La chasse maudite

6 minutes de lecture

Et dans les bois retentissaient les trompes et les appels de l'équipage,

Et dans les bois on sonnait l'hallali,

Et dans les bois retentissaient les cris et les aboiements de la meute,

Et dans les bois on sonnait la curée.

Courir et donner le change, c'est affaire d'animal,

Affaire d'animal

Affaire d'animal

Affaire d'animal...

Un vol ?

- Non, je ne pense pas.

- Un viol ?

- Je ne pense pas non plus.

- Mais enfin Ghost ! Il y a bien une raison !?

- Là, je sèche."

Sur la table d'autopsie, une femme était nue et son corps se trouvait dans un excellent état de conservation.

Elle avait pourtant disparu pendant trois semaines.

Donc, on l'avait enfermée durant trois semaines.

Mais l'étrange était le manque de sévices, l'absence de blessures...

La femme avait été bien traitée.

Oui, Ghost ne comprenait pas et cherchait une affaire dans sa mémoire qui pouvait l'aider à le faire.

" Pas de vol, pas de viol. Un meurtre ?, proposa bêtement le lieutenant.

- Evidemment. Mais pourquoi ?"

La femme était magnifique.

La perfection absolue.

Elle était morte, hélas.

C'était le seul défaut à ce corps parfait.

La gorge arborait un trou assez impressionnant, une terrible blessure qui provoqua une hémorragie mortelle.

" Un couteau cranté ?, murmura Sylvie Lyster en lisant le rapport. Je ne pige rien.

- Vous n'êtes pas la seule.

- Qui est-ce ?

- Une très jolie inconnue.

- Ghost !"

La jeune policière regarda son collègue en fronçant les sourcils.

Celui-ci rétorqua d'un air penaud :

" Ben quoi ? Elle est chouette la gonzesse !

- Elle ne s'est pas noyée dans la Seine."

L'inspecteur mort à Paris eut un sourire approbateur.

" On a des lettres à ce que je vois.

- J'ai appris à sauver des vies en embrassant ses lèvres. Heureusement que je connais la Noyée de la Seine. Ghost ! Tu as trop l'habitude de traiter les gens de haut."

Un rire retentit, amusé et moqueur.

Il s'accorda à merveille avec le vent espiègle qui fit tomber sur le sol les rapports et les dossiers du malheureux préposé à la Morgue.

Et dans les bois s'organisaient le rabattage et la grande vénérie,

Et dans les bois on sonnait l'hallali,

Et dans les bois criaient les hommes et les bêtes chassées,

Et dans les bois on sonnait la curée.

La bête est prise ! Retentit la trompe !

Mort de l'animal

Mort de l'animal

Mort de l'animal...

" La victime s'appelle Améline de Saintonge.

- Une noble ?, demanda l'inspecteur encore respectueux des titres, malgré les siècles.

- Une noble, oui, monsieur le révolutionnaire !

- Je n'ai pas fait la Révolution ! J'étais trop jeune pour combattre !

- Qu'avez-vous fait ?

- L'Empire et ce ne fut pas mieux."

Un silence suivit cette réponse et le lieutenant Lyster secoua sa frange noire.

" L'Egypte ?

- Pire."

" La victime a été déclarée disparue deux fois, apprit Lyster à son collègue qui essayait d'écrire sur le clavier des phrases lisibles.

- Deux fois ?

- La première déclaration a été retirée deux heures après avoir été déposée."

Le fantôme cessa de jouer à écrire des mails étranges à l'ensemble des services de police.

" Comment cela ? Je ne comprends pas. On s'était trompé ?

- La deuxième déclaration a été bien déposée il y a trois semaines.

- Qui s'est chargé de ces déclarations ?

- Les parents."

M. et Mme de Saintonge refusèrent de parler à la police en l'absence de leur avocat.

Leur fille avait disparu il y avait quelques semaines en effet.

La première fois avait été une erreur.

On avait cru Améline disparue il y avait un mois mais en réalité, elle était restée chez un ami.

La deuxième fois remontait à trois semaines.

Là, Améline avait bel et bien disparu.

" Qui est cet ami ?"

Les parents refusèrent de répondre et l'avocat rappela au lieutenant de police que ses clients n'étaient pas mis en examen et qu'ils venaient de vivre une terrible perte.

Dans le parc magnifique entourant la demeure des de Saintonge, l'inspecteur de police levait le nez et regardait les arbres centenaires.

" Vous entendez des voix, Ghost ?

- Il faut savoir qui est cet ami ! Absolument !"

Sylvie Lyster leva les yeux pour suivre le regard de son collègue mais elle ne vit que les arbres.

" Vous la voyez ? Elle est là ?

- Elles sont là.

- Elles ? Il y a plusieurs victimes ?

- Cinq !

- Merde Ghost !"

Et dans les bois partaient seuls le piqueur et son limier,

Et dans les bois on sonnait l'hallali,

Et dans les bois galopaient les chevaux et les bêtes traquées,

Et dans les bois on sonnait la curée.

L'animal est levé et on choisit le trophée !

Trophée de l'animal

Trophée de l'animal

Trophée de l'animal...

" Il y a un vilain secret dans ces familles de nobliaux et je n'aime pas ça, Ghost.

- Il y a des vilains secrets dans toutes les familles, lieutenant.

- Ghost ! C'est quoi mon prénom ?

- Sylvie.

- Tu vois ! Tu peux le dire !"

Le lieutenant souriait en taquinant le vieux policier, sachant bien que, malgré les années, il n'arrivait pas à perdre toutes ses manières désuètes.

" Interrogeons les amies d'Améline. Et cherchons les autres victimes."

Peine perdue.

Les amies ne savaient rien.

Les victimes n'étaient pas recensées.

Il y avait un terrible secret bien gardé.

" Ce cadavre est une erreur. Un oubli en réalité.

- Oui, lieutenant.

- On aurait jamais dû le trouver.

- Non.

- Ha ! Ces promeneurs du dimanche !"

Sylvie se mit à rire et l'inspecteur la suivit.

" Avez-vous entendu dans le parc du château ?, demanda tout à coup l'inspecteur.

- Non. Qu'aurais-je dû entendre ?

- Je vais vous faire entendre !"

L'inspecteur fit tourner l'écran de l'ordinateur et d'un mouvement de ses doigts, il fit apparaître une page de recherche internet.

Le lieutenant en fut amusée.

Mais avant qu'elle ne puisse parler, une musique se fit entendre.

Et le sourire disparut.

" Qu'est-ce que ça veut dire ?

- C'est la Saint-Hubert !

- Ces femmes ont été chassé ?!

- Oui. Et les blessures ont été faites avec un couteau de chasse cranté. Pour la mise à mort.

- Mais leur corps ne portait aucune trace de blessure, en courant, elles ont dû nécessairement se blesser aux ronces et aux branches.

- Sauf si on court dans un parc d'un grand château...

- Ghost.

- Les pieds des victimes et les chevilles portent des griffures mais rien de transcendant.

- Ghost !

- Ces femmes ont été assassinées après une poursuite dans un parc !

- Ghost !!! C'est ridicule !

- J'ai entendu la musique !"

Lyster baissa la tête et admit :

" Bien, allons interroger encore une fois la famille de Saintonge."

Interroger.

Encore.

En vain.

Puis l'inspecteur se fâcha et tout à coup on entendit les premières mesures de la Saint-Hubert jouées sur le piano du salon.

L'avocat ne comprit pas.

Mais monsieur et madame de Saintonge comprirent.

Ils avouèrent.

La folie du fils.

Et la mort de jeunes filles venues des pays de l'Est.

Et la mort de sa jeune soeur.

Et le silence grassement payé.

" Un film en noir et blanc ? Sérieux ?, se moqua la jeune femme;

- Les chasses du Comte Zaroff est un excellent film et vous ne devriez pas bouder les films en noir et blanc, lieutenant.

- Oui, monsieur l'inspecteur de police. Il date de quand ce film ? L'année de votre mort ?

- Ha ha ha ! Un siècle après. 1932.

- Comment vous l'avez vu alors ?

- Un des policiers adorait les films d'horreur en noir et blanc. Il les mettait souvent en salle de garde. "

Le lieutenant se mit à rire en se penchant contre l'épaule de son collègue.

" Je vous adore !"

On sonna à la porte, dérangeant les deux amis.

Adrien se tenait là, un bouquet de fleurs à la main et un sourire adorablement amoureux à la bouche.

Sylvie le fit entrer.

Il vit la soirée cinéma toute prête et déclara qu'il allait laisser la jeune femme toute seule.

L'inspecteur leva les yeux au ciel.

" Non, non, tu peux rester Adrien. J'allais regarder un vieux truc à la télévision."

Le jeune policier retirait sa jolie veste de cuir et s'enquit du titre.

" Un vieux truc ?

- Les chasses du Comte Zaroff."

Et le jeune homme fut enthousiaste.

" Mais c'est un chef-d'oeuvre ! Je ne savais pas que tu aimais les vieux films."

Sylvie Lyster dut mentir et avouer qu'elle les aimait en cachette.

L'inspecteur se mit à rire.

Adrien aperçut le chat resté assis les yeux fixés sur le canapé et il s'écria :

" La vache ! Il a quoi ton chat ?

- Il voit des fantômes !"

Adrien et Sylvie rirent de concert.

Tandis que l'inspecteur, doucement, s'évanouissait dans le néant afin de laisser les amoureux tranquilles.

Mais il était content de savoir que sa collègue allait être obligée de regarder un vieux truc en noir et blanc.

Annotations

Vous aimez lire Gabrielle du Plessis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0