1.6 Chat échaudé craint l'eau froide

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Le jeune homme se glisse dans le bain chaud en poussant un petit soupir d'aise. Ça me fait sourire tandis que je m'assois sur le rebord de la baignoire derrière lui, mes jambes de chaque côté, mes pieds trempant dans l'eau. Je lui lave le dos avec douceur à l'aide d'une grosse éponge.

Je mouille ses cheveux délicatement afin de pouvoir le shampooiner, faisant glisser l'eau pour rincer en protégeant ses yeux avec la main, comme pour un enfant. Mes gestes se font légers pour le détendre. Ses blessures sont profondes et douloureuses, je dois faire très attention.

Mon reproducteur adore se faire récurer, il a beau tout faire pour ne pas me le montrer, pour ne pas manifester ce qui le met en joie, son sourire esquissé du coin de la bouche et ses épaules qui s'affaissent de détente sont des signaux incontestables pour moi. Je le laisse s'occuper de son ventre et de ses jambes.

À l'aide de ma fidèle éponge, je mouille les croûtes du crâne pour les ramollir et les faire partir un maximum sans lui faire mal. Ensuite, reculant sa tête contre moi, j'improvise un massage du crâne et du visage du bout des doigts. Moitié massage, moitié caresse, ce qui lui fait fermer les yeux pour profiter de l'instant présent.

J'ai allumé les hauts parleurs intégrés à la baignoire pour avoir de la musique douce en sourdine. Je baisse la lumière, de façon à ce qu'elle soit tamisée et apaisante. Je le laisse se détendre un peu, lui montre que je suis gentille. Du moins que je peux l'être. Je veux qu'il prenne confiance en moi.

Il reste crispé, mais semble apprécier ce moment calme et paisible. Une pause bien méritée après des moments d'enfer. S'il n'était pas autant craintif, je crois qu'il s'endormirait contre moi. Sa tête aux yeux mi-clos me fait penser à un chat en train de ronronner, au moment où le félin vous laboure la cuisse avec ses griffes tant l'animal se sent bien. Le jeune homme est détendu, serein, toujours prêt à griffer pour se défendre.

Quand mon homme est bien propre et qu'il a eu du temps pour profiter, je le fais sortir avant que sa peau ne se flétrisse. Son corps est enveloppé dans des serviettes épaisses douces et chaudes. En frottant doucement pour le sécher, de la peau morte peluche en masse, signe que mon compagnon n'a pas connu de nettoyage correct depuis un bail. Je ne peux pas insister plus en raison des nombreuses blessures qui ornent l'intégralité de son corps.

Je désinfecte et soigne ses plaies une par une. Le passage d'une crème hydratante sur le corps pour adoucir sa peau et assouplir les cicatrices le surprend. Le jeune homme panique un peu quand je me baisse pour m'occuper de ses jambes. La vision de son entrejambe si proche de mon visage me déconcentre un peu, mais je parviens à garder mon sérieux. Voir une jeune fille s'agenouiller à ses pieds pour le soigner le déstabilise totalement.

Mon reproducteur s'inquiète en me voyant lui remettre un ancien bracelet sur le biceps, celui que j'ai mis de côté. Je tranquillise le jeune homme et lui demande de me faire confiance. Un à un les bracelets de ses poignets sont retirés pour nettoyer les plaies sous-jacentes, poser un pansement sur les brûlures et les remplacer par un bracelet doux. Je fais de même pour ceux des chevilles.

J'explique au garçon que je vais faire de même pour le collier. Seulement, la procédure de sécurité exige qu'il soit plaqué sur un mur magnétique afin d'éviter toute tentative de fuite ou d'attaque. Je lui dis de finir de se sécher et de s'habiller tranquillement puis de me rejoindre dans le couloir de l'entrée. Je sors de la salle de bains pour qu'il puisse rester seul le temps d'enlever son string pour le remplacer par un boxer et d'enfiler un bas de pyjama.

Il me rejoint dans l'entrée et accepte d'être immobilisé. Je vois qu'il a peur. Je le place de la manière la plus confortable au mur, avant d'enclencher le magnétisme. La force est telle que le moindre mouvement est impossible. Je lui retire son collier avec douceur et nettoie délicatement comme pour les bracelets, je pose des pansements sur les brûlures et replace le nouveau collier bien moins serré et plus doux.

Une fois mon travail terminé, le bracelet du biceps surnuméraire est retiré et balancé dans le carton avec les entraves douloureuses. Le jeune homme est vraiment attirant. Je pose un baiser chaste et doux sur ses lèvres. Je ne peux pas m'en empêcher.

J'arrête le magnétisme du mur et lui tend son haut de pyjama. Je le vois m'observer. Il n'est pas tranquille. J'ai tenu parole. Un bon repas, de bons vêtements, un bon bain. Malheureusement, je lui ai volé un baiser. Je sais que je n'aurais pas dû. Son air terrifié m'a touchée.

Je décide de me faire pardonner. Je consulte les informations le concernant sur mon bracelet. Mâle Alpha de potentiel 87, né dans l'État 34 en Septembre 3193, premier de sa promotion. MA87-34-9309-001, ce n'est pas une façon de s'appeler. Je lui demande s'il y a un prénom qu'il aimerait porter en lui lisant une liste plutôt longue. Il choisit Chen. Je lui articule les différentes prononciations. Pas Chun. Chen. Je vais chercher un peu d'eau dans la cuisine et un stylo. J'ai en tête une petite cérémonie rigolote pour le perturber un peu.

— Tu as été sage pendant que je changeais ton collier. Je te baptise. Dorénavant, tu t'appelleras Chen. Tu seras autorisé à m'appeler Inès et à me tutoyer.

Je lui verse quelques gouttes d'eau sur le front et lui écrit sur la main son prénom, puis le mien dans ma main. Il cogite et essaye de comprendre où je veux en venir. Il est trop chou. On dirait un bébé chat. J'ai envie de le serrer fort, cependant, il risque d'avoir peur. Avec un doigt, il caresse son prénom en suivant la marque de stylo, perplexe et songeur. Je saisis doucement sa main pour qu'il fasse de même sur ma paume. Quand il a recommencé plusieurs fois, je m'éloigne.

Je rassemble ses anciens vêtements, ses cheveux et poils à l'aide de ma vieille couverture. Mon fagot est amené dans le salon, devant la cheminée, sous les yeux médusés du jeune homme. Mis à part le string, les chaussures et le pantalon en cuir, je lui dis de tout jeter dans la cheminée, de tout brûler, de prendre le temps de voir les flammes détruire son ancienne vie. Je donne un ciseau, une arme potentielle, à Chen et lui dit de massacrer les éléments en cuir, de les réduire en petits lambeaux inutilisables et de les jeter aux ordures.

Surpris par mon étrange requête, il s'exécute de bonne grâce et je le vois prendre plaisir à faire cela. Un à un, il brûle ses chaussettes, sa chemise, les cheveux et poils ainsi que la vieille couverture, fasciné par le ballet flambant de la cheminée. Ensuite, il mutile en microscopiques petits bouts ses dernières affaires avec une attention particulière pour le string dont il cisaille chaque centimètre carré pour les lancer dans le sac-poubelle noir avec une immense satisfaction. Sa joie enfantine à ce jeu m'amuse et je rigole de ses gestes, l'étonnant plus encore avec mon attitude inhabituelle à ses yeux.

— Ton ancienne vie est finie. Maintenant, je vais prendre soin de toi. Je t'ai fait une promesse. Tu as eu à manger. De bons vêtements. Un bon bain. Il me reste le bon lit. Viens.

Je me dirige vers la chambre. Il me suit, comme un toutou fidèle. Je lui demande de se retourner le temps que je me change. Rapidement, mes vêtements sont ôtés pour un pyjama court plus confortable. Je me glisse sous la couette et lui dis de me rejoindre en lui promettant qu'on ne fera que dormir ensemble. Il s'allonge en tremblant un peu. Je lui fais une bise sur la joue.

— Bonne nuit Chen. Dors bien. À demain.

Je m'installe pour dormir. Au bout de plusieurs minutes, quand il croit que je dors, il se lève. Je l'entends refaire le tour de la maison et fouiller, sûrement à la recherche d'instruments de contrôle et de punition. Il revient à la chambre et regarde ses nouveaux habits. Assis sur le lit, mon compagnon examine ses pansements et ses bracelets tellement plus confortables.

Il se recouche à côté de moi après plus d'une heure de réflexion. Le lendemain matin, je me réveille blottie contre son bras. J'ai du inconsciemment bouger. J'ai toujours été frileuse. Il est réveillé. Il n'ose pas bouger. Je vois que mon contact le dérange. Alors, je me recule et m'excuse d'une voix ensommeillée. Je m'étire et l'invite à venir prendre le petit-déjeuner.

Il ignore le goût de la plupart des aliments. Je me suis fait un chocolat au lait et lui fais goûter ainsi qu'un thé noir. Mon compagnon teste, avec mon accord, la pâte à tartiner au chocolat, le beurre sur la tartine, les confitures. Je lui dis qu'il peut manger tout ce qu'il veut tant qu'il est sage. J'adore voir sa tête passer par toutes les expressions selon s'il aime ou non. C'est un vrai bonheur qui me met d'excellente humeur.

Je me prépare rapidement pour partir travailler. Après m'être excusée auprès de lui de le laisser seul cette semaine, je lui dis de faire ce qu'il veut, surtout de se soigner, dormir, manger et selon son envie, de s'habiller ou non. Je vais être très occupée les prochains jours et il va s'ennuyer à la maison tout seul. Le frigo est plein. Il peut sortir dans le jardin. Après m'être assuré qu'on lui ait bien appris au centre de formation les bases de la cuisine et de la survie dans un domicile, je lui explique brièvement l'usage de la télévision, du micro-onde, du four et des plaques chauffantes et sors pour rejoindre mes nouveaux bureaux et prendre mes fonctions.

Je dois pondre de nouveaux décrets et faire mon discours d'intronisation à mon État en fin de semaine. Vu ce que j'ai fait hier, les Autres Alphas vont m'observer de près. La connaissance de tous les chiffres propres à mon État doit être maîtrisée. En récupérant les biens de Cassandra, j'ai accès à son ordinateur et à tout ce qu'elle cachait. Les finances, les ressources, les bâtiments disponibles n'ont plus de secrets pour moi.

Le nombre de suicides, de personnes sous traitement pour dépressions, de reproducteurs et de Zêtas morts ou en soins intensifs suite à de mauvais traitements sont colossaux et terrorisants face aux faibles naissances. Bien que j'en ai conscience, la situation est catastrophique. J'envoie toutes les données au conseil des Alphas puis peaufine mon discours. Je ne peux pas révéler tout mon plan, sinon ma tête va être mise à prix. Je dois tout de même frapper fort. Ça passe ou ça casse.

J'ai bossé d'arrache pied toute la semaine. C'est déjà vendredi. Je passe à la télévision cet aprèm. Cette nuit, j'étais agitée. Je me suis réveillée et n'arrivais pas à me rendormir. Bien que j'ai tenté d'être silencieuse, j'ai réveillé Chen. Lui aussi a des nuits agitées, je l'entends souvent se lever en sursaut et aller prendre l'air quelques instants. Il n'aime pas le contact. Cette nuit, il m'a laissée poser ma tête sur son bras pour que je me rendorme.

Je suis énervée et essaye d'occuper ma tête pour calmer mes nerfs. Plusieurs achats de bracelets doux ont été effectués suite à mon premier décret. Les chiffres ne sont pas mirobolants, une vingtaine de garçons vont être équipés. D'autres femmes pensent comme moi. J'en suis sûre. Je regarde les suppressions de bracelets. Aucune mise à part moi. C'est normal. Après ce règne de terreur, les femmes ont peur de diminuer le nombre. On les a toujours incitées à plus de maltraitances.

Sibylle a bien travaillé. Elle a déjà inventorié le salon, l'entrée, le couloir, la cuisine, la salle à manger, le bureau, et une chambre. Tout le bas. Par téléphone, je la félicite de son travail et m'assure qu'elle ne manque de rien. Ma voix polie la bouleverse et j'entends ses larmes de joie au moment où je la remercie de son aide et l'invite à prendre des vêtements de Cassandra pour son propre compte en récompense.

Je ferme les yeux quelques instants pour reprendre mon souffle et calmer mon cœur. Ma tenue rectifiée, je me dirige vers la salle de conférence. Plusieurs journalistes sont là. Des policières aussi avec des Alphas dont Déborah et plusieurs Deltas de l'État. Je m'installe sur ma chaise sans un regard pour l'assemblée, calme et sereine en apparence. Une femme ajuste le micro pour le placer à ma hauteur. Je prends la parole.

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