Remise des récompenses
L'inspecteur décédé était debout. Il regardait les hommes et les femmes en uniforme qui l'entouraient avec un regard mauvais.
Dur.
Brutal.
Le lieutenant Pelletier félicitait officiellement le tout nouveau lieutenant Fatou Traoré.
Pour la réussite de l'affaire du Caméraman.
Pour la blessure reçue sur le lieu de l'arrestation.
Pour la maîtrise incroyable dont elle avait fait preuve.
Le cameraman était un jeune homme de vingt ans et il filmait les crimes avec son drône, sa mère était le tueur aux explosifs. Deux assassins. Pour quel motif ?
Fatou Traoré portait un bras en bandoulière et ses tresses jouaient en encadrant son visage. Une jeune femme, noire et ronde, belle et merveilleuse.
Dans d'autres lieux.
A d'autres époques.
Si...
On saluait Fatou, on lui frottait l'épaule, on la serrait dans les bras.
Elle partait à Marseille, elle quittait Paris et ses brumes.
Elle quittait Ghost.
Après sa longue convalescence, elle le méritait.
Quelqu'un a appelé la police ce jour-là. Un officier des forces de l'ordre était à terre. Il fallait venir. Que s'était-il passé ?
Fatou Traoré rangeait ses quelques affaires dans un carton, d'une seule main. Aussitôt, elle vit léviter les crayons, les stylos et elle rit.
" Tu viens m'aider, Ghost ?
- Oui, la gamine. "
Les stylos vinrent se placer dans le carton, bien en rang, suivis des quelques livres. Une photographie de l'école de police. Un procès-verbal de fausse arrestation signé par Sylvie Lyster.
" Adrien est entré chez les pompiers," annonça Fatou en cherchant son nouveau mug.
Un gros coeur rouge avec marqué en gros : "I LOVE PARIS".
" Bonne idée, répondit le policier. Il va vivre et les années passeront.
- Et toi Ghost ?"
Fatou chercha les yeux de Ghost et les vit, froids et illisibles.
" Moi ? Il me reste les Archives. Je cherche quelque chose. Je continuerai à chercher."
Nul n'avait compris. Les policiers trouvèrent la jeune stagière, Fatou Traoré, blessée assise sur le sol. Elle ne devait la vie sauve qu'à son gilet par-balle. Et dans l'appartement ?
" Peut-être as-tu trouvé, Ghost ?, sourit Fatou, tout doux, tout doux.
- Trouvé quoi ?
- Viens voir Mamina Didi.
- Pour me faire renvoyer dans les limbes ? Tout ce que tu veux, la gamine. J'en ai soupé de cette comédie."
Les vivants étaient brûlants, chaleur extrême et douloureuse. Les morts étaient glacés, froid profond et extrême.
Malgré tout, Fatou caressa doucement la joue de Ghost et le policier ferma les yeux.
" Je ne te veux pas de mal, Ghost.
- Qui peut m'en faire sinon les vivants ? Fais ce que tu veux de moi.
- Viens !"
Fatou Traoré expliqua ses démarches alors que les secours essayaient de la soigner. Son pronostic vital n'était pas engagé. Et le reste ?
Mariam, la mère de Fatoumata Traoré était une femme d'origine africaine mais résolument européenne. Elle travaillait à la banque aussi, elle connaissait très bien la petite amie de sa fille, Annabelle.
Elle déplorait la vie de sa propre mère. Mamina Didi.
Une caricature d'Africaine, comme le disait la mère de Fatou.
Toujours en boubou, elle ne mangeait que des plats africains et ne parlait que le yoruba. Bien entendu, la vieille femme savait très bien parler le français, elle le lisait et l'écrivait. Elle avait été à l'école en France, elle avait été infirmière.
Elle jouait les Africaines du cru, comme le répétait la mère de Fatou.
Et cela agaçait profondément Mariam.
Lorsque Fatou vint visiter sa mère, elle le fit en soupirant de dépit. Et cela ne manqua pas. Sa mère se jeta sur elle à son arrivée.
" Va voir Mamina ! Elle devient folle ! Elle ne fait que m'énerver !
- Que se passe-t-il, iya ?
- Il se passe que ta grand-mère me tanne pour que tu viennes la voir.
- Iya ! Tout va bien !"
La mère de Fatou se frotta les yeux et murmura :
" Elle m'a prédit ta blessure, elle m'a dit que tu avais de mauvaises fréquentations. Je ne sais plus quoi faire de vous deux !"
Fatou Traoré fut interrogée. Elle mena ses collègues dans le salon triste et misérable de l'appartement. Pour y trouver quoi ?
La vieille femme portait les marques d'une vie longue et douloureuse.
Et pourtant son regard brillait de malice.
Les yeux dorés de Fatou Traoré.
" Tu me l'as enfin amené, lança-t-elle en guise de salutation.
- Bonjour Mamina, sourit Fatou.
- Les morts sont mauvais.
- Je vais bien. Merci de demander, Mamina, se moqua la jeune femme.
- Les morts sont mauvais.
- Ce n'est pas faux," murmura le policier fantôme.
Fatou se mit à rire.
Mamina leva la tête et Ghost aperçut ses yeux aveugles.
Les deux prévenus étaient menottés. Ils étaient inconscients mais vivants. Comment cela s'expliquait ?
" Les morts sont dangereux et mauvais !, répéta la vieille femme.
- Ghost m'a sauvé la vie," rétorqua Fatou.
Cela surprit Mamina Didi. Elle eut un sourire bienveillant.
" Alors... Il a changé..."
Les deux femmes contemplèrent le policier invisible. Ghost se tenait au garde-à-vous.
Illisible.
" Mérite-t-il de partir ?"
L'inspecteur baissa la tête.
" Deux cents ans de purgatoire... On peut faire mieux, " jeta amèrement le policier.
Et sa silhouette vacilla dans la lumière.
L'action avait été rapide. Fatou Traoré se recula violemment et la balle frappa son côté. Qu'avaient-dit les prévenus ?
" Non !, s'écria Fatou. Ghost m'a repoussé pour que la balle ne touche pas ma poitrine.
- La belle affaire, se moqua le vieux policier. Tu avais un gilet pare-balles.
- Oui, Ghost. Mais tu ne le savais pas.
- Tu es maligne, la gamine, sourit Ghost.
- J'ai appris des meilleurs."
Les deux policiers rirent. Amusés et tristes.
" Je ne voulais pas te voir blessée, avoua l'inspecteur. Cela fait trop mal."
Mamina Didi asséna en souriant :
" On a trouvé ce qu'on cherchait, on dirait..."
Les prévenus ne furent pas clairs. Ils racontèrent une histoire à dormir debout. Qui pouvait croire ça ?
" Partir... Partir... Mais..., balbutia l'inspecteur. J'ai le droit ?
- A votre avis ?
- Je suis fatigué."
Le vieil inspecteur s'inclina.
" Fatou m'a empêché de commettre deux meurtres de sang-froid.
- Oui. Et l'homme que vous étiez autrefois aurait-il hésité ?"
L'inspecteur se souvint de lui.
De cet homme du passé et admit :
" Non.
- Alors vous avez le droit de continuer votre chemin, inspecteur."
Une tempête les avait arrêtés et frappés. Une sorte de fantôme leur avait parlé. Les menaçant de mort. Fatou Traoré avait demandé leur clémence. Et la tempête avait disparu. Qui saura jamais la vérité ?
Les prévenus furent condamnés à la perpétuité. On hésita à les taxer de folie. Le motif fut leur perte.
M. Simonnet était marié. Il avait une maîtresse et un fils caché.
Que se passe-t-il quand on quitte sa maîtresse pour une autre ? Plus jeune, plus belle, plus exotique ?
Il fallut détruire l'entreprise mais aussi tous ces étrangers...
Une vie de perdue pour un ingrat.
La haine serait à la hauteur des espoirs déçus. Et une femme abandonnée, raillée, méprisée avait une vie d'espoir déçu à venger.
Son fils fut toujours à ses côtés.
Quel père abandonne sa famille ?
Quel père abandonne sa famille ?
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