Mutation
L'inspecteur Rivette contemplait la lettre posée devant lui avec colère.
Comme si la lettre y était pour quelque chose ?!
Mais voilà, il obtenait une mutation.
Il en avait fait la demande il y avait presque deux ans, lorsqu'il était entré dans la police avec le rang de sergent.
Il voulait être nommé dans sa région d'origine et retrouver sa mère. Si seule depuis la mort de papa.
Puis, il avait oublié cette demande, tellement il avait été pris dans ces enquêtes avec son collègue.
Il avait appris le métier de policier.
Il avait été blessé.
Il était monté en grade.
Il était devenu inspecteur.
Et là, il obtenait sa mutation.
" Merde, claqua le jeune inspecteur.
- De mauvaises nouvelles ?, souffla la voix profonde de son collègue.
- Oui. Enfin, non."
Un rire retentit et la silhouette bien reconnaissable du vieil inspecteur apparut.
" Quelle précision, inspecteur !, se moqua le fantôme.
- Je m'en vais," asséna durement Rivette.
Le rire s'éteignit.
" Votre mère sera contente de vous voir."
Rivette secoua la tête et murmura :
" Oui. Merde, je n'ai pas envie de partir."
Le fantôme retrouva son rire et rétorqua :
" Vous avez pris goût aux affaires étranges ?
- Vous allez me manquer.
- Ha ! Vous aussi, Rivette. J'espère ne pas attendre deux cents ans avant de discuter avec un nouveau cogne."
Ils rirent, mais le rire était amer.
Oui, Rivette pouvait refuser. Mais il y avait sa mère qui l'attendait avec impatience depuis deux ans.
Il y avait aussi l'administration qui n'allait pas comprendre les raisons de ce revirement.
Et au pays, Rivette allait retrouver ses amis, une vie normale, plus de fantômes...
" Je reviendrai !, affirma le jeune homme.
- Mais oui, inspecteur," sourit le vieux policier, avec bienveillance.
Et puis, Rivette prit son parti, il se leva et ordonna à son collègue de le suivre.
" Je vais vous montrer quelque chose avant de partir !"
Le vieil inspecteur suivit le jeune sans discuter, curieux mais patient.
Rivette quitta la Préfecture de police. Il prit un bus et se fit déposer devant l'hôtel de police du 5ᵉ arrondissement de Paris, situé au 4, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.
Il grimpa l'escalier jusqu'au troisième étage et salua le collègue préposé à l'accueil du musée de la police.
L'inspecteur fantôme suivait, silencieux mais de plus en plus inquiet.
Enfin, Rivette s'arrêta devant une vitrine et indiqua un mannequin portant un uniforme de policier. Avec épée, gants blancs, bottes, fleur de lys, broderie...
" Là ! C'est vous ! Votre uniforme !, annonça Rivette, fier de sa trouvaille.
- Oui, reconnut amèrement le vieil inspecteur. J'ai porté cette tenue."
Rivette était excité, il se mit à gesticuler, attirant les regards des visiteurs.
" Là ! Là ! C'est un uniforme de 1830 ! Là ! Il y a peut-être des noms qui peuvent vous parler ! Venez lire les panneaux ! 1830 ! Vidocq ? Gisquet ? Casimir-Périer ? Je n'ai pas trouvé de policier qui s'est suicidé en 1830, mais nos archives sont incomplètes et je n'ai même pas votre nom ! Mais peut-être pouvez-vous..."
Et Rivette se rendit compte tout à coup qu'il était seul.
Son collègue était parti.
Plus tard, Rivette chercha l'inspecteur dans leur bureau puis aux archives, mais il ne trouva rien ni personne.
Dans la salle des archives, le jeune policier murmura, désolé :
" Je voulais juste vous aider à vous retrouver. Je suis désolé.
- Ceci est ma damnation..., souffla une voix dans l'obscurité.
- Mais si je vous aide à trouver ce que vous cherchez ?
- Bonne continuation, inspecteur Rivette, et peut-être nous reverrons-nous un jour ?
- Au revoir," répondit Rivette.
Mais il savait déjà qu'ils ne se reverraient jamais.
Quelque chose aujourd'hui avait brisé leur lien, si ténu, qui les liait.
FIN DE LA PREMIERE SAISON
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