Chapitre 4
Degenhard sentait de la poussière qui lui picotait le nez et la gorge. Il tenta de tousser pour l'expulser, mais en même temps, d'autres grains de saleté pénétraient dans ses narines. À l'aide de ses bras, il se redressa sur ses genoux et éternua plusieurs fois. Puis il jeta un regard autour de lui. Malheureusement, il faisait sombre et il lui était impossible de voir quoi que ce fût.
Il entendit un gémissement à ses côtés. Il tendit le bras gauche et ses doigts touchèrent des poils aussi doux que du velours.
— Carmélia, est-ce que ça va ? demanda-t-il en discernant un mouvement sous sa main.
— Je crois, oui, répondit-elle avec difficulté cependant.
Degenhard tâta le sol terreux à la recherche de sa faux. Il devina plusieurs cailloux rouler sous ses paumes et de la terre se coincer sous ses ongles. À une cinquantaine de centimètres devant lui, il trouva le manche de son arme. Il la planta verticalement dans le sol et s'appuya dessus, ce qui l'aida à se remettre droit sur ses pieds. Les muscles de ses jambes se réveillèrent alors et lui rappelèrent la scène qui s'était déroulée plus tôt. Il avait couru aussi vite qu'il l'avait pu pour s'engouffrer dans la grotte avant que le passage ne se fût refermé.
Il se frotta les tempes en se demandant si cela s'était passé quelques minutes avant qu'il se retrouvât ici, ou si plus de temps s'était écoulé. Il avait perdu toute notion du temps.
Mais ce n'était pas le moment de se poser des questions ni de se reposer. Degenhard sentait de la caillasse tomber sur sa tête et il se pouvait bien que l'éboulement s'ensuivît. Il valait mieux ne pas trop traîner s'ils ne voulaient pas rester bloqués sous les débris.
Il se frotta énergiquement les cheveux pour les dépoussiérer et remonta la capuche de sa cape sur sa tête. Il se concentra ensuite pour éclairer le passage. Il focalisa son esprit sur sa main qui serrait le manche de faux. D'innombrables pensées du récent événement lui revinrent en mémoire et il eut du mal à garder son objectif en vue. Après quelques minutes, il réussit enfin à guider son énergie. Les veines de sa main s'illuminèrent d'une lueur émeraude et bientôt, la magie se déploya le long du manche. Elle descendit jusqu'au sol et s'infiltra entre les roches qui le constituaient. Ainsi, le pouvoir du milicien permettait de voir clairement dans un rayon de quelques mètres.
À côté de lui, Carmélia tentait de se relever. Il se pencha vers elle et lui présenta sa main. Elle fixa un instant ses doigts couverts d'écorchures avant d'accepter son aide. Elle épousseta ses poils et ses vêtements et remit sa chevelure en place.
— On ferait mieux d'avancer, avertit Degenhard en désignant le plafond fragile.
Sa partenaire acquiesça.
Ils se mirent alors à avancer le long du tunnel englouti par les ténèbres, marchant côte à côte. Degenhard tenta de rester concentré sur sa magie pour garder un éclairage constant tandis que Carmélia restait sur le qui-vive. Elle serrait la garde de son sabre aiguisé, prête à se défendre s'ils se faisaient attaquer par surprise. Les passages comme celui-ci étaient très prisés par les bandits qui y installaient souvent leur campement, à l'abri de tous les regards. Ils étaient rarement amicaux. Il fallait donc être vigilant.
Après une dizaine de minutes de marche, ils entendirent un bruit d'eau qui coulait. L'homme ralentit brusquement l'allure jusqu'à s'arrêter. Devant lui, il ne voyait plus sa lumière agir. Il tendit un bras devant sa collègue, l'empêchant de faire un pas de plus.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en voyant qu'il avait le regard baissé vers le sol.
— Une crevasse, répondit-il.
Il frappa le sol avec le manche de sa faux. Il se pencha légèrement en avant et observa. L'onde envoyée dans la roche intensifia l'éclat de la lumière et l'étira sur une plus grande distance pendant un court instant. D'un côté, plusieurs chutes d'eau furent éclairées. Il était difficile de discerner les chemins qu'empruntait la magie quand elle avait parcouru plus d'une centaine de mètres. Ceci permit au milicien d'évaluer la profondeur de la crevasse.
— C'est très profond, annonça Degenhard en se redressant. Et beaucoup trop large pour pouvoir traverser.
— Comment va-t-on faire ? On ne peut pas rester coincés ici ! Il faut qu'on sorte...
Il la regarda avec désespoir. Il n'avait aucune idée à lui proposer. Les sourcils froncés, elle cherchait une issue. Mais aucun moyen ne leur permettrait de traverser un tel fossé. « À moins que nous ne puissions voler... » pensa Degenhard.
Une sorte de grincement attira alors leur attention. Le milicien dissipa sa magie et le noir les engloba à nouveau. Ils se retournèrent et se mirent en position de combat, prêts à attaquer si nécessaire. Plus les secondes passaient, plus le bruit se rapprochait. Degenhard serrait sa faux de plus en plus fort.
Soudain, ils virent une lueur qui s'approchait petit à petit d'eux. Mais ils furent soulagés en voyant qu'il s'agissait d'un mineur de petite taille au visage presque recouvert par une volumineuse barbe. Il portait sur sa tête un casque en fer qui lui-même soutenait une bougie d'où venait la lumière. Dans son dos pendait un gros sac abîmé qui semblait lourd. Il tirait derrière lui une suite de wagons aux roues rouillées qui grinçaient.
La tête baissée vers le sol, il n'avait pas encore remarqué les deux soldats. Ce ne fut qu'au moment où il arriva à quelques centimètres d'eux qu'il les vit. Il leva alors un regard sombre vers eux.
— Tiens, des aventuriers, dit-il en dévoilant des dents en or.
Il ne fit pas plus de commentaires et se remit à marcher à petits pas.
— Attention ! s'exclama Carmélia en se rendant compte qu'il se dirigeait vers le fossé.
Mais il ne semblait pas l'écouter, continuant à marcher. Il s'éleva alors de plusieurs centimètres, comme s'il était monté sur une marche. Il lâcha la corde qui lui permettait de tirer ses wagons et se pencha. Il détacha la bougie de son casque pour la diriger vers ses pieds et alluma une lampe qui éclairait bien plus que la simple petite flamme de la bougie. Carmélia et Degenhard se rendirent compte que l'homme était monté sur un pont de rails qui enjambait le fossé. Il était si long qu'on n'en voyait pas la fin ! Puis le petit homme alluma le phare de son premier wagon et reposa la bougie sur sa tête. Il monta dans son train miniature, s'installa confortablement et attendit.
— Hé bien ? demanda-t-il au bout d'un moment. Je n'aime pas être en retard dans mon travail, alors montez !
De toute évidence, il s'adressait aux deux miliciens. Ils s'échangèrent un regard puis décidèrent de le suivre.
Ils montèrent sur les rails et furent surpris de remarquer que le pont était moins solide qu'il n'en avait l'air.
— En es-tu sûre ? s'inquiéta Carmélia en sentant les rails grincer sous ses pieds.
— C'est le seul moyen de sortir de cette grotte, répliqua son partenaire mais il était tout aussi anxieux.
Finalement, ils grimpèrent chacun dans un wagon à l'arrière. Quand le train se balança de gauche à droite, Degenhard agrippa le bord du wagon, craignant que le pont ne cédât sous leur poids. Mais il n'en fut rien. Les rails restaient bien accrochés entre eux.
Le mineur abaissa alors un levier qui se trouvait dans sa voiture. Les freins se désactivèrent et le train commença à partir. Le démarrage fut cependant secoué, le train avançant par à-coups. Le véhicule fut ainsi conduit jusqu'à la première descente. Degenhard et Carmélia écarquillèrent les yeux en voyant la pente qui était plutôt accentuée et se demandèrent s'ils allaient survivre à cela.
Le premier wagon plongea à une vitesse folle, emportant les autres ! La vitesse augmentait à mesure qu'ils descendaient. Sous les roues, les rails tremblaient si fort que les deux miliciens crurent qu'ils allaient se détacher et qu'ils dégringoleraient jusqu'à s'écraser au fond du fossé !
À cause de la force du vent, Degenhard et Carmélia devaient se cacher les yeux. Mais ils n'eurent aucun mal à voir que plus loin, le chemin de rails s'arrêtait.
Il n'y avait plus rien !
Les soldats s'accrochèrent à leur wagon de plus belle alors qu'ils se rapprochaient du vide. Ils allaient tomber dans les profondeurs obscures de la grotte ! Écouter ce vieillard était la plus mauvaise idée que Degenhard eût eu au cours de sa petite vie !
Ils fermèrent tous les deux les yeux quand ils franchirent les derniers rails.
Degenhard sentait le vent lui caresser le visage sous sa capuche. Il sentait aussi une odeur d'humidité et entendait au loin les cascades d'eau. Il fut surpris que tout cela l'apaisât, rendant son départ vers l'Externam, le monde des morts, des plus agréables.
Puis il y eut un violent choc. Le milicien crut d'abord qu'ils avaient enfin atteint le fond, mais il ne sentait aucune douleur et un courant d'air touchait encore sa peau. Il ouvrit alors les yeux et vit que les wagons étaient toujours attachés les uns aux autres et qu'ils étaient à nouveau sur des rails. Le chemin était à présent plat et leur vitesse diminuait. Puis ils s'arrêtèrent, regagnant la terre ferme.
Le mineur descendit de son wagon et regarda les deux miliciens qui tremblaient encore, continuant à s'accrocher à leurs voitures. Ils descendirent, les jambes toutes flageolantes. Après s'être remis de ce voyage turbulent, ils remercièrent le mineur qui repartait déjà, plongeant dans les ténèbres.
Degenhard et Carmélia se remirent alors en marche. Peu de temps plus tard, ils aperçurent une lueur. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, elle s'intensifiait. Bientôt, ils sentirent la chaleur du soleil et l'air doux de la surface sur leur visage. Ils étaient enfin arrivés au bout du passage !
Ils respirèrent un grand coup. Ici, l'air était totalement différent de celui de Brâkmar ; il était pur.
— Que faisons-nous à présent ? demanda alors Carmélia.
Degenhard soupira avant de répondre.
— Nous sommes épuisés. Que dirais-tu de rejoindre la taverne du village d'Amakna ?
Sa partenaire acquiesça.
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