Il trouve finalement refuge dans les couleurs du paysage qui le rassure. Cet endroit calme et délaissé de tout superflu le détend. Il trouve ça simple et joli. S’il avait eu de quoi dessiner, il aurait croqué ce relief sur un papier afin de le ramener à… à qui déjà ? Qui aurait aimé voir son dessin ? Il ne sait pas. Qui compte réellement dans sa vie ? Personne. Ses parents ne sont plus de ce monde. Il n’est pas retourné dans son village depuis. Le reste de sa famille vit sans lui et lui sans eux. La cour du Roi est un univers superficiel où les autres chevaliers sont ses rivaux. Son travail est solitaire et dangereux. En outre, les gens qu’il croise par-ci par-là sont des étrangers. Bref, il côtoie exclusivement sa jument qu’il n’a plus aujourd’hui. Voilà donc une triste réalité qu’il est forcé de constater tel un isolement malgré lui auquel il s’est habitué.

Après moult réflexions, il sait désormais qu’il aurait souhaité rapporter ce dessin à Solène. Qui d'autre sinon ? Son amour platonique revient sans arrêt sur le devant de ses pensées. Une chose est sûre, si ces prochaines heures sont ses dernières, au moins, il se réjouit de les passer en bonne compagnie et dans ce lieu merveilleux.

L’effet hallucinogène du cactus semble s’amenuiser petit à petit. Allongé sur le sable chaud qui lui chauffe le dos, il se conforme à l’agréable lenteur du temps présent. Il a affronté tant de nouveaux dangers ces dernières heures que rien ne pourrait le surprendre. Il aimerait juste se débarrasser de cet affreux goût en bouche et en échange boire un verre d’hypocras doux et sucré. Cette boisson lui rappelle les fastes banquets auxquels il assistait lors de ses nombreuses aventures, les rares moments festifs de son métier.

Il se demande la vie qu’il aurait pu mener s’il avait renoncé à sa carrière de chevalier. Des images plus vraies que nature lui arrivent en tête. Il imagine une simple maison, des meubles en bois, des carreaux de terre cuite au sol, une odeur appétissante de ragoût mijotant dans la marmite, du bon pain frais posé sur la table, un jardin potager, des enfants riant et courant dans les allées. Il aurait pu devenir jardinier ou plutôt… troubadour ! Oui, et il réciterait des vers à la belle Solène avec qui il se serait marié par une magnifique journée d’été. D’ailleurs, un petit poème arrive sur les chapeaux de roues et se déclame ainsi :

« Mes yeux assoiffés se promènent

sur ta charmante dégaine.

tel un passionné coyote

Tu me ravigotes

Tes yeux couleur bois d’ébène

m’hypnotisent et m’entraînent

dans une danse qui tournicote.

Je cherche l’antidote

Mon cœur longtemps en quarantaine

bat jusqu’à en perdre haleine

mon estomac papillote

j’ai envie qu’on papote

AAAHHH, ma belle Solène !

Oserais-je te dire je t’aime ?

Donne-moi donc ta menotte

que je la bécote. »

Ravi de sa prose, le sourire aux lèvres, Théobald se laisse bercer dans une douce flânerie. Apaisé par ses pensées bienheureuses, il imagine que son âme finira par sortir de son corps et s’élever dans le ciel. Cependant avant de s’envoler, il a une subite envie de se rouler dans le sable.

Il tâtonne le terrain de ses mains, ça alors… le sable a disparu. C’est étrange. À la place, il semble toucher de l’herbe. On dirait que le vent se lève, car il a reçu en plein visage de la… terre. Un « HIIIIIII ! » s’entend tout près. Ce bruit lui est familier. Il n’en croit pas ses oreilles. Serait-ce sa jument ? Comment a-t-elle fait pour le débusquer dans cet endroit si isolé ? Grâce à son odorat, c’est sûr. D’ailleurs, la forte odeur d’animal lui ravive les narines. Théobald finit par sortir de sa rêverie en écarquillant les yeux. « WHAAAOU ! » C’est bien elle !