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Iroël soutint le regard cristallin sans coup férir. Un immense sourire s’étala sur son visage, étincelant de blancheur sur sa peau halée.
– Pourquoi ? répéta-t-il. Pour tester. (Il récupéra le masque d’un geste vif et le contempla avec amour.) Et ça marche. Ça marche vraiment.
Il releva les yeux sur les deux filles, qui se souvinrent aussitôt du désespoir qui l’avait habité face à ses échecs antérieurs.
– J’ai enfin réussi. J’ai réussi à fabriquer… à faire une métamorphose rapide.
– Mais pourquoi tu as testé sur Greg ? vociféra Blanche sans s’appesantir sur son succès. Le pauvre ! Est-ce qu’il a souffert ? (Elle tapota la cuisse du chat, qui s’agitait toujours spasmodiquement). Aegeus et Aaron ont failli le tuer, en plus !
– T’es complètement inconscient ! renchérit Cornélia en le trucidant des yeux. Aaron a raison ! Et c’est quoi, un nekomata ? Ce truc a failli foutre le feu au tapis !
Iroël se frotta la nuque, gêné de recevoir les foudres de tous les autres occupants de la pièce.
– La métmorphose fait pas mal, dit-il seulement. Mais les nekomata ont mal tout le temps. C’est des chats blessés. (Il leva les yeux vers les sœurs, suppliant.) Il aurait dû être maneki-neko, un chat du bonheur. Je suis désolé.
– Les nekomata sont des démons japonais, des yokai très dangereux, maugréa Aegeus en se laissant tomber sur une chaise. Des créatures maltraitées, qui souffrent éternellement et se vengent des humains. Et effectivement, il aurait pu foutre le feu à la baraque. Les maneki-neko sont leur opposé, ce sont des porte-bonheurs très rares. (Il haussa la voix en transperçant Iroël du regard.) Mais vu la gueule de ce chat, n’importe qui aurait deviné le résultat ! Sauf toi, imbécile.
Cornélia soupira, hésita un instant, puis raffermit sa voix.
– D’accord. Iroël, félicitations pour ta réussite. Et maintenant, tout le monde dehors.
Les trois garçons levèrent la tête brusquement, dans un bel ensemble.
– Quoi ? hésita Iroël en lui faisant ses yeux de chien battu.
– Cornélia ! protesta Blanche.
L’aînée mit les mains sur les hanches dans l’espoir de se donner un air plus imposant.
– Vous avez bien entendu. Y en a pas un pour rattraper l’autre, décidément ! Sortez de chez nous et emmenez vos masques et vos mitraillettes une bonne fois pour toutes !
Elle n’eut aucune difficulté à soutenir le regard d’Iroël, puis celui d’Aaron. Aegeus lui donna un peu plus de fil à retordre. D’abord parce qu’il la surplombait de quinze bons centimètres ; ensuite parce qu’il souriait ouvertement. Elle le fusilla des yeux. À cet instant, elle était trop furieuse pour faire grand cas de ses menaces.
– Vous prenez trop de place ici, dans tous les sens du terme ! C’est vraiment la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Allez-vous en. Vous vous rendez compte qu’on a une vie normale à retrouver, des voisins à ne pas rendre sourds, un appart’ à ne pas démolir et un pauvre chat qui n’a rien demandé ?
Aegeus allait encore l’envoyer sur les roses. Le sourire de l’homme s’élargit et elle sentit son sang se mettre à bouillir dans ses veines. Pourquoi ne pouvait-elle rien contre cet immonde squatteur ?
Parce qu’il doit avoir la force de dix hommes et que toi, tu es une espèce de brindille toute faible et dépourvue d’autorité.
– Quels voisins ? fit-il d’une voix mielleuse.
Habile rappel de sa part, mais elle n’allait pas si vite courber l’échine.
– Il reste ceux d’en haut, rétorqua-t-elle en lui faisant les gros yeux. Allez faire votre… magie et vos trafics d’armes ailleurs !
– Corny, Corny, susurra-t-il en penchant la tête de côté. Dégage Iroël si tu veux, après tout, c’est un con et il sert à rien. Mais moi, je vous ai offert des gâteaux dont vous vous empiffrez et je vous ai fait vos courses – fais pas cette tête, tu peux vérifier, votre frigo est plein. J’essaie de rendre ça agréable pour toi. J’essaie vraiment. Tu pourrais m’offrir un sourire pour me remercier, non, plutôt que gueuler sans arrêt ? Je ne crois pas t’avoir déjà vue sourire une seule fois.
Elle suffoqua de honte, les joues brûlantes. Non seulement ce salopard lui faisait du charme pour lui faire perdre ses moyens, mais il fallait en plus que ce soit une réussite totale !
– Tu n’es qu’un…
Des coups sourds frappés à la porte la coupèrent dans son élan. Il y eut un grand silence.
Puis elle comprit que la fin du monde était en marche.
Oh, misère, pas lui ! Pas maintenant !
Un instant tétanisée, elle recoiffa fébrilement sa tignasse en un réflexe idiot, tandis que Blanche poussait un gémissement derrière elle.
– Non, non ! Pourquoi maintenant ?
– Je t’avais dit de faire le virement hier ! l’accusa Cornélia, qui cherchait des yeux une cachette adéquate pour camoufler son mètre quatre-vingts.
– Mais je l’ai fait ! se lamenta la blondinette. Bon, d’accord, je l’ai plutôt fait ce matin… Tu sais bien qu’il faut deux jours pour que la banque le valide ! C’est pas de ma faute si le proprio est à cheval sur…
Les coups redoublèrent à la porte. Médusés, les trois garçons observaient leur manège. Les yeux de Cornélia passaient des mitraillettes à la hase carnivore, puis de la hase carnivore à l’homme aux écailles. Celui-ci haussa les sourcils dans sa direction.
– Hé, vous pensez vraiment que je vais aller ouvrir à votre place ?
– Il ne faut pas ouvrir ! intervint précipitamment Blanche.
– C’est le proprio, chuchota l’aînée en enfouissant sa figure dans ses mains. Y a que lui qui frappe alors qu’on a une sonnette. Nom d’un chien, je savais que ça allait finir par arriver… On a quelques jours de retard dans le paiement du loyer et… l’appart’ est dans un état… Mes aïeux, s’il voit ça, on est mortes ! On n’a même pas le droit d’avoir de chat… Bon, c’est pas grave, il pensera qu’on n’est pas là. Bougez pas, surtout, hein ! Faites pas de bruit…
– Mesdemoiselles Echo, je sais que vous êtes là ! dit une voix bourrue à travers la porte. Je vous rappelle que l’insonorisation de l’immeuble date des années 80 ! J’ai beaucoup de locataires à voir, ouvrez-moi vite.
Les sœurs se statufièrent jusqu’au bout des orteils. Aegeus hésita un instant sur la marche à suivre. Il recoiffa ses mèches folles d’un geste nonchalant, puis interrogea l’aînée du regard.
– Tu veux qu’on lui casse la gueule ?
Blanche ouvrit des yeux ronds.
– Quoi ?! piailla Cornélia dans un souffle suraigu. T’es dingue ou quoi ? Non !
– D’accord, reformulons : tu veux que je lui dise d’aller se faire f…
– Non non non, je t’interdis d’aller ouvrir cette porte ! C’est chez moi ici, écoute ce que je…
Elle l’entendit grogner.
– Mila dieus… ‘Faites pitié.
Ses pas traversèrent le salon, puis se dirigèrent vers l’entrée. Mortifiée, Cornélia se précipita derrière lui, avant de se figer net quand il ouvrit la porte.
Merde ! Merde !
– Bonjour, dit-il d’une voix joviale.
Elle eut envie de disparaître dans un trou de souris.
Puis vit la tête que faisait le propriétaire.
Cornélia s’était habituée à la taille impressionnante d’Aegeus, mais le pauvre bougre moustachu ne devait pas souvent faire face à un lascar de deux mètres de haut parsemé d’écailles scintillantes.
– Oh, euh… hésita le quadragénaire.
Soudain, il paraissait regretter d’avoir frappé si fort. Aegeus eut un sourire de requin. Séduisant, plein de dents, et particulièrement terrifiant.
– Oui ?
-- Un dessin de nekomata vous attend dans les commentaires :D
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