A l'abordage !
Du bruit, du bruit, du bruit...puis le silence.
Enfin !
Profond et apaisant...
Mais il est suivi par un cri d'horreur !
A se déchirer les tympans.
Le lieutenant Lyster eut un sourire amusé en voyant son collègue examiner les lieux avec un air de profond mépris. Elle le connaissait maintenant, ce regard était là pour cacher son incompréhension.
Son cher Ghost.
Il ne comprenait pas. Il n'avait jamais vu. Alors il se cachait derrière son ignorance en affectant un air suffisant.
" C'est un parc d'attraction, Ghost, expliqua gentiment la jeune femme.
- Je sais !, claqua le fantôme, irrascible.
- Ceci s'appelle une attraction. Et ce sont des animatroniques.
- Des...quoi ?
- Des robots très réalistes," répondit posément le lieutenant.
Mais la même idée venait de naître dans leurs deux esprits.
" Non ?
- Tu ne crois pas ?
- Ce n'est pas possible !"
Ce à quoi conclut l'inspecteur :
" Merde !"
A l'abordage, moussaillon !
Pavillons noirs et têtes de morts
Voilà les pirates, voilà les pirates
Pavillons et têtes de morts
Voilà les pirates qui arrivent dans le port !
Chanter et hurler
Piller et tuer !
" Une animatronique, ou animation électronique, est une créature robotisée ou animée à distance par des câbles ou par radiocommande."
L'ingénieur du parc d'attraction expliquait avec des mots simples une réalité beaucoup plus complexe, faite de mécanismes internes et de servomoteurs radiocommandés.
" Donc vos pirates sont radiocommandés ?, demanda le lieutenant.
- Oui. Les mouvement sont enregistrés sur un ordinateur et l'animatronique va les jouer à l'infini. Sur le même schéma.
- Montrez-moi ça !"
L'ingénieur montra.
La bande de pirates, en costume réaliste et sabre en avant, se lança à l'abordage de la nacelle des visiteurs du parc. Des petits comme des grands.
Et tout se déroula comme l'avait dit l'ingénieur.
Alors ?
Que s'était-il passé ?
La peur aidant, on vide le parc.
Facile, doucement,
Il ne faut pas faire peur aux enfants !
Un peu oui,
mais pas trop !
"The Show must go on", comme on dit !
Les deux policiers examinaient le cadavre et ne trouvaient pas matière à rire.
Un homme correctement embroché par un sabre de pirate.
Il n'était pas mort sur le coup, mais de la perte de sang.
Il était tombé de la nacelle dans l'eau et le temps que les secours le rattrapent, il était mort.
Il fallait dire que l'endroit de l'attaque de pirates était stratégique !
Au début de plusieurs rapides, juste avant que le canon du fort tonne et que les pirates ne s'emparent de Macao, juste après les rires des singes cachés dans les palmiers sur les plages couvertes de coffres à trésor.
On ne plaisantait pas avec les trésors des pirates !
" Bon, souffla l'inspecteur en ouvrant un coffre à trésor rempli de verrerie au lieu de diamant. Ce ne sont pas les automates.
- Non."
L'inspecteur fantôme se tourna aussitôt vers sa collègue pour la toiser.
" Quoi ?, rétorqua-t-il sèchement.
- Rien."
Le faux diamant fut jeté sur la jeune femme qui l'attrapa au passage et se mit à rire.
" Merci Ghost, mais je ne suis pas une femme à bijoux.
- Qu'est-ce que tu sais que je ne sais pas ?," claqua le policier, fâché.
Lyster contempla, amusée mais un peu inquiète également, les lumières artificielles vaciller autour d'elle. Il faisait sombre dans cette attraction.
L'air était artificiellement chaud et humide.
Les serpents étaient faux et les araignées grouillaient par la magie de l'électronique.
Mais la nuit totale pouvait malgré tout réveiller quelques peurs enfantines.
Après tout, on entendait le feulement du tigre dans le lointain.
" Un ordinateur, cela se programme, murmura le lieutenant Lyster.
- Oui, je ne suis pas aussi imbécile que tu le crois, Lyster !
- Et cela se reprogramme.
- Je sais et..."
Mais non, il ne savait pas assez.
Il avait pourtant vu arriver l'informatique dans les locaux de la préfecture et les rapports se faire via le réseau interne. Il avait appris à envoyer des mails pour effrayer les collègues avec des messages incompréhensibles.
Des rappels de date, de faits et des coups de pied au cul verbaux pour faire avancer des enquêtes.
Mais il ne savait pas programmer un logiciel.
" Un ingénieur aurait programmé un pirate ? Pour qu'il tue ?
- Oui, Ghost. C'est ce que je pense.
- Mais à quelle fin ?
- Ca... je n'en ai aucune idée, mon cher."
L'argent, le licenciement économique, les compressions de personnel.
" A la suite de notre entretien qui s'est tenu le jeudi 25 avril 2021, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour le motif économique suivant dans les conditions posées à l'article L. 1233-3 du code du travail..."
Oui, le licenciement et le chômage pouvaient jouer mais aussi la honte et le dégoût de la société.
Bénéficiaire, elle osait licencier ses employés.
" Les difficultés économiques de l'entreprise Nerveland ont nécessité une réorganisation de l'entreprise afin d'assurer sa sauvegarde, liées au contexte global de la pandémie COVID."
Difficultés économiques ? Il avait travaillé pendant trente ans à programmer des automates, puis les premiers robots et maintenant il était formé pour gérer les animatroniques.
" En dépit des recherches que nous avons effectuées au sein de notre entreprise, conformément à l'article L. 1233-4 du code du travail, nous n'avons pas trouvé de poste de reclassement."
Bien entendu. Pas de reclassement. A son âge !
Avec une vie passée dans les parcs d'attraction à écouter les parades et à connaître par-coeur les chansons des personnages animés.
Pavillon noir !
Ils sont cruels, ils sont méchants
Et sous les ongles, ils ont du sang
C'est le sang des petits enfants !
A l'abordage, moussaillon !
Et pas de quartier !
L'homme avait été licencié. Il avait reçu sa lettre de licenciement et sa période de préavis. Il avait décidé de frapper un grand coup contre cette entreprise qui lui mentait et le licenciait sans motif.
Licenciement économique ?
La belle affaire !
Il programma un pirate et n'espéra qu'une chose !
Que la mort de ce malheureux touriste fasse fuir les autres et oblige le parc à fermer !
Ensuite, il le déprogramma et vaqua à ses autres taches. Innocent !
Mais que voulez-vous ?
La peur et la mort attirèrent encore plus de touristes et les pirates étaient à la mode !
S'il n'avait pas été en prison, l'ingénieur assassin aurait reçu un poste dans le service marketing !
Après tout...
Le touriste aurait pu être lui aussi une animatronique !
L'inspecteur décédé voyait sa collègue s'asseoir avec sa bière et ses chips, la télécommande à la main.
Un soupir de soulagement après cette longue journée de travail.
Mais on frappa à la porte et Lyster dut se relever, agacée.
C'était Adrien.
Le visage triste et un bouquet de fleurs à la main.
Le jeune homme murmura :
" Je veux bien qu'on ne se marie pas...mais tu veux bien qu'on vive ensemble ?"
Sylvie Lyster l'embrassa et lui dit "oui."
L'inspecteur s'évanouit dans la lumière tamisée...abandonnant le film qui commençait à peine.
Pirates des Caraïbes...
Annotations