Chapitre 1.

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C’est à chaudes larmes qu’il pleurait, son petit frère. Aussi loin qu’elle se souvienne, ce n’était que sourire et autres rigolades qu’il lui fournissait.

Savoir qu’elle était la cause de cette rasade de sels était un brise cœur, comme si quelqu’un lui serrait les artères d’une poignée vengeresse. Elle le lui avait annoncé depuis quelques semaines déjà, mais jusque-là il n’avait pas réalisé. Lavande allait partir, elle avait trouvé un travail, bien payé, mais loin, très loin.

Sa chambre ne lui avait jamais paru aussi attirante, laissant à travers ses tâches de moisissures et son mur fait de quelques tôles d’aciers un goût de nostalgie. Il y avait là son lit, un matelas à même le sol… puis celui d’Espoir, qui avait le luxe de pouvoir s’allonger sur quelques lattes. Quelques posters, à moitié arrachés, présentant des noms de chanteurs, d’acteurs et quelques bijoux de cyberologie qu’ils n’auraient jamais pu s’acheter. Dormir parmi les jouets de son frère, les cannettes de boissons et les cafards plus gros que sa main… allait lui manquer. Cependant, rien ne la rendrait plus mélancolique que de ne plus voir la bouille d’Espoir, encore vierge de tout implant, laissant entrevoir ses magnifiques iris azurés…

— Tu me promets que tu ne toucheras jamais à tes yeux d’accord ? lui demanda-t-elle en se mordant la joue par intermittence pour empêcher ses larmes de couler. Chose inutile, pensa-t-elle, au vu du goût amer qui remplissait sa bouche.

— O-oui L-lavande… J-je… Oui.

Il lui était impossible de communiquer dorénavant, cet enfant si énergique était lessivé par le chagrin. Alors, enfin, après plusieurs minutes, Lavande se permit de relâcher un peu l’étreinte, voir s’il l’acceptait cette fois-ci. Ce fut le cas, il s’avoua vaincu.

— Je t’aime Espoir. Je reviendrai un jour, avec plein d’argent, je t'achèterai tout ce que tu veux…

— Je m’en fiche de ça ! Moi je veux toi !

Grande erreur de sa part, de telles paroles ne firent que retourner la situation à la case départ. Son petit frère l’attrapa de nouveau, et les sanglots repartirent de plus belle.

Quelqu’un toqua à la porte, puis elle s’ouvrit, dévoilant le visage émacié et gâté par le temps de leur paternel. Celui-ci s’avança, tout autant humide au visage que ses deux enfants. Alors que Lavande s’attendait à une aide de sa part, un mot bien envoyé permettant à la pieuvre de relâcher sa proie… Il s'abattit à son tour sur eux, les empoignant dans ses bras plus gros que sa tête, les serrant jusqu’à ce qu’ils soient en quête de souffle.

Une quasi heure de passé, Lavande était enfin sur le seuil de l’entrée, la main quasiment posée sur le digimain, prête à activer pour la dernière fois la LED verte de la porte, signe d’ouverture.

Elle avait tout préparé pour son départ de New Valley. Un grand sac de sport que son travail lui avait fourni, équipé de plusieurs rechanges, de nourritures pour le voyage, d’argent (ce qu’elle avait pu réunir) ainsi que son Glock, cadeau de sa majorité par son paternel.

La grande fille qu’elle était devenue embrassa le front de ce dernier, une dernière fois avant longtemps. Elle n’osa pas faire de nouveau un câlin à son frère, trop de risque de rater sa navette pour de bon.

Lavande était partit, enfin, après une lutte acharnée contre la nostalgie, la sécurité de sa maison, la peur d’un monde qu’elle ne connaissait pas. Elle n’était jamais sortie de New Valley, elle ne connaissait Wangchao Cheng que de nom, néanmoins l’offre de mutation était bien trop alléchante pour ne pas accepter. De garante de la protection des officiels de New Valley, elle allait dorénavant s’occuper de la sécurité des éminents membres de la famille Yuan-Ming. Contrairement à beaucoup, elle n’avait aucun affect, positif ou négatif, envers ces gens. Pour elle, il s’agissait de gérant de corporation, ni plus ni moins. Elle les imaginait comme une famille formelle, bien plus proche de la réussite de Yuan-Ming.Inc que de celle de leur généalogie.

Elle plaça son index droit sur sa mastoïde puis appuya, jusqu’au “clic”, pour que démarre sa musique. Un énième remix d’anciens artistes version cyber-électro… Elle n’avait de toute manière pas le temps pour chercher de nouvelles compositions, sa vie était bien trop rythmée par l’entraînement, le travail et Espoir.

Dans la navette, elle pensait à ce dernier, le visage reflété par la fenêtre donnant sur le sombre tunnel. C’est à travers ce noir qu’elle pouvait imaginer, se plonger de nouveau dans sa mémoire, dans son vécu, ces moments qui seraient à jamais inscrits en elle.

Au fur et à mesure que la musique avançait, le décor se créait, de la verdure, un lac, quelques chants d’oiseaux…

Le parc central de New Valley, un coin de repos, paradisiaque et surtout paradoxal face à la déchéance et la cyberologie envahissante des rues de la ville. Les arbres réalisent le miracle de cacher les grandes tours de NV. Enfin, quand ceux-ci ne sont pas désactivés suite à un problème avec l’holoprojection. Des oiseaux par milliers, aux chants plus exotiques les uns que les autres, grande fierté de la mairie : en effet ce n’est pas moins d’une centaine d’enregistrements de l'Ex-Monde qu’ils ont dû réunir pour orchestrer un tel concert de dinosaures aviens… Sans oublier le travail des ingénieurs en intelligence quantique généreusement prêtés par Hexasoft pour rendre la faune des plus réalistes.

Devant elle se trouve son frère, plongé en plein match d’échecs. Le parc C.N.W organisait là un tournoi de grande ampleur, où tous les petits génies de NV se retrouvaient pour se défier à un jeu tout droit venu de l’Ex-Monde. Espoir était doué, mais il n’était pas le meilleur, il s’était qualifié de justesse dans son école, le champion de celle-ci ne pouvant venir (il avait attrapé la maladie du Virtuelle.)

Comme attendu, il se fait sortir dès le premier tour. Peu importe, le billet du voyage en navette était remboursé par la mairie, alors autant en profiter pour se promener dans ce magnifique lieu avec Lavande.

Ils avaient passé la journée entière à gambader dans ce parc, à parler, des amourettes de Lavande, des copains d’Espoir… Elle se souvient…

Dis Lavande ? Tu partiras jamais ? Cola, son grand frère, il est parti à Al Ufuq.

Pourquoi je partirai ? Ma vie est ici avec toi.

Alors elle s’était approchée de ce petit être, pour l’étreindre, comme souvent et sentir son odeur… Comme s’il était son propre enfant. Ils avaient dix années d'écart, deux mères différentes qu’eux deux n’avaient jamais connu, alors elle était à la fois sœur et maman adoptive.

*Scarabée ! Petit Scarabée! TU N’AS PAS ENCORE ACH…* BZZZ

La carte MV arraché de son lecteur sur sa mastoïde droite, il lui fallut un instant pour revenir à la réalité. Il ne fallait jamais faire une chose pareille, il y avait un faible risque de rester en état de transition cyberique, ou pire : développer une hexaneurodégénérescence… Cependant elle ne pouvait s’en empêcher, les publicités étaient bien trop agressives et soudaines, lui lâchant un sursaut à chaque plongée dans sa mémoire vive.

Encore chaude dans ses mains, elle rangea la MV dans une petite poche de son sac.

La navette était dorénavant sortie du tunnel, pour gagner en altitude sur son circuit, histoire de rejoindre celle que l’on nommait la voie des archanges, composée de longues lignes reflétant les alentours, de sorte qu’elle ne cache pas la vision du ciel, sauf quand on l’emprunte. De cette hauteur, New Valley pouvait faire oublier son lot de saletés, de crimes, de pauvretés, de corruptions… Pour ne laisser qu’entrevoir ses lumières, sa géométrie parfaite, ses grattes-ciels colorés et sa vie abondante. D’ici elle voyait la tour Hexa, siège d'Hexacorp, c’était la plus grande de New Valley, composée uniquement de vitres et de néons, elle était aussi l’une des seuls à ne contenir aucun panneau publicitaire. Sa taille exacte n’était pas connue, à vrai dire, ils n’avaient jamais supporté que la principale tour de Al-Ufuq culmine à 900 mètres, alors ils préféraient laisser le doute, que les plus fanatiques défendent leur tour, à coup d’explications foireuses, de l’illusion d’optique à la hauteur "souterraine."

Néanmoins, la tour Hexa n’était pas la préférée de Lavande, elle avait une affection particulière pour celle que l’on surnommait “L’Oeil de la vallée”, soit la tour de contrôle, appellation bien plus sobre. C’était là qu’elle travaillait, avant d’être mutée à Yuan-Ming. Là bas était compactés les pompiers, les médecins, les policiers… Dans plusieurs grands blocs aux couleurs rouges, verts, bleus mats. En plein centre de la ville, cet amas dégageait un signe d’espoir, une envie de s’en sortir, un vœu d’avenir. La corruption y régnait tout autant qu’à la mairie, il était vrai, mais d’honnêtes personnes y travaillaient encore. Affiliée à la police de NV, elle s’occupait de protéger les politiques de la ville, en danger chaque jour, surtout pour les quelques sans-contacts. C’est à seulement seize ans qu’elle avait été recrutée, après avoir été repérée lors d’un tournoi d’arts martiaux.

Son efficacité n’était pas restée inaperçue, après le sauvetage in-extremis de l’adjoint de NV, la famille Yuan-Ming, alors en visite diplomatique, lui avait proposé de rejoindre Wangchao Cheng.

La navette quitta la voie des archanges pour rejoindre un nouveau tunnel, en direction de l’aéroport. Lavande, n’ayant aucune envie d’utiliser de nouveau sa MV, préféra alors s’adonner à une étrange passion qu’elle s’était découverte. Observer les personnes dans le transport, s’imaginer qu’ils ont une histoire, un passé, un but, des mauvais moments, des bons aussi. Cela, naïvement, lui donnait l’espoir qu’un jour chacun trouverait sa raison d’être. Elle en avait besoin, c’était sa nature, son optimisme, presque candide.

Peu de temps après, elle était dans l’avion, prête à décoller pour la première fois de son existence, comme dans un rêve. Elle allait rejoindre l’inconnu.

Lavande eut une dernière pensée pour son frère, pour son père… Une légère pour celle qu’elle n’avait jamais connue. Enfin, le visage collé au hublot, elle ne lâcha pas d’adieu pour New Valley, elle savait qu’un jour elle reviendrait.

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