Chapitre 11-5 : blackboulé ! - Violences mortelles
Violences mortelles
21 juin 1989
Le détective contempla le visage livide de son patron : sa nuit avait dû être agitée, et pour cause... Forel l’avait appelé la veille au soir, pour lui demander s’il avait vu les informations. Il lui avait dû lui annoncer la terrible nouvelle : Bardon avait de nouveau pété les plombs. Après s’être tenu à carreau plusieurs mois, tout avait brusquement basculé… Il avait passé sa compagne à tabac… Son fils ainé avait voulu s’interposer et son père l’avait envoyé valdinguer par-dessus la balustrade du balcon avant de se retourner vers sa femme. Fou de rage il l’avait pilonné de coups avant de la trainer dans la salle de bain ou il lui avait maintenu la tête au fond de la baignoire pendant qu’il faisait couler l’eau. Les secours étaient arrivés trop tard... Elle avait succombé pendant son transfert à l’hôpital. Son fils s’en sortirait, mais sa colonne vertébrale avait été touchée : il ne remarcherait plus jamais.
Pendant leur conversation de la veille, Ancel lui avait brusquement demandé d’attendre un instant. Forel avait entendu un hoquet caractéristique : son patron était allé vomir dans les toilettes.
Il reporta son attention sur lui : « On a fait ce qu’on a pu. »
Marc secoua lentement la tête, les yeux baissés. Il parla d’une voix éteinte : « Elle est morte, la vie de son fils est foutue… Et c’est de ma faute.
— Ce n’est pas toi qui les as tabassés. »
Marc tapa violemment du poing sur le bureau du détective ; ses yeux lancèrent des éclairs : « Tes amis voulaient aller plus loin, et j’ai refusé ! sa voix s’éteignit, son regard redevint morne, je l’ai condamnée à mort. »
Le détective ne dit rien. Bien que plus stoïque, il était également anéanti par la nouvelle.
« Les autres ? »
Forel comprit à demi-mot. Hormis les passages à tabac réalisés à Lille, ils avaient remis cela, dans la région marseillaise cette fois-ci. Avec à chaque fois le même modus operandi : une correction pour le père ou mari violent et une enveloppe avec du cash pour sa compagne.
« Sur Lille, deux femmes ont quitté leur époux dans les semaines qui ont suivi. Dans le troisième cas, c’est le conjoint violent qui a décidé de partir de lui-même. Outre la famille Bardon, il n’en reste plus qu’une. Ils sont toujours ensemble, mais il n’y a plus eu de signalement depuis.
— Jusqu’à hier matin, il n’y en avait pas non plus pour Bardon. »
Le détective préféra ne pas répondre et poursuivit : « Pour Marseille, c’est encore trop récent. D’ores et déjà deux couples se sont séparés, pour les autres, pas de nouvelles violences décelées. »
Un silence pesant s’installa dans le bureau. Aucun des deux hommes n’avait envie de parler. Forel vit son patron lutter pour retenir ses larmes.
Après ce qui lui sembla être une éternité, Marc releva la tête. Il s'exprima sur un ton mécanique, dénué de chaleur :
« Il nous faut changer de tactique. Je n’ai pas encore les moyens financiers pour continuer comme cela, et en plus cela n’empêche pas … sa voix se brisa, il se reprit : nous devons terroriser ces monstres… il regarda durement le détective : il faut que Bardon paye… définitivement… »
Forel sursauta et jeta un œil par réflexe vers la porte du bureau pour vérifier qu’elle était bien fermée : « Il doit-être en isolement. Ce n’est pas possible. »
Marc resta buté : « Il faut faire passer le message : ces ordures ne seront plus à l’abri. Où qu’ils soient.
— Tu es secoué. Laissons reposer. On en reparlera quand on aura digéré cette tragédie. »
Kermarrec dévisagea la capitaine de police : il l’a sentait sur le point d’exploser. Elle lui avait demandé venir la voir chez elle au petit matin, avant qu’elle ne parte au travail. Pour se donner une contenance, il but une petite gorgée du café qu’elle lui avait servi sur le comptoir de la cuisine.
« On aurait dû le buter ! »
La phrase resta en suspension dans l’air.
Elle insista : « On devrait tous les liquider. On a été trop faibles. »
Le commandant reposa sa tasse : « Il y en a trop. Et cela ne les sauvera pas tous », fit-il en faisant référence aux victimes.
La carapace de Tania Carrel se fissura, sa voix se fit chevrotante : « C’est si horrible ! puis se reprenant : tu as eu Serge ? Et lui, il en pense quoi ?
— Il le rencontre en ce moment même. »
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