4. Prise de contact

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Ma mère avait été pimpante toute l’après-midi. Pour elle, une poupée était une jeune femme de toute beauté. Que je le devinsse ne pouvait qu’être une fierté. Voir sa joie enfantine rayonner, adoucissait le déplaisir que j’avais à aller m’exhiber devant un inconnu. La comparant à une enfant, je me dis qu’une année, je ferais mieux de lui offrir une troisième poupée.

La fin d’après-midi était arrivée un peu trop vite. J’avais l’estomac noué. Les cheveux couverts sous une charlotte plastique, je quittai la douche, parfumée par le savon imposé par ma mère. Je m’essuyai les épaules et jetai la charlotte vers la cabine. Je passai le sèche-cheveux cinq minutes sur ma peau pour effacer la moindre trace d’humidité et renfilai le kimono de soie. Ça devait être le quotidien des prostituées de luxe, songeai-je en refaisant la coiffure de manière à draper mon profil droit de mystère, et laisser l’oreille gauche dégagée en signe d’ouverture. Maman surgit :

— T’es prête ?

Elle soupira aussitôt et ôta un cheveu qui reposait sur mon épaule.

— Je peux mettre une culotte ?

— Non, un sous-vêtement révèle le caractère d’une personne. Ça va l’influencer. Allez, en voiture ! Et n’oublie pas ton CV.

Je descendis les escaliers pieds nus, les glissai dans les escarpins. Je saisis la pochette carton contenant mon CV. Uniquement vêtue du kimono qui s’arrêtait à mi-cuisse, je quittai la maison. Malgré le mois de juin, l’épaisseur du satin ne tenait pas chaud. Je me contentai d’éviter le regard du voisin, ma pochette en carton contre la poitrine, en rejoignant le SUV noir. Maman était maquillée, des longues boucles d’oreilles pendant à côté de son sourire béat. Elle portait un tailleur noir sur-mesure, et me faisait l’impression d’une femme s’apprêtant à vendre un appartement, et qui m’en vantait le confort.

— Tu vas voir. Ce sont des soirées vraiment agréables. On y rencontre des gens charmants, ça se fait dans un esprit des plus sains.

— Je sais, je sais.

Je pris place en prenant soin de garder la tenue plaquée sous mes fesses. Je ne savais plus quoi répondre tant de fois elle m’avait dit la même chose sous différentes tournures. Elle démarra et m’avertit :

— Arcan peut paraître assez austère comme ça. C’est quelqu’un de très sérieux dans son travail, perfectionniste. Il a sa réputation. Je suis certaine qu’il peut devenir un très dangereux rival pour moi s’il a une poupée avec ton physique.

— Je verrai, Maman.

— Tu enlèveras tes lunettes quand il te regardera.

— Oui, Maman.

La route fut longue, la nervosité grimpante. Je ne savais pas si je ressentais le stress pudique de me dénuder devant un inconnu, ou le stress de décevoir ma mère.

Nous arrivâmes en ville, au pied d’un grand immeuble de cinq étages. Les pigeons déguerpirent au son de nos talons. Nous grimpâmes les trois marches de granit qui longeaient la façade puis passâmes la lourde porte. Maman sonna à l’interphone et une voix grave répondit :

— Oui.

— C’est Sculpturine et la candidate.

— Quatrième gauche. Ascenseur en panne.

C’était plutôt bref comme accueil. Le genre qui laissait entendre qu’il n’avait pas de temps à perdre. Cela boosta l’anxiété de ma mère qui poussa la porte déverrouillée pour rejoindre l’escalier.

— Surtout, tu ne m’appelles pas Maman devant lui.

— Non.

Les marches étaient en bois, bancales, et les monter en talons fut un vrai supplice. Enfin nous parvînmes au quatrième étage. Une chaise vide en fer forgé attendait devant la porte, laissant supposer que les rencontres de candidates s’enchainaient. Maman sonna, la main tremblante. Elle me confia en expirant :

— Je suis nerveuse.

La porte s’ouvrit sur un type qui n’avait rien d’un jeune homme. Il tenait plus du légionnaire que de l’artiste gay que je m’imaginais. Il avait sans doute la quarantaine, les tempes largement dégarnies. Il me toisa d’un regard dur, puis nous fit entrer chez lui. Il portait un t-shirt noir moulant qui révélait une musculature éprouvée. Son cou était robuste, son visage soigneusement rasé et je notai qu’il portait des chaussures et non des pantoufles. La ceinture de costume qui ceignait son jeans avait une boucle assortie à sa montre. Même s’il ne portait pas de costume, sa simplicité cachait un choix méticuleux. Nous passâmes dans un salon moderne, gris et presque triste tant il était rangé et propre. Il nous fit signe de nous placer sur le sofa. Je voulais fuir à toutes jambes, envoyer paître ma mère. Mais maintenant que j’étais là, je me faisais violence en ressassant qu’il y avait dix mille euros à la clé. Je gardai les jambes serrées et le kimono tendu en prenant place à côté de ma mère qui esquissa une politesse :

— Quel joli appartement.

— Oui. Je vous sers un café ?

— Volontiers.

La gorge trop nouée pour boire, je refusai d’un geste de la main. Il s’éloigna vers le comptoir et fit moudre du grain dans un percolateur de bar. Il se servit en même temps que ma mère et lui dit :

— Je crois me rappeler que vous ne prenez pas de sucre.

— Très bonne mémoire.

Il s’assit face à nous, me désigna de la main et déclara :

— Je propose que vous me montriez. Si ce que je vois me plaît, on discutera.

Ma mère plaça sa main dans mon dos pour me faire réagir. Je me levai, les mains tremblantes, certaine de vouloir terminer au plus vite cet entretien pour pouvoir dire que finalement je n’étais plus intéressée. Il se pencha en avant puis cala ses coudes sur ses genoux. Je déposai mes lunettes sur la table basse. L’homme devint une silhouette floue, mais il était toujours présent, et le silence qui nous accompagnaient ne me mettait pas plus à l’aise. Mes doigts dénouèrent avec peine la ceinture. Lorsque mon kimono s’ouvrit, ma mère agacée se leva et le retira de mes épaules. Nue, j’attendis dix longues secondes sans que sa silhouette ne cillât. Lorsqu’un frisson agita ma cuisse, il m’ordonna :

— Tourne-toi d’un quart de tour.

Je pivotai comme une prisonnière devant le photographe de la prison tandis que ma mère buvait son café.

— De dos.

J’obéis.

— L’autre profil.

Je m’exécutai.

— C’est plutôt pas mal. Je veux voir ta pistache, maintenant.

Je cherchai ma mère du regard, pas certaine de comprendre ce qu’il voulait dire. Je pensais les poupées juste là pour porter des tenues minimalistes, pas pour exhiber leurs vulves. Elle murmura :

— Assieds-toi et montre-lui.

Je pinçai les lèvres en m’asseyant sur le bord du canapé, inspirai un grand coup, regardai la lueur du jour par la fenêtre, puis ouvris mes cuisses le plus large possible. Je tins la position cinq longues secondes, et il me dit :

— Pas mal du tout. Tu peux te rhabiller.

Je ramassai mon kimono et le fermai avec hâte. Je le ramenai sous mes fesses, avant de me pencher vers mes lunettes. Je chaussai mes verres et il se redressa sur son fauteuil.

— Merci Sculpturine. Est-ce que je peux m’entretenir seul avec elle ?

Maman finit son café et opina véhément de la tête.

— Pas de souci, j’attendrai sur la chaise.

Je la regardai quitter l’appartement, terrifiée de rester seule avec lui. La porte claqua. Il esquissa un sourire qui lui conféra un côté amical.

— Pas d’angoisse. On va juste discuter à l’abri des oreilles de la concurrence. Tu as apporté un CV ?

J’ouvris la pochette carton et lui tendis le papier sur lequel j’avais effacé mon nom et mon année de naissance. Il croisa les jambes, but une gorgée de café tout en lisant.

— Bac +3, et pas de boulot ?

— Je… J’aurais dû continuer, mais… C’est qu’en fait, ils demandent le permis. J’ai échoué deux fois et ma mère ne veut plus me le payer.

— J’avais noté la ressemblance.

— Non, elle… Ce n’est pas ma mère.

— Alors c’est ta tante, conclut-il.

Il me regarda, attendit une réponse, puis n’en ayant pas, il fit la réponse à ma place :

— Mais vu l’autorité qu’elle a sur toi, je pencherai pour la mère. Loisir, cordes à sauter en compétition ? Ça existe les championnats de corde à sauter ?

— On fait des figures.

— Et jeux vidéo ?

— Je suis un peu geek.

— Qu’est-ce qui te plaît dans le jeu vidéo ? Quel genre de jeux ?

— Beaucoup de jeux d’aventure. J’aime quand y a un univers.

Il me tendit mon CV en me souriant.

— Tu marques un point.

— Je… Je ne pensais pas que ça avait de l’importance.

Il fit une moue et me confia :

— Je n’ai pas envie de costumer ni de maquiller une pimbêche habituée à poser nue pour des magazines, qui pense qu’elle est la mieux foutue du monde, qui prend son cachet et qui s’en va. Pourquoi t’es là ce soir ?

J’hésitai à passer pour la pimbêche qu’il dépeignait. Je restai muette, à la recherche de la bonne réponse. Il me dit :

— Sois honnête. Je m’attendais à voir une fille sûre d’elle qui me tape des poses de mannequin. J’ai face à moi une fille qui tremble comme une feuille.

— Pour l’argent.

— Je me doute que tu ne fais pas ça par exhibitionnisme. Mais que vas-tu faire de ton argent ?

— Payer l’eau et l’électricité que je dois à ma mère et, si je refais une soirée, le permis.

Il esquissa un sourire amusé.

— C’est un peu vénéneux, les relations mères-filles, chez vous.

— Sans doute.

— Du coup, nous avons un ennemi commun. — Il se leva et marcha vers un panneau du salon. — Je trouve qu’il y a dans ta démarche, une forme de courage. Et pour revenir sur l’image un peu exagéré de la pimbêche, je cherche davantage une partenaire qui comprendra mon art.

Il ouvrit le panneau et agrandit la pièce sur une immense exposition de costumes. Ils étaient posés sur des mannequins. La plupart des costumes représentaient des personnages de jeux vidéo. Il me fit signe de le rejoindre alors je marchai jusqu’au milieu de la foule de personnage inanimés. Les costumes leur donnaient vie, avec des matériaux réels. Du côté masculin, je reconnus aisément un Batman, un Dark Maul, des assassins de Mortal Kombat, un Duke Nukem. Du côté féminin se trouvaient nombreuses combattantes de Mortal Kombat, ainsi qu’une Batgirl. Je découvrais la face cachée de l’homme froid, et elle me rassura.

— À mon tour de me présenter. Depuis gamin, j’adore me déguiser, et j’ai pris encore plus goût à concevoir les costumes, à les rendre les plus fidèles et crédibles possibles. Inévitablement, j’ai commencé à faire du Cosplay, puis à me prendre tellement au jeu, que pour ressembler aux personnages, je suis allé jusqu’à me muscler. Le temps passant, on m’a souvent demandé de créer pour les autres. Autant faire des costumes pour les mecs m’ennuyait, autant j’ai beaucoup aimé faire les costumes que je ne pouvais pas porter, ceux des filles. Une année, j’ai fait un costume de Mileena, tellement sexy qu’un façonneur l’a remarqué. C’est comme ça que je suis entré malgré-moi dans le cercle de ce club privé. J’ai été celui qui a fait les costumes qui ont permis à ta mère d’être la meilleure façonneuse.

Il ouvrit un book et me montra une photo de ma mère en manteau long, chapeau haut de formes avec des plumes façon vaudou. Les deux jumelles avaient le visage peint d’un squelette, elles arboraient des colliers d’osselets et des peintures rituelles sur le corps. Mon hôte précisa :

— Les peintures étaient phosphorescentes.

— Vous pourriez travailler pour le cinéma.

— Au début, je ne voulais pas, parce que je voulais que ça reste une passion. Aujourd’hui, j’en vis, mais ce n’est pas ce que je recherche. On me dirait : fais le costume de tel personnage, voici le concept art. Je veux créer mes propres personnages, je veux être un créateur, plus quelqu’un qui reproduit.

— Je comprends.

— Je ne suis qu’un artisan qui travaille pour les façonneurs. Ils amènent leurs idées, leurs croquis, et moi je créée, parfois une seule pièce de leur idée. J’aimerais donc devenir un façonneur complet, concevoir ce que j’ai en tête et l’exposer à leurs soirées. Car ils manquent sérieusement de fantaisie. Ta mère est une des plus inspirées, mais de plus en plus, elle se colle à des resucées de films, ou à des inspirations de telle ou telle culture. Plus je vois ce qu’elle fait, moins je vois d’imagination pure. Paraît-il qu’elle est irréprochable dans la mise en scène. Les jumelles ont dansé pubis contre pubis dans une transe inspirée du vaudou. La musique et l’ambiance ont envoûté tout le monde. Depuis ce jour, elle est considérée comme une reine par les façonneurs.

— Ah.

— J’ai un projet d’œuvres noires qui va tellement détonner avec leurs habitudes, que tous les regards seront tournés vers celle qui les portera. Même sans aucun spectacle érotique. Si ça peut te rassurer, il faudra juste porter le costume.

— D’accord.

— Je ne peux pas en parler tant que nous n’avons pas d’accord.

— Je comprends.

Il m’invita d’une main à repasser vers le salon et referma le panneau derrière nous. Je m’assis, il s’installa face à moi, croisa une jambe et conclut sa présentation.

— Mon parcours, mon projet. Et toi ?

— Moi ?

— Ton parcours, ton projet.

— Et bien, mon parcours c’est celui du CV. Et je ne sais pas vraiment ce que je veux devenir.

— Tu veux devenir une poupée ?

— Je ne sais pas.

— Pudique ?

— Ben… oui et non. Être nue en soi, ça ne me dérange pas. C’est le regard des autres qui me met mal à l’aise.

— Donc pudique.

— Peut-être.

— Tu es myope ?

— Oui.

— Hmmm. Je regardais ton visage pendant que tu tournais et j’avais déjà une idée. T’as une cambrure qui est pas mal et là… À discuter, j’ai plein de pistes à ne plus savoir quoi choisir. Est-ce que tu me ferais assez confiance pour être aveugle.

— Avoir une confiance aveugle ?

Il rit.

— Je me suis mal exprimé, mais oui. On fait porter un masque aux filles pour préserver leur anonymat. Toi tu es gênée par le regard des autres et comme tu es myope, tu aurais besoin de verres qui enlaidiraient mon projet. Est-ce qui si le masque recouvre le haut de ton visage et t’empêche de voir, ça te gênerait.

— Pour marcher.

— Je te guiderai. Avec une laisse peut-être. Oui, ça ne serait pas bête. Ça érotiserait le personnage. J’ai déjà une idée pour le masque.

Il leva les yeux en s’imageant le costume. J’étais complètement perdue, découvrant un homme passionné, qui avait davantage l’amour de la créativité que la perversité. Toutefois, être aveugle et en laisse durant la soirée m’angoissait. Le voyant réfléchir, je savais que son idée allait lui tenir à cœur. Ne pas voir les visages des autres façonneurs me lorgner m’arrangeait. A contrario, l’histoire du spectacle que ma mère réalisait me rendait curieuse. Si je ne pouvais pas assouvir cette curiosité, était-ce la peine ? Mais si son costume m’empêchait de porter des lunettes, c’était dû pareil au même. Quant à passer la soirée à lui tenir son verre, ce n’était pas pire qu’être en laisse. Il restait à espérer que ça ne cachât pas un jeu plus pervers.

Il s’épata lui-même :

— Ça va être génial !

— On dirait.

— Je te sens crispée.

— Mais si je suis en laisse. Je devrais être à quatre pattes ?

— Surtout pas ! Je veux à la fois donner une dimension de soumission et de dignité. Je veux que ton personnage se tienne parfaitement droit avec dans l’attitude tout l’opposé de ce qu’exprimera le costume. Comme si briser ton masque révèlerait un démon. Tu serais comme une reine emprisonnée dans ce masque. Mais si la laisse se brise, ça libère une femme de pouvoir.

Je ne voyais pas comment il comptait rendre ça, mais la passion dans ses mots ne laissait aucun doute sur la clarté de son objectif. Il avait l’air un peu fou, mais pas dangereux. Il était l’opposé de ma première impression, comme un acteur ayant laissé tomber le masque. Il agita son index dans ma direction.

— Tu m’inspires. Si jamais tu acceptes, ton nom de poupée sera Muse.

Je souris malgré-moi et approuvai d’un mouvement de tête. Mais dans mon esprit, ma réponse était définitive et négative. Être aveugle au milieu d’inconnus ne me plaisait pas du tout. Il reprit son air froid de tueur à gage et redressa les épaules.

— Je vais te laisser réfléchir. J’ai l’idée en tête, ma seule condition est que tu portes un masque plein, et donc tu seras aveugle. As-tu des questions ?

Je secouai la tête et répondis pour lui faire plaisir :

— Je vais y réfléchir.

— Parfait. Je vais chercher Maman.

J’opinai du menton en me relevant. Il ouvrit à ma mère qui demanda très anxieuse :

— Alors ?

— Alors si cette demoiselle dit oui, vous avez du souci à vous faire, personne ne regardera vos poupées.

La crispation de mâchoire de ma mère me fit comme un électrochoc. Certes, elle aurait été fière que je devinsse une poupée. Mais sa véritable angoisse était celle de se faire détrôner par le nouveau venu. Depuis qu’elle avait appuyé sur la sonnette, c’était la crainte d’être détrônée qui l’affolait. En lisant cette peur dans ses yeux, mon choix changea immédiatement. Elle me questionna :

— Et pour toi, ma ché… ma chère ?

— Je vais le faire.

Ma mère était livide, j’en jubilais intérieurement. Elle esquissa un sourire puis dissimula derrière sa façade habituelle. Arcan me regarda, surpris de ma rapidité de décision. Il hésita puis demanda :

— Peux-tu revenir demain pour le moulage du visage ?

— D’accord.

— Pas besoin de vêtements de ce genre. Viens même avec quelque chose qui ne craint rien.

— D’accord.

— Bien ! s’exclama ma mère. Je vous l’amène à quelle heure ?

— Huit heures ? Et tous les jours qui suivront. Elle participera à la confection et nous ferons connaissance.

Elle lui tendit la main, pressée de conclure l’accord. Il la serra avant de tendre ses doigts vers moi. J’acceptai la poigne légère et échangeai un regard entendu avec lui. Il voulait tisser une entente cordiale, un partenariat avec moi, pas avec celle qui devenait sa rivale.

Nous quittâmes l’appartement, et ma mère resta silencieuses dans les escaliers, pour ne pas se tordre la cheville. Lorsque nous fûmes dans le hall, elle me confia :

— Je suis surprise que tu aies accepté.

— Pourquoi ?

— Quand tu t’es déshabillée, on aurait dit un petit lapin pétrifié.

Elle poussa la porte, et nous descendîmes les marches de granit. La brise tiède chercha à jouer avec mon kimono et fit frissonner mes jambes. Maman poursuivit :

— Je suis contente que tu aies accepté.

— Tu n’as pas peur de la concurrence ?

— Non. Au contraire. Il faut apporter des idées neuves.

— Tu vas lui voler ?

— Je ne pense pas que nous ayons le même style.

— Et s’il est élu roi des façonneurs ?

— Et bien je serai fière, car ce sera toi sa poupée. La compétition, c’est ce qui nous pousse vers la perfection. Et nous ne jouons pas encore dans la même catégorie.

— C’est-à-dire ?

— Moi je sais ce qui plaît aux autres façonneurs.

Elle ouvrit la porte de la voiture et nous nous installâmes.

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