Chapitre 4 - Partie 1
Janvier, la période la plus morne. Le soleil se lève aux alentours de dix heures pour retourner dans son nid cinq heures après. Néanmoins, la nuit a son avantage.
Devant l’Adonis, Lavande clique sur sa tempe.
La sonnerie débute, il ne lui fallut pas longtemps à son interlocuteur pour décrocher. Sur son champ de vision, une icône de téléphone apparaît, en mouvement, en haut à droite, le nom de Tony s’afficha à gauche.
— J’y suis. Cache ta fréquence.
Immédiatement, elle l’entend trafiquer une machine à ses côtés, désagréable par les interférences que celle-ci créait dans la transmission. La NVP était la seule autorisée à réaliser ce bidouillage pour éviter que ses agents sous couverture soient repérés à la moindre analyse hertzienne.
— Merde, quelle fréquence déjà 278 ?
— Putain Tony fait un effort avec la technologie tu veux bien ? On est en UHF, faut que tu descendes en SHF…
— Ouais d’accord…
Le son devint plus grave, voire grésillant,
— Attends, je calibre, interpella Lavande qui ouvrit un petit lecteur disposé sur sa tempe où elle y inséra une puce.
— Quoi ? Tu calibres quoi ?
— La SDR Tony, sinon comment veux-tu que je t’entende avec une onde aussi peu élevée ? C’est fait pour les satellites ça, pas pour une ligne téléphonique…
Il ne répondit pas, il ne supportait pas l’avancée technologique, à son époque on se contentait des téléphones digitaux et c’était déjà très bien… Il aimait d’ailleurs encore moins quand quelqu’un le prenait de haut à ce sujet.
— Quand t’auras arrêté de bouder, on pourra se mettre au travail ?
Elle n’eut pour réponse qu’un fichier qui apparut sur son oculaire, elle vit immédiatement les données qu’il lui fallait.
O’Sullivan, il m’a bien roulé ce clochard.
Tony avait réussi à mettre la main sur les transactions financières du sans-contact, bien que cryptés comme la totalité des politiques, il avait pu trouver la clef et y lire des montants astronomiques versés sur son compte, remettant l’hypothèse du baron de drogue sur le tapis.
Le flic avait ensuite traîné du côté de Slisuc Street jusqu’à apercevoir sa cible se rendre à l’Adonis, juste en face de son appartement.
Lavande s’approcha de l’entrée, où deux videurs lui intimèrent d’un geste de main de rester en arrière. La stip’ leva les bras en croix, pendant la fouille, et leva la tête. Au-dessus se trouvait une gigantesque renonculacée holographique. Une qualité hors normes lui permettait de briller d’un rouge vif qui teintait au rose en se reflétant dans les alentours. Un goût amer emplit la bouche de Lavande, celui du poison, cette fleur d’adonis présentait bien les lieux. L’un des deux videurs approcha un appareil cylindrique de la jeune femme, il émettait un son aigu désagréable pour des oreilles aguerries. Lavande grimaça mais ne s’opposa pas. Tony avait bien réglé la fréquence, ils ne furent pas alertés.
— Pas d’appel à l’intérieur. Pas de bagarre. Pour voir une pute il faut demander aux barmans.
Une fois les règles énoncées, elle put rentrer.
Elle fut d’abord envahie par l’odeur des différentes drogues fumées dans les lieux, un mélange de fleur, d’opiacés, de champignons avec une teinte de gerbe. Les enceintes résonnaient à un niveau tel que le trench de Lavande fut secoué, sans parler de sa cage thoracique qui se soulevait au rythme des percussions.
Un mélange de cyberolowave et de transélectro…
Elle arriva devant deux autres molosses servant de gardes qui lui demandèrent ses armes. Lavande sortit la totalité de son arsenal, il ne servait à rien de tricher, les capteurs les auraient immédiatement repérés. Elle avait d’autres atouts dans ses bras dans tous les cas, des petits bijoux cybérologiques.
Un Glock, un revolver ionique et deux couteaux de chasse enlevés, elle put enfin entrer dans ce torrent infernal. La salle était d’une longueur et d’une hauteur gargantuesques, les danseurs s’accumulaient dans une sorte de vague humaine de sueur et de dégénérescence. La quasi-totalité était modifiée de la tête aux pieds, certains n’avait pour yeux que des lunettes améliorées, la peau d’autres étaient complètement modifiés, du platine, du silicone ou du carbone condensé… Il y a de quoi construire un bâtiment complet rien qu’en fondant leurs gueules de cadavre numérique.
— Tu arrives à m’entendre Lavande ?! C’est infernal j’ai les tympans en feu !
La stip’ s’approcha de la piste de danse. Il lui fallait passer par là, elle avait tout un plan en tête. Il était dur de garder l’esprit vif, la simple vapeur ambiante avait des propriétés hallucinogènes. Pas habituée, elle toussa, papillonna et manqua de s’écrouler un coup.
Soudain, les lumières alentour s’embrouillèrent dans sa vision, les sens devinrent moins évidents, elle vit que ses mains devenaient floues… Puis rouge… Puis violettes…
Au loin, sur la scène, elle aperçut le groupe de cyberolowave, ils étaient littéralement à poil, ils se branchaient à leurs platines par leurs sexes USB, ils jutaient le son. Cette vision déclencha un torrent de rire incontrôlé de la stip’.
— Lavande! Reprends-toi !
Sa voix résonna dans sa boîte crânienne, elle attrapa le visage d’un homme à côté d’elle, il lui fallait à tout prix sortir de ce marasme. Elle devait trouver les zones magnifiquement appelées :
“ Boîte à cul.” Alors elle lui hurla :
— Amène-moi dans une boîte ! Dépêche !
L’homme complètement déchiré n’obéit que de son instinct primaire, il l’attrapa par le bras et la guida à travers la foule.
Des hallucinations, des couleurs, des formes… du son et… des trucs… danser, j’veux danser… non… pas là, Tony aide-moi… des visages, flous… Meï ?
En extrême sudation, elle accompagnait la marée saline. Il était dorénavant impossible d’analyser ou même comprendre ce qui se déroulait, elle venait de mettre son intégrité dans les mains d’un total inconnu qui n’avait pas l’air plus fin qu’elle, juste plus habitué.
Elle sentit qu’on la jeta contre une surface molle, il ne paraissait plus avoir de personnes qui la collaient, l’odeur s’était diminuée, la température n’était pas la même… dans la poche de son trench elle sortit une seringue… un contenant violet… elle n’attendit pas un instant et se l’injecta. Son coeur palpita, elle eut mal, quelques secondes, puis ses sens revinrent, peu à peu, elle voyait jaune dorénavant.
L’odeur de sueur cachait ici une sous-effluve, quand elle comprit d’où elle provenait, elle sut immédiatement qu’elle se trouvait dans une de ces boîtes à cul. Devant elle, un homme, celui qu’elle avait harnaché. Il était la bite à l’air, complètement lubrique, l’éponge pointait le plafond.
— Range-moi ça ! hurla-t-elle dégoûtée.
Rien à faire, il était dans un tel état de trans et d’excitation qu’il s’approchait, les veines rougeoyantes et sortantes de tout son épiderme. Lavande attendit un peu puis, quand il fut à quelques centimètres, elle lui envoya son pied dans le paquet. Elle sentit une profonde résistance, le bougre les avait en titane. Alors elle changea de plan, elle attrapa avec ses bras le contour du cou de l’homme, et d’un habile battement de jambe le retourna pour se placer au-dessus de lui. Il se débattit, pas franchement heureux qu’elle se révolte, il tenta d’envoyer ses poings en l’air pour l’assommer. Il avait une force décuplée par la drogue, alors Lavande ne réussit pas à maîtriser les bras du type, au contraire il finit par la propulser en dehors du lit.
La jeune femme tomba sur le dos, elle entendait Tony qui gueulait inutilement son nom dans son oreille, au milieu de la musique qui tourbillonait dans un vomi de percussions. Le cadavre numérique s’approcha, Lavande voulait juste l'assommer pas… Tant pis, il ne me laisse pas le choix.
Lavande réalisa un kick-up pour se relever sur ses jambes puis lui sauta immédiatement dessus, d’un bond elle réussit à placer ses cuisses autour de lui, il parut s’en régaler mais ne comprit pas ce qu’elle cherchait vraiment à lui faire. Elle se projeta en arrière, par son poids elle le fit basculer au sol. Celui-ci étalé, elle retira l’ongle de son majeur droit, dévoilant un mini-canon puis lui visa le front et, sans attendre, dispersa sa cervelle sur le tapis de velours de la boîte à cul.
La stip’ se laissa tomber en arrière, l’intérieur de sa poitrine criait de douleur. Ce n’était cette fois pas dû aux vapeurs hallucinogènes qu’elle vrillait, mais bien à cause de la fragilité de ses cellules cardiaques ayant été chatouillées par le produit qu’elle s’était injectée.
— Lavande ! Lavande ! Répond-moi merde !
— T-Tony… Mon…
Trop douloureux, il fallait juste qu’elle dégage ce foutu produit de son corps. Alors de sa poche elle sortit un cachet carré, de quelques millimètres. Je déteste ce truc…
Elle le déposa sur sa langue et immédiatement elle fut prise de spasme, ses améliorations cybernétiques ne suivirent pas la cadence et elle convulsa… puis s’évanouit.
Annotations
Versions