Je suis si belle. Mais attention ! J'y travaille !

Les parfums et les cosmétiques n'ont aucun secret pour moi.

Je fais attention à mon poids, à ma peau, à mes yeux, à mes cheveux...

Je suis belle.

Je fais cela pour attirer le regard des hommes et j'adore cela.

Ils me voient et me regardent.

Ils me désirent.

Et je me sens la plus belle femme du monde ! La plus forte et la plus puissante !

De jolies jambes, j'y travaille !

De jolies fesses, tout est dans la démarche !

Je suis belle.

Et je ferai tout pour que cela reste ainsi !

Eternellement.

Je suis belle ! Ma peau est d'une blancheur de marbre, mes yeux brillent comme des joyaux précieux, mes cheveux ont la couleur de l'aile du corbeau, mes dents sont des perles nacrées...

Mes jambes sont fuselées et mènent au paradis.

Mes fesses sont des rêves à elles seules.

Ma posture et ma démarche sont celles d'une reine.

La belle des belles.

Le Cantique des Cantiques a été écrit pour moi et tous les poèmes d'amour me sont dédiés.

Je suis belle !

Je le resterai dans l'esprit des hommes.

Eternellement.

Je suis belle !

Je suis fine et délicate.

Mes poignets sont des roseaux et mes chevilles sont faites pour damner les âmes.

Douceur, légèreté, petitesse.

Je suis belle !

La plus belle.

Eternellement.

Des cosmétiques, je connais tous les secrets.

Belladone, blanc de céruse, craie de Briançon, vif-argent...

Tous, je les connais, tous, je les utilise.

Et me voilà la plus belle.

Regardez-moi !

" Vous avez vu, inspecteur ?

- Oui, sergent, fit la voix lasse de l'inspecteur.

- Mais que s'est-il passé ?"

Je suis belle.

Belle, belle, belle.............................n'est-ce-pas ?

" Je veux parler à sa servante !," ordonna l'inspecteur.

La belladone se met dans les yeux, elle dilate la pupille et crée des yeux de biche. Parfait pour enjôler.

Le blanc de céruse couvre le visage et les épaules, cela blanchit la peau et la rend plus belle. Une peau d'albâtre.

La craie de Briançon donne le rouge tant aimé des hommes. De belles joues rouges. Cela donne envie de les baiser.

Le vif-argent sur les paupières...un trait argenté pour faire ressortir la beauté du regard...

Belle femme, belle silhouette, tout est dans le maintien et le sourire...

" Madame commandait ses parfums et ses cosmétiques toujours au même endroit, inspecteur."

La servante serrait ses mains avec nervosité.

Des mains rouges, abîmées par le travail et les produits d'entretien. Abîmées par l'eau et le savon. Frotter le linge, nettoyer la maison, faire la vaisselle...

Pour une femme si belle, perdre sa santé et sa beauté.

Car la servante était si jeune.

Aussi jeune que sa maîtresse.

L'inspecteur regardait la servante et hochait la tête, glissant ses doigts dans ses favoris...

" Et où achetait-elle ses produits ?

- J'allais les acheter chez XXXX."

Une femme belle se devait d'être la plus belle.

Pour séduire.

Espérer un beau mariage.

Et en attendant collectionner les amants.

Surtout le jeune marquis de XXXX.

Pourquoi pas ?

Il remplacera ce domestique...

" Vous les lui prépareriez ?

- Oui, inspecteur."

Je suis belle mais parfois je m'ennuie.

De l'ennui d'être si belle, on est souvent seule.

Ils n'osent pas me toucher, ces hommes !

La beauté a une part de divinité ! Mais j'aime les caresses !

Ce domestique était un beau jeune homme.

Il m'a beaucoup plu.

Puis il ne m'a plus amusée.

Je suis trop belle pour un domestique !

Regardez-moi !

" Mais qu'est-ce qu'il s'est passé, inspecteur ?"

Le sergent ne comprenait pas.

Une si belle femme ! Pleine de vie et de charme ! Morte ?

" Que savez-vous des cosmétiques, Rivette ?

- Heu... Les femmes en usent et en abusent !"

L'inspecteur se mit à rire.

" Oui, et certaines femmes usent et abusent des hommes."

Quelque part, une femme attendait la lame de la guillotine. Heureuse d'avoir tué et vengé.

Je suis belle !

Mais que certains hommes sont pénibles ! Toujours à nos pieds, ils ne comprennent pas l'abandon.

Je ne suis pas cruelle.

Je suis belle.

Mon petit domestique s'est stupidement jeté dans le fleuve.

Stupide !

Je n'ai même pas pensé à sa mort. J'ai bu avec le marquis de XXXX.

Dansé et fait l'amour.

Je suis la plus belle de toutes les femmes !

Je mérite un roi !

" Les cosmétiques sont dangereux. Aussi dangereux que le coeur d'une femme jalouse. Ou d'une femme blessée dans son amour, " expliqua doctement l'inspecteur.

Rivette secouait la tête.

Le visage de la si belle femme était horrible à voir. Trop pâle, elle était marquée par l'anémie, les vomissements l'avaient amaigrie...

" Elle est morte dans des douleurs terribles, annonça le policier. Regardez ses doigts ! Elle avait des nausées et des convulsions. "'

Repliés, serrés, impossibles à ouvrir.

Oui, elle avait bien souffert avant la mort.

Et sa beauté avait disparu dans les limbes.