Lune noire

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 Des rayons de soleil traversaient les quelques nuages accrochés dans le ciel. Naos était plus accoutumé à des jours grisâtres pour un début de janvier, c’est pourquoi il fut ravi par la présence de ce brin de lumière. L’adolescent ne put qu’être déçu lorsque l’astre s’éclipsa derrière une maison demeurant à l’horizon. Tout au long du chemin menant jusqu’à chez lui, il continua d’espérer le revoir le lendemain. Des étoiles disposées de part et d’autre des nuages ne tardèrent pas à apparaître. Alors, désireux d’échapper au froid de la nuit, Naos accéléra le pas.

 Arrivé à sa porte, le jeune homme abandonna dehors la pression du travail qui l'avait suivi toute la journée. Les bruits des caisses automatiques et les voix aiguës des clients mécontents n’avaient cessé de lui marteler la tête. Maintenant qu’il en était débarrassé, une migraine venait de prendre la relève. L’adolescent ne réalisa pas tout de suite que sa maison n’était pas fermée à clef, trop distrait par le bourdonnement que cela lui causait. Il lui fallut le temps d'atterrir dans l’entrée et de refermer la porte pour se rendre compte qu’il n’avait pas sorti son trousseau. Étonné, Naos imagina que son jeune frère avait dû rentrer plus tôt du collège. Il l’appela du peu de voix qui lui restait mais n'eut aucune réponse. L’adolescent soupira. C’était devenue une habitude que Naven ne l’entende pas, enfermé dans sa bulle, son attention coupée de ce qui l’entourait. La paire de chaussures jetée dans un coin de la pièce confirma qu’il était bien quelque part dans la maison.

 Naos tituba jusqu’au banc de l’entrée avant de s’affaler dessus de tout son poids. Il laissa tomber son sac à dos au pied du meuble, bien heureux d’enfin s’en débarrasser. Ôter ses baskets fut pour lui une vraie libération. Il allait enfin pouvoir s’écrouler sur le canapé du salon et ne plus en bouger. Le jeune homme dut user de ses dernières forces pour parvenir à se remettre debout. C’est de cette façon qu'il remarqua que le sol était mouillé et venait d’humecter ses chaussettes. Naos se demanda comment de l’eau avait pu s'infiltrer ici. Il examina la pièce, à la recherche d'une explication et vit les affaires de son frère trempées, abandonnées en un tas malpropre au milieu du couloir. Une nouvelle interrogation lui vint alors : qu’est-ce que Neven avait pu faire pour dans cet état alors sans qu’il n'ait plus de la journée ? Trop épuisé pour y réfléchir, il se résolut à attendre le dîner pour lui demander.

 Sentant le sommeil le gagner peu à peu, Naos se traîna jusqu’à la cuisine, désireux de manger une petite sucrerie avant de s’abandonner à ses rêves. Il constata ainsi que le plafonné était resté allumé. L’un des spots ne diffusait plus qu’une lumière fébrile, comme étant sur le point de rendre l’âme. L’adolescent grommela puis se résolut à attraper sans grande motivation une ampoule de rechange dans un des placards. Allant de surprise en surprise, il découvrit que ce dernier était en total désordre. Le contenue des boites avait été pour la plupart renversées, et celle prévue pour ranger les médicaments se trouvait vidée de son contenue alors même qu’elle avait été remplie la semaine précédente.

 — Neven ! hurla-t-il. C’est toi qui t’amuses à mettre la maison en bazar ?

 Cette question resta sans réponse. Naos fut en proie à une profonde colère, si bien qu’il en oublia sa fatigue un instant. D’un pas échauffé, il s'élança dans l’escalier qui menait aux chambres des garçons et gravit quatre à quatre les quelques marches qui le séparaient de celle de son frère. Les planches du parquet grincèrent sous ses pas, comme mécontentes d’être ainsi piétinées. L’adolescent n’en eut que faire et traversa le couloir avec le même entrain. La chambre de Neven, dont la porte était entrouverte, semblait plongée dans l'obscurité. Pourtant, Naos l’ouvrit d’un geste brutal sans se poser plus de question.

 C’est alors qu’il comprit enfin. Depuis le début, il était dans un rêve.

 La scène qui s’offrait à ses yeux était bien trop étrange pour qu’elle puisse être vrai. Son frère, au sol, dormant comme un môme embrassant ses songes, reposait tapis dans l'obscurité de la pièce. Le jeune homme ne crut pas en ce qu’il vit. Personne ne s’endormait à même le plancher, et encore moins à côté de son lit. Son corps disparaissait parmi les ombres, seulement éclairé par la lune visible à travers la fenêtre. Celle-ci permit à Naos de discerner tant bien que mal l'environnement de la chambre. Elle était dans un état impeccable, bien plus à l’image de Naven que le reste de la maison. Seule la poubelle avait été négligée et débordait de papier à peine chiffonné. Une unique feuille était épargnée, quoiqu’elle fût entachée de gribouillis, reposant sur le bureau. Des inscriptions s’en détachaient. Naos détourna le regard prestement.

Le jeune homme se frotta les yeux avec l’espoir que cela le réveille mais il était piégé dans ce songe. Il entendit alors du bruit provenant du rez-de-chaussée. Une femme cria :

 — Je suis rentrée ! Il y a une sacrée averse dehors !

 En effet, celle-ci battait les tuiles du toit. Naos ne lui répondit pas. Il ne parvenait plus à parler. Coincé dans ce rêve, il ne contrôlait plus ses mouvements ou même ses paroles.

 Il entendit sa mère pester à cause de l’eau dans l'entrée et des affaires qui y trainaient. Il l'entendit l'appeler puis se rendre dans la cuisine et rouspéter. Il l'entendit monter les escaliers et entendit les marches grincer de nouveau. Il l’entendit prononcer son nom dans le couloir. Il l'entendit entrer dans la chambre.

 Enfin, il l'entendit hurler.

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