39. Derniers essais
Je puais la peinture en bombe et le solvant, mais les cuissardes et les épaulettes de Geisha étaient totalement finies. Arcan terminait les prototypes de gants. Il n’avait rien attaché car il lui manquait la mesure des doigts de ma camarade. Fièrement, je lui annonçai :
— J’ai fini. Tu veux un café ?
— Non merci, mais tu peux t’en faire un.
Je m’éloignai de l’atelier, et mis la machine en marche. Lorsque le café eût terminé de passer, Arcan me rejoignit et se laissa tomber sur le canapé. Il ferma les yeux quelques secondes. Inquiète, je demandai :
— Fatigué ?
— Très.
— Pas de café, t’es sûr ?
— Non merci.
— Merde, je t’ai tutoyé.
— Je n’aime pas que tu me vouvoies.
— Mais c’est important pour mon personnage, et puis surtout tant que ce n’est pas officiel entre nous.
Il inclina la tête, la hocha silencieusement, puis questionna :
— Dimanche, tu restes chez Geisha ou tu veux m’accompagner chez mes parents ? Ce n’est pas une demande officielle. On reste employeur-employée.
J’avançai et m’assis à califourchon sur ses genoux.
— Je reste avec toi.
— Ne crois pas que je ne saisis pas la chance que j’ai, mais je veux que nous nous connaissions un peu plus avant de s’afficher devant ma famille.
— Ils doivent avoir des doutes.
— Tant que ça reste des doutes.
Je posai ma bouche sur ses lèvres et souris :
— T’as de la chance de m’avoir ?
— Je n’ai aucun pote qui sort avec une fille aussi jeune, aussi belle, et d’aussi agréable compagnie.
Je rougis, puis m’étonnai pour le charrier :
— T’as des potes ?
— Tu les rencontreras.
L’interphone vibra. Alors j’allai ouvrir. Il jeta sa tête en arrière et ferma les yeux deux minutes, le temps pour notre acolyte de grimper les marches. Elle afficha le même sourire radieux en m’apercevant qu’Arcan lorsqu’il m’ouvrait la porte. Elle me demanda :
— La journée a été ?
— Tu n’as pas idée. Ton costume est presque fini.
Arcan se leva.
— Bonsoir Geisha.
— Bonsoir Monsieur.
Il la fusilla du regard. Je lui dis :
— Restez assis. Je vais chercher le costume. Geisha, mets-toi à l’aise.
Je partis récupérer les trois parties du costume de ma camarade et revins alors qu’elle terminait de se dénuder complètement. Je posai les cuissardes, puis présentai le harnais. Geisha tendis les bras au-dessus du sol et me laissa faire. Arcan se pencha, les coudes en appui sur les jambes et suivit attentivement l’habillement. Une fois la cotte de maille sur le buste, Geisha s’assit sur une chaise face à Arcan et me tendit les jambes l’une après l’autre. Les cuissardes enfilées, je me plaçai derrière elle pour nouer ses cheveux. J’observai l’air inquiet de mon amant qui espérait que son ouvrage rendît bien. Je posai alors délicatement le masque sur le front dégagé de Geisha. Des vitres noires masquaient son regard, et l’expression de supplice dessinée par les sourcils faisaient son effet. Au lieu d’une longue tignasse, les chaînes étaient maintenues autour de deux baguettes en inox, comme les coiffures traditionnelles japonaises. De la main, Arcan lui fit signe de se lever. Elle avança d’un pas, faisant heurter le bord des deux cuissardes entre elles. Arcan serrant les dents, tourna autour d’elle avec un regard critique. Même Geisha n’osait pas parler tant il était plongé dans ses réflexions. Pourtant, la réussite était totale. J’aimais beaucoup le chapeau dans le dos, il détournait le regard vers la seule choses nues : ses fesses. Je fis part de mon avis :
— C’est super inspirant.
— On va découper l’intérieur des cuissardes pour ne pas qu’elles frottent.
— Hormis le bruit, c’est réussi, non ?
— Va chercher les anneaux et les gants.
Je me hâtai, puis nous assemblâmes les gants sur les mains de Geisha. Lorsque nous eûmes terminé, il déclara :
— Je vais faire les soudures, commandez à manger.
Il s’éloigna, tandis que je parcourais son téléphone pour récupérer le numéro du traiteur indien. Geisha me dit :
— Tu me prends la même chose que mardi.
— D’accord.
Geisha ramassa son téléphone resté dans la poche de son pantalon et se prit en selfie le temps pour moi de passer la commande. Lorsque je revins, elle me confia :
— J’aime beaucoup. Et encore, il manque le maquillage. T’en pense quoi ?
— Honnêtement, je te trouve très attirante, pour une fille.
Elle sourit en se rapprochant d’un pas chassé, alors je posai mes mains sur sa taille. L’art d’Arcan avait quelque chose d’ensorcelant. Geisha était à la fois étrange et sensuelle. Notre façonneur revint de l’atelier les mains vides puis récupéra une pochette carton en nous demandant :
— Vous avez commandé ?
— Oui, répondit Geisha.
— J’ai préparé des dialogues. Il ne s’agit pas de les prononcer mot pour mot, mais d’être dans le ton lors de la soirée.
Geisha et moi nous assîmes côte à ôté sur le canapé et prîmes connaissance du court échange qui devait se dérouler et qui suivait la trame chorégraphique de la veille.
Ce soir-là nous répétâmes les dialogues qui sonnaient faux avec notre mise en scène un peu robotique. Je n’éprouvais aucun désir particulier, ne ressentais aucun érotisme à effleurer la nudité de Geisha, aussi belle était-elle dans ce costume. Arcan ne disait rien, mais je sentais sa frustration de nous voir si mauvaises actrices. Lorsque le livreur sonna à l’interphone, il soupira :
— Rhabille-toi, Geisha.
Elle s’éloigna vers la salle de bains avec ses vêtements. Je dis à Arcan :
— Je te promets qu’on sera au top samedi.
— Je vais rectifier les cuissardes demain, et je dois aller voir un client. Tu pourras rester et travailler avec elle. Nous nous reverrons samedi. Il faudrait que tu arrives avant elle pour que tu sois prête avant. Sinon, nous n’arriverons pas avant vingt-deux-heures là-bas.
Sentant que je n’avais pas le choix, je lui dis :
— Comme vous voulez.
Il ouvrit la porte et attendit le livreur.
Ce soir-là, je n’eus aucune envie de répétition secrète avec Geisha. Nous arrivâmes à son appartement. La fatigue de la semaine la rendait moins locace chaque jour. Pendant que je revêtais mon pyjama, Geisha se déshabilla, enfila sa robe en plaid et se tourna vers moi. Elle la leva au-dessus du bassin en balançant des hanches.
— Toujours pas envie de t’entraîner ?
— Non. Je me garde pour le grand soir.
Elle s’approcha, posa ses bras autour de mon cou.
— Fatiguée ?
— Un peu.
— Je peux dormir avec toi ?
Me retrouvant dans la situation d’Arcan et moi ce midi, je posai mes mains sur ses fesses nues. Elle insista avec des yeux de cocker. Je la suppliai :
— Tu ne me donnes pas de coup de pieds ?
— Non.
Je m’assis avant qu’elle n’eût envie de faire déraper l’étreinte et elle se glissa à côté de moi. Je lui demandai :
— Tu n’éteins pas la lumière ?
Elle soupira, se leva, appuya sur l’interrupteur et revint. Je lui tournai le dos, sa main glissa sous mon pyjama et me caressa le dos, jusqu’à ce que le sommeil l’emportât.
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