Je suis mort
La première chose qui me reste à l'esprit, c'est la douleur.
Oui.
Une douleur atroce.
Qui ne me quitte pas.
Jamais.
J'ai mal.
Je suis mort.
Je suis mort.
Je ne devrais pas avoir mal !
MERDE !
On ne devrait pas avoir mal quand on meurt !
JAMAIS !
J'ai mal.
Je suis mort.
Et une voix me parle dans les brumes qui m'entourent.
" Rivette ! Tu vas me faire le plaisir de lever ton cul du sol et d'ouvrir tes yeux."
Une voix qui me parle et me sermonne.
On ne peut pas me foutre la paix ?
Je suis mort.
J'ai droit à un minimum de considération.
En plus, j'ai mal.
" RIVETTE ! TU VAS BOUGER TON CUL ! Regarde-moi !"
Je suis obligé d'obéir.
Je suis mort.
Mais il y a encore des supérieurs.
Après tout, il est mort avant moi.
" QUOI ?"
La douleur fuse, encore plus terrible.
J'en perds le souffle.
Mais il est là, devant moi.
A genoux.
Et il me sourit.
" Là ! C'est bien ! Garde les yeux ouverts !"
Il est debout, entouré de brume et de lumière. Un ange ?
Cela me fait rire et je sens le goût du sang dans la bouche.
Et la douleur. Terrible. Me fait pleurer.
" Tu écoutes ma voix ! Si tes cons de collègues sont pas des jobards, les secours vont arriver !
- Je suis mort ?
- Non, jobard. Mais tu ne vas pas tarder si ces connards traînent."
Je vois mon collègue se relever et lever les mains.
Un vent, glacé et violent, parcourt l'entrepôt dans lequel courent des flics et des pompiers.
Je les entends et je les vois.
Cela me perturbe.
" Je ne suis pas mort ? Mais alors..."
Je me sens si fatigué. Je ferme les yeux.
Je suis mort !
Si !
Et je sens sa main qui me touche. Pour la première fois. Sur le front.
Une poigne glacée, un morceau de glace brûlante. Cela me réveille aussitôt.
" Putain ! Reste conscient, jobard, me hurle-t-il.
- Comment vous vous appelez ?
- Je ne sais pas. J'ai oublié.
- Vous êtes mort...
- Putain ! RIVETTE ! RIVETTE ! RESTE CONSCIENT !
- Pourquoi ?
- Tu crois que c'est drôle de rester deux cents ans dans une préfecture de police ?
- Non, j'imagine."
Cela me fait rire.
Il me fait rire.
J'ouvre les yeux et je croise les siens.
Si grands, si brillants, si clairs.
Il est debout devant moi, le regard inquiet.
Mon collègue depuis un an, avec ses favoris touffus et ses cheveux noirs corbeau.
Et je remarque enfin son uniforme. Il est vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise blanche habituellement, là il porte un uniforme militaire, avec épée et fleur de lys.
" La vache ! C'est la tenue officielle ?
- Tu me vois vraiment ?, lance-t-il, affolé.
- Pourquoi ? Je ne te vois pas d'habitude ?
- Merde, merde, merde. Non !"
Il vient poser ses mains sur moi mais je ne sens plus grand-chose.
Le froid est à peine sensible.
Je meurs pour de vrai.
" Merde ! Rivette !
- Pourquoi tu es resté ?
- Je cherche quelqu'un, fait le policier, désespéré.
- On cherchera ensemble !"
Je dis cela en souriant mais il s'énerve et hurle :
" DE LA MERDE !"
Et de toutes ses forces, il me gifle.
Cela réveille la douleur.
Cela me rend plus conscient.
Mais lorsque je me redresse pour l'insulter tout mon saoul, je vois à sa place un médecin.
" Continuez à rester conscient, inspecteur. Vous êtes salement touché mais tant que vous restez conscient. On peut vous sauver.
- Je ne suis pas mort ?"
Un rire, amusé, soulagé, retentit non loin.
Mais je ne peux voir qui en est l'auteur.
Je suis mort ?
Non, mais la balle de ce salopard de dealer a failli en décider autrement.
Sans l'aide de mon collègue...
Je serais mort.
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