La carte de visite indiquant que la librairie n’ouvrait qu’à dix heures, je pris le temps d’une bonne douche et d’un petit déjeuner que j’avais prévu consistant. Mais la tension qui montait en moi en perspective de retrouver les trois immortels me coupa rapidement l’appétit et je me contentai d’un double expresso avant de prendre la route.

Bien que je connaisse le trajet pour l’avoir emprunté bien souvent, celui-ci me parut d’une longueur désespérante. Mon GPS me mena dans un vieux quartier enjambant une large colline. Les rues pavées semblaient se rétrécir en s’avançant vers le sommet. Il m’apparut alors que la destination ne serait pas accessible en voiture aussi je me garai et c’est à pied que je m’engageai dans le labyrinthe qui devait me mener jusqu’à l’échoppe. Les édiles de la ville avaient dû s’mauser lorsqu’ils avaient nommés ces ruelles des noms d’Icare, Dédale, Minotaure ou autre Cnossos. Enfin après une dizaine de minutes d’errance, un escalier sinueux et mal pavé me mena jusqu’à mon but.

Je me retrouvai devant une antique façade à colombages de quatre étages. Celle-ci ne comportait pas vraiment de vitrine, mais trois fenêtres blanches en bois et à petits carreaux qui semblaient vouloir s’enfoncer dans la devanture ocre. Quelques livres anciens garnissaient ces embrasures laissant deviner la nature de la boutique. La porte aveugle en bois sombre et épais semblait destinée à décourager tout visiteur impromptu.

Je m’en approchais cependant et saisis la poignée. Celle-ci me sembla rugueuse et malgré mon insistance refusa de bouger. M’attendant à un accueil semblable à celui de la boutique de la rue de l’Egalité, j’en fus à la fois surpris et décontenancé. J’avisais alors un heurtoir que je cognais en produisant un son suffisamment puissant pour ébranler l’huis.

Ce premier coup resta sans effet. Me souvenant du temps qu’il avait fallu à la vieille Hydna pour apparaître dans l’autre boutique, je n’en fus pas étonné. Je fis une nouvelle tentative aussi infructueuse, puis une troisième. Je m’apprêtai à réitérer l’opération lorsque la porte s’ouvrit lentement. Enkidu apparut alors les traits encore marqués par les efforts qu’il avait dû faire pour ouvrir la très lourde porte. Me voyant, son expression afficha sa surprise :

• Oh, Harold, toi ici ! me dit-il. Nous ne t’attendions pas, quelle surprise ! Mais entre donc.
• Bonjour Enkidu, lui répondis-je. Je suis content de vous revoir en pleine forme. Il semble vraiment que le temps n’ait pas d’effet sur vous.

À peine avais-je fini ma phrase que son absurdité m’apparut. Comment un immortel pourrait-il être altéré par l’inexorable écoulement des jours ?

Pénétrant dans l’échoppe, j’y retrouvai une organisation proche de celle que j’avais déjà découverte il y a deux ans. Il ne me sembla pas que le nombre de livres avait notablement évolué, même si quelques-uns semblaient porter une reliure récente.

• Je suis actuellement seul dans la boutique, Hydna et Télémaque ne devraient pas tarder à rentrer, me dit l’ancien.

Effectivement, à peine avait-il fini sa phrase que ses deux compères surgirent dans l’entrée.

• Waow, Harold ! Je suis super content de te revoir, s’exclama aussitôt Télémaque. Quelle surprise ! Que nous vaut ta visite ?
• C’est vraiment une surprise, reprit la vieille femme. Nous n’avons pas l’habitude de revoir vos voyageurs, une fois leur odyssée terminée. Mais tu es le bienvenu. Tu n’habites pas très près d’ici. Je suppose donc que ce n’est pas un hasard si tu es là ce matin. Dis-nous tout.
• Effectivement, chère Hydna, dis-je. Je suis venu exprès pour vous revoir. J’aimerais repartir au Etats des Saisons Eternelles.
• C’est donc cela, me répondit-elle. Mais je crains malheureusement que cela ne soit pas possible.