Bon entrer. Océ ! cria-t-il pour qu’elle l’entende.


J’entrais dans une charmante maison, accueillante et chaleureuse. Vêtue d’un jean et d’une chemise, elle descendit les escaliers et m’accueillit en souriant.


— J’ai bien fait de te donner mon adresse à ce que je vois.

— Je ne dérange pas ?

— Pas du tout, installe-toi. Je te présente mon frère, Nathan. Nat’, je te présente Elena.

— Enchantée, répondit-on en même temps.

— Que me vaut l’honneur de ta visite ?

— Je suis de passage en ville alors je suis venue voir comment tu allais.

— J’ai réussi à retrouver mes repères. Ça fait du bien d’être de retour à la maison.

— Si tout va bien, je suis contente.

— Et toi, pas trop dur ?

— Si. Elle… elle est partie cette nuit.

— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Je n’en ai aucune idée. Hier, elle n’était plus la femme qu’on a connue.

— Celle qui s’est excusée quand elle nous a sorties du cachot ?

— Oui. Ce jour-là, elle m’a emmené en ville. Elle m’a fait visiter son appartement d’étudiante, m’as acheté des bijoux, on a mangé ensemble. Le soir, elle m’a même laissé dormir avec elle et… quand je me suis réveillé, elle n’était déjà plus là. Elle a écrit une lettre pour m’expliquer son départ et me laisse prendre sa place, volontairement.

— Elle a volontairement abdiqué ? s’étonna Océane.

— Oui. Et je n’ai pas le choix de lui succéder.

— Je suis certaine que tu peux y arriver. Après tout, c’est grâce à toi que je suis toujours en vie. Tu vas accepter ?

— Je n’ai pas le choix d’accepter, mais oui. Je prends juste une semaine pour m’y préparer correctement.


Discuter avec Océane me permit d’en apprendre plus sur la façon de vivre de mon peuple. Je compris un peu mieux pourquoi ils avaient tous eu peur de ma mère et de l’armée impériale. Je savais que pour réparer tout ce que ma mère avait détruit, j’allais devoir redoubler d’efforts. C’est avec plein d’objectifs en tête que je rentrais au château.

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