TIMBER !
Le corps était répugnant. Horrible à voir.
Une découpe mal faite mais mortelle.
Une terrible blessure de chantier.
On découvrit le corps après la pause repas.
Accident de chantier !
" Bon, bon, bon. Là, j'avoue. Je sèche."
Le lieutenant Sylvie Lyster, toujours rousse, secouait la tête et faisait voler ses cheveux.
" Pourquoi faire appel à nous ?, demanda la policière. C'est un accident, voilà tout."
Le vieil inspecteur, se mit à rire, content de damner le pion de son agaçante collègue.
" Mhmmm. Regardez mieux, lieutenant. Et réfléchissez !"
Elle lui jeta un regard noir mais obéit respectueusement.
Le corps était monstrueux.
La lame de la tronçonneuse avait coupé les bras avant d'entailler le torse.
L'homme était déjà mort avant que la lame n'atteigne la colonne vertébrale.
Une tronçonneuse devenue folle.
Un malheureux accident !
Le lieutenant examina et examina, puis elle se redressa, surprise :
" Ces marques-là ? Il était attaché ? Avec du fil de fer ?
- Bravo, lieutenant !"
Mais le sarcasme était trop sensible pour que le lieutenant ne grimace pas de dépit.
" On l'a attaché et on l'a tué.
- Oui. La question est : pourquoi ?
- Je préférerais qui, moi.
- Cui bono ?"
Sylvie Lyster fut tellement estomaquée par l'expression latine qu'elle s'écria en riant :
" Ne me dites pas que vous remontez aux Romains, inspecteur !
- Non, mais je connais cette expression !, se défendit le policier.
- Moi aussi ! A qui profite le crime ? J'ai été à l'école, monsieur. Mais vous allez me dire que vous avez appris cela de la bouche de Cicéron en personne ?"
Il ne put conserver son sérieux.
Les deux policiers se mirent à rire devant la table d'autopsie. Ignorant les regards effarés du personnel médico-légal présent.
Les ouvriers furent horrifiés par la mort de leur collègue.
La victime avait préféré poursuivre son travail et sauter la pause repas.
Elle avait été laissée seule.
Les hommes mangeaient en dehors du chantier.
Et le bruit de la tronçonneuse avait été comme d'habitude !
Ce fut une jolie promenade en forêt pour les deux policiers.
En réalité, aux yeux des hommes qui travaillaient encore sur le chantier d'élagage, c'était une femme seule en uniforme qui venait les interroger.
Sylvie Lyster était une femme, certes, mais elle était avant tout un officier de police assermenté et en uniforme.
Et elle se tenait le front haut et le regard froid.
Son collègue était à ses côtés et examinait les lieux.
" Vous la voyez ?, murmura Lyster en s'approchant d'un groupe d'hommes mécontents de sa présence.
- Non, la victime n'est pas là.
- Merde ! J'aurais bien aimé lui parler, moi.
- Les victimes sont rarement là, vous savez.
- Où sont-elles ?"
Un silence lui répondit et elle s'aperçut que son collègue avait disparu dans la lumière.
On prévint les secours et les secours arrivèrent trop tard. Les secours appelèrent les policiers.
On constata le décès et on emporta la victime.
Le cadavre se retrouva sur une table d'autopsie et on ne mit pas longtemps à découvrir la cause de la mort.
Tué par une tronçonneuse sur un chantier d'élagage en pleine forêt.
La sécurité laissait à désirer !
Secouant ses cheveux roux, le lieutenant de police sourit poliment et commença son interrogatoire :
" Comment était Rayan Murati ?"
On se regarda et un des hommes se mit à parler :
" Un sale con, lieutenant, mais qui faisait bien son travail.
- Un sale con ?, répéta-t-elle.
- Vous le saurez tôt ou tard. Il faisait des histoires avec les gars.
- Des histoires ?
- Un sale con. J'ai rien d'autre à dire."
Et ce petit conte se répéta plusieurs fois.
Un sale con, un sale con, un sale con.
Un faiseur d'histoires, un faiseur d'histoires, un faiseur d'histoires.
Oui, mais lesquelles ?
La victime était connue des services de police.
Pour des petits vols sans gravité et quelques actes d'incivilité.
Oui, on pouvait imaginer le faiseur d'histoires mais ce n'était pas un criminel.
Ou alors..., on ignorait tout de sa vie.
Mais de là à le tuer avec une tronçonneuse !
La mère de la victime pleurait mais restait digne.
Son fils était un mauvais garçon, il était souvent dans les embrouilles mais il avait toujours été soutenu par le juge.
Il était souvent victime de préjugés racistes et il s'en défendait.
Ce n'était pas la bonne chose à faire mais que voulez-vous faire d'autre quand personne ne vous écoute ?
Rayan était suivi par un éducateur.
Il était sous tutorat.
Mais il voulait s'en sortir ! Il avait même accepté ce travail de bûcheron dans un chantier perdu en pleine forêt.
Il voulait s'en sortir.
" Les deux témoignages ne concordent pas, remarquait l'inspecteur fantôme. D'un côté, un jeune perdu qui veut progresser, de l'autre un petit con qui cherche la merde.
- Une mère et des collègues. On a pas forcément la même vision sur les gens."
Le policier décédé regarda sa collègue qui lui lança en souriant :
" Regardez vous ! Je suis sûre que votre mère vous adorait et que vos collègues vous prenaient pour un connard."
L'inspecteur eut un sourire amusé.
" Touché ! Ma mère m'a eu en prison. Et mes collègues me traitaient souvent de fils de pute ou de sale gitan."
Le sourire du lieutenant disparut.
Mais celui de l'inspecteur aux favoris touffus resta.
L'enquête se poursuivit.
On interrogea les amis de Rayan Murati, la victime.
On interrogea encore les collègues.
Après tout, l'accident avait eu lieu sur le chantier.
Il y avait bien une faille !
Les deux policiers revinrent examiner le chantier.
Les ouvriers virent avec agacement cette jeune policière se promener sur le chantier et regarder le sol avec soin.
" Les jours ont passé, mais il n'a pas plu, constata Lyster.
- Oui. Il peut y avoir des marques de... Merde !"
L'inspecteur indiqua quelque chose.
" Une jolie preuve que voilà. Un préservatif !"
Sylvie Lyster rit, rit et les ouvriers la contemplèrent sans comprendre.
" Une tronçonneuse et du fil de fer, énuméra l'inspecteur.
- Il n'a pas crié. Donc il connaissait son agresseur."
Le policier secoua la tête.
" Non, pas forcément. On utilise une tronçonneuse avec un casque anti-bruit.
- Merde ! C'est vrai."
On interrogea, encore et encore.
Et puis...
Cui Bono ?
Ce fut un des ouvriers qui mit les policiers sur la piste.
Rayan Murati était un sale con et un faiseur d'histoires... et un drogué...
La mère l'avoua enfin lorsque les policiers l'interrogèrent avec un peu moins de gentillesse.
Les amis de la victime l'avouèrent lorsqu'ils furent convoqués au commissariat.
La victime n'était pas seulement un mauvais garçon.
Et les services de police ne savaient pas tout.
Il y avait des dettes qui n'avaient pas été payées à temps.
Et cela avait coûté sa vie au jeune homme.
Il suffit de retrouver le bon revendeur.
Cui Bono ?
" Vous n'avez jamais vu Massacre à la tronçonneuse ?! Ce sera l'occasion !
- Lieutenant..., fit le vieux policier, blasé.
- Allez ! Une bière pour moi et... Midnight pour vous ?"
Un grognement répondit à cette question.
Ce fut un drôle de visionnage.
Le lieutenant se colla contre son fantomatique collègue lors des scènes les plus horribles. Elle sentait le froid qui irradiait de l'inspecteur décédé et préféra le supporter.
" Elle est toujours sur sa chaise ?, murmura le lieutenant d'une voix de petite fille.
- Non, c'est fini."
Elle osa jeter un oeil et se mit à crier de colère :
" Connard ! Elle est toujours ligotée et Nubbins lui colle le chiffon dans la bouche."
L'inspecteur rit et essaya de comprendre l'attrait que pouvait avoir ce genre de films pour sa collègue, vu qu'elle passait la moitié du temps cachée derrière sa manche.
Midnight, couchée devant lui, apprenait à accepter la présence du fantôme dans son salon.
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