DUALITE
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- C’est moi que vous attendez ?
- J’ai rendez-vous pour une interview -Orsay, 10 h 30, hall des pas perdus- mais je dois être terriblement en retard.
- Ici vous savez, la grande horloge n’ordonne plus aucun départ. Je m’appelle Clair, sans e.
- Enchantée, Rosa.
- Joli prénom pour parler peinture. Pour quel magazine écrivez-vous ?
- Bombang, une nouvelle revue d’Art contemporain.
- Sous quel angle abordez-vous le sujet ?
- On m’a confié une série d’articles sur la place de l’art dans notre quotidien et notre façon d’habiter le monde. En ce moment, j’écris sur La poétique des encombrants d’après l’œuvre d’Irina Kirchuk.
- Tout un programme ! Les «ready-made» font toujours fureur dans le contemporain, on dirait. Je crois que vous vous êtes carrément trompée d’époque. Vous ne trouverez rien de semblable ici.
- Vous êtes à l’honneur dans ce grand hall.
- Orsay est un si beau décor quand on rêve de partir en tournée.
- Vous crevez littéralement la toile… j’en frissonne.
- Pourtant, on a vraiment l’impression de «faire tapisserie» d’habitude. Ça me gêne que vous nous regardiez ainsi.
- L’ombre et la lumière, nus…
- Vous n’avez encore jamais vu de Clair-Obscur ? Caravage, De la Tour, Rembrandt, Vermeer, Renoir, …
- Jamais encore comme aujourd’hui.
- Mais vous pleurez ?
- Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Puis-je vous poser quelques questions ?
- Avec plaisir, les voyageurs de l’improviste sont plutôt rares de nos jours. Lorsque la critique nous détaille à la manière d’une autopsie, j’ai l’impression de ne plus rien laisser paraître de mes sentiments.
- Parlez-moi de votre rencontre.
- J’ai toujours aimé les grands ténébreux. Le goût du mystère sans doute. Il était distant, presque hautain, silencieux et si sombre.
- Vous êtes exactement l’opposée.
- Je me demandais comment j’allais lui présenter mon projet. Je redoublais d’impatience et plus encore d’inquiétude.
- Qu’est-ce qu’il a dit ?
- «Si je vous comprends bien, vous m’invitez à me coucher sur la toile avec vous ? » J’ai éclaté de rire ! Il m’avait prise au sérieux.
- Osée comme approche !
- Avec clarté, on peut tout oser.
- Et, depuis ce temps-là, vous êtes amants ?
- Quelle idée !! Pour finir en monochrome, même avec cinquante nuances de gris, non ! Notre coup de cœur est ailleurs.
- Dommage pour mes lecteurs.
- Appartenir à l’Obscur, vous n’y pensez pas ! Je ne veux rien abandonner de ma lumière et il tient à son ombre comme à la prunelle de ses yeux !
- Expliquez-moi, quel est ce charme entre vous alors ?
- Il faut une grande confiance pour que l’ombre suive la lumière et autant de respect pour que la lumière marche dans l’ombre.
- C'est ainsi que l’un révèle l’autre…
- Vous allez vraiment écrire un article sur nous ?
- Oui, au diable les monochromes d’Yves Klein, le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, les chiottes de Marcel Duchamp et les fils de pêche d’Irina Kirchuk. Vous en dites bien plus sur le monde à vous deux.
- Il s’appellera comment ?
- Dualité.
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