Télé-chat

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C’était un banal soir comme les autres. Une journée harassante, le retour sous la pluie, le mauvais temps au rendez-vous et une énorme flemme qui m’avait poussée à me réfugier sous un amas de plaids.

Je profitais du calme ambiant, mon petit chaton ronronnant au creux de mes bras, quand soudain, la porte donnant sur le monde extérieur s’ouvrit avec fracas.

  • J’ai faim !!! hurla une fille hystérique à l’autre bout de l’appartement.

Je levais si haut les yeux au ciel que ça me fit mal. De mauvais gré, j’entrepris donc de quitter mon confortable canapé pour nourrir la copine affamée. Elle venait juste de rentrer, de jeter son bardage en vrac dans l’entrée et sautait déjà dans la douche. Comment a-t-elle réussi à se déshabiller si vite ?

Un regard aux aiguilles de ma montre, il n’est que 19h30. Je soupire et prends place aux fourneaux. Tout en agilité, je me hisse sur la pointe des pieds pour atteindre les casseroles dont j’attrape un vieil exemplaire datant du siècle dernier.

« Tss. » Elle est toute cabossée et intégralement faite en acier, même la poignée. Il ne faudra pas que j’oublie la manique quand elle sera chaude, au risque de me brûler. La voilà rapidement remplie d’eau et mise sur le feu. Dans la foulée, je cherche des pâtes à cuire tout en me demandant pour la millième fois pourquoi je garde cette antiquité.

Une douce mélodie s’élève dans les airs, un sourire naît sur mon visage. C’est mon moment préféré de la journée, quand mon aimée chante sous la douche. Son répertoire musical se compose en majorité de variété française ; Jean-Jacques Goldman, Michel Sardou, Georges Brassens, Brel et Cabrel !

L’écouter chanter m’apaise, je réalise quelques pas de danse sur du Marc Lavoine en dégelant deux cordons bleus. Entre-temps, le chat vient se frotter à mes jambes, il ronronne tout son saoul, lui aussi commence à avoir faim. Je grogne, le repousse du gros orteil tout en manipulant spatule et couteau. Deux tomates tranchées en fines lamelles avec persil, sel, poivre et huile d’olive en entrée ; des pâtes et cordon bleu en plat principal et le reste de ma tarte faite avec les dernières pommes de la saison en guise de dessert. Un menu simple, mais efficace.

J’admire mon travail, les poings sur les hanches au milieu de la cuisine. Il ne reste plus qu’à attendre que ça finisse de cuire, il en restera un peu pour demain midi, je mettrai tout ça dans des Tupperware.

Oli revient à l’assaut, elle prend des risques inconsidérés pour avoir sa pâtée, je manque de l’écraser plus d’une fois ! Je claque des dents pour lui faire comprendre ma désapprobation, mais lui donne quand même à manger, surtout pour avoir la paix.

Quelques minutes plus tard, tout est prêt. J’installe la table, pas question de manger encore une fois comme des sauvages sur le canapé, ou sur le lit ! Je dresse assiettes et couverts sur la nappe bleutée et m’installe. Je pousse à mon tour un cri guttural pour lui faire savoir qu’elle peut ramener son joli popotin.

  • Oui oui ! J’arriiiive ! crie-t-elle depuis la chambre.

En l’attendant, je croise les jambes et pianote sur mon téléphone. Je flâne sur deux-trois applications, soupire en me disant qu’il faudrait cette semaine écrire l’histoire du Brad’ avant dimanche soir à 21h. Enfin, du bruit m’indique qu’Hélène vient de pénétrer la salle de séjour. Sans prendre la peine de la regarder, je pointe du doigt l’étagère avec nos films, puis l’ordinateur posé non loin.

[ Tu veux regarder quelque chose ? ]

  • Non ! J’ai mieux ! réplique-t-elle sur un ton espiègle.

Avant que je ne réagisse, elle prend place à côté de moi et pose un carton vide avec un trou sur l’une de ses faces devant nous. Je hausse un sourcil interrogateur, elle me retourne un regard malicieux et… se penche pour récupérer le chat se baladant entre les pieds de nos chaises.

  • Regarde bien… dit-elle en mettant l’animal dans le carton.

Elle commence à manger, je l’imite sans saisir où elle veut en venir. Elle a les yeux rivés sur la boîte, je l’imite et y voit le regard pétillant d’Oli nous observer depuis l’ouverture faite dans le carton. Hélène tapote du bout de sa fourchette sur le sommet, une patoune poilue tente aussitôt de l’attraper, sans succès. Il ne reste que ses oreilles qui dépassent, puis plus rien. Du bruit provient d’un côté, puis de l’autre. Le carton bouge tout seul, le chat s’agite, sans essayer d’en sortir. Hélène revient à la charge, approche son annulaire du trou découpé au couteau. Au début, rien, puis elle se fait soudain attraper par Oli qui vient de plonger à demi hors de son repaire. Elle semble si fière d’elle, ça nous fait rire toutes les deux.

Je me rends compte que je n’ai pas encore touché à mon plat.

Oli retourne dans sa boite, Hélène commence à manger en pouffant de rire. Curieuse, c’est moi qui asticote le chat maintenant. Je fais passer un fil par-dessus la boite, notre petit animal tente de s’en saisir. Elle joue avec un rien, ça m’étonnera toujours. J’éloigne la prise, elle bondit hors de la caisse pour l’attraper, je lui abandonne et la laisse ramener la ficelle dans sa boite.

  • J’ai inventé un nouveau concept de divertissement, énonce Hélène, la bouche pleine de nourriture. J’ai appelé ça... du télé-chat !

Je la regarde, partagée entre la prendre pour une timbrée, ou bien une génie. Elle me donne un coup de coude, mes pensées n’ont pas de secrets pour elle. Je la menace de mon couteau par vengeance, rien d’anormal jusque-là. Nous finissons tranquillement de manger, le regard rivé sur le carton et le chat qui y joue.

Il y restera bien après la fin du souper, et les jours qui suivirent.

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