Touche pas à mon pote !
La cheminée n'avait pas été ramonée depuis des lustres et le plancher était pourri par endroit.
Mais ils ne voyaient rien de tout ça.
Ils ne voyaient que leur première maison.
Leur nouveau nid, tout neuf et tout beau.
Un joli couple.
Fauché comme les blés mais amoureux fou.
" Regardez, Rivette !, murmura le policier décédé. De la négligence humaine.
- Négligence ou meurtre ?
- Je ne suis pas sûr que cela soit un meurtre.
- Encore un suicide ?
- Je ne sais pas.
- Que vous disent les fantômes ?"
La cheminée n'avait toujours pas été ramonée et l'hiver était là.
Ils passèrent l'hiver à faire l'amour pour se réchauffer.
Et les trous du plancher furent bouchés et les fenêtres furent changées.
Une vieille maison qui revenait à la vie.
Un joli couple.
Il y aurait bientôt des enfants pour galoper dans le vieil escalier branlant.
" Les fantômes se taisent, claqua l'inspecteur, sec et froid.
- Tiens au fait. J'ai quelque chose à vous montrer !
- Le rapport d'autopsie de nos deux victimes ?
- Non, non. Mais nous n'en avons pas besoin. Asphyxie au monoxyde de carbone.
- Négligence. Un stupide accident.
- Ou un suicide ?"
Et à la surprise du jeune policier, le vieil inspecteur se fâcha et cria :
" ON NE SE SUICIDE PAS SANS RAISON ! Je ne me suis pas suicidé sans raison.
- Pourquoi vous vous êtes suicidé ?"
La pièce se refoidit et Rivette leva les yeux au ciel, blasé.
La cheminée ne fut pas ramonée.
Ils apprirent le coût de la vie.
Ils apprirent les rêves brisés et les espoirs bafoués.
Il perdit son emploi, elle perdit son enfant.
Le plancher était neuf, les murs avaient de si jolies peintures.
Surtout la chambre d'enfant.
Un joli couple.
Un chien pouvait-il remplacer un enfant ?
" Lors d'une intoxication aiguë au monoxyde de carbone, les signes sont clairs, assénait Rivette. On a des signes de malaise avec nausées, vertiges et maux de tête. Des vomissements réguliers et une fatigue perpétuelle. Puis on termine dans le coma. C'EST un suicide !"
L'inspecteur, tellement plus âgé et qui avait tellement plus vécu, secoua la tête :
" Non, non. Cela ne colle pas. La maison est refaite à neuf et la cheminée n'a pas été ramonée. Vous ne trouvez pas cela étrange, vous ?"
Rivette haussa les épaules, agacé et jeta :
" Ils ne savaient peut-être pas.
- Mais alors qui devait s'en charger ?"
Rivette ne répondit pas.
Il réfléchissait.
La cheminée avait-elle été ramonée ?
Ils en étaient sûrs.
Le propriétaire, un homme si gentil, s'en occupait avec soin.
Il les écoutait patiemment se plaindre de leurs problèmes de santé.
Il était tellement gentil, il se chargeait de leur allumer un feu dans la cheminée.
Un petit tas de bois, prêt à l'emploi, les attendait les soirs de vague-à-l'âme et ils regardaient les flammes brûler avec sérénité.
Le propriétaire se chargeait aussi de l'entretien du chauffe-eau et de la chaudière.
Un homme si serviable qui aimait beaucoup discuter avec ses nouveaux locataires.
Un joli couple.
Par contre...il refusa le chien...
" Le voisin est le propriétaire de la maison. C'est lui qui se chargeait de l'entretien de la cheminée et de tout ce qui pouvait produire du gaz.
- Oui, Rivette ?
- L'intoxication au monoxyde de carbone de façon prolongée peut provoquer la mort du foetus, murmura le jeune inspecteur. La femme a perdu son enfant."
Le policier décédé ne souriait pas, il hocha la tête et attendit la conclusion.
Prévisible.
" Il a refusé ses locataires lorsque l'agence les lui a fournis. De toutes ses forces, m'a dit l'agent immobilier.
- Quelle raison ?
- Ils étaient noirs."
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