- 1 -
Cela faisait déjà dix jours et l’Office venait de lui dire que le plombier ne passerait pas avant la fin de la semaine ! En cette mi-juin orageuse, ne pas avoir d’eau chaude était un supplice. Il aurait donné n’importe quoi pour une douche !
Cette solution, il l’avait écartée d’emblée : pas question de demander à Antoine cette faveur. Pourtant, ils étaient copains. Plus que collègue. Un peu plus seulement. Il avait rejoint l’équipe l’an passé. Son premier job. Loin de chez lui, de ses amis, dans cette ville austère. Il avait été bien accueilli et Antoine s’était montré chaleureux immédiatement. C’est vrai que ses manières étaient particulières. François, avec qui il avait également sympathisé, traitait Antoine de pédé, ouvertement et méchamment. Il n’avait pas voulu se mêler à cette querelle. Il savait qu’il y avait des homosexuels, mais ce n’était pas son affaire.
La première fois que Antoine l’avait invité à boire un pot, il avait été impressionné. En fait, c’était tout simplement la première fois qu’il était personnellement invité. Auparavant, cela avait toujours été en famille ou avec un groupe. Le grand poster du David de Michel Ange l’avait impressionné. Il ne connaissait pas cette statue. Encore moins sa symbolique. L’échange avait été sympathique, détendu. Antoine aimait dessiner et il se défendait plutôt bien. Ses dessins représentaient des hommes, exclusivement. Il en avait énormément et il les défila au fil de différentes soirées. Quand ils se connurent un peu mieux, Antoine lui montra d’autres dessins, de nus cette fois. Sur certains, seul le sexe était apparent. Et sur plusieurs, une érection se déployait. Cela ne l’avait pas trop choqué, car cela lui semblait de l’art, très habilement réalisé. Antoine lui avait alors avoué qu’il était bisexuel, attiré aussi bien par les femmes que par les hommes, embranchant sur la stupidité malheureuse de leur collègue et de ses piques méprisantes, le trouvant plus à plaindre qu’à blâmer. Ils ne se connaissaient que de peu et cette franchise l’étonna. Il ne répondit rien, n’ayant aucun avis sur le sujet, ignorant du sexe.
Quand Antoine lui proposa de lui tirer le portrait, il fut flatté. Le résultat lui plut énormément, se trouvant plus beau sur le papier que son reflet habituel.
Un petit rituel s’était mis en place et il venait une fois par semaine. La tradition était le partage d’un Picon-bière, qui a la vertu de vous rendre serein et d’humeur joyeuse. Après plusieurs esquisses, Antoine lui proposa un jour, comme une boutade, de poser torse nu. Il hésita, puis se laissa croquer. Antoine le félicita délicatement pour son physique. La fois suivante, cette fois après deux verres, la pose en slip se déroula dans la rigolade. Jamais Antoine ne se permettait jamais un geste ou une remarque, seul l’art importait. Il trouvait les dessins réussis, même si le lendemain, en y repensant, une petite gêne le tourmentait pour avoir été ainsi magnifié.
Il aimait l’ambiance de ces soirées avec Antoine, car il y retrouvait des émois de ses années passées et d’expériences qu’il avait partagées. D’une naïveté totale, il avait découvert avec amusement la masturbation, lors d’un voyage scolaire en quatrième. Il en avait fait grand usage, ne cherchant pas à associer des sentiments à cette pleine satisfaction. Le caractère des filles l’effrayait et il ne cherchait pas non plus de plaisirs dans des relations amicales. Il se suffisait à lui-même, avec le minimum de sociabilité lui permettant de se faire oublier. Il avait toujours vécu ainsi, sans avoir besoin des autres. Même en famille, il conservait une distance protectrice.
Plus tard, pensionnaire au lycée, il avait eu des échanges avec un camarade qui l’avait sollicité sans qu’il sache pourquoi. Cela avait commencé par de petits attouchements dans les vestiaires. Il avait été agréablement surpris et n’avait pas osé fuir. Par un hasard inexplicable, ils se retrouvèrent seuls dans les douches. Quand ce camarade s’approcha, il comprit que les attouchements allaient se faire à vif. Avant que l’autre ne l’ait vraiment touché, son érection le trahit. Son camarade fut entrainé. Ils commencèrent des rencontres régulières, s’éloignant dans les coins sombres du lycée. Un petit signe de tête les faisait partir de concert. C’était le plus souvent lui qui sollicitait ces rencontres, car manipuler un pénis gonflé était une chose très agréable. Se faire emporter par une main étrangère jusqu’au plaisir doublait celui-ci. Il n’y avait rien d’autre à échanger que ces services mutuels et cela apportait un complément, sans risque pour son âme.
Quand ce camarade lui proposa de le « sucer », il ne réagit pas, ne comprenant pas la signification de cette ouverture, avant de la rejeter avec dégout. Son sexe dans une bouche, quelle horreur, pour lui, pour l’autre ! Plus calmement, il se reposa la question un peu plus tard. Fabien avait un beau pénis, fin, bien droit, et d’une dureté inégalable. Mais le prendre dans sa bouche l’aurait révulsé. Non ! Ce n’était pas son truc.
Fabien partit au bout de deux ans, le laissant démuni. Aucune autre occasion ne se présenta, ainsi que pendant ses études universitaires. Ce n’était pas à lui de faire le premier pas et sa sociabilité réduisait à néant les possibilités. Il retrouva son autosuffisance sans plus de regrets que cela. Ne pratiquant pas de sports collectifs, aucune opportunité, dont il n’avait pas conscience, ne s’offrit à lui.
Annotations
Versions