Retiens-moi
Black out.
Encore. Et encore.
Je me noie dans les profondeurs chaudes de l’orgasme qui m’enveloppent étroitement et dont je ne voudrais pour rien au monde me libérer.
Mais mon corps crie grâce. Tous mes muscles se relâchent et je m’effondre sur le matelas. Je suis désorientée. Epuisée. Comme si chaque cellule de mon être capitulait et décidait de s’accorder un instant de repos. Je me sens bien. J’ai envie de rire, ivre de ce bonheur simple qui ne pose aucune question.
L’homme qui m’a menée à cet état de plénitude me serre plus étroitement contre lui, embrassant le coin de mon œil d’où s’est échappée une larme de plaisir. Seigneur, c’était tellement bon…
Son nez se perd dans mes cheveux alors que je me blottis dans ses bras. C’EST tellement bon.
— Je ne vais pas partir, tu sais ? murmure-t-il tout à coup.
Quoi ?
Je me fige. J’ouvre les yeux. Son regard plonge dans le mien. Il caresse ma joue. Son sourire exprime une bienveillance et une tendresse inattendues.
— Ils sont vraiment cons, ceux qui sont partis.
Il soupire et cale sa tête au creux de mon cou. Je ne dis rien, trop abasourdie pour réagir. Mes doigts glissent distraitement dans ses cheveux alors que ses paroles rebondissent encore en écho dans mon esprit embué. Ce n’est rien, juste des mots. Je sens ma lèvre se mettre à trembler et ma gorge se serrer.
Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi il me sort ça là, maintenant ?
J’essaye de garder le contrôle, alors même que j’ai l’impression de prendre brusquement de plein fouet tout le poids de ces dernières années. Le bilan de mes échecs remonte à la surface et déferle dans ma tête comme un raz-de-marée, submergeant les fragiles digues que j’ai érigées pour me protéger et oublier toute cette merde.
Ma poitrine se soulève et s’affaisse plus rapidement qu’elle ne devrait. Je serre les dents. Retiens-toi ! Ne lui montre rien ! Mais rien n’y fait. Les larmes se mettent à couler le long de mes joues. Jusque dans mon cou.
Il ne bouge pas. Je l’entends chuchoter avec douceur :
— Ne te retiens pas. Lâche tout. Je ne te jugerai pas.
Il a à peine fini sa phrase que j’éclate soudain en sanglots incontrôlables. Il me berce, ses lèvres contre ma tempe. Terrifiée par ma réaction, je m’essuie les joues avec force, comme si cela pouvait stopper le flot indomptable de mon chagrin. J’ai honte de me laisser aller ainsi en sa présence. Et paradoxalement je ne crois pas avoir déjà ressenti un tel soulagement à pleurer dans les bras de quelqu’un qui m’y autorise et m’y encourage.
J’ai l’impression, très confuse, que quelque chose tente de se déverrouiller en moi, sans vraiment y parvenir. Je me sens complètement dépassée par les évènements, par ces émotions, par cette complicité. Par lui.
— Je suis là, ma belle. Ne t’inquiète pas. Je te l’ai dit, moi je ne vais pas partir.
Je voudrais lui répondre quelque chose, n’importe quoi, mais je n’y arrive pas. Les mots s’étranglent dans ma gorge. Au-delà de ce bien-être que je ressens quand je suis avec lui, c’est la peur qui est installée en moi et parasite tout le reste.
Oh oui cette peur profonde… d’oser caresser du bout des doigts l’idée que, peut-être, après toutes ces épreuves, je mérite d’être enfin heureuse… la peur d’y croire… de me laisser submerger par quelque chose qui me dépasse… et que finalement rien de ceci ne soit réel ou authentique… de m’investir… et de tout perdre à nouveau.
Quelle ironie du sort… J’ai passé des années à mépriser les hommes qui avaient peur de leurs sentiments. Et voici que face à lui c’est moi qui flippe comme une conne.
J’aimerais tellement te croire, si tu savais. Mais je ne peux pas. Oui, ils sont partis. Et il n’y a rien, absolument rien, qui peut me convaincre que tu ne finiras pas par faire de même.
Comme tout ce qui a un début a une fin, les histoires d’amour débutent, et puis un jour… se finissent.
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