chapitre 3

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Un mois veroonien s’était déjà écoulé depuis la grande cérémonie des Deux Sœurs. La cavalcade suivait son cours, filant à travers l’erg infini toute la journée durant. S’approchant peu à peu du Lac Assoupi, la première destination majeure de cette pérégrination sacrée, la cohorte, fraîchement organisée, choisit de s’installer sur le lit d’un ancien fleuve asséché, pour y passer la nuit. 

Sous la protection encore toute fraîche et mordante de l’une des seules lunes de lune de tout l'univers exploré, Zef se levait tout doucement. À ses côtés, Assir, plongé dans un sommeil profond, profitait d’un repos dûment mérité, Siti quant à elle, était déjà levée depuis un long moment. Sortant lentement, sans un bruit, de la tente, l’air vivifiant des nuits désertiques le picora de toutes parts.  Comme à chaque nuit, depuis une quinzaine de jours, il se dirigea machinalement vers le cheptel de la troupe, où l’entièreté des montures amphibies dormaient encore. Arrivé à l’endroit indiqué, il ramassa une des grandes outres posées sur le sol, s’approcha lentement d’un des nombreux pooda composant sa rangée, et commença sa collecte. Zef récoltait, sur ces derniers, la ressource la plus essentielle de toute cette aventure, fluide cristallin régénérant que tous implorent, l’eau. 

Les poodas ont l'étonnante particularité de pouvoir capter l’eau environnante, présente dans l’air humide des nuits verooniennes, à l'aide de leurs branchies externes. N'ayant aucunement besoin de toute cette eau, grâce à leurs larges réserves adipeuses internes, sauf dans des cas de souffrances extrêmes, cette eau s’évapore naturellement au fur et à mesure que la température augmente. Au milieu de la journée il n’en reste plus une goutte. Récupérée par cette étrange capacité, l’eau récoltée sur ces amphibiens a, dit-on, des propriétés uniques. Certains propriétaires de pooda, surtout les plus anciens, préconisent d’en boire une lampée chaque matin, afin de commencer la journée rempli d’une vigueur exaltée, cette ressource rarissime pouvait se revendre à prix d’or sur tout Veroon-2, et dans toute la galaxie. Mais à part un goût légèrement âcre, et une teneur en minéraux modestement plus élevée que l’eau venant tout droit du firmament, ce liquide semblait tout à fait commun. 

Pour profiter de cette aptitude au mieux, et ne perdre aucune de ces précieuses gouttes salutaires, les jeunes participants se mirent tout spontanément à recueillir la modeste offrande avant l’aube, au moment propice où les branchies étaient le plus imbibées.

La méthode était simple : il suffisait de prendre affectueusement en main l’une des six branchies externes, gorgées de rosée, situées de part et d’autre de la tête du pooda concerné, en faisant attention à ne pas le brusquer ni à le réveiller. Une fois la branchie en main, une légère pression était exercée sur le haut de la branchie, suivie d’un mouvement descendant jusqu’aux extrémités de cette dernière, un peu comme la traite d’un bantha. L’eau s’écoulait, naturellement, de l’excroissance jusqu’au réceptacle, le procédé devait être répété pour chaque branchie. 

Si Zef était missionné d’un tel labeur fort matinal, c’est parce qu’il faisait partie du groupe nocturne de la troupe, comme quelques autres jeunes présents à ses côtés. 

Malgré leur jeune âge, leur précocité, et leur fougue chaotique, cette nouvelle fratrie avait réussi, en un temps record, à échafauder une organisation qui ferait blêmir les plus hauts fonctionnaires de Coruscant. Les enseignements, qu’ils avaient reçus depuis leur tendre naissance, avait porté ses fruits. La tribu, scindées en deux branches bien distinctes, était composée des groupes suivants : les Diurni et les Nocturni. Le premier groupe, mené par le fier Assir, officiait la journée, de l’aurore jusqu’au coucher du trio astral. Grâce à son tempérament enjôleur et à son ingéniosité instinctive, il prit, tout naturellement, les rênes de cette faction. Le rôle des Diurni était de faire avancer le convoi le plus rapidement, et le plus prudemment possible, en le protégeant coute que coute, par tous 

les moyens. Accès escarpés, potentielles rencontres avec des animaux dangereux, rationnement de l’eau en fonction des besoins vitaux de chacun, toute éventualité périlleuse devait être écartée au maximum, en amont. La majeure partie des participants faisaient partie de ce groupe. 

La seconde faction, les Nocturni, étaient quant à eux, dirigés avec poigne par la puissante et intransigeante Siti. Officiant bien avant le lever des soleils, ce petit groupuscule restreint, était lui-même subdivisé en deux hordes disjointes. La première, se faisant sobre-

-ment appeler le Rempart Obscur, avait pour mission de protéger le cortège des dangers nocturnes, le plus souvent des prédateurs et autres vermines du désert. À l’initiative de cet agencement, dès les premiers jours du voyage, Siti fut logiquement mise à la tête de cet escadron sélénique. Pour garnir ses rangs, Siti choisit, soigneusement et implacablement, les jeunes les plus robustes et les plus hargneux de tout le cortège, la quiétude de la troupe tout entière en dépendait.

L’autre pan des Nocturni, les Pisteurs d’Eau, étaient chargés de la plus importante des tâches lors d'une expédition infertile : fournir à toute la troupe de l’eau, dans des quantités suffisantes, Zef en faisait partie. L'équipe des Pisteurs d’Eau était composée d’une poignée de participants, tous volontaires, ayant comme spécificité commune une abnégation à toutes épreuves, et un certain talent dans l’identification de potentielles traces d’eau dans un milieu aride. La première de leurs missions était la collecte des poodas. Chaque nuit, les pisteurs se levaient bien avant la majorité du cortège, pour récolter la rosée salvatrice, encore présente sur les branchies des poodas. Comme bien souvent, la quantité récupérée pendant la nuit ne suffisait pas, la deuxième partie de cette mission pouvait se mettre en marche. Les récolteurs chevauchaient alors leur pooda, aux premières lueurs du matin, en ayant comme but premier de trouver une source d’eau utilisable, dans ce désert inhospitalier. 

Leur corvée achevée, les Diurni n’avaient alors qu’à suivre leurs traces gravées dans le sable, sillon minéral éphémère, pour atteindre l’abreuvoir tant convoité.

Zef venait tout juste d'accomplir sa besogne matinale, les mains encore dégoulinantes de liquide branchial fraîchement cueilli, il s’en servit pour sa toilette quotidienne, aucun gaspillage n’était logiquement toléré. La douce lueur de l’aube multiple commençait délicatement à appliquer sa gouache opaline sur la toile encore assombrie du crépuscule, le temps pressait pour les pisteurs, le départ était imminent.

Traversant le camp sur le dos d’Axol, pour récupérer toutes ses affaires avant de partir, Zef croisa les jumeaux, tous deux assis devant la tente. Assir, qui venait tout juste de se lever, l’interpella : — Zef ! T’as entendu la nouvelle ?! Les combattants de Siti ont enfin réussi à trouver et à détruire le nid de khamlaaks, ils n’devraient plus nous déranger pendant un bon bout d’temps ! 

— C’est une petite victoire en effet, ajouta humblement Siti, mais restons sur nos gardes, ce désert regorge d’atrocités, je ne tolérerai aucun relâchement.

— Elle s’prend vraiment pour la cheffe celle-là, susurra l’espiègle Assir aux oreilles de Zef, qui venait de descendre de son pooda. Et sinon cette récolte ?

— Plus modeste qu’hier, répondit Zef, j’ai bien l’impression que ça empire de jour en jour, surement à cause de la température qui n’en finit plus d’augmenter. 

— Bouah ! Tant que le meilleur Pisteur arrive à nous dégoter un p’tit coin humide quotidien, moi ça m’va ! Déclara Assir, en souriant à Zef. Ça nous fera moins d’eau croupie à ingurgiter ! 

— Cette eau nous est nécessaire, inconscient ! S’emporta Siti, sois reconnaissant qu’elle nous soit octroyée ! Ce n’est pas avec nos minables réserves qui s’amenuisent chaque jour, que nous irons bien loin. Prends-en donc une gorgée, ça te remettra les idées en place. Et j’espère que c’est déjà le cas pour toi Zef, c’est important. 

Les deux compères se regardèrent d’un air complice :

— Je … J’en prendrai une sur la route, sans faute … bégaya Zef. Les autres m’attendent, on se revoit plus tard.

Zef récupéra son paquetage et s’empressa de rejoindre ses camarades pisteurs, sans même se retourner.

— N'écoute pas cette furie ! Bon courage mon frère ! Entonna Assir, déniche-nous de l’eau, d’la vraie !   

— Arrête un peu de crier, lui répondit séchement Siti, j’ai besoin de repos. N’oublie pas de me réveiller cette fois-ci, tu m’aideras pour la pose du sharnaaq, pas comme hier. 

Le sharnaaq est un système de couchage suspendu utilisé depuis des millénaires par les tribus antiques de Veeron-2, possédant un pooda. Afin de se relayer lors des premières explorations, les premiers verooniens durent trouver un moyen de se reposer tout en continuant leur progression. Mais sous trois soleils ardents, la chose n’était pas la plus aisée. Pour contrecarrer ce problème thermique, les anciens empruntèrent aux farash-varaps, créatures lépidoptères légendaires de Veroon-2, l’idée d’un cocon suspendu, que l’on trouvait autrefois, d’après les anciens, sur les parois ocrées des canyons sans fond du désert. Profitant de la fraicheur inépuisable des flancs de leurs poodas, combinée à ce système ingénieux, les doyens agençaient leur cocon, fait à partir de la toile de leur tente adroitement agencée, en faisant sorte de l’accoler à leur monture. Attaché fermement à la selle du pooda, l’abri de fortune semblait s’accrocher au flanc de la créature qui devenait alors une paroi organique tempérée. En se collant à cette dernière, il était possible d’endurer les climats les plus extrêmes, tout en continuant son périple. 

— Bien reçu, cheffe ! Ironisa Assir, se dirigeant lui aussi vers ses partenaires diurnes pour préparer l’expédition qui allait suivre.

De son côté, Zef s'approcha, à vive allure, de ses camarades pisteurs. Ces derniers, qui l’attendaient depuis un moment déjà, commençaient à s’inquiéter : 

— Ah te voilà enfin ! On pensait partir sans toi aujourd’hui ! Tu 

t'es encore perdu ? Demanda Dazan, l’un des pisteurs.

— Non non .. Juste un petit compte-rendu avec Assir et Siti, qui a un peu duré, répondit Zef d’un ton sérieux. Siti et ses combattants ont réussi à décimer le nid de khamlaaks.

—  En une seule nuit ! Ce sont des bêtes ! On peut continuer à avancer sereinement avec eux à nos côtés ! S’exclama Laafi, une autre pisteuse.

— Je n’en suis pas si sûr, précisa Zef, soucieux, d’après Siti, il faudra redoubler de vigilance les jours qui suivront.

— C’est une grande combattante, mais à mon avis elle se fait du souci pour rien. Bref, assez parlé, on a encore beaucoup du boulot devant nous. Zef, on te suit ! S'exclama Laafi. 

Après un hochement de tête furtif, marque d’un acquiescement   humble et respectueux, Zef prit la tête du petit groupe de pisteurs. Lors de ces dernières semaines, faites de galères et de concessions, son assurance avec les autres jeunes avait fortement évoluée. Sa chrysalide intime, faite d’une émeraude quasi impénétrable, semblait s’être brisée en un millier d’éclats esseulés. L’idée d’un complot, où tous ces êtres l’entourant maniganceraient au profit de son paternel, quittait peu à peu son esprit. 

Tous les éléments de cette troupe d’éclaireurs avaient une sensibilité presque surnaturelle avec l’eau, sans vraiment savoir l’expliquer, le simple fait de penser à cette prude liqueur, et de se concentrer, mentalement, sur l’espace environnant, les diriger naturellement vers la résurgence la plus proche. Un nombre restreint de verooniens possédait cette prédisposition, sans même savoir de quoi il s’agissait réellement. La croyance populaire voyait dans cette rare capacité, un héritage dilué des dons prodigieux communs aux Deux Sœurs, pour une fois, ce n’était pas très loin de la réalité. Zef excellait dans ce domaine, sa réceptivité transcendait celles de ses camarades, il fut alors spontanément, dès les premières recherches aqueuses, considéré comme meneur par défaut de cette équipe. Aucun commandement, ni aucune injonction ne fut exigée par ce dernier, il n’avait ni la prestance d’Assir, ni la rigidité de Siti, son groupe le suivait sans hésiter car il semblait savoir où il allait, c’est tout. 

Les trois soleils avaient, depuis un bon moment, tous pris place sur la fresque azurée, les Diurni devaient surement déjà être en route, la nécessité de trouver cette source devenait de plus en plus concrète. Les pisteurs suivaient attentivement leur guide aqueux, quand soudainement un bruit, lourd et sourd, se fit entendre dans toute l’étendue aride qui les entourait. Axol, le pooda de Zef venait, dans un fracas colossal, de s’effondrer de tout son long, sur le sol brulant. 

Laafi, qui se tenait à ses côtés s’ecria : 

— Oh ! Venez vite ! Ça va Zef ? Que se passe-t-il ?

Zef, chamboulé par l’incident ne lui répondit pas, et s’inquiéta de la santé d’Axol : 

— Axol ! Oh Axol ! Réponds ! Grogne ! Fais quelque chose ! 

La bête ne put lui répondre que par une expiration faible et exténuée. 

— Tu sais ce qu’il a ? Demanda Laafi, inquiète.

— Aucune idée, je ne l’ai jamais vu comme ça, répondit Zef, tout aussi inquiet.

Le reste du groupe arriva, et commença à essayer de remettre sur pattes l’animal. Tous tentèrent de le pousser, de le tirer, de le secouer, en vain, le poids de la créature annihilait chaque tentative.

Même la force colossale de ses congénères ne put le remettre sur ses pattes de façon efficace, Axol s'écroulait à chaque essai avorté, le laissant dans une détresse irrémédiable.

Pendant cette vaine démarche, qui n’allait nulle part, Dazan, qui était proche de la tête d’Axol, fut interloqué par cette dernière :

— Dit moi Zef, tu sais quand est-ce que ce pooda a bu pour la dernière fois ? 

— Aucune idée, répondit Zef, perplexe. Pourquoi ? 

— Eh bien ...  J’ai bien peur que ce soit un pooda déshydraté que nous ayons devant nous. 

— Déshydraté comment peux-tu en êtr...

À ces quelques mots, Zef se stoppa net, se rappelant subitement l’avertissement de Tagg, un mois auparavant. 

— Ma famille tient l’un des plus importants haras de toute la région principale, je peux t’assurer que je sais de quoi je parle. Assura Dazan. Approche un peu, regarde ses branchies, tu ne vois rien d’anormal ? 

— Pas vraiment, déplora Zef.

— Tu ne fais pas attention à ton binôme ou quoi ? S'emporta Dazan. Regarde bien ! Là ! Juste là ! Elles tirent sur le violet. Un pooda en bonne santé possède des branchies bien bleues, bien pétantes. Ici ce n’est pas le cas, il lui faut de l’eau, et tout de suite ! 

Dazan prit alors sa large gourde, et la porta à la bouche sifflante d’Axol. L’animal but l’entièreté d‘une traite, et commença, peu à peu, à retrouver ses esprits.

— Ça suffira pour cette fois, déclara Dazan, ses branchies retrouveront, dans quelques heures, une couleur à peu près bleutée. Mais dans peu de temps ça recommencera, sois-en sûr. On a eu de la chance cette fois-ci, mais rien ne nous dit que la prochaine ne sera pas fatale. On ne doit pas être très loin du Lac Assoupi normalement, j’espère qu’il tiendra jusque-là. 

— Merci Dazan, sans toi je ne sais pas ce que j’aurais bien pu faire …, regretta lamentablement Zef. 

— Et sans toi, nous ne saurions pas quoi faire non plus, allez va, tu me devras une gourde entière. Et tu me feras le plaisir de faire plus attention à ton pooda, maintenant, un si bel animal … 

— Sans faute Dazan … Sans faute ! Proclama Zef, d’une voix remplie de remords. 

Quelques minutes plus tard, Axol, remis sur pattes, escorté par le groupe tout entier, reprirent le chemin de la source encore irrévélée. 

Malgré les nombreuses péripéties qu’ils subissaient depuis le grand départ, la chaleur infâme irradiant tout ce désert meurtri, leur semblait invivable. Au beau milieu d’une saison ardente exceptionnellement bouillonnante, une atmosphère asphyxiante et corrosive régnait sur ces paysages damnés. Suivant l’amont chimérique depuis des heures, les pisteurs peinaient à trouver l’origine de leur désir. Le groupe commença doucement à douter des compétences de Zef :

— Zef, tu es sûr de prendre le bon chemin ? Demanda Laafi, tourmentée. Je ne ressens rien de ce côté, pareil pour les autres.

Zef ne répondit pas, bien trop concentré sur son objectif. Son égo calfeutrait hermétiquement son attention, toute intrusion qui aurait pu le faire dévier était écartée par ce dernier.

— Avec ce qu’il s’est passé tout à l’heure, plus cette chaleur étouffante … Tu es vraiment sûr ?  Persista Laafi.

Zef continua à avancer pendant un moment, puis s’arrêta brusquement.  Les autres pisteurs le suivant, prirent à nouveau peur, que se passait-il encore ? Était-ce une nouvelle fois Axol ? S’était-il enfin rendu compte que cette chevauchée ne rimait à rien ? Cette futile flânerie devait cesser.

— Zef ! S'écria Dazan, en s'approchant précipitamment. On fait quoi là ? C’est quoi ça ?! On arrête ! On arrête tout ! 

Zef, toujours mutique, ne bougeait pas. Arrivant à son niveau, Dazan continua :

— Répond moi au moins ! Tu t’épuises toi-même, tu épuises ton pooda, tu épuises tout le groupe. On va reprendre les rênes pour aujourd’hui.

Voyant que quelque chose n’allait pas, Laafi s’approcha à son tour :

—  Alors ? Qu’est-ce qui se passe ? Demanda intriguée Laafi, qui venait d’arriver.

—  On fait demi-tour, répondit Dazan, Zef n’est pas en état de nous diriger aujourd’hui.

—  Je veux bien, mais par où ? Interrogea Laafi, personne ne ressent rien depuis des heures, et on n'a pas vu la trace d’une ancienne rivière ou de quelque chose qui y ressemble. 

— Appelle les autres, ordonna gravement Dazan, on va essayer un tr...

Dazan n'eut pas le temps de finir sa phrase, qu’il fut interrompu :

—  Ici. Déclara sèchement Zef.

— Quoi, ici ? Répondit Dazan, sur un ton méprisant, prenant à cœur son rôle de nouveau chef auto-proclamé des Pisteurs.

—  L’eau. Elle est ici. Creusons.

—  Tu veux qu’on creuse ici ? Dans ce sable plus sec que la peau d'un sarooni ? S’étonna Laafi.

Zef descendit d’Axol, et l’invita tendrement, d’un effleurement du dos de la main, à se reposer. 

—  Croyez-moi, c’est ici, assura-t-il. 

S’agenouillant sur le sol brulé, il se mit alors à égratigner, de toutes ses forces, la surface dorée.

Après un long moment d’hésitation et de délibérations stériles, Laafi fut la première à prendre part à cette fouille insensée. Une intuition irrationnelle guidait sa clairvoyance, d’habitude bien ancrée. En voyant Laafi à l’œuvre, les autres suivirent peu à peu, laissant Dazan, fulgurant souverain déchu, seul et courroucé. 

Cette ridicule besogne avaient commencé depuis quelques minutes, et Dazan n’y avait toujours pas prit part :

—  Dazan ! S’écria Laafi, Oh ! Il nous faut tous les bras possibles ! Amène-toi ! 

—  Creusez votre propre tombe, répondit-il en rebroussant chemin, ça m’est égal, mais ce sera sans moi.

Dazan s'éloigna à toute vitesse vers le lieu de leur départ, sans même porter attention aux appels et autres complaintes de ses compagnons, qui durèrent de longues minutes.

Essoufflée par ces rugissements pitoyables, Laafi interpella Zef, qui persévérait dans sa tâche depuis tout à l’heure :

— On ne le voit déjà plus ! Et toi tu le laisses partir comme ça ? Tu ne bouges même pas le petit doigt ? Rien ? Réponds-moi ! Regarde-moi ! Regarde-nous au moins ! 

Le souffle assourdissant de cette intervention sortit Zef de son silence : 

— S'il n’a pas envie de rester, qui suis-je pour le retenir ? Marmonna-t-il, continuant à creuser dans le sable.

— Et si tout le monde fait comme lui ? Si par envie je me décide là maintenant à partir ? Lui rétorqua Laafi, excédée.

— Eh bien je continuerai de creuser comme je le fais, répondit Zef, laconiquement, continuons à creuser si tu le veux bien.

Répondant à cette perspicace apostrophe de façon bien brutale, Zef sentit, du bout de ses doigts, une fraîcheur vivifiante émanant des grains dorés amalgamés. L’humidité tant souhaitée pointait le bout de son nez, lui provoquant un sentiment d’accomplissement inouï.

L’eau était enfin là ! Toute la troupe était en liesse, il avait réussi.

Son allégresse fut de courte durée. La satisfaction de ce triomphant évènement retomba immédiatement lorsque ces fameux grains se mirent à frémir de façon inhabituelle, d’étranges secousses, presque imperceptibles pour le commun des mortels, furent ressenties par le jeune excavateur. L’idée qu’il en était la cause lui vint immédiatement à l’esprit. Le fait de faire resurgir cette eau si profonde, cachée sûrement pour de bonnes raisons, avait dû réveiller un antique pouvoir ou quelque chose de la sorte, pensait-il. Il n’en était rien.                                                                               

Soudain, au loin vers l’horizon, surgit une ombre familière qui semblait filer comme le vent. Les pisteurs chargés de remonter le sable vers l’extérieur du puits naissant la reconnurent au premier coup d’œil, l’appel fut annoncé :

—  Dazan ! C’est Dazan ! Il est déjà revenu ! S’écria un des pisteurs.

À l’écoute de cette annonce, l’enthousiasme du petit groupe chuta brusquement. Laafi, encore pleine de rancœur envers ce misérable déserteur, s’empressa de remonter le cratère artificiel pour voir, de 

ses propres yeux, ce culot incarné, Zef la suivit de près. 

— Cet effronté ose revenir … soupira Laafi en le scrutant longuement.

— Tu vois bien qu’il n’y avait aucune raison de s’alarmer de la sorte, déclara Zef. Il va revenir, s’excuser, et tout sera comme avant.

—  Avec lui ? Aucune chance. Assura Laafi, Je n’arrive même pas à comprendre sa démarche, pourquoi revenir aussi tôt ? Ça ne lui ressemble pas.

— Un éclair de lucidité peut-être, ou une contrainte … J'ai … J’ai l’impression qu’il agite les bras, pas toi ? Se questionna Zef, soucieux. 

— On dirait bien … Attendons–le, à cette vitesse il ne devrait pas tarder de toute façon.

Laafi, ancrée dans le sable, les bras croisés, le regard figé sur l’amorce de sa colère, patienta fièrement quelques minutes, jusqu’à l'arrivée du renégat.

Son approche fut bruyante et fastidieuse, une multitude de sons, insaisissables de prime abord, s'échappaient de sa bouche. Mais plus il approchait, plus ces bruits devenaient faiblement perceptibles : “a..ez..ou !  a..ive !” furent les premiers simulacres de supplications entendus par les pisteurs. Impossible alors pour ces derniers de discerner quoi que ce soit dans ce brouhaha, ils durent attendre encore un moment.

Arrivé à une distance convenable, Dazan se fit enfin comprendre par ses camarades fraichement perdus :

— Cachez-vous ! Ça arrive ! Hurla-t-il de toutes ses forces.

Ses mots furent suivis d’une vision apocalyptique qui pétrifia les jeunes pisteurs. Une immense nuée de poussière dorée menaçante le poursuivait. Pareille à une muraille immatérielle, elle se dirigeait tout droit vers l’endroit où tous se trouvaient, à une vitesse effrayante. Le désert tout entier semblait s’être soulevé contre le jeune pisteur, sanctionnant ainsi implacablement, son insolence encore toute fraîche.

Vainquant la paralysie subie par l’entièreté du groupe, Zef et Laafi, attrapèrent leur pooda et s’empressèrent de le rejoindre. 

Arrivés à son niveau, ils découvrirent un Dazan horrifié, à l’œil hagard et à la face meurtrie. Rien à voir avec l’arrogant personnage qui venait de les quitter quelques minutes plus tôt.

—  Une tempête de sable ! Une horrible … tempête ... de sable ! Rugit Dazan, essoufflé de sa chevauchée effrénée. Je … Je n’en ai jamais vu de pareille … Ces tremblements ! Ces terribles tremblements ! Vous les ressentez ?! Une tempête ne fait pas mugir le sol comme ça ! Cachez-vous au plus vite ! Ce monstre arrive ! Ne prêtant aucunement attention aux réponses des deux compagnons qui l’abordaient, Dazan pressa le pas Il n’avait qu’une mission, sauver ses frères et sœurs.

— Oh le traitre ! Même pas un pardon ? Vociféra Laafi, qui, voyant que Dazan ne répondait pas, finit par se tourner vers Zef. Tu sais de quoi il parle toi ?

— De ce qui s’approche furieusement sans doute, répondit Zef, inquiet. À vrai dire, je ressens, depuis tout à l’heure, de légers tressaillements qui s’amplifient peu à peu.

—  Et tu le gardes pour toi ? Pourquoi ne pas nous avoir prévenus ? Interrogea Laafi, d’un ton culpabilisateur. “Aucun d’entre vous ne doit être une énigme pour son prochain” ça ne te dit rien ? 

— Si bien sûr mais … 

— Je mets ça sur le compte de la santé de ton pooda. Conclut Laafi, déçue. Allons retrouver les autres, avant que Dazan ne fasse encore des siennes. 

La frénésie justifiée de Dazan commençait à se répandre au sein des autres pisteurs. Tel un prêcheur de l’Ordre du Grand Cri, annonçant une fin des mondes imminente à chaque tempête électromagnétique, Dazan s'inséra peu à peu dans l’esprit embrumé de ses frères et sœurs :

— Les poodas ! Montez-les au plus vite ! On a encore du temps ! Il faut décamper MAINTENANT ! S’écria-t-il.

— Dazan ! Entonna Laafi qui avait retrouvé une certaine assurance.  S’adressant à ses semblables, elle poursuivit. Vous tous ! Ne l’écoutez pas ! On va attendre bien sagement, comme pour toutes les autres tempêtes qu’on a traversées pour le moment. 

Dazan, continuant d’ignorer Laafi, persista : 

— C’est notre seule chance ! Que vous dit votre instinct ?! Votre peur ! Écoutez-la ! Nous ne pouvons avoir confiance qu’en son alerte ! Fuyons ! 

Ces mots et son indifférence firent jaillir, chez Laafi, une rage incontrôlable et dévastatrice. Bondissant du harnachement de son pooda, avec une hargne sans précédent, elle atterrit sur Dazan, et de son couvre-chef acéré, elle le percuta de plein fouet. Les deux tombèrent lourdement sur le sol, et entamèrent une lutte explosive. Les deux corps déments s’entrechoquèrent, se compressèrent, se domptèrent, dans un raffut pathétique. Ayant finit par le surplomber et le soumettant en lui tenant les bras, Laafi, essoufflée lui hurla :

— N’INVOQUE PAS LA PEUR SACRÉE POUR UNE SIMPLE TEMPÊTE IMBÉCILE ! TU NE SAIS PAS DE QUOI TU PARLES ! RINN N’A PAS FAIBLI DEVANT UN TEL SPECTACLE ! NOUS FERONS DE MÊME ! RÉVEILLE-TOI !

Une étrange sensation, ressentie par l’ensemble de l’auditoire, accompagna cette amère clameur, de légères secousses commencèrent à ébranler le sol. Dazan inerte, sous une Laafi victorieuse, chuchota d’une voix serrée :

— Il est trop tard … 

— Quoi encore ?! Vociféra Laafi, je ne t’ai pas autorisé à parler à ce que je sache !

— Il est trop tard. Répéta-t-il, dans une pitoyable résignation.

Ayant senti le danger bien avant leurs propriétaires, les poodas s’étaient déjà ensevelis de moitié, afin de se protéger au maximum de cette étrange tempête. Les convulsions minérales s’intensifiaient à chacun de leur battement de cœur oppressés, jusqu’à atteindre une intensité telle que le sol semblait déchainé.

Ces spasmes enragés dissipèrent les brumes impénétrables englobant l’esprit gangrené de Laafi.

— Cet imbécile a raison … déplora-t-elle, d’un air ahuri, se détachant doucement du corps mutilé de Dazan.

Les premiers grains de sable s’élevant de la dune endormie, l’atmosphère commença progressivement à s’opacifier. La brise calme et discrète des déserts verooniens se transforma peu à peu en un puissant souffle chaud et agité. Le sol continuait de palpiter. La fatalité était toute proche.

Laafi fut la première à se diriger vers le puits pour s’y cacher. Tirant de toutes ses forces Dazan, encore perturbé par sa défaite. Les autres pisteurs la suivirent sans broncher, cette cavité était leur seule chance de survivre à cette occulte débâcle.

Bien arrivée dans sa tanière, un éclair de lucidité traversa son esprit, lui glaçant le sang par la même occasion.

— Z... Zef … Où est Zef ?! S’interrogea-t-elle en panique. ZEEEEEEEEEF ! 

Hélant de tout son souffle, son cri, puissant comme le barrissement d’un zaana adulte, ne put malheureusement pas atteindre les oreilles de Zef, et se perdit dans l’immensité stérile du désert. 

Fermement assis sur son pooda enlisé, tourné vers l’atrocité imminente et absorbé par le spectacle qui se trouvait juste devant ses yeux, Zef était comme paralysé. La beauté émanant de cette tourmente, mêlée à une dangerosité inouïe eurent un effet hypnotique chez le jeune homme. En première ligne, prêt à confronter cette abomination, rien n’aurait pu l’ébranler, pas même les suppliques, étouffées par le vacarme, de ses camarades.

Laafi, gorgée de remords et d’inquiétudes, essaya par tous les moyens de s'échapper du puits pour sauver Zef, mais fut retenue par l’ensemble de ses partenaires. Elle avait beau utiliser le peu de puissance et de rage qui lui restait, l’entrave multiple créée par la majorité du nombre, anéantissait chacune de ses tentatives. À force de persévérance et d’un manque d’inattention de l’un des pisteurs, elle réussit, pendant quelques secondes, à s’extirper de ses liens organiques. D'enjambées en enjambées elle atteignit le bord du gouffre, où une vision d’horreur lui écarquilla les yeux. Elle eut juste le temps de voir Zef de dos, seul et immobile, se faire avaler par la brume de sable et de disparaître pour un temps, que les mains fermes de ses sauveurs l’attiraient déjà vers les abysses protecteurs. Le carnage commençait. 

Tout se passa en un battement d’ailes. Un tumulte épouvantable s’éleva alors dans tout l’erg désolé, causant l’anarchie et l’incompréhension chez tous les pisteurs terrifiés, si un trou noir pouvait émettre un son perceptible, ce bourdonnement grave et sourd en serait, sans aucun doute, une interprétation fidèle et saisissante. 

Se protégeant du mieux qu’ils pouvaient, tous les pisteurs utilisèrent leur chapeau et leur foulard pour préserver leur voie respiratoire de l’atmosphère encombré. 

Ce fut également le cas pour Zef qui, brutalement sorti de sa léthargie par les nombreuses bourrasques qui l’assaillaient de tous côtés, tentait non sans mal de résister au déferlement de sable qui le persécutait continuellement. La sensation de cette multitude de grains parvenant à l’écorcher même au travers de sa double épaisseur de tissu, lui rappela le temps d’un très bref instant, le rite de la Purification. Cette pensée fut rapidement balayée par une étrange intuition. Sans savoir vraiment pourquoi, Zef eut la déroutante impression que cette tempête déchainée abritait des entités hallucinées. Les yeux clos depuis le début du cataclysme, il sentit tout autour de lui des perturbations anormales, des choses ou des êtres qui le frôlaient, des bruits, lui semblant familiers, qui réussirent à percer la confusion ambiante pour atteindre directement ses oreilles. Il en était convaincu, il n’était pas seul.     Pour en avoir le cœur net, Zef décida de relever légèrement son chapeau pour pouvoir observer ce qui l’entourait.

La vision obstruée par des milliards de particules scintillantes lévitant dans les airs saturés, Zef arriva, tant bien que mal, à distinguer dans ce chaos minéral, d’insaisissables silhouettes fantomatiques, il avait raison. La vue de ces mirages ténébreux le tétanisa. Étaient-ce les ko’rinii de la légende ? Ces êtres malfaisants punissant, depuis des lustres, les audacieux et les arrogants ? Ou encore les esprits de cette rivière dissimulée qu’ils venaient tout juste de déranger ? 

Les nombreuses masses indiscernables continuèrent d’affluer à une allure remarquable. Poursuivant leur route sans même se soucier du jeune pisteur, certaines l’effleuraient tout juste. Envouté par cette proximité avec l’inconnu, Zef voulut le toucher du bout des doigts.

Tendant, avec beaucoup de difficultés, ses bras fébriles à travers l’épais voile acéré, chaque fois qu’il était sur le point d’atteindre son but, les spectres semblaient se dérober. Il réitéra plusieurs fois la démarche, en vain. Ces ombres farouches ne se laissaient pas facilement aborder.

Au milieu d’un brouhaha de pensées et de tonalités parasites, une réflexion jaillit soudainement de son esprit, “Le réel n’est sans doute pas fait pour se mêler à l’insaisissable” pensa-t-il. 

Resigné, Zef continua toutefois, pendant les rares répits qu’autorisait la tempête, à contempler ces formes incertaines qui lui étaient interdites.  

Au bout de longues secondes d’harcèlement, qui lui parurent des éternités, Zef s’aperçut que le fléau sablonneux commençait à se dissiper légèrement. La tempête semblait être à bout de souffle. Ayant employé toutes ses forces pour assaillir les pisteurs apeurés, son intensité avait l’air de faiblir peu à peu. Enfin c’est ce que pensait Zef, à vrai dire il ne s’agissait que du dénouement de ce calvaire. Continuant son chemin destructeur en filant à travers le désert plaintif. Il était bientôt arrivé au bout de cette terrible épreuve.  

Même si Zef se trouvait au bout de cette maudite tempête et que la visibilité commençait à revenir tout doucement, les étranges tremblements, qui faisaient frémir le sol tout entier depuis tout ce temps, persistaient. 

Scrutant de façon plus appuyée les environs encore surchargés, grâce à cette faveur fraichement accordée, Zef découvrit avec effarement ce qu’étaient les fameux songes inaccessibles. Sous ses yeux ébahis déboulèrent un nombre, encore important, de poodas affolés mis en fuite par une horde de khamlaaks assoiffés. 

Les khamlaaks sont des créatures peuplant les déserts verooniens depuis les premières heures du satellite habité. De la taille d’un humain normalement constitué et de corpulence semblable, ces hexapodes hydro-extracteurs constituent la plus grande menace que l’on peut rencontrer dans ces déserts. Grâce à leur corps profilé et à la nageoire située au bout de leur queue, ces immondes bestioles peuvent, si elles le souhaitent, se mouvoir aisément dans le sol sablonneux, et ainsi atteindre des vitesses hallucinantes. Les khamlaaks sont également dotés de pattes rétractables, situées dans un orifice hermétique lorsque qu’ils nagent dans le sable, préservant ainsi leur psammodynamisme. Se trouvant sur la face ventrale au premier tier de leur corps, elles sont déployées lorsque le sol n’est pas assez malléable, ou quand les khamlaaks usent de leur cruelle méthode afin d’immobiliser leurs proies. Car la grande spécificité de ces rampants se trouve à l’intérieur de leur mâchoire tranchante. Une langue protractile extensible, pouvant être lancée à plusieurs mètres de distance, dotée de crochets acérés, se déployant lors du lancé, et permettant de percer profondément la peau des victimes, y est placée. Pour pouvoir ponctionner le fluide bénéfique de ses proies, la méthode est la suivante : Fonctionnant en groupe la plupart du temps, les khamlaaks choisissent une proie faible et séparée de ses congénères, en la localisant grâce à une ouïe inouïe. Jaillissants brusquement du sol, leur langue est alors propulsée vers leur conquête et vient s’accrocher directement dans la chair de l’animal. Grâce à leur nombre, il est ainsi immobilisé et prélevé de toute son eau en un temps record. La langue des khamlaaks fonctionne comme un osmoseur naturel. Son extrémité, qui est fortement concentrée en chlorure de sodium, attire fatalement toute source d’eau présente. Une fois en contact avec la chair nue de la proie, l’eau passe naturellement de l’hôte à son assaillant. Une infime quantité d’eau ponctionnée est utilisée pour la survie du khamlaak lui-même, la majorité est redistribuée en liquide enrichi à leurs reines, protégées dans les nids. Lorsque la cible est entièrement vidée, que les poches dorsales du khamlaak sontt remplies ou que la langue se détache malencontreusement, une marque indélébile que les verooniens appellent “brûlure des sables” est alors apposée. Ce stigmate est un des plus hauts signes de distinction qu’un veroonien peut recevoir. Se faire graver de la sorte prouve aux yeux du monde qu’un “Marqué” a un jour fait preuve d’une bravoure exceptionnelle en combattant dignement un khamlaak, comme Rinn l’eut fait en son temps. Seuls les poodas, avec leur pouvoir régénérant exceptionnel dérogent à cette règle.

Voyant ce sinistre spectacle, Zef comprit alors immédiatement qu’une catastrophe, encore pire que ce qu’il venait de traverser, se tramait au même instant. L’entièreté de sa nouvelle famille était en danger. Il devait y mettre un terme. 

Brulant d’envie de les rejoindre afin de les aider au combat, Zef voulut bondir et les rattraper au plus vite, mais Axol n’était pas de cet avis, l’animal ne bougea pas d’une écaille, attendant patiemment la fin de la tempête, comme ses congénères inhumés. 

Un khamlaak à la traine, la poche dorsale remplie presque à ras bord, se dirigea vers Zef et son pooda, et projeta sur Axol, encore enseveli, sa langue saline, pour lui extraire quelques gouttes précieuses. Décontenancé, Zef prit alors fermement en main une de ses deux dagues et sectionna maladroitement l’instrument de succion du khamlaak qui s’était planté non loin de sa jambe gauche. Depuis tout ce temps il n'avait pas encore eu besoin d'utiliser ses armes.

Le khamlaak, dépourvu de son appendice extracteur, se mit à attaquer Zef avec une agressivité frénétique. Repoussant tant bien que mal ses assauts avec son couvre-chef comme il l’avait appris, Zef réussit à l’aide d’un coup latéral hésitant et de plusieurs tentatives avortées, à atteindre le khamlaak au niveau de ses nombreux yeux. L’entaille administrée ne fit qu’accroître la véhémence de la bête, qui se jeta férocement sur son adversaire inexpérimenté. Zef esquiva de justesse grâce à une roulade bien placée, et se retrouva sous le nuisible. Suivant son instinct, il balança sur le sol son chapeau protecteur et prit sa deuxième dague en main. Utilisant toute sa force et sa rage naissante, il planta vers le haut ses deux dagues, le plus profondément possible, pour y infliger un maximum de dommages. L’animal émit un dernier râle d’agonie, et s’affaissa sur le jeune Zef de tout son poids. Il était vainqueur de ce combat. Il l’était pour la première fois. 

Troublé par cette première et brutale expérience et encore tout dégoulinant du sang céruléen de son ignoble adversaire, Zef, essoufflé, repoussa avec difficulté le corps inerte du khamlaak qui se trouvait au-dessus de lui. Il resta un long moment au sol, manquant, à plusieurs reprises, de se faire piétiner par les poodas de ses frères et sœurs terrifiées qui n’eurent aucun égard pour ce dernier. 

Afin de se remettre des abondantes émotions qui le tourmentaient et calmer les tremblements qui ébranlaient son corps encore fulminant d’une rage incendiaire, Zef ferma les yeux et se concentra intérieurement. Certains de ses plus beaux et doux souvenirs émergèrent alors de son esprit torturé. Les yeux pétillants de sa flamboyante mère, le cheptel familial ordonné, obéissant à la voix puissante et perçante de son grand-père maternel ou encore sa toute première rencontre avec K-1, offert par son père lors de son glorieux retour.

Tous ces lointains mais tendres moments ne suffirent pas à calmer l’ardeur de Zef, et à la seconde où son père envahit ses intimes pensées, sa rage se ralluma en un instant. La chaleur émanant de sa chair semblait se matérialiser en une aura bouillonnante ravageuse rayonnant tout autour de lui. Cette sensation, autant suffocante qu’enivrante, était toute nouvelle pour le jeune Zef. Par le passé, quelques déroutants épisodes de sa vie tourmentée avaient été traversés par un sentiment semblable, mais jamais à une telle intensité, et encore moins à une fréquence pareille. La dernière en date, l’explosion de rage à l’encontre de son père et de Tagg ne datait que de quelques semaines, et n’était qu’un dérivé plus édulcoré de ce qu’il était en train de ressentir. Cette rage désirable et libératrice le consumait un peu plus chaque jour. 

Cela faisait déjà un certain temps que la tempête était passée, de légers tremblements se faisaient encore ressentir par les jeunes pisteurs, mais la menace était déjà bien éloignée. Laafi fut la seule à braver à l’interdit en sortant de l’abri, délaissant dans une torpeur entravante, les autres pisteurs agglutinés au fond de leur abîme. Elle s’empressa de rejoindre Zef, là où elle l’avait laissée. Arrivée à son niveau, la jeune Laafi secoua Zef, toujours allongé au sol, de toutes ses forces, pour le sortir de sa tétanie. Le jeune pisteur se réveilla alors en sursaut, habité par une haine intarissable, les armes en mains et prêt à annihiler toute menace extérieure. La jeune Laafi, devenue la proie de cette férocité insensée, garda son calme et recula de quelques pas. La première chose qui l’interpella fut l’éclat de ses yeux rougis par la colère, où une lueur dorée presque imperceptible s’était mis à scintiller tout autour de son iris noire comme la nuit. Laafi ne l’avait jamais vu dans un tel état.

— C’était quoi ça ?! Interrogea Laafi, courroucée mais tout aussi soulagée.

— Laafi … ? Répondit Zef, abasourdi. 

Retrouvant instantanément ses esprits, Zef se rappela tout ce qu’il venait de subir.

— La tempête ! Ce n’est pas une simple tempête ! S’écria-t-il, Laafi tu comprends ?! Dazan a raison ! Les poodas ! Les … Les khamlaaks ! 

— Je sais que ce satané Dazan a raison ! Mais des poodas, des khamlaaks ?! Je ne comprends rien à rien Zef, déplora Laafi. Sois plus précis, par Rinn ! 

— Je n’ai pas le temps d’expliquer … 

Sans même attendre une réponse de Laafi, Zef s’empressa de remonter sur Axol qui s’extirpait lentement de sa tranchée, et prit en chasse l’effroyable tempête.

Galvanisés par ces derniers évènements, Zef et Axol fendirent l’air chaud et stérile du désert pour rattraper les leurs à une vitesse à laquelle ils n’étaient jamais allés. Même le puits récemment creusé ne put les arrêter, puisqu’un seul bond prodigieux, fut nécessaire pour le franchir, ramenant la chaleur et l’espoir dans le cœur des pisteurs restés au fond par crainte d’un retour tempétueux.   

Utilisant les maigres ressources de son vaillant et tenace pooda, qui avait retrouvé une couleur de branchies satisfaisante, et profitant de la poussée et de la force d’un souffle venteux aux origines inconnues, Zef se rapprocha peu à peu de son objectif.

Pourchassant sans relâche l'énormité minérale se tenant majestueusement devant eux, Zef et Axol arrivèrent enfin à l’orée de cette dernière, et s’y engouffrèrent brutalement, dans un bruit sourd et étouffé. La tempête les avala d’une traite, les accueillant goulument une nouvelle fois dans ses entrailles infernales. 

L’atmosphère changea subitement, effrayant sur le champ le valeureux Axol, qui luttait contre son instinct pour ne pas s’enfouir à nouveau, la ferveur de son jeune partenaire semblait l’atteindre et le transcender lui aussi.

Le chaos qu’ils venaient d’encaisser, quelques minutes auparavant, prenait une revanche odieusement méritée. Tout paraissait beaucoup plus intense que la première fois, les tremblements malmenant le sol, l’impact des innombrables grains virevoltants dans les airs, la cacophonie ambiante, ils étaient bel et bien de retour en enfer. Mais étonnamment, toutes ces tentatives pour dissoudre et digérer les deux braves inarrêtables n’eurent aucun impact sur la perception du jeune Zef. Cet éclat brasillant illuminant ses sinistres prunelles en devait surement être la cause. Grâce à cette nouvelle habilité, il pouvait, sans effort, distinguer chaque être se trouvant dans cette anarchie sensorielle.

Remontant la tempête dans toute sa longueur, Zef dut manœuvrer à travers une mêlée confuse et incertaine. Passant entre ses nombreux autres camarades, et esquivant les assauts des khamlaaks l’ayant pris en chasse, Zef ne savait plus où donner de la tête. La progression fut rude et éreintante car les khamlaaks semblaient être naturellement attirés, sans raison apparente, par Zef et Axol, mais les deux acharnés poursuivirent leur lancée pour atteindre au plus vite leur but, Siti et Assir devaient se trouver à la tête de cet infame cavalcade, et Zef le savait.

Arrivés à mi-chemin, l’intensité du mystérieux souffle qui les poussait depuis leur départ s’accrut soudainement, se transformant rapidement en plusieurs salves de violentes rafales. La puissance de ces bourrasques impétueuses étaient telles qu’elles dissipèrent sur leurs passages, avec une facilité inouïe, une grande partie de la tempête, et repoussèrent les nombreuses atrocités la composant. Cette frénésie sableuse s’était enfin calmée. Presque tous retrouvèrent la vue lors de cet évènement fatidique. Zef profita de cette accalmie miraculeuse pour s’approcher encore plus de son objectif. 

Lorsque Zef arriva au beau milieu de l’avant-garde, galopant à nouveau parmi les siens, il vit sur sa gauche, deux poodas plus avancés que les autres, semblant mener la troupe d’une téméraire façon. Ce ne pouvait être qu’Assir et Siti. 

Usant des toutes dernières forces d’Axol, Zef se déporta alors logiquement vers ses nouveaux compagnons tout juste retrouvés. Chaque impulsion, chaque foulée, chaque obstacle était un effort monumental pour le pauvre animal, qui ne trouva, chez son partenaire, aucune compassion, lequel étant obnubilé par son inévitable tâche. 

Zef parvint finalement au niveau des meneurs de cette échappée, s’inséra agilement entre les deux jeunes guides, et une fois dépassés, tout en se tournant vers eux, s’écria : 

— DEMI-TOUR ! IL FAUT FAIRE DEMI-TOUR !

Intrigué, l’un des deux écarta sa coiffe protectrice et son foulard, et laissa transparaître un sourire éclatant, Zef avait eu raison, il s’agissait bel et bien d’Assir flanqué de Siti. 

— ZEF ! Hurla Assir, étonné. QU’EST-CE QUE TU FAIS LÀ ?! 

— DEMI-TOUR !! Répéta machinalement, Zef sans même avoir compris un seul des mots que son ami avait prononcés.  

Le bruit tonitruant de l’élan terrorisé des poodas n’aidait en rien dans la compréhension des deux camarades, assourdissant totalement Zef et Assir. Ce dernier, voulant comprendre la raison d’une telle intervention, fit quelques étranges signes à l’aide de ses mains à Siti, saisit une des cordes qui pendaient du harnachement du pooda de Siti et la lia au sien. Ainsi fermement attaché, il se dressa sur le dos de son pooda, se figea pendant quelques instants, étudiant attentivement la nature insensée de son acte imminent, et d’un bond puissant et réfléchi, s’élança en direction de Zef et Axol. Le saut ne fut pas une franc succès, puisqu’il réussit tout juste à s’accrocher aux rebords rugueux et dentelés de la selle d’Axol, échappant in extremis à une chute qui aurait pu être fatale. 

Aux premières loges de ce sinistre tableau, Zef tira de toutes ses forces pour ramener son acolyte sur la selle de son pooda. Une fois à l’intérieur, sain et sauf, Assir s’écria, un sourire farceur aux lèvres contrastant avec la situation et l’ambiance générale :  

— Merci mon frère ! Mais j’n’avais pas besoin d’ton aide tu sais ! Tout était sous contrôle ! Ça n’serait jamais arrivé sans ce maudit vent contrai ...

— Nous n’avons pas le temps de joyeusement bavasser mon frère, répondit sèchement Zef sans même le laisser finir, nous devons faire demi-tour au plus vite ! Nos camarades nous attendent dans un puits creusé par nos soins ! Il faut vite rebrousser chemin et les rejoindre. MAINTENANT ! 

Remarquant la ferveur ardente émanant du regard passionné de ce tout nouveau Zef, le ton railleur et enjôleur accompagnant depuis le début de cette aventure, les douces paroles d’Assir, laissa place à une gravité et à un sérieux insoupçonné jusqu’alors. Son sourire s’effaça brutalement, il avait pleinement saisi l'urgence de la situation.

— Compris. Proclama-t-il, brièvement. 

Faisant face à Zef depuis le début de cette interaction, Assir se tourna brusquement vers Siti et recommença à exécuter des signes incompréhensibles dans sa direction, laissant Zef dans un hébétement assommant. Une fois cette étrange démonstration terminée, il se concentra quelques secondes, et essaya de porter son regard le plus loin possible. Des centaines de camarades étaient toujours en pleine course, détalant avec acharnement et torpeur. Mais un fait autant intéressant qu’angoissant lui sauta aux yeux, la majorité des khamlaaks qui les pourchassaient de façon désordonnée depuis le début, semblait s’être regroupée volontairement, et filait droit vers le front du cortège, là où ils se trouvaient. 

— Je crois qu’ces atrocités ont hélas compris notre stratagème, déclara Assir, toujours aussi digne et solennel, en se retournant vers son compère. On doit rappliquer au plus vite, c’est notre seule chance d’venir à bout d’tout ça. 

— Ils en ont après moi, lui répondit Zef, d’un ton tout aussi grave.  Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je le sais. Je ressens leur haine. Je ressens leur faim. Je ressens leur soif. Toutes ces cruelles et bestiales émotions sont dirigées vers une seule et unique proie, moi. Je sais que tout cela n’a aucune logique, que ça ressemble fortement à de la paranoïa exacerbée ou à de l’orgueil mal placé, mais crois-moi. Il faudrait utiliser cette sombre entente. Je ne sais pas comment, mais il faudrait. Qu’est-ce que tu en dis ? 

Il ne fallut que quelques secondes à Assir pour répondre à ces abondantes et déroutantes informations, par un bref et glaçant :

—  Compris.

Se levant lentement, pour réitérer son saut hasardeux dans le sens inverse, Assir conclu, sans même se retourner vers Zef, ce brusque échange par ces mots :

—  Si tout c’que tu m’as dit est vrai, alors tu n’devras surtout pas suivre la masse. Tu m’colleras le plus possible. Compris ? Prépare-toi, c’est maintenant, mon frère.

Et d’un bond, beaucoup plus appuyé que le précédent, il arriva, en un seul morceau, directement sur la selle de son pooda.

De nouveau sur le dos de son destrier, Assir échangea encore quelques signes avec Siti. Cette dernière, toujours dissimulée par son chapeau et son foulard, acquiesça, et commença subitement, dans la seconde, à se déporter sur sa droite. 

L'entièreté du cortège la suivit alors, se détachant progressivement du sillage principal en une masse dense et ordonnée, et dessinant une trajectoire légèrement courbée. Leur traînée fuyarde ne fit pas dévier les khamlaaks, qui continuèrent à prendre en chasse leur proie juvénile. Seuls Zef et Assir gardèrent leur cap, tout portait à croire que la troupe les abandonnait lâchement, c’est en tout cas la première idée qui traversa l’esprit de Zef, à la vue de cette étrange manœuvre. Mais le jeune homme garda tant, bien que mal, en tête les instructions ordonnée quelques minutes auparavant par Assir.

Au cours de ces rudes semaines, une confiance saine et réciproque semblait s’être instaurée au sein de cette fraternité naissante. Zef ne comprenait rien à cet impénétrable stratagème, mais Assir, oui, c’est tout ce qui comptait. 

Les secousses créées par l’élan des khamlaaks devenaient de plus en plus intenses, ils ne devaient plus être loin. Soudainement, le pooda d’Assir s’immobilisa brusquement, Zef et Axol firent de même, comme prévu.

Presque seuls, au milieu de la plaine désolée, les deux jeunes hommes profitèrent d’un calme fugace et menaçant pour échanger quelques mots avant que l’impensable ne survienne :

—  Tout ça n’a aucun sens mon frère ! Vociféra Zef. Pourquoi ne pas suivre les autres ?!

—  Suivre les autres ? Alors qu’ces immondices ont l’air de te suivre, toi ? Réfléchis un peu petit frère, répondit calmement Assir, en empoignant cérémonieusement ses deux dagues. Nous allons les attaquer frontalement, comme on aurait dû l’faire dès le début d’cette échappée. Profitons de cet attroupement. Il n’y a aucun autre moyen, crois-moi.

Voyant, dans les profondes paroles et les gestes précis d’Assir, une détermination insondable, Zef rétorqua, inquiet mais toujours rempli d’une ferveur dévorante :

—  Tu ne crois quand même pas qu’à deux, on peut faire le poids ?! Il y en a des centaines ! Tout le monde nous a lâché ! Il n'y a que nous ! C’est à toi de me croire ! C’est du suicide ! Ça ne te ressemble pas ! 

Se tournant face à la horde déchaînée qui était en train de débouler sur les deux pauvres âmes, Assir s’étonna :

— T’as confiance en moi ou pas ? Moi c’est l’cas. J’ai autant confiance en moi qu’en toi. Si j’te dis que c’est l’seul moyen, c’est l’seul moyen, mon frère. Tu m’remercieras plus tard t’en fais pas va ! Maintenant ressaisis-toi ! Toi non plus ça n’te ressemble pas ! Tu n’as qu’à imaginer de gentils petits juruuhs à collerettes dorées à la place, si ça peut t’aider à t’trouver un semblant d’témérité ! La plupart sont déjà pleins à craquer ! Ils dégoulinent ! Ça va être un jeu d’enfant ! J’te croyais plus audacieux, tu sais ?! 

Ces toutes dernières paroles, prononcées par un Assir plus que jamais anxieux, feignant l’arrogance et le flegme, de la plus habiles des façons, empalèrent l’égo du jeune Zef, encore attisé par ses toutes nouvelles capacités, le laissant dans un mutisme futile et enragé. 

— Pas d’réponse ? C’est bon signe ! Garde cette colère pour l’instant qui va suivre ! On va en avoir bien besoin ! S’écria Assir. Ça arrive, sois prêt ! Continua sur sa lancée le jeune meneur, le visage radieux et la voix enflammée, ayant retrouvé son ton enjoué et presque insensé en voyant le sol grouillant de khamlaaks se déformer de plus en plus. Mon frère, nous allons entrer dans la légende ! J’te l’dis haha ! SUIS-MOI ! 

Sans attendre plus longtemps, Assir se rua vers le sol ondulé, suivi de près par Zef et Axol, la charge fatale était enfin lancée. 

Au moment où les deux assaillants arrivèrent à leur niveau, un grand nombre de khamlaaks s’extirpèrent du sol pour les attaquer, de la plus vile des façons. Comme l’avait prédit Assir, la plupart se trouvaient ralentis par leur fardeau aqueux, mais aucune de ces abominations n’avait perdu de sa férocité, bien au contraire.  

Manœuvrant, non sans mal, à travers cette mêlée chaotique, Zef se retrouva vite séparé de son frère d’armes. Combattant alors seul et sans frayeur pendant un certain temps, tailladant dans la masse impure avec une hargne sans limite, sans même se préoccuper de la sûreté de son camarade, qui de son côté combattait l’anarchie dans laquelle il se trouvait également, le jeune pisteur n’avait rien à voir avec le novice indécis et maladroit qui venait, lors de son premier combat, d'occire son premier opposant, rien ne semblait pouvoir l’arrêter. 

Mais la ruse légendaire, la perfidie et le pullulement cauchemardesque des khamlaaks eurent raison de cet élan de vaillance artificielle. En effet, Axol, toujours inexplicablement dressé sur ses larges et robustes pattes, malgré toute cette souffrance encaissée, fut assailli par une quantité hallucinante de projections linguales. De toutes parts, propulsées simultanément par leurs infâmes détenteurs, jaillirent ces affreuses langues aspirantes, immobilisant totalement le pauvre animal. Fermement insérées dans la peau du pauvre pooda, elles commencèrent alors leur sordide entreprise, vidant peu à peu de ses dernières ressources le misérable animal, déjà mal en point depuis un bon moment. 

Zef, complétement submergé, tenta de sectionner le plus de langues possibles mais le nombre de cette charge polyglotte continuait sans cesse d’augmenter. Plus il en faucher, plus le nombre s’agrandissait, le laissant dans une impuissance fatale et implacable. 

Le corps tout entier d’Axol fut alors rapidement recouvert des extrémités salines d’une multitude de ces abjects appendices. La situation ne pouvait pas être plus désespérée. 

Au bord de l’évanouissement, persévérant dans cette lutte infertile depuis de longues secondes qui lui semblèrent des éons, Zef fut secoué par une sensation étrange et familière. De légers soubresauts, presque imperceptibles recommençaient à rythmer la plaine ensablée bien moins désolée qu’à l’accoutumée.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour entrevoir et distinguer l’origine de ces secousses incertaines, avant de sombrer dans un sommeil forcé. Ils étaient sauvés. 

Non loin de là, ondulant dans l’horizon brulant en filant à vive allure vers l’arrière de l’amas de khamlaaks enragés, le reste de la troupe, mené par Siti, fit une résurgence triomphale.

S'étant déportée de façon circulaire quelques instants auparavant, pour pouvoir organiser l'offensive, en une formation en chevron permettant de pénétrer et d’achever au mieux l’armada d’ennemis se trouvant sur son passage, et également profiter de la distraction et de l’agrégat de khamlaaks créé par Zef et Assir, la troupe, après avoir accompli une révolution complète, fonça héroïquement vers la masse infâme.

Les premiers à atteindre les khamlaaks furent Siti et ses Remparts, entraînant dans leur sillage ravageur l’entièreté de l’escadron purificateur.

Les khamlaaks composants l’arrière garde de l’essaim furent tous pris par surprise, victimes légitimes de la rage et l’ardeur des jeunes libérateurs, le choc de l’assaut retentit alors dans toute l’étendue tourmentée.

La charge torrentielle déferla dans les rangs obscènes des khamlaaks dans un fracas sans précédent, engloutissant tout sur son glorieux passage et ne laissant derrière elle que les carcasses déchiquetées et broyées des créatures damnées. 

Piétinés par les larges pattes des poodas et lacérés par les lames grossières et sévères des jeunes guerriers, les khamlaaks n’eurent guère le temps de quitter de leurs nombreux yeux Zef et de changer de cible tant l’irruption fut brutale et fulgurante, une suppression sommaire, un carnage admirable.

À l’instar de Zef un peu plus tôt, la plupart de ces jeunes affrontaient une réelle menace pour la première fois de leur fraîche vitalité. Au vu de l’incompétence générale, un échec monumental aurait été logiquement attendu, mais c’était sans compter la férocité et la vaillance de Siti et de ses Rempart qui donnèrent la cadence du groupe tout entier. 

Chaque imperfection, chaque dissonance, chaque maladresse, et il y’en avait de toutes sortes, était lissée et harmonisée par le rythme du collectif, transformant de tendres et candides novices en instruments de mise à mort impitoyables, et plongeant le bataillon dans une symphonie funèbre et destructrice. La troupe unifiée était inébranlable, ils étaient un tout.

Les khamlaaks ne s'étant pas encore mesurés à la horde exterminatrice, tentèrent une minable riposte qui fut écourtée sur le champ. Chaque langue envoyée vers une de leurs honorables proies se trouvait être tailladée dans la seconde par les camarades l’escortant. Les jeunes verooniens combattirent avec bravoure et acharnement, sans se faire toucher une seule fois jusqu’à là, et en quelques minutes la grande majorité de ces immondices fut décimée, ne restant alors que les plus coriaces et les plus voraces d’entre eux. 

Arrivé au bout de son élan salvateur, la cohorte opéra un revirement abrupt pour faire de nouveau face aux khamlaaks restants, et s'immobilisa un instant. C’est à ce moment précis, que les jeunes combattants procédèrent à une étrange pratique. 

En effet, à l’exception de Siti et son escouade, tous se délestèrent de leurs enveloppes cérémonielles, et finirent à moitié nus, seules leurs lingeries intimes demeurèrent. Cette singulière démarche n’avait qu’un seul but : maximiser ses chances de se voir apposer la brûlure des sables par les khamlaaks les plus belliqueux de la bataille, et ainsi en récolter l’honneur qui va avec. 

Défroqués de la sorte, les corps immaculés de tout souvenir, l'écrasante majorité n’attendit pas le commandement de Siti pour s’élancer, dans une bousculade hystérique, en direction des khamlaaks restants. La rigueur et le dévouement de la première offensive contrastait grandement avec ces primitifs usages. La folie intéressée l’emporta, de façon fulgurante, sur la décence.

Le but premier de cet assaut s’évapora complétement de leurs esprits délirants, et tous sans exception se ruèrent vers les khamlaaks, sans même les attaquer, virevoltants autour d’eux comme des forcenés, à la recherche d’une empreinte éternelle, d’une gloire superficielle.

Voyant ce pitoyable spectacle de loin, Siti et ses fidèles Remparts restés à ses côtés, remarquèrent que deux petits groupes bien distincts de khamlaaks demeuraient encore dans l’arène contestée. Lançant la charge finale d’un cri exaltant implorant la grâce des Deux Sœurs, la meneuse émérite décida, d’un geste de la main ressemblant étrangement à ceux qu’elle avait utilisé pour communiquer avec son frère, de scinder son groupe déjà réduit. Le ressac fractionné mais non moins redoutable, du châtiment nécessaire, était sur le point de s’abattre violemment sur les khamlaaks persistants. 

La section dirigée par Siti s’élança furieusement vers ce qui semblait être une exécution à ciel ouvert. 

Au beau milieu d’une nuée de khamlaaks plus enragés que jamais, se trouvait Assir, dressé fièrement sur son pooda et maculé du sang bleu de ses ennemis, qui continuait depuis tout ce temps de se défendre de leurs ignobles agressions.

En voyant approcher ces renforts grandement désirés, Assir, tout exalté, reconnut immédiatement son binôme naturel et s’exclama sur un ton affectueusement railleur :

— Eh bien enfin ! Encore un peu et t’étais la dernière des Kaslan ! Heureusement que j’me débrouille comme un chef, hein !  

Siti, habituée à ses brimades irritantes, ne prit même pas la peine de lui répondre ni de le regarder, en passant près de lui, et entama son épuration intégrale, en prenant garde à ne pas blesser ses camarades impudiques qui tournoyaient tout autour d’eux, formant carrousel irrationnel, une parade fanatique. La tâche était loin d’être simple, même pour un escadron aussi remarquable que le leur. Entre les multiples jets linguaux et le bal démentiel auquel ils avaient été conviés de force, Siti et ses Remparts ne savaient plus où donner de la tête.

 — C’est nouveau ça ?! ajouta l’espiègle Assir, qui se dénuda également. Cette pudeur ?! Fais un peu comme eux ! Comme nous ! Profite ! Lâche prise ! Enlève-moi tout ça, allez ! Regarde-moi ! Nu comme un du’da ! 

Voyant que son intervention ne reçut une nouvelle fois aucun écho, il conclut sur un ton tendrement agacé, tout en continuant de guerroyer :

— Hé réponds-moi ! Tu peux la garder ta charité ! Je n’ai pas besoin d’ton aide !  

Trop préoccupée à lacérer l’obscénité abondante et à esquiver ses frères et sœurs turbulentes, Siti n’eut pas la possibilité de porter attention à ces plaisanteries malicieuses, et continua son massacre.

En un rien de temps, son escouade prodigieuse balaya la légion de khamlaaks insoumis, mettant un terme à cette vile querelle qui n’en finissait plus.

Achevant le dernier khamlaak se trouvant sur son funeste chemin, Siti examina rigoureusement les environs. La plaine minérale retrouvait doucement le calme qui lui avait été dérobé, toute menace potentielle semblait avoir été enfin anéantie, la guerre était gagnée. Mais, au sein de cette foule adoucie, qui reprenait peu à peu ses esprits en se rhabillant timidement, une chose l’interpella. Elle se rendit compte que depuis le début de cette bataille infernale, elle n'avait eu vent à aucun moment de Zef. Explorant alors, de son regard aguerri, les moindres recoins du champ de bataille, il lui était impossible de l’entrevoir. 

Vaguement inquiète de cette absence inattendue, Siti s’approcha de son frère et lui demanda sur un ton froid et direct, comme à son habitude :

—  Zef. Tu sais où il est ?

— VICTOIIIIRE ! S’exclama, sans vraiment répondre à sa question, un Assir rayonnant et encore galvanisé par ce conflit dantesque. Réjouis-toi ma pauvre ! On les a tous eu ! ENFIN ! Rien n’peut nous arrêter maintenant ! Pas vrai ?! Non ? … Pas grave … Ah tiens ! T’as retrouvé la parole ! Continua sur sa lancée le jeune provocateur, toujours aussi farceur. Et sinon pour Zef, humm ... Non. On a été séparé dès l’début de l’affrontement. Aucune idée, désolé. Mais n’t’en fais pas pour lui, il avait l’air déterminé quand on s’est perdu de vue. C’est la première fois que j’le voyais comme ça ! Il semblait invincible ! 

—  Si tu le dis, rétorqua sèchement Siti, en continuant, de sa vision impitoyable, à scruter les alentours. J’espère juste qu’il ne nous a pas abandonné lâchement. Ça ne m’étonnerait même pas.

—  Ne t’emporte pas comme ça ma sœur ! S’emporta Assir. On parle de Zef quand-même ! L’un des Trois Soleils dominant les Cieux !

—  Je t’ai déjà dit d’arrêter d’utiliser ce titre puéril, répliqua cruellement Siti. Tu n’es pas un astre, moi non plus, Zef encore moins. Seules les Sœurs dominent les cieux. Rien d’autre. 

Suite à cette amère répartie, un cri strident perça l’accalmie nouvellement regagnée, suivi immédiatement par plusieurs complaintes étouffées. Les jumeaux ne se firent pas attendre, et se ruèrent vers l’épicentre de ces turbulences, évitant du mieux qu’ils purent la grande majorité des jeunes verooniens qui contemplaient leurs stigmates fraîchement acquis. 

De l’autre côté de cette boucherie à ciel ouvert, au milieu des nombreux corps infects tapissant le sol meurtri, gisaient Zef et Axol, seules victimes de cette prouesse collective.

Approchant de la source de ces lamentations, Siti et Assir sautèrent hâtivement de leur pooda pour se frayer difficilement un chemin dans l’attroupement engendré par l’amas de jeunes effrayés.

Arrivé, après quelques bousculades, au plus proche de cette fâcheuse scène, Assir, plus troublé que jamais, accourut vers son ami inconscient. Siti, de son côté, se rapprocha de l’un de ses Remparts pour lui demander, de façon stoïque, de plus amples précisions sur cette regrettable situation :

—  Qu’est-ce qu’il s’est passé ? 

—  Une attaque massive des khamlaaks, répondit Hod, un des jeunes Remparts. Zef était déjà dans cet état quand on est arrivé. Et pour son pooda, je n’avais jamais vu ça. Il y avait les langues de ces vermines de partout. Absolument partout. C’était horrible. Approche un peu, viens voir, poursuivit Hod, en s’avançant avec Siti vers l'animal éreinté.

— Regarde, il est marqué sur tout le corps, continua le jeune Rempart. On a réussi à massacrer les khamlaaks qui l’entouraient et à retirer leurs langues à temps, heureusement. Quelques minutes de plus, et il aurait été vidé entièrement. 

— Son souffle est faible et saccadé, déclara Siti, sur un ton plus soucieux qu’à l’accoutumée, examinant l’animal en caressant doucement ses flancs rugueux et brulés. Mais il est encore en vie, c’est le principal. Tu as bien combattu Axol … 

—  Exact. Pareil pour Zef, assura Hod.  

— Beau travail, conclut brièvement Siti, qui avait eu toutes ses interrogations éclaircies.  

Au même moment, surgissant des dunes cernant l’arène ensanglantée, une revenante délaissée réapparut. Laafi, qui avait pisté les traces des khamlaaks laissées tout le long de leur chaotique virée, déboula en trombe sur cette terre reconquise, et se dirigea naturellement vers la foule entassée.

— Qu’est-ce que vous faites tous là ?! Et comment vous avez fait pour arriver ici avant nous ? Demanda Laafi, interloquée, au premier camarade qu’elle croisa. On ne vous a même pas croisé sur la route ! Et c'est quoi tous ces khamlaaks morts ? C’est vous tout ça ?!

— Tu n’étais pas avec nous ?! Ah je vois, t’es une pisteuse c’est ça ? Et où sont les autres ? répondit le jeune, tout excité. On s'est fait attaquer par les khamlaaks peu de temps après la levée du camp, c’était terrible ! Il y’en avait de partout. DE PARTOUT ! On a dû s’enfuir au plus vite dans votre direction.

—  Les autres ? En train de creuser. Expliqua Laafi. Et la tempête, elle vous a touchée aussi ? 

—  Touchée ? La tempête ? Au contraire ! On était dedans ! Ajouta le jeune, toujours aussi animé. En s’échappant des khamlaaks, elle était sur notre route ! Si ce ne sont pas les Sœurs qui sont derrière tout ça, je ne crois plus en rien ! Sous le commandement d’Assir et Siti on s’est tous engouffré dedans, tête la première, pour se cacher et se protéger au mieux de toutes ces bestioles. C’est du génie ! 

— D’accord je comprends mieux. Et vous avez choisi de vous battre ici je présume ? Poursuivit Laafi, en regardant tout autour d’elle. 

— Se battre ?! On les a massacrés oui ! Regarde-moi ça ! S’écria le jeune, en montrant fièrement ses nouvelles brûlures encore toutes fraîches. 

— Pas besoin de te tripoter comme ça, grommela Laafi. Et pourquoi tout le monde est rassemblé comme ça ? Il se passe quoi ? Vous fêtez la victoire ou un truc dans le genre ?

— T’es juste jalouse de pas en avoir, dis-le ! Je suis un guerrier moin maintenant ! Un vrai ! Rugit l’adolescent présomptueux. Et sinon pour le rassemblement, aucune idée, on vient d’arriver, désolé.

Laafi, écœurée d’un tel comportement, ne le remercia même pas pour toutes ses précisions et ne tarda pas à s’enfoncer, péniblement, dans cette cohue dense.

Lorsqu’enfin elle atteignit le centre du regroupement, le triste spectacle qui se trouvait devant ses yeux la bouleversa terriblement.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé ?!! Hurla-t-elle, en bondissant au-devant d’Assir et Zef.  

— Laafi ?! Tu fais quoi là ? T’as participé à l’assaut, toi aussi ? Répliqua Assir, tout aussi troublé.

— Pas du tout, je viens tout juste d’arriver … Dis, il va bien ?! Demanda-t-elle impatiemment.

— Bien, j’en sais rien. Mais il respire ! S’exclama Assir. J’suppose que son corps s’repose juste, ou un truc dans l’genre. Si tu l’avais vu combattre … Une véritable bête ! Rien à voir avec notre timide petit Zef ! 

— C’est vrai qu’il avait l’air changé … Se dit-elle à elle-même. Bref, passons, il faut le transporter au plus vite au puits qu’on a trouvé. Dommage qu’on ne puisse pas boire toute cette eau souillée, c’est vraiment du gâchis … 

— Ce serait trop facile voyons ! S’indigna Assir. Vous avez trouvé un puits ? Parfait ! On te suit ! Par contre Axol est dans un sale état, lui aussi … Va falloir s’creuser la tête ...

Au vu de la situation, ni Zef, ni Axol, ne pouvait se déplacer par ses propres moyens, il fallut donc trouver une solution, et le plus rapidement possible. Assir se porta logiquement volontaire pour transporter son jeune ami dans un sharnaaq, mais c’est le corps du pooda qui posa le plus de problème au groupe.

Une méthode fut alors adoptée par l’assemblée juvénile, permettant de bouger la masse considérable constituant le pauvre pooda, de la façon la plus douce et sûre possible. Les jeunes rassemblèrent alors le maximum de cordes qu’ils avaient en leur possession, afin de créer, avec la plupart des cordages, une sorte de filet géant très résistant, d’une superficie trois fois plus grande que celle d’Axol et d’une épaisseur tout aussi considérable. Une fois élaboré, le filet fut posé au sol, non loin de l’animal. Il fut également demandé de réunir un nombre important de toiles de tentes, de les superposer grossièrement, et de placer le tout sur l’immense entrelacement déjà présent. À l’aide des cordes restantes, et de la force exceptionnelle des poodas, le corps d’Axol fut tiré et déposé délicatement sur les toiles en un rien de temps, et la suite du dispositif put se poursuivre. Après ces étapes passées avec une aisance toute relative, une grosse vingtaine de pooda se placèrent tout atour de la bête diminuée et, sur ordre de leur maître, se couchèrent sur le ventre, tous dans la même direction. C’est alors que les jeunes attachèrent fermement les nombreuses extrémités de l’ingénieux système aux poodas entourant Axol, de sorte que chaque pooda se trouva relié directement à cette civière étirable de fortune, faisant partie intégrante du processus. Au signal de Siti, les poodas se levèrent simultanément à l’aide de leurs puissantes pattes, et le corps d’Axol fut élevé de quelques dizaines de centimètres, bien assez pour le transporter de façon sécurisée. 

Grâce à cet étonnant agencement, le poids d’Axol fut réparti entre tous ses congénères l’encerclant. La troupe pouvait enfin repartir retrouver le reste de ses compagnons. 

Sur le chemin du retour, un nombre dérisoire de khamlaaks déserteurs, qui avaient tenté de s’enfuir lors de la grande bataille, surnageaient dans le sol sablonneux, vers de plus quiets horizons. Les Remparts furent alors dépêchés, en prévision d’une potentielle riposte, pour en exterminer l’intégralité, du moins ceux qui se trouvaient sur la piste. Afin de protéger leurs poches dorsales remplies à ras bord, les khamlaaks ne pouvaient pas plonger profondément dans le sable, comme à leur habitude. Ces dernières, dépassant désavantageusement du sol lors de leurs déplacements, les Remparts n’avaient alors qu’à les repérer grâce à cet handicap, et à les abattre sommairement. Le danger était enfin écarté.

Débarquant finalement aux abords du puits fraîchement terminé, la troupe épuisée ne tarda pas à décharger sa cargaison. Pour faciliter l’acheminement du liquide réparateur, Axol fut placé au plus proche de la source. Sa guérison était une priorité.

Leurs toiles récupérées, les jeunes construisirent le camp en un temps record. Assir s’occupa de leur abri et y plaça, sans plus attendre, Zef, il était enfin sécurisé. Siti le suivit également et put, le temps d’un instant, enfin se reposer. Nul ne le méritait plus qu’elle à ce moment.

À l’exception d’Assir et des Remparts désignés pour la défense du camp, tous se couchèrent après s’être désaltérés et restaurés, sans même attendre le coucher du dernier soleil. Seul Assir, plus anxieux que jamais, resta quelque temps dehors pour réfléchir aux rudes jours qui allaient advenir. Un calme presque éternel drapa alors la plaine désolée, apaisant chaleureusement les inquiétudes des jeunes guerriers.

Ayant fini de réfléchir longuement aux préparatifs et à au fonctionnement de la troupe concernant le lendemain, Assir s’introduisit délicatement dans la tente, pour ne pas réveiller sa fratrie fermement endormie, enfin c’est ce qu’il croyait.

À la seconde où il posa le pied à l’intérieur, une voix fendilla la quiétude enveloppante : 

—  On a gagné, hein ? Chuchota doucement Zef, d’une voix encore fébrile. 

—  Zef ! T’es pas mort ! Je l’savais ! S’emporta Assir, en se jetant sur son ami affaibli.  

— Chut chut chut ! Tu vas la réveiller, répondit Zef, tout en se relevant légèrement, d'un ton toujours aussi tamisé, en désignant Siti. 

Cette exclamation passionnée déclencha chez Siti, encore endormie, un soupir culpabilisateur qui imposa un silence gêné pendant un court instant. Assir fut vite calmé et s’installa dans son coin, à quelques pas de Zef.

Le jeune pisteur fut le premier à rompre cette tension sonore, en abaissant encore plus le ton de sa voix : 

— Et Axol ? Est-ce qu’il est … ? 

— À ton avis ! Vivant bien sûr ! Récidiva Assir, de son exquise et puissante voix, qui fit se mouvoir une nouvelle fois Siti, avant de baisser lui aussi le son de sa voix. Oui oui … Pardon … Vi-vant !  … Il s’est battu comme un chef ! ... On lui a donné de l’eau, tu l’reverras demain, t’inquiètes pas va ...

—  Merci Assir, vraiment.

—  Merci Assir ? … Merci à toi oui ! Toi aussi tu t’es battu comme une bête ! … J’t’avoue, ça m’a un peu surpris … C’est que … Tu n’as pas l’air … Voilà quoi … 

—  Une bête ? J’avais vraiment très chaud, je crois ... Comme si je bouillonnais de l’intérieur. Je ne me rappelle que de quelques petites choses, regretta Zef. La tempête … Les khamlaaks … Vos étranges signes … 

—  Nos signes ? …  S’étonna Assir. 

—  Avec vos mains, c’était quoi ? 

—  Ah ! … Ces signes ! … C’est notre langue secrète à Siti et moi !  C'est celle de notre mère … L’univers a voulu lui prendre la parole à sa naissance, alors elle a dû s’en créer une à elle … Et elle nous l’a apprise à son tour … Enfin, les bases … Elle n’a pas eu l’temps … 

— Une langue rien qu’à vous ! C’est incroyable, murmura vigoureusement Zef. Ma mère aussi était incroyable … Elle me manque. 

— À moi aussi mon frère … À moi aussi … 

Zef comprit immédiatement au ton de sa voix ce que voulaient dire ces terribles mots. Un silence, froid et pesant cette-fois ci, engloba une nouvelle fois l’intérieur de la tente, pendant un long moment. 

— Et tu crois que tu pourrais m’apprendre ? Poursuivit Zef en s'asseyant complètement, sentant que ce mutisme devenait malsain.

— B-B-Bien sûr ! … Répliqua Assir, en reprenant ses esprits. Tu … Tu fais partie d’la famille maintenant ! … Hmm quel mot j’pourrais t’apprendre … Mais oui ! … Fais comme moi … 

Suite à ces mots, Assir frotta énergiquement son poing fermé sur son torse, en dessinant un cercle infini.

— Parfait ! … Continua Assir. Tu sais dire “pardon” dans notre langue maintenant ! … 

— Par-don … Répéta Zef en mimant le mouvement. Et pourquoi ce mot et pas un autre ? 

— Eh bien … C’est celui que tu utilises le plus … Tout le temps à t’excuser pour un oui ou pour un non … Pas vrai ? Haha ! Il était tout désigné ! … 

Zef réitéra ce geste une nouvellement fois en souriant légèrement, il parlait leur langue.

— J’t’en apprendrais un tous les soirs, précisa Assir. Comme ça à la fin de l’aventure on n’sera même plus obligé d’ouvrir la bouche pour se comprendre ! … Comme de vrais frères ! … Ça te va ? 

— Ça me va, répondit Zef en se rallongeant silencieusement. Merci.

—  Pas d’quoi … conclut Assir, en faisant de même. “merci”, ce sera parfait comme deuxième mot ! … 

Zef sourit à nouveau en fermant les yeux, on le comprenait enfin.

Cette discussion semblait s’être achevée depuis un moment, mais cette fois-ci c’est Assir qui brisa l’accalmie ambiante : 

—  Dis Zef … Tu dors … ? 

—  Hmm … Non … Pas encore …  Pourquoi ? Balbutia Zef, à demi endormi.

—  J’sais pas … J’sais pas pourquoi j’pense à ça mais … T’as un rêve toi ? 

— Un rêve ? … Je ... Je ne sais pas trop, répondit Zef, égaré. Je crois que je pensais en avoir un mais … Pourquoi cette question ? 

—  J’pensais à ma mère et … Et ça m’a mené à ça … Expliqua Assir. C’était quoi ton rêve, mon frère ? … 

— Mon rêve ? Eh bien. Ça va te paraître bizarre mais … Apprendre auprès de mon père. Ça ne vole pas très haut, je sais mais … Mais je crois que c’était ça … 

—  Bizarre ? … Pourquoi ? … S’étonna Assir. C’est un rêve … C’est sérieux un rêve … On ne s’en moque pas … Et pourquoi ce ne serait plus ton rêve ? Tu n’as plus rien à apprendre de ton père ? 

—  Apprendre de mon père ? Si bien sûr … Mais je ne suis plus très sûr qu’il soit réalisable, ce rêve. C’est tout, répondit Zef, songeur. 

—  Tout est possible dans cet univers, mon frère. Regarde-nous aujourd’hui ! …  Qui aurait pu croire qu’on puisse abattre autant de khamlaaks d’un coup ? … Personne ! …  C’est du jamais vu ! … On va conter nos aventures tout le long de l’Equateur ! … Notre nom retentira pour toujours ! …   Crois-moi ! …  

— J’espère que tu as raison … Et toi ? C’est quoi ton rêve ? Questionna Zef.

—  Mon rêve ? … J’crois bien que c'est la tranquillité, assura Assir. Ouais. J’arrête pas d’y réfléchir et … Ça peut être que ça. Et pas une tranquillité passagère, entre deux aventures. Non, non. Une tranquillité absolue, durable, perpétuelle …  J’ai toujours cru qu’c’était l’aventure, mais non. C’est la tranquillité … 

—  Et … Tu sais comment l’atteindre cette tranquillité ? Renchérit Zef.

—  Ouais …  Rien d’plus simple … Déclara Assir, sur un ton clair et déterminé. Remporter la Ruée et devenir Had’Elfi … Avec ça je n’dépendrai de rien ni de personne … C’est le seul moyen … 

—  Alors on se doit de finir premiers, mon frère. Proclama Zef, d’une voix toute aussi solennelle. Pour ton rêve.

—  Aucune autre option … songea à haute voix Assir. Aucune … 

Quelques instants après ces dernières paroles, qui avaient rendues penseurs les deux compères, une voix ferme et intense fit éclater brutalement cette bulle introspective :

— La Dayira. 

Ces simples paroles retentirent comme une détonation pour Zef et Assir. Pensant depuis tout ce temps qu’ils étaient seuls à être éveillés, il se redressèrent brusquement. Grâce à la faible, mais encore tenace, luminosité qui éclairait faiblement l’intérieur de l’abri, les deux complices se mirent à se dévisager, les yeux grands ouverts, pendant un long moment. Siti tenait à son sommeil, et ils étaient conscients qu’ils avaient été trop loin en parlant aussi fort.

— Intégrer l’armée secrète du Seigneur Marzik, la Dayira, c’est ça mon rêve. Renchérit Siti, sur un ton anormalement brutal pour son état léthargique. Maintenant, dormez. 

Ces écrasantes paroles sonnèrent le glas de ces échanges imprévus, dans la tête des deux acolytes. Les perturbateurs se rallongèrent furtivement, dans la seconde, sans dire un mot. Mais tous deux comprirent instinctivement que cette rude intervention ne pouvait être interprétée que comme une preuve d’une certaine confiance, de la part de Siti, une chose rare et précieuse. Même Assir, son égal de toujours, fut étonné de la voir se livrer ainsi. Zef faisait vraiment partie de la famille. 

Assir s’endormit assez rapidement, comme à son habitude, rêvant alors à de plus paisibles instants. Mais de son côté, Zef ne put trouver le sommeil immédiatement. L’évocation de ce sinistre nom, celui de son cruel paternel, fit bouillir son corps tout entier, impossible alors pour lui de fermer l’œil et de se maîtriser. Mais il le devait, car une journée déterminante ne tardait pas à se profiler.

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