Chapitre 2

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J'ouvre les yeux et découvre que je suis allongé sur mon lit, encore habillé avec de nombreux ouvrages de magie ouverts et éparpillés autour de moi. Je me redresse du mieux que je peux, me retourne pour observer le plafond, couvrant la lumière matinale avec mon bras. Je me laisse quelques minutes avant de reprendre une attitude plus décente en m'asseyant simplement sur mon lit. Quelqu'un toque à ma porte et je l'autorise à entrer. Je le reconnais à sa simple manière de marcher sur le sol de ma chambre.

— Peredim...

— Monseigneur, vos parents vous attendent dans le salon pour le déjeuner.

— Entendu. Et le métamorphe ?

— Il est dehors.

Je me redresse et passe une main dans mes cheveux, pour leur donner un semblant de discipline. Peredim sourit discrètement, comme il en a l'habitude.

— Peut-être devriez-vous vous changer avant de vous y rendre ?

— C'est une bonne suggestion.

Il s'incline et referme la porte derrière lui en quittant la pièce. Je donne un rapide regard vers l'extérieur, plus précisément le jardin et aperçois l'Etherberien, assis par terre à même la terre, les yeux rivés vers le ciel. Il ne doit rêver qu'au moment où il pourrait un jour redevenir un oiseau et s'envoler loin d'ici.

Je fais une rapide toilette et me change convenablement pour rejoindre mes parents. Mon père est debout, près de la bibliothèque, un large livre entre les mains. Ma mère est assise dans un fauteuil et observe le jardin d'un air distrait.

— Bonjour Mère. Père.

— Bonjour Andrek.

Je m'assois près d'elle, me sers une tasse de thé et croque dans une pomme. Je n'ai hérité de ma mère que ses yeux bleus. Le reste, je le tiens de mon père. De sa posture droite, à ses cheveux blonds cendrés. Pourtant, j'aurais aimé être bien plus associé à cette femme bienveillante qui s'était battu pour sa vie et son grand amour, qu'à la famille de mon père. Bien que je n'ai aucune honte à l'avoir comme géniteur. Il est un homme bien.

— Andrek, aujourd'hui tu vas avoir ton premier cours avec l'Etherberien, m'informe mon père.

— D'accord.

De toute manière, je n'ai pas à discuter ses décisions. Ma mère se lève et se rapproche de la fenêtre. Elle doit voir le métamorphe assis dans la terre.

— Je vais me rendre au marché pour tenter de trouver des informations sur ce garçon et son ancien propriétaire, ajoute-t-il.

— Fais attention à toi, s'inquiète ma mère.

— Comme toujours.

Je prends quelques gâteaux aux amandes que je cache dans ma poche et me lève. Ma mère me souhaite une bonne matinée et je descends dans le jardin. J'espère pouvoir bientôt échanger avec lui. Je ne rencontre des personnes de mon âge seulement lors d'événements importants, et cela ne dure jamais trop longtemps.

Je le retrouve, toujours le regard vers le ciel. Il a les cheveux beaucoup plus courts que la veille, presque rasé sur le crâne. Comme les coupes des esclaves. Je lui tends les gâteaux et il baisse les yeux vers moi.

— Tu devrais manger un peu.

Il en attrape un et croque dedans. Il n'a sûrement pas compris un seul de mes mots, mais au moins, il se nourrit un peu.

— Suis-moi, on doit aller suivre les cours.

Je ne l'entends pas derrière moi.

— Tu viens ? On va être en retard.

Il pointe le ciel avec son doigt.

— Mon père est parti se renseigner sur toi. Tu seras bientôt libre.

Sa collation finie, il se met sur ses pieds, me dépassant à nouveau. Je ne suis pas très grand pour un garçon de mon âge, mais avec lui juste en face de moi, cette différence est augmenter.

Il penche la tête et continue de lever la main au-dessus de lui. Je tente de me souvenir de mes quelques cours de Virnam. Je déteste cette langue.

Latha, saorsa gu luath. Thig comhla rium ? (Un jour, tu seras libre. Tu me suis ? )

Il semble avoir compris, car il sourit et se décide à me suivre. Dans un couloir, je croise Perebim, qui m'annonce que mon professeur est déjà arrivé et qu'il m'attend dans ma salle de classe. Je presse le pas, suivi de près par le métamorphe qui se contente de marcher loin derrière moi.

Je me décide enfin à lui poser la question qui me tourmente depuis un moment.

— Quel est ton nom ? D 'ainm?

Il fronce les sourcils et prend un nouveau gâteau sucré. Le Virnam est heureusement une langue très peu parlée aujourd'hui. C'est la pire de toute à parler avec cet accent qu'il faut prendre si on ne veut pas avoir l'air d'un parfait idiot ou que personne ne vous comprenne.

— Je dois te donner un nom pour le moment, jusqu'à ce que j'apprenne le vrai. Je n'ai pas envie de faire ça, mais je n'ai pas le choix. Je ne peux pas continuer à t'appeler le métamorphe. Et il est hors de question que je t'appelle l'esclave.

Il prend un autre gâteau. Une liste de noms traverse mon esprit, avant que je ne m'arrête sur l'un d'eux. Le petit tas de gâteau a bien réduit dans sa main.

— Elyan. Pour le moment, je vais t'appeler Elyan, jusqu'à ce que tu me dises un jour ton vrai nom.

Je pousse la lourde porte du bureau et laisse le temps à Elyan de rentrer dans la pièce.

Mon professeur est déjà attelé à me donner le livre des langages du royaume. Il remarque rapidement le nouvel invité et fronce le nez comme à son habitude quand je fais une grossière erreur.

— Seigneur Morgen m'avait prévenu que j'allais avoir un nouvel étudiant, mais j'ignorais qu'il s'agissait d'un esclave.

— Il n'est pas un esclave.

Curieux, Elyan regarde partout autour de lui, toujours un petit gâteau dans la main. Il semble impressionné par le nombre de livres dans les bibliothèques et des cartes exposées aux murs. Mais surtout celle du pays d'Etherberyl. Son doigt passe sur les nombreuses régions encore inconnues, tout en parlant dans sa langue.

— Par les dieux... Qu'est-ce que c'est que cette langue ?

— C'est vous le professeur.

Je m'assois sagement à ma place et entreprends d'examiner le livre que j'ai devant moi. Aucun chapitre n'évoque la langue que parle Elyan. Il finit par être intéressé par ce que j'apprends et il reste derrière moi pour contempler. Est-ce qu'il sait lire ?

— Ici, c'est le pays d'Etherberyl. C'est là d'où tu viens.

Sa main serre son poignet, là où son bracelet de métal lui coupe la peau.

— Professeur, comment dit-on «maison» en Virnam ?

— Je croyais que vous détestiez cette langue ?

— S'il vous plaît...

Taigh.

Les yeux d'Elyan se mettent à s'illuminer et il sourit à la carte, reposant sa paume sur le papier.

Taigh...

Je remarque que sa main porte des cicatrices anciennes.

— Andrek ?

Mon professeur m'interpelle et il demande à Elyan de s'éloigner de moi pour me laisser travailler. Il me fait pratiquer ma prononciation de plusieurs langues, mais aussi ma mémoire pour retenir toutes leurs traductions. Il ne s'intéresse pas une seule fois à Elyan, qui se contente de me regarder faire en mangeant le reste des biscuits aux amandes.

Il sourit. Je dois être ridicule à parler de cette manière.

Taig na Diahan...

Taigh nan Diathan ! Vous manquez de sérieux aujourd'hui. (Maison des Dieux)

— Excusez-moi.

Elyan s'assoit sur un rebord de fenêtre, celle qui donne sur plusieurs mètres de haut. Il n'a rien à faire du vertige.

Taigh nan Diathan ! répète-t-il.

— Même cet esclave est plus doué que vous à parler Virnam. Et ce n'est même pas sa langue maternelle !

— Il n'est pas un esclave, répété-je à mi-voix.

Mon précepteur me fait parler encore un moment et je lâche un lourd soupir quand il commence à ranger ses livres. Je suis presque libéré de cette leçon. Celle qui m'intéresse le moins mais qui me permet de me dépenser, arrive cet après-midi. Elyan lance un dernier coup d'œil par la fenêtre et redescend.

— Seigneur Andrek, m'interpelle mon professeur. Votre père m'a demandé de me charger son éducation, malheureusement, avec vos sottises, je n'en ai pas eu le temps. Je vous demanderai donc de vous en charger. En plus de cela, je suis certain que cela vous aidera à vous améliorer, affirme-t-il en emportant ses livres. Bonne journée.

— Bonne journée.

Elyan me suit jusque dans la salle à manger. Je mange seul avec lui, ma mère étant occupée avec les affaires de mon père, qui lui n'est pas revenu du marché. J'espère qu'il est parvenu à obtenir des informations sur l'ancienne maison d'Elyan.

Il ne touche à aucune viande, probablement dû à sa condition de métamorphe, cependant il mange des légumes salés et du pain noir aux olives. Les plats de la région semblent lui plaire.

Après le repas, je lui propose de me suivre dans le salon avant mon prochain cours, dans un Virnam toujours approximatif. Il accepte et prend un livre dans une bibliothèque. Il se contente de tourner les pages, mais semble subjugué par les dessins. Ses doigts retracent les traits de crayons et il se met à parler dans sa langue. J'aimerais pouvoir être capable de tout comprendre sans que quelqu'un ne doive faire la traduction pour moi ou que j'ai besoin d'utiliser le Virnam. Il doit détester cette langue lui aussi.

Mar a chan mhath sa chan agad ? (Comment on dit "bonjour" dans ta langue ?)

Il abandonne le livre ouvert sur un dessin de l'océan.

Chan Mhath ?

Chanan Mhath. Désolé.

Borei.

— Bore ?

Il secoue la tête et articule pour m'aider à répéter.

Bo-rei.

Bo-rei.

Je me retiens de rire.

Agus nad chanan ? demande-t-il (Et dans ta langue ?)

Je fronce les sourcils, cherchant à comprendre ce qu'il me dit. Il répète et je comprends enfin le sens de sa phrase.

— Bonjour.

— Bonjou.

Je réfute à mon tour et décompose le mot pour l'aider à le prononcer.

— Bon-jour

— Bon-jour.

C'est à ce moment-là que Peredim choisit de pénétrer dans le salon.

— Votre professeur d'épée vous attend depuis un long moment. Tout va bien monseigneur ?

Je me mets debout et lisse ma tunique. Elyan touche sa chaîne à son poignet.

— Très bien.

Mes yeux se posent malgré moi sur Elyan avant que je quitte la pièce. Il ramène ses jambes sur l'assise du canapé et retourne à sa lecture.

Un jour, je l'emmènerai voir la mer.

Je me change rapidement dans ma chambre, avant de rejoindre mon professeur dans la cour intérieure.

— Monseigneur s'est fait désirer... annonce l'homme en faisant tourner son épée dans sa main avec aisance.

— Excusez-moi mon retard... Mon cours précédent à durer bien plus longtemps qu'ordinaire.

— Je vais essayer de vous croire.

Je récupère mon arme et me place face à lui.

— Vos appuis sont différents aujourd'hui. Je vais finir par penser que quelque chose vous tracasse, au point de ne plus faire attention à rien.

Il me demande de m'approcher de lui. Je lui assène un premier coup. Couramment, je parviens à le toucher rapidement, mais je ne réussis qu'à l'effleurer.

— Tout le monde ici, à remarquer la présence d'un nouveau membre au château. Il vous tourmente ?

— Non ! assuré-je.

— Bien. Dans ce cas, concentrez-vous ou vous finirez à terre.

Et après de longues minutes acharnées, c'est ce qui finit par arriver. Je tombe de tout mon long, légèrement assommé par le coup derrière ma tête.

— Votre père me paye pour vous faire travailler les armes, pas vous faire manger du sable.

— Vous lui direz que ce n'est pas ce que je veux faire... Je préfère largement les arts mystiques.

— Si tout le monde faisait ce qu'il voulait, le monde cesserait d'exister.

— Vous êtes pessimiste.

— Réaliste, monseigneur.

Il m'aide à me relever et récupère mon arme sans me laisser le temps de dire autre chose.

— Oh ! Je crois que vous avez de la visite. Nous nous revoyons dans deux jours. Bonne journée.

Il s'incline légèrement et je fais de même, essoufflé, la main sur le ventre. Je remarque Elyan, un livre sous le bras. Je me rapproche de lui et annonce que je vais me changer plus convenablement pour le dîner.

Je le laisse seul quelques minutes, le temps que j'enlève tout ce sable et cette sueur qui collent à ma peau. Je suis un piètre combattant. Pourtant, mon père s'obstine à dire que j'ai besoin de savoir me battre pour protéger ceux que j'aime et ce en quoi je crois. Pour le moment, ça ne me sert qu'à entretenir ma forme et à faire semblant que j'apprécie me battre.

Changé, je cherche Elyan, sans le trouver. Je le laisse donc seul, assuré qu'il doit être dans un recoin du château, plongé dans des dessins d'océan.

Je me retrouve seul dans le salon, avec un roman sur les peuples de la Lune et du Soleil, quand j'entends un bruit de fracas provenir du couloir. Et l'une de nos servante hurle.

Je cours voir ce qu'il se passe et découvre Elyan, essayant d'étrangler l'un des serviteurs en parlant fort dans sa langue. Tout le monde essaie de les séparer, mais Elyan presse plus fort sa nuque, rendant la peau de son visage presque bleue.

— Il va finir par le tuer !

— Faîtes le lâcher ! Par les dieux !

Elyan se met à hurler, secoue le pauvre serviteur, qui tente de le repousser et se met à le frapper au visage. Elyan ne desserre pas sa prise. Nous voyons tous le métamorphe au fond de lui, terrifiant, monstrueux.

Fag ! crié-je.

Elyan lâche prise et le laisse tomber au sol. Le serviteur se met à tousser et tout le monde se précipite sur lui pour vérifier son état. Heureusement, il est encore conscient, mais la marque à son cou est bien visible. D'autres serviteurs l'aident à se redresser et il met une violente claque à Elyan, qui se laisse faire.

— Voilà comment on doit traiter les monstres dans ton genre...

Il ne dit rien. Ma mère apparaît dans le couloir, Perebim à ses côtés.

— Que s'est-il passé ?

— Madame, l'esclave s'est attaqué à moi soudainement, sans raison.

Elyan ne dit rien, que ce soit dans sa langue natale ou en Virnam.

Ma mère me regarde et me demande si j'ai vu quelque chose, la raison qui aurait pu le pousser à agir de la sorte. Je lui assure que non, que je n'étais pas présent.

— Bien... Emmenez ce pauvre Olge dans sa chambre, qu'il se repose. Faites en sorte que quelqu'un aille vérifier régulièrement son état.

Deux servantes l'accompagnent jusqu'à son lit et ma mère demande au reste du personnel de se disperser. Il ne reste dans le couloir qu'elle, Perebim, Elyan et moi.

Elle lui demande en Virnam de la suivre et se rend dans son bureau.

— Perebim, laisse nous, j'ai besoin de leur parler.

Il acquiesce l'ordre de ma mère et referme la porte du bureau derrière lui. Je ne sais pas comment je dois interpréter le regard de ma mère. Elle semble déçue, en colère mais également attristée par la situation.

— Je ne vais pas te punir, avant d'avoir entendu toute l'histoire.

Elyan serre le poing, silencieux.

Mo leanabh, mi a tuigsinn fhearg, ach chan airidh fhoirnar gun adhbhar. (Mon enfant, je peux comprendre ta colère, mais aucun homme ne mérite toute cette violence sans raison.)

Elyan ne desserre pas sa main.

Airsonsh ? (Pourquoi ?)

Il finit par délivrer ce qu'il avait et laisse tomber au sol un petit bout de papier.

Je me penche pour le ramasser. J'aperçois toute sa colère dans ses yeux, sans qu'il n'ose bouger. Ses animaux en lui doivent hurler de les laisser sortir.

J'y jette une brève lecture et le lui remets. Il paraît au bord de l'implosion, prêt à tout détruire.

Mo mhathair, finit-il par dire. Bha sinn dealaichte... (Ma mère. On a été séparé...)

— Mon pauvre enfant...

Ma mère caresse doucement ses épaules et elle tente de le faire sourire. Je n'ai presque rien compris mais je le vois plus calme.

— Personne ici ne te reprochera une telle perte. Mais tu dois apprendre à gérer cette colère. Je sais qu'avec ces chaînes qui t'empêchent de t'exprimer et font comme si tu ne valais rien, tu es surchargé d'émotion, mais mon époux va retrouver ton ancien maître et lui demander de te libérer. Tu ne seras plus un esclave et tu pourras redevenir quelqu'un.

Elle lui redit en Virnam et il comprend presque tout. Il la remercie mais elle lui demande pour le moment de rester assez loin des autres serviteurs pour éviter un autre esclandre. Personne ne veut le revoir dans cet état et moi encore moins. À ce moment-là, il me faisait vraiment peur. 

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