58. Affichée

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À l’instar de dimanche dernier, nous nous étions éveillés dans les mêmes draps, et rien ne pouvait me faire plus plaisir. Arcan lui avait fait un café, et elle nous avait embrassé chacun sur la bouche avant de s’éclipser. Je n’avais plus l’impression d’être un pont par-dessus un mur qui les séparait, mais qu’ils ouvraient et refermaient une barrière à leur guise. Cette petite heure laissait présager la possibilité d’une vie à trois et me mit de bonne humeur pour la journée. Je venais même à croire qu’avec le temps, leur amitié se forgerait et rapprocherait notre trio de mon fantasme romantique.

Nous étions samedi soir. Geisha et moi étions prêtes, les fausses cicatrices et la peau peinte sous nos grands manteaux. Le chapeau de Geisha lui donnait des airs de femme bossue. Elle seule était masquée et complètement prête. J’étais chaussée de mes basquettes. Je tenais dans un sac mon masque, mes chaussures et mes ornements de bras. Arcan était parti s’habiller et je profitai que nous soyons seules pour m’assurer qu’il n’y avait aucun malaise depuis la nuit dernière. Je lui murmurai :

— J’espère que je ne t’ai pas trop forcé la main hier.

— Je préfère ta bouche, mais c’était excitant.

— Je ne pensais pas à ça.

— Ah bon ? — Elle passa sa main autour de ma taille. — De toute façon, j’ai prévu de me venger ce soir.

Sachant parfaitement qu’elle voulait que je jouisse sur la machine, je la suppliai :

— Fais ça quand ma mère est loin.

— Promis.

Son visage glissa sur le mien. Elle m’embrassa du bout des lèvres. Arcan arriva et nous dit :

— Au camion, les amoureuses.

Nous sortîmes, la nuit était particulièrement chaude, annonciatrice d’une canicule. Arcan dit :

— On commence à être repéré, dans le quartier.

Il rabattit la capuche de fourrure sur ma tête et j’avançai visage baissé. Nous montâmes dans le camion, je m’assis au milieu. Je bandai les yeux de Geisha, et Arcan m’aida à ajuster ma cagoule. Il vérifia que la tignasse tenait bien, puis il démarra. Geisha lança :

— C’est parti !

J’avais peu de doute sur le succès du robot, mais j’étais un peu anxieuse. Attachée, je ne pourrais m’esquiver d’aucune caresse ou d’aucun baiser. Ça avait un côté excitant d’imaginer Geisha ou Arcan en jouer, mais angoissant que par l’idée que quelqu’un d’autre chercha à en profiter.

La route ne fut pas la même que de d’habitude, mais nous parvînmes à la cour de graviers.

— Terminus, commenta Geisha. Je vais t’aider.

Elle me guida le temps que je descendisse le marchepied, puis mes basquettes s’enfoncèrent dans le substrat. C’était agréable de ne pas s’y tordre la cheville, pour une fois. Je restai immobile, incapable de m’orienter, une main sur la portière. Arcan fit descendre le MALP sur la plateforme arrière du camion, tandis que Geisha posait les rampes sur les marches. Je n’entendais que le bruit électrique du moteur, et le roues sur le gravier. Geisha me prit par le bras et me guida après la machine. Le moteur siffla plus fort quand il monta les rampes qui couvraient les marches. Le vigile était éberlué.

— Je n’ai jamais vu un pareil engin. On dirait un truc de démineur de l’espace.

— C’est un peu plus sexy que ça, répondit Arcan.

— Je me doute.

— Ça, ça ira dans son vagin, ajouta Geisha. Et elle sera accrochée.

— Je suis impatient d’échanger mon tour de garde. Bon courage, Mademoiselle.

— Merci, répondis-je.

Pas de claquement de talons dans le hall, seul le bruit du robot. Geisha s’inquiéta :

— Il ne rentrera pas dans le vestiaire.

— Mais si. Il doit bien rester deux centimètres d’espace.

— Vous avez l’œil.

— Bonsoir, nous salua l’hôtesse. Quel engin !

— Merci répondit Arcan.

Je souris car, aveugle, la conversation prêtait à interprétation. La porte se ferma et Arcan retira mon manteau de mes épaules. Je me déchaussai moi-même d’une pression sur le talon. J’étais déjà humide à l’idée de m’installer sur l’appareil. Arcan me plaça et, d’une caresse de mon aisselle vers mes poignets, il guida mes bras. Geisha referma les manchons, puis Arcan tendit ma tignasse de cheveux qu’il accrocha à un câble. Surprise je ne dis rien, mais je sentis que je ne pourrais pas baisser le menton. Le robot m’éleva, volant un hoquet de surprise à la gloutonnette. Mes deux amants guidèrent chacun une de mes jambes vers l’arrière, puis l’un d’eux fit une pression circulaire sur mon clitoris pendant de longues secondes. Quand ma respiration s’approfondit, le doigt descendit délicatement fendre mes nymphes. À l’ongle très court, je devinai que c’était Arcan qui me préparait. Il dit :

— Prête, on dirait.

— Prête, répondis-je.

Geisha caressa affectueusement ma cuisse, pendant qu’il glissait le tube dans mon vagin. J’avais envie que nous restions ici et qu’eux d’eux fissent ce qu’ils voulaient de moi. Mais c’était le spectacle avant tout. Arcan mit en route le MALP. Le bruit des deux pignons entraînés par la chaîne de vélo vibra. L’hôtesse s’étonna :

— Ça s’allume ?

— Oui, et dans quelques minutes, ça fera des petits jets de vapeurs, expliqua Geisha.

— Des bouffées, corrigea Arcan. Ça va tenir chaud à Muse et perler sa peau de petites gouttelettes.

— Bien. Vous êtes enregistrés, c’est quand vous voulez. Vous allez faire sensation en tout cas.

— Je l’espère, répondit Arcan. Geisha, t’as la laisse ?

— Ah oui. Et j’ai mis les chaussures là, ça ne se voit pas.

— Très bien. Attends, je t’aide.

— Merci.

J’entendis le bruit humide de leurs lèvres échanger un baiser. Une pincée de flocons victorieux saupoudra mon cœur. Geisha déposa un baiser sur mon flanc, la gloutonnette ouvrit la porte et le MALP s’avança sans un à-coup dans la salle. Le tube vibrait de manière infime et délicate au rythme du moteur.

Il n’y avait aucune rumeur, comme si le bruit du robot les couvrait. Je supposais sans mal les visages masqués bouche bée. Je me retenais de sourire, mais le goût de la victoire chatouillait mes muscles zygomatiques. Sitôt qu’un façonneur ouvrit la bouche, ce fut le déluge de compliments :

— Quelle construction !

— Quelle inspiration !

— Vous avez dû y passer des heures !

— Exceptionnel !

— Inspirant !

— Sensationnel !

— Votre chef d’œuvre ultime !

— J’y accrocherai bien ma poupée !

— Carrément pas ! répliqua une voix de fille.

— Ce sont des bombonnes de gaz ?

— J’adore la lumière qui sort de son ventre.

— Il y a un robinet, je n’avais pas vu.

— À enfiler ça, elle a dû y prendre du plaisir.

— Vous avez une poupée exceptionnelle.

— Je m’en rends bien compte, répondit Arcan. Geisha, j’ai un peu soif, va me cherche une coupe.

— Oui, maître Arcan.

Elle s’éloigna sans doute, les questions continuaient, Arcan tentait d’y répondre brièvement. La voix de ma mère ne se mêla à aucune autre, comme si elle se tenait à distance. Elle qui me trouvait trop soumise devait être atterrée. Lorsqu’ils se turent tous, ce fut pour observer Geisha remplir une coupe vide qu’elle avait ramené du buffet. Un façonneur dit :

— Vous nous ferez goûter.

— Je n’en n’aurais pas assez pour toute la soirée, répondit Arcan. Geisha, où en sommes-nous de la production ?

L’ongle de Geisha tinta sur le cadran d’un manomètre.

— L’excitation est stable, maître.

— Mes chers confrères ! annonça Arcan. Ce soir, je voudrais produire un millésime de Muse exceptionnel. Ma partenaire, cheffe étoilée, supervisera la récolte, mais les caresses et les baisers de vos poupées seront d’une aide précieuse.

Geisha s’exclama soudainement comme une vendeuse de poisson à la criée :

— Allez Mesdemoiselles ! Elle est belle, elle est fraîche ! On n’hésite pas !

Je reconnus le pouffement de rire d’Arcan qui ne s’attendait pas à l’intervention et je ne pus retenir un sourire. Les premières caresses de vapeurs s’échappèrent de l’appareil, glissant à l’arrière de mes fesses. Un gloussement de poupée précéda une bouche à la pliure de mon aine. Je frissonnai. Des ongles griffèrent délicatement mes cuisses tendues. La fille s’interrompit pour prendre une pause, sans doute devant un appareil. Les mains s’aplatirent sur mes jambes et une langue effleura mon clitoris. Je tremblai de délice. Je me fichais de savoir si c’était Geisha ou une autre. Seul mon ressenti comptait.

Une autre fille prit sa place, puis une autre, et une autre, se succédant, se perdant en baiser sur mon ventre, mes jambes et mon pubis, terminant toujours affectueusement sur ma perle, dure comme jamais. Geisha qui s’exclama :

— Allez ! Le fût commence à se remplir ! D’autres participantes ? Non ? Je crois que c’est à mon tour.

Le nez de Geisha s’écrasa sur ma peau et sa langue souleva délicatement ma perle de la pointe. Je lâchai un souffle avant qu’elle commençât à battre du bout des papilles. Mon corps brûlant se tendit, cherchant à s’échapper des entraves. Les autres poupées se regroupèrent. J’étais incapable de compter le nombre de mains et de bouches qui me caressaient. Je libérai mon orgasme, écrasant le tube dans mon ventre. Geisha caressa mon ventre d’une main et poursuivit :

— Allez Mesdemoiselles ! Elle est belle, elle est fraîche et multiorgasmique ! On n’hésite pas ! Il nous faut du jus !

Une langue s’écrasa sur ma vulve et ce n’était pas celle de Geisha, car cette dernière grimpa sur le MALP et présenta une coupe de champagne à ma bouche. Elle murmura :

— T’es belle, mon cœur. C’est une soirée de dingue.

Je réalisai, la coupe vide qu’une seconde bouche se battait avec la première. Le plaisir revenait déjà alors que je ruisselais de sueur. Alors que les deux poupées n’avaient de cesse d’assaillir ma vulve, leurs coiffures glissant contre mes hanches, d’autres interpellées par Geisha les rejoignirent. À nouveau, les bouches furent nombreuses, sur mes cuisses, mes fesses, mes seins. Finis les baisers à fleurs de lèvres, finies les caresses du bout des doigts, il ne demeurait que des langues, multiples, nombreuses, affamées. La peau mordillée, les tétons aspirés, le clitoris inlassablement lapé, je n’en pouvais plus. Geisha restait accrochée à côté de moi, encourageait les participantes à ne pas s’arrêter. Alors que de nouveaux spasmes échappaient à mon contrôle. Je serrai les dents et laissai la vague déferler. Geisha la poissonnière s’exclama !

— Et de deux ! Il nous en faut un troisième ! Triple distillation ! C’est important !

— On va la laisser un peu se reposer, suggéra Arcan.

Le MALP se mit en route, faisant vibrer le phallus dans mon vagin. Mes muscles commençaient déjà à être endoloris. Je sentais bien quand on tournait, mais je ne parvenais pas à me situer dans la pièce aussi aisément que d’ordinaire. Arcan me promenait simplement, et c’est l’Impératrice qui me fit comprendre l’intérêt de ma hauteur lorsque les roues s’arrêtèrent :

— Une poupée domine toutes les autres de sa hauteur, ce soir. Quel piédestal audacieux d’originalité.

— Bonsoir Madame l’Impératrice, répondit notre façonneur.

— Bonsoir Arcan et bonsoir à vous Mesdemoiselles.

— Bonsoir, répondit Geisha.

— Tu as de la voix, trésor. Je me suis replongée dans ma jeunesse où je travaillais sur les marchés. C’était avant l’abondance financière, mais ça a le mérite de me rappeler la chance que j’ai eue. Je me levais à quatre heures du matin, j’avais les orteils gelés, et malgré ça, la mémoire ne ravive que les bons souvenirs. Est-ce que Muse est en train de compiler de bons souvenirs ?

— Sans nul doute, répondit Arcan.

— J’ignore si l’orgasme qui a été offert par les poupées métissées est un don généreux de Sculpturine ou une manière pour elle de les afficher avec l’étoile de la soirée.

Réaliser que Prune et Mirabelle m’avait léchée me refroidit, parce que j’imaginais bien combien avec quel regard lubrique ma génitrice avait observé la scène. Il faisait peu de doute qu’elles avaient déjà promené leur bouche sur le corps de ma mère, et j’en éprouvai un dégoût. La douleur dans les muscles se fit plus marquée, alors je dis :

— Descendre.

Arcan n’attendit pas et sortit le tube de mon sexe. Geisha détacha mes jambes, et alors que je restais suspendue par les bras, elle me chaussa. Arcan fit descendre la pince. Je ramenai mes bras à moi, les côtes endolories. Geisha me ganta et accrocha la laisse à mon collier. L’Impératrice me dit :

— Tu as l’air groggy, trésor.

— La machine n’est pas la plus confortable, dit Arcan. Je vais la mettre dans un coin pour les amateurs de photo, et nous allons boire une coupe.

— Les défilés ne vont pas tarder. Je vous retrouve pour les votes, conclut l’Impératrice.

— Ce ne sera pas un pronostic difficile, commenta une voix d’homme.

— Ce fut un début de soirée culte.

— Déjà la dernière changeait pas mal.

— Vous apportez de la surprise à chaque soirée.

— Et ça attire du monde, on ne doit être pas loin de cent vingt personnes ce soir.

— Plus que ça ! Il y a soixante-seize poupées à élire. Donc vous ajoutez un façonneur par poupées, plus les poupées en duo, et l’Impératrice et ses poupées qui ne sont pas sur la liste, ça commence à faire du monde !

— Grâce à vous Arcan. Je n’ai pas vu autant de monde depuis que je participe.

Je ne me rendais pas compte. Aveugle, je n’avais pas l’impression que la salle était plus bruyante, ou plus chaude qu’à ma première venue. Autant de filles qui exposaient leur corps, ça me paraissait dingue, et c’était d’autant plus de façonneurs que nous dominions à chaque élection. Je savais que la plupart rassemblait plus de voyeurs que de purs créateurs, mais dans mon cœur, ça dressait Arcan au rang divin. Une voix s’interposa dans la discussion :

— Je n’ai pas pu prendre de photos.

Une fille se plaça entre moi et Geisha, ses mains sur mes fesses. J’oubliais déjà que ma mère s’était jouée de moi et profitai des effleurements d’un nouveau ballet de corps à demi-nus. Métal, plumes, os, tissus, je tentais de mettre un aspect aux textures qui m’effleuraient. Les caresses ne m’effrayaient plus. Ongles courts, ongles longs, doigts graciles et légers, sur les seins, les fesses, parfois le pubis, c’était un émerveillement pour les sens. L’une d’elle portait une bague retournée qu’elle passa de bas en haut sur la fente de mon sexe. J’aurais voulu que toutes portassent les mêmes anneaux. Les glissements des cheveux longs électrisaient mon épiderme, les parfums féminins ensorcelaient mes sens. Quelques baisers volés sur le coin de mes lèvres, sur mes trapèzes, me laissaient avec une seule question : comment avais-je pu passer à côté de la sensualité féminine si longtemps ?

La voix fluette de l’hôtesse principale nous appela au micro.

— Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, nous passons aux défilés dans trois minutes.

— Les votes sont déjà fait, pouffa un homme.

— Je suis curieux de voir le spectacle de Sculpturine. Il ne laisse jamais indifférent.

— Je n’ai pas compris le thème des costumes de ce soir.

— Elle est le capitaine Nemo.

— Mais les filles, elles étaient simplement nues.

— À la lumière, il y avait des reflets verts qui formaient des écailles, commenta Arcan. Je pense que ce sont des sirènes.

— Elle n’ont pas de queue, dit une fille.

— Plus pratique pour marcher, répondit un homme.

— Elle aurait pu les poser sur une planche qui roule.

— Moins pratique pour les envoyer lui remplir son verre et lui chercher les petits fours, se moqua Arcan. — Quelques rires bas en volume se gaussèrent discrètement. — Si nous allions prendre place.

— Aaaaarcan ! s’exclama une voix de femme que je devinais déjà exubérante.

— Madame Rose, sourit Arcan.

— Vous vous souvenez de moi ! Comme vous me faites plaisir !

— Je me rappelle de tous mes clients.

— Et vous voilà façonneur à votre tour ! Avec deux poupées, qui plus est.

— La rançon du succès. Content de voir que vous exposez toujours.

— Oh ! J’ai arrêté avec Opale. Elle ne voulait plus continuer, et j’ai participé avec un jeune homme aux brunches du dimanche. Je ne vous cache pas que j’ai eu mon petit succès. Mais, j’ai vu les photos de vos œuvres et j’ai voulu absolument voir ça de mes yeux. Je me suis empressée de trouver une poupée qui entre dans les anciens costumes d’Opale.

— Enchanté, dit Arcan. Mademoiselle ?

— Elle s’appelle Fable, répondit la façonneuse à la place de la poupée. Soit-disant trop vieille pour continuer la carrière de mannequin. Regardez-moi ça, elle n’est pas à croquer ?

— Je la croque quand vous voulez, répondit Geisha.

Je tournai la tête en direction de la voix de ma camarade pour lui faire part d’une once de jalousie. La façonneuse poursuivit :

— Que de monde ! Que de monde ! Et vous alors ! Votre art dépasse l’imaginaire. Voir cette gracieuse plante ainsi prisonnière, ça m’a fait comme… Comme… De la peine pour elle, et pourtant c’est si croustillant ! Et alors ces bouches à l’assaut de son corps, c’était… Brrr ! Vous m’en laissez sans voix.

— Merci, répondit Arcan. Nous allons manquer les défilés.

— Une petite photo avec Fable, s’il vous plaît ?

Une poupée qui me dépassait d’une tête se plaça à côté de moi. Un façonneur demanda de placer la sienne à son tour. Puis enfin, nous pûmes nous frayer un chemin. Je retrouvais la fermeté d’Arcan dans la laisse, mon corps suivit sans même y penser, et ça me plaisait beaucoup.

Arcan me trouva une place, Geisha s’installa sur mes genoux et plaisanta :

— C’est bon, t’arrive à voir ?

Je voulus l’embrasser entre les épaules et me heurtai à son chapeau. Je posai alors mes mains sur ses hanches et patientai. Ne pouvant pas même imaginer les poupées concurrentes, je retournai dans le souvenir récent de ces bouches innombrables qui avaient flatté ma peau. Dire que j’avais été choquée par le défi-cunni lors de ma première soirée, et qu’aujourd’hui, je ne pouvais pas compter le nombre de langues qui avait exploré. J’avais pris un tel plaisir que je ne savais plus quoi penser de ma sexualité, de la définition même de ce que je m’en faisais. Dans un concept normé, c’était anormal, même malsain d’être addict au sexe. Autrefois, je me serai qualifiée de salope névrosée. Je me mis à pleurer sous mon masque. Etais-je pervertie ou étais-je libérée ? Je voulais déjà être raccrochée au MALP. J’avais l’impression d’être redescendue d’un grand huit. D’abord l’appréhension, ensuite le big-bang d’adrénaline, l’étourdissement, puis le manque.

Ni Geisha, ni Arcan ne remarquèrent mon émoi. Ils me décrivirent la scène que ma mère avait concocté. Une des filles avait revêtu une queue de sirène qui ne commençait qu’à mi genoux. Par une nuit étoilée, elle tentait de conquérir le cœur du capitaine qui venait humer son fruit comprimé entre ses cuisses. Puis des tentacules de calmar s’emparèrent de la poupée. La bête surgit de sous la scène, animée entièrement par la sœur jumelle cachée sous le caoutchouc. Ma mère s’empara du harpon et planta la créature. Alors, sur une musique douce, elle éventra le monstre échoué, en sortit une sirène avalée et l’embrassa sur la bouche pour l’éveiller.

La narration qu’on m’en avait fait n’avait rien d’obscène, et j’en percevais la nature romantique de ma génitrice. Une ode saphique comme n’en n’offrait pas le cinéma. Elle repartait avec les deux sirènes pleines de gratitude et de bienfaisance à son égard. Les applaudissements fusèrent, mais j’entendais déjà aux rumeurs qu’elle était loin de nous avoir égalés. Alors que tous se levaient, je demandai :

— On retourne sur le MALP ?

— Je ne pense pas que ça soit utile, commenta Geisha.

— Je crois qu’elle en a envie, dit Arcan.

Geisha se leva de mes genoux, la laisse me tira, et mon corps de réchauffait déjà. Arcan arrêta les quelques interpellations qui lui demandaient son avis sur le spectacle de Sculpturine.

— J’installe Muse, et je vous réponds.

Je me retrouvai dos à la machine, levai les bras sans même qu’on me le demanda. Geisha rit :

— Attends ! Je n’ai pas enlevé tes gants.

Confuse, trahie dans ma propre impatience, je la laissai faire. Quand elle m’eût dégantée, et qu’elle eut fixé mes bras, son corps se blottit contre le mien et elle murmura :

— Moi qui pensais me venger, je me suis bien trompée.

Je léchai sa bouche. Elle colla sa bouche à mon oreille et confia à voix basse.

— Tu m’excites tellement quand t’es Muse, j’en peux plus de les voir te lécher.

Je posai ma bouche dans son cou, ses mains sur mes hanches remontèrent chatouiller mes aisselles du bout des ongles. Je me tortillai. Arcan l’arrêta :

— Geisha. Allez.

Ils saisirent chacun une de mes jambes, me déchaussèrent et m’emprisonnèrent dans les manchons. Mes muscles ressentirent à nouveau l’étirement dans mes flancs. La machine m’éleva, sans qu’ils eussent pensé à m’attacher les cheveux, la chaine de ma laisse battit contre mes seins, et le tube fut présenté entre mes cuisses. Bouche close, je savourai son retour en moi et le MALP avança de deux mètres.

La voix d’Arcan s’attarda à donner son avis sur le spectacle, me faisant réaliser qu’il s’était élevé au même rang que l’Impératrice : celui d’influenceur. Son avis comptait, les gens l’écoutaient. Comme il était occupé, c’est à Geisha qu’un façonneur s’adressa.

— Sélène peut-elle aider à la troisième distillation ?

— Faites. Qu’elle prenne bien son temps.

La bouche de la fille se posa à la pliure de ma cuisse. Je frissonnai et tandis qu’elle se promenait autour de mon mont de Venus sans jamais y grimper, la voix de baryton du Grand Glouton fit vibrer l’air.

— Est-ce le péché de luxure ou celui de gourmandise qui vous anime, Muse ?

Je secouai la tête, ne sachant quoi répondre. Geisha s’empressa de prendre la défensive :

— C’est elle qui a voulu y retourner.

— Merci pour l’animation, en tout cas. Geisha, vous devriez donner un peu de la voix. Je crois que votre camarade ne va pas se contenter d’une bouche.

— Je peux y ajouter la mienne, fit une voix de fille.

— Bonne soirée, ajouta le propriétaire des lieux.

Je ne l’entendis pas plus s’éloigner que je ne l’avais entendu approcher. Une bouche s’accrocha à mes fesses alors que les baisers de la première se rapprochaient progressivement de mon clitoris. Les mains de la seconde m’écartèrent les fesses, et sa langue darda contre mon anus.

— J’y retourne ! s’exclama une fille.

Une troisième bouche glissa sous ma cuisse, une quatrième sur mon ventre, puis je perdis à nouveau le compte, submergée par les sensations. L’orgasme me poignarda toute entière, me meurtrit les muscles. Geisha fit reculer les poupées :

— On arrête, on arrête.

— Descendre, gémis-je.

Elle actionna le bras du MALP, libéra mes jambes, puis mes bras. Elle me soutint et se moqua :

— Cette fois, je crois que t’as eu ton compte.

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