Ultionem Matris
Violette avait plongé sa tête dans sa main droite, exaspérée. Quoi qu’ils fassent, ils finissaient toujours par devoir s’y reprendre une seconde fois. Même avec cette énigme qui lui avait finalement paru plus simple, l’histoire devrait se répéter. Mais pire encore, leur porte de sortie n’avait manifestement pas bien joué son rôle.
— Ça valait vraiment le coût de se plaindre, pour finir dévoré, tiens…
— Il pouvait pas savoir…
— Oh et arrête de le défendre tout le temps, Cyprien ! On fait quoi, maintenant ?
— Il faut qu’on atteigne le chat, reprit Basile d’un ton ferme. On est quatre, si on fonce ensemble, il y en a bien un qui l’atteindra…
Un plan qui ne satisfaisait pas ses camarades, et ils lui firent sentir par des soupirs. Fatigué par leur attitude, il se tourna vers eux, sourcils arqués.
— Vous avez une meilleure idée, peut-être ?
— Désolé Basile, souffla Violette. Mais je t’avouerais que la perspective de se faire attaquer par un ours ne me réjouit pas particulièrement.
— Je sais bien mais… on n’a pas vraiment le choix…
— Au moins c’est pas un insecte géant, ajouta Cyprien.
Violette frissonna. La vue des araignées la retournait toujours comme une crêpe, ce n’était un secret pour personne. C’était d’ailleurs l’une des plaisanteries préférées de Mathéo à son égard. Elle avait beau essayer de se convaincre que les petites bêtes ne mangeaient pas les grosses, elle ne parvenait pas à résister à la panique. Enfin, cette fois-ci, la question ne se posait pas vraiment. C’était eux, les petites bêtes.
— Préparez-vous à courir, il suffit qu’un de nous y arrive, lança Basile, une main sur la poignée.
— Attends ! Elle est où, Alice ?
Ils échangèrent un regard entre surprise et effroi. Puis la réponse leur revint et chacun prit un air plus courroucé en se dirigeant vers le lit à baldaquin. Leur amie s’y trouvait encore, allongée et endormie paisiblement.
— C’est pas vrai…, soupira Basile. C’est pas le moment de faire une sieste !
— Alice ! s’écria Violette en la secouant sans ménagement. Alice, bon sang !
— On peut peut-être la laisser dormir…
— Tu n’y penses pas, Cyprien ? Et si à trois, on ne parvient pas à atteindre le chat ? On sera foutu parce que Madame a voulu se reposer les yeux !
— Les gars…
— Mais on est trois, ça ira, l’ours est tout seul, non ? Si ça se met, il va se contenter de Mathéo…
— Tu as déjà vu un de ces pièges se contenter de quoi que ce soit ?
— LES GARS ! On sent à peine son pouls…
Le visage furieux de Basile devint aussitôt blême, mais pas plus que celui de Cyprien qui relaya Violette à sa tâche de réveil-matin pour blondinette insouciante. La jeune adolescente s’écarta de son amie avec désarroi.
— Ce doit être un autre piège du Manoir… On doit se méfier de tout, maintenant…
— Nous voilà plus que trois, alors. Venez.
Basile ne voulait plus perdre de temps. Ils devaient récupérer Mathéo ET Alice, désormais, et ne pouvaient plus compter que sur eux-mêmes face à l’ours ressuscité. Son injonction laissa Cyprien perplexe. Un côté de lui comprenait que c’était la solution la plus simple pour tirer Alice de ce mauvais pas. Une autre ne voulait surtout pas l’abandonner comme ça. Une dernière, enfin, lui recommandait d’essayer la méthode du prince charmant de la belle aux bois dormants, juste au cas où. Avec regret, il redéposa tendrement son amie sur le matelas.
— Vous êtes prêts ? Je compte jusque trois… Un… deux… Trois !
À peine ouvrait-il la porte que l’ourse poussait un rugissement et se jetait dans leur direction. Les trois adolescents, poussés par l’adrénaline, s’élancèrent dans le but d’éviter la charge de la mère en colère. Malheureusement pour lui, Cyprien était encore trop en retrait lorsque son ami avait ouvert la porte. Il eut à peine le temps de passer l’encadrement de la porte que l’ourse lui arracha une partie du visage d’un seul coup de griffes.
Le garçon n’était pas mort, mais la douleur était telle qu’il tomba par terre en hurlant de douleur. Pourtant, déjà, la mère ourse se désintéressait de lui. Elle avait deux autres proies à disposition non loin. Violette et Basile courait pour faire le tour de la table et rejoindre le félin noir, qui les surveillait toujours sans bouger. Mais les ours sont plus rapides que les humains.
Chargeant à quatre pattes, l’animal eut tôt fait de les rattraper. D’une pattes, elle fit basculer Violette qui tomba avec effroi dans sa course. Ses griffes avaient déjà fait de lourdes plaies à la pauvre ingénue, mais au lieu de s’attarder plus longtemps, l’animal lui passa littéralement dessus, l’écrasant de tout son poids et lui coupant le souffle en brisant plusieurs côtes au passage. Violette, comme Cyprien, étaient hors d’état d’agir. Il ne restait qu’un garnement à punir.
Les grognements et les cris de ses camarades indiquèrent à Basile que la bête n’allait pas tarder à le rattraper, lui aussi. Aussi décida-t-il d’emprunter un raccourci. Il bifurqua soudainement et bondit sur la table. S’il se réceptionnait mal ou s’il trébuchait, il était mort. Mais heureusement, il atterrit sans encombre et, d’un second saut, se retrouva de l’autre côté, à quelques mètres du chat. L’ursidé, surpris, avait continué tout droit et se retrouvait momentanément hors de portée. Alors Basile regroupa ses dernières forces et attrapa le chat qu’il serra fort contre lui en caressant sa tête si fort qu’il cracha.
Puis il fut pris d’une quinte de toux, et il sut qu’il était sauf.
Autour de lui, ses compagnons d’infortune se rendaient compte peu à peu qu’ils étaient revenus dans le temps. La douleur infligée par l’ours, qui se tenait de nouveau immobile dans son coin, les avait quittés. Alice, enfin, s’étirait sans ménagement.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-elle.
Violette se frotta la tête puis prit le temps de tout lui expliquer. S’il ne disait mot, Mathéo écouta d’un air renfrogné. Il était fâché d’avoir, une fois de plus, été tué alors qu’il aurait dû rester sain et sauf cette fois-ci.
— Okay, lança-t-il une fois le récit terminé. Donc, on va r’commencer. Et l’ours va encore chercher à nous tuer.
— Faut croire, je ne vois pas trop comment on pourrait récupérer la clé sans déchirer la peluche…
— Sauf que cette fois, on sait ce qu’il va se produire, lança Basile. Il suffit d’y être préparé.
— Oh, bah si ça suffit…
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