Chapitre 18
En rentrant au château, je ressentis immédiatement l’absence d’Océane. Le sentiment de solitude revint comme un boomerang. Ce château avait toujours été ma prison et aujourd’hui encore, j’avais le même ressentiment. Dans l’immense Grande Salle, je me sentais aussi petite et insignifiante qu’un moucheron. Un moucheron totalement seul et perdu. Cette solitude-là était plus pesante que celle que j’avais toujours connue, quand ma mère était encore là. Mes amies étaient si proches et en même temps si éloignées de moi que c’en était douloureux. J’avais toujours été enfermée ici, seule. Et aujourd’hui, alors que je n’étais enfin plus seule ni enfermée, j’avais toujours ce sentiment de manque. J’avais toujours l’impression d’être isolé du reste du monde. Décidée à changer les choses, à transformer cet endroit comme je le voulais, je me rendis dans le bureau de l’intendance, dans les quartiers des domestiques.
— Excusez-moi, je vous dérange ?
— Votre majesté ? Pas du tout, entrer.
Un jeune homme d’une vingtaine d’années m’accueillit, nerveux. Il me salua d’une révérence bancale et me fit rire.
— Excusez-moi, Votre Majesté, je…
— Ce n’est rien. Comment vous appelez-vous ?
— Thomas. Je travaille ici que depuis trois mois.
— Ça doit expliquer pourquoi je ne vous avais jamais rencontré. Enchantée Thomas.
— Que puis-je pour vous, Votre Majesté ?
— Déjà, arrêter de mettre Votre Majesté à chaque fin de phrase. J’aimerais redonner un coup de jeu au château, à commencer par les couloirs principaux. Que me conseillez-vous ?
— Les murs sont en pierre, mais ils sont lisses. Un bon coup de peinture ne devrait pas faire de mal. Je dois avoir plusieurs pots en réserve.
— Avez-vous du blanc ?
— Certainement. Si vous voulez bien me suivre.
Je suivis Thomas dans une immense pièce à l’arrière de son bureau. Le bric-à-brac du château ne put-je m’empêcher de penser. Il y avait, en effet, plusieurs centaines de pot de peinture, de toutes les couleurs différentes.
— Avez beaucoup de matériel pour peindre ?
— Suffisamment pour équiper tout le personnel.
— Pouvez-vous amener une dizaine de pots de peinture blanche et un pot de chaque autre couleur ainsi que tout le matériel dont vous disposez ?
— Tous de suite.
Je retrouvais ensuite Emma et lui demandais si elle pouvait réunir tout le personnel non nécessaire à l’instant. Tous ceux qui pouvaient se permettre une pause de plusieurs heures. Je fis un tour par ma chambre et me changeait pour de vieux vêtements que je ne mettais plus. Un pantalon et un tee-shirt. En une demi-heure, tout fut en place dans le premier couloir principal, celui qui reliait l’entrée et la Grande Salle.
— Tu nous expliques, Elena ? commença Emma.
— J’ai décidé de rendre ce château beaucoup plus accueillant. Comme vous le voyez, les pots de peinture blanche vont servir à repeindre ce couloir. Pour les couleurs, je vous laisse faire ce que vous voulez sur le mur de la Grande Salle à gauche de l’entrée. Oubliez que c’est une salle importante, faites ce que vous voulez. Vous pouvez aussi rester le temps que vous voulez. Je sais que beaucoup d’entre vous ont des taches importantes à faire. Vous avez ici tout le matériel dont vous avez besoin.
Comme personne ne bougeait, je mis la radio et pris l’initiative de récupérer un rouleau, d’ouvrir le premier pot blanc et de commencer à peindre le premier mur. Je fus rapidement rejoint par les autres. C’était aussi le moment d’apprendre à connaitre ceux qui travaillaient pour moi. Ceux que ma mère avait toujours tenus éloignés de moi, pour que je n’apprenne rien de leur part.
— Je suis Jasmine, trente — ans. Je suis à la lingerie. Je m’occupe personnellement de vos vêtements.
— Oh… heu… c’est assez gênant. J’espère que…
— Ne vous inquiétez pas, je sais être discrète quand il faut. Et puis, vos vêtements ne sont pas les plus sales que j’ai eus entre mes mains.
— En même temps, je n’avais pas le droit de sortir.
— C’est vrai que depuis que votre mère est partie, il y a plus de terre sur vos robes.
— Vous savez à qui je dois m’adresser pour avoir de nouvelles tenues ?
— Je peux m’en occuper, je connais vos tailles. Qu’est-ce qu’il faut ?
— Plus de tenus comme celle-ci. Des pantalons et des tee-shirts.
— C’est comme si c’était fait.
Quand une musique que j’aimais beaucoup passa à la radio, j’abandonner mon rouleau pour danser, faisant rire tout monde. Je retournais ma peinture et la fin de la musique, en souriant.
— Vous vous êtes tachés, remarqua Jasmine. Je vais avoir du mal à retirer la peinture cette fois-ci.
— Ne vous embêtez pas. Gardons ses vêtements tachés en prévision des prochaines activités peintures.
— Très bien. Mais j’essaierais quand même, rigola-t-elle.
— C’est comme vous voulez.
— Votre majesté ? m’interpella une cuisinière. Je vais aller commencer le diner. Souhaitez-vous quelque chose de particulier ?
— Sandwich pour tout le monde, ça ira très bien.
— Elena, comment dire, soupira Emma. Ce n’est pas parce que tu es impératrice que tu dois manger n’importe comment.
— Mais…
— Elena.
— Okay, j’ai compris. Pizza c’est mieux ?
— Tu me désespères.
— Faites les deux, en part individuelle, ce sera plus pratique.
— Compris.
Alors que le soleil se couchait, j’entrais pour la première fois de l’après-midi dans la grande Salle. La fresque recouvrait un quart du mur et était magnifique. C’étaient des petits dessins, des mots, des dessins plus grands. Cette partie du mur représentait exactement ce que j’avais espéré, l’union de plusieurs personnes en un seul endroit. C’était magnifique.
— Tu comptes participer à la fresque ? me questionna Emma en s’approcha.
— Je ne saurais quoi faire.
— Tout le monde à signer, en bas à droite. Fais-en de même, ajoute ta propre signature.
— Tu me passes un stylo ?
— Et voilà.
Je remarquais alors qu’elle l’avait dans la main depuis son arrivée. Je m’approchais de la fresque quand l’ensemble des domestiques entrèrent dans la pièce, le repas étant prêt. En cachant ma nervosité, je décapuchonnais le stylo et signais « Elena De Stinley ». Je me retournais ensuite et tout le monde m’applaudit quelque instant avant d’être attiré par les pizzas et les mini sandwichs. La soirée se déroula dans une ambiance incroyable. J’étais certes leur impératrice, mais les domestiques restaient tout de même quelque peu familiers avec moi et j’appréciais. Je ne voulais pas créer de distance entre eux et moi juste parce que j’étais au pouvoir. Je voulais qu’ils puissent me voir comme une personne de confiance, avec qui ils pouvaient plaisanter.
C’est heureux et apaisé que je partis me coucher. Je n’avais d’ailleurs jamais aussi bien dormi. Je me réveillais en même temps que le soleil. Sans attendre, Emma, je choisis la robe la plus simple, coiffait mes cheveux en queue de cheval. Aujourd’hui, je n’avais pas de réunion du conseil. Aujourd’hui, j’avais pris la décision de vivre comme je le voulais, mais surtout de croquer la vie à pleine dent. Au moment où je voulus sortir de ma chambre, je reçus un message d’Océane. Elle allait arriver d’ici une heure. Ravie, c’est en souriant que j’entrais dans la grande salle pour prendre mon petit déjeuner.
— Bah, tu es déjà réveillée ? commenta Emma en entrant
— Hé oui. Océane va bientôt arriver.
— Je comprends mieux, rigola-t-elle.
— Et qu’est-ce que ça veut dire ?
— Tu comprendras toute seule.
J’attrapais ma serviette et la lui lançais. Elle la récupéra et s’installa à table avec moi. J’étais de bonne humeur et elle l’avait remarquée. On discuta de tout et de rien jusqu’à l’arrivée d’Océane. Elle s’approcha de moi et me prit dans ses bras. Même si j’avais appris à la connaitre, je ne savais toujours pas comment réagir face à ses démonstrations de joies et d’amitié. Contrairement à moi, elle était très tactile. Alors que ses bras étaient autour de mes épaules, les miens restaient ballants.
— J’ai trouvé ce livre à la bibliothèque municipale sur ta famille. Je me suis dit que ça pourrait t’intéresser.
— J’ai une bibliothèque rien qu’à moi, tu sais ?
— Je sais, mais… Bon d’accord, c’était un prétexte pour venir te voir, sourit-elle.
— Merci quand même. Je suis contente de te voir.
— Ça te va bien cette tenue. On dirait juste une fille lambda. Tu es très jolie.
Face à son compliment, je rougis et elle le remarqua immédiatement. Elle posa ses mains sur mes épaules, me regarda droit dans les yeux et sourit.
— Pas la peine de rougir pour ça, hein, ce n’était qu’un compliment.
— Je sais, mais… avouai-je en détournant le regard.
— Si ça te dérange, tu me le dis, hein. On me dit souvent que je suis un peu trop tactile et spontanée alors…
— Non, non, au contraire. J’apprécie beaucoup en fait. Surtout venant de toi.
— Parfait, enchaîna-t-elle innocemment. Je ne comptais pas m’arrêter de toute façon. D’ailleurs, j’ai décidé de reprendre mes études.
— En même temps que le Conseil ? Ça ne fera pas beaucoup ?
— Le président de l’université a accepté mon dossier de cours en distanciel. Je dois juste aller à la fac deux fois par semaine pour les TD.
— Qu’est-ce que c’est ?
— D’autres sortes de cours. Mais j’aurais toujours du temps pour toi, ne t’inquiète pas.
— C’est cool.
— Faut que j’aille en cours d’ailleurs, je ne faisais que passer. À plus, beauté.
Sans me laisser le temps de lui répondre, elle quitta la Grande Salle, me laissant seule avec Emma. Mes joues étaient en feu et mon cœur battait si vite et si fort que je pouvais l’entendre dans mes oreilles.
— Qu’est-ce qui m’arrive ? Demandais-je subitement en regardant là où Océane avait disparu quelques minutes plus tôt.
— Qu’est-ce que tu ressens ?
— Je ne saurais pas le définir, mais… c’est comme si j’étais paralysée à chaque fois que je la voyais. Je ne sais jamais comment réagir avec elle. J’ai peur de mal faire et…
— Ça, me coupa Emma, c’est ce que j’appelle l’Amour, Elena. L’Amour avec un grand A.
Elle s’éloigna à son tour, me laissant seule dans cette immense pièce.
— Eh, mais attends, dis-m’en plus, Emma. C’est quoi la différence entre l’amour avec un petit a et l’Amour avec un grand A.
— Le premier, c’est celui que j’ai envers toi, l’amitié ou l’amour familial par exemple. Le deuxième c’est… Tu sais quoi, je te laisse découvrir seule, ajouta-t-elle en rigolant.
— Mais ce n’est pas juste. Emma !
Elle sortit de la Grande Salle, me laissant avec mes interrogations. Comment pouvais-je découvrir ce qu’était l’Amour avec un grand A, alors que j’avais toujours vécu dans l’indifférence de ma mère ? Comment pouvais-je savoir ce que c’était alors que personne ne m’avait jamais dit « je t’aime », pas même Emma ? Était-ce la raison qui avait poussé mon père à épouser ma mère ? Toutes ses émotions qui se trouvaient en moi, telle une tempête, me donnèrent le tournis. Excitation, amour, satisfaction, que des émotions qui m’avait longtemps été inconnues.
En sortant de la Grande Salle, je croisais le Chef de la Garde impériale et lui demandais d’effectuer des recherches sur le lieu potentiel où pouvaient se trouver les victimes de ma mère. Ceux qu’elle avait enfermés au château, comme Océane puis tué. J’avais promis à Océane de retrouver ses parents et je me devais, par la même occasion, retrouver les nombreux disparut de la Dictature de l’Impératrice Julie.
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