2.2 Papotage
— Alors la naine, te voilà une pétasse d'Alpha maintenant ?
Ces mots doux mi blagueurs mi sarcastiques m'attendent à mon arrivée dans mon bureau plongé dans le noir. Je n'ai aucun mal à savoir où se trouve mon amie. Elle vient de me chuchoter à l'oreille en couvrant ses paroles par la musique à plein volume. Je tente de la choper et de la frapper mais elle est plus rapide que moi et moins engoncée dans des vêtements serrés.
On se chamaille gentiment quelques minutes. Bon sang, ce qu'elle me manque. Nos bagarres pluri-quotidiennes me maintenaient à haut niveau. Là, je m’encroûte et je le sens. Après quelques baffes et croches pieds, on se retrouve toutes les deux à terre en riant. On blague sur la position assez gênante et sur la réunion qui vient d'avoir lieu. On se fait des câlins de sœurs et on se tape. Comme avant. L'argumentaire sur le manque d'affection prend tout son sens. Je finis pas questionner Keira sur sa venue tout en allant nous asseoir sur le canapé. Blotties l'une contre l'autre, on change de sujet et on redevient plus sérieuses.
— Inés... T'es vraiment une Alpha ou le test a été trafiqué par nos sœurs ?
— J'en sais rien. Il semblerait que je le sois vraiment. Ça explique pourquoi j'ai toujours été plus intelligente que toi.
— Mouais. C'est bizarre quand même.
— Je suis d'accord. J'ai fait mes recherches. J'ai comparé mes résultats à d'autres et refait faire le test sanguin anonymement. A priori, c'est à la naissance qu'il y a un blem. Je ne sais pas quoi te dire. Ça sent mauvais.
— Et les autres Alphas ? T'en penses quoi ?
— Déborah est faible, comme nous nous en doutions. Elle se fait bouffer par les fortes tête dont sa Vice-Suprême. Je me méfie de Sophie. J'aurais besoin que tu te rapproches d'elle. Je pense qu'elle sait beaucoup plus de choses qu'on ne le pense.
— Ouais, je le ferais. Moi aussi je ne la sens pas cette blondasse.
— Pourquoi tu es venue ? Je sais que je te manque mais ce n'est pas dans ton genre le sentimentalisme.
— Toi non plus t'es pas affectueuse demi portion. T'es comme un chat. Tu ronronnes et la seconde d'après tu griffes. Nan. Je suis venue pour Nanou. Je l'ai perdue de vue. Faut que tu la cherches. Elle est dans ton État, mais Cassandra a fait en sorte qu'on perde sa trace.
— Je suis déjà sur le coup. Vous me manquiez toutes les deux. Je l'ai trouvé super vite. T'aurais vu sa tête quand elle m'a vu ! Elle gère une ancienne maison de Cassandra et se promène chez les rebelles pour surveiller Irène et sa tribu.
— Oh bon sang ! Tu me rassure. Avec l'autre folle, j'avais peur qu'elle soit en danger. Mais c'est vraiment ta mère ?
— Aussi écœurant que ça puisse paraître oui. C'est ma génitrice. L'utérus qui m'a fait naître. Mais elle n'est pas et ne sera jamais ma mère.
— Ça c'est sur.
Keira me caresse les cheveux machinalement. Elle est perdue dans ses pensées. On discute un peu de nos nouvelles vies. Actuellement, elle vient de finir une mission d'espionnage auprès d'une Delta d'un État voisin pour cause de ménopause de la dame. Elle s'ennuie ferme. On lui donne des missions où elle doit rester calme et diplomate. Tout le contraire de son tempérament. Quand je lui demande de devenir une des gardes du corps proche de Sophie, l'idée lui plaît beaucoup.
La Vice-Suprême est connue pour être sportive, et aimer les démonstrations de force. Ses cerbères sont souvent en plein milieu de bagarres. Des combats qu'elles gagnent en filant un max de baffes et de taloches. Bref, tout ce qu'aime ma pote. Le plus difficile pour elle va de se faire passer pour une endoctrinée et de vanter les mérites des Alphas. C'est moins compliqué de mentir que de refréner dans ses envies de castagne. C'est donc chose convenue. Keira va tenter d’infiltrer les proches de Sophie.
Soudain, je sens que mon amie gigote et commence à se marrer toute seule. Je sais qu'elle va me sortir une ânerie ou quelque chose pour me mettre furax. On est doté du même humour crétin et elle st une des rares personnes à pouvoir me critiquer sans que j'ai envie de la tuer. Elle et Nanou. En revanche, envie de lui botter les fesses cela est moins sur. J'attends patiemment qu'elle sorte sa vanne pourrie et arrête de rire comme une bécasse.
— Alors, ça fait quoi d'avoir un mâle à domicile ? sussure t'elle.
— Bof... C'est compliqué, je soupire.
Il est totalement névrosé. C'est bizarre. Plaisant et en même temps chiant. A toi, je peux le dire. Je l'aime bien. J'ai peur qu'il me rende faible. C'est agréable d'avoir quelqu'un qui t'attend le soir. Mâle ou amie. Je pense que je préférerais cohabiter avec toi ou encore mieux Nanou. Au moins, vous je comprends votre fonctionnement.
— Il a du vivre des trucs qu'on n'imagine pas. En tout cas, entre ton intronisation et aujourd'hui, on peux dire qu'il s'est bien amélioré physiquement. Je l'ai suivi à la course la dernière fois. Il trotte vite le bougre et il a de belles fesses, ricane t'elle.
— Oui. Il est très sportif. Il a aussi du caractère. C'est sûrement pour ça que je l'apprécie. Et arrête de le mater, espèce d'obsédée, lui dis-je en la tapant doucement.
— Y'a pas que ça. Avoue, dit-elle en me chatouillant.
— Arrête où je te tabasse saleté !
— Avoue ! Allez ! Tu sais bien qu'on ne peut rien se cacher toutes les deux !
— Rhaa ! Tu fais chier ! OK OK arrête de me tripoter !
— Je ne peux pas m'empêcher. C'est plus fort que moi ! J'adore te voir te tortiller de rire.
— Il a un truc. Je ne sais pas quoi. J'ai envie de le protéger. Comme pour la vie. Je... veux prendre soin de lui, guérir ses blessures. Mais il n'est pas réceptif alors ça m'énerve. Et puis j'ai d'autres choses à foutre. C'est bizarre. Un peu comme ce que je ressens pour toi et Nanou et différent en même temps. Je tuerais celle qui toucherais à un seul de vos cheveux en lui arrachant la peau avec une pince à épiler. Tu le sais. Je suis en colère contre Cassandra. J'ai envie de la torturer, de lui faire du mal pour le venger. Pourtant je le connais que depuis quelques mois.
— Ça ne te ressemble pas. T'es franchement pas du genre à te lier avec quelqu'un.
— Ouais. Je comprends pas ce qui m'arrive.
— Trop de choses en peu de temps. Tu étais préparée à être soldat et pas Pétasse Suprême. Ça doit te perturber.
— Sûrement. Tu me connais. T'imagine combien ça me gonfle. J'ai une de ses envies de toutes les baffer. Elles ont un ego pas croyable. La plupart sont connes. Les tests sont franchement foireux. Nanou est classée en Zêta alors qu'elle a un milliard de capacités en plus que ces pimbêches.
— Elle fait quoi dans ta baraque ?
— Officiellement, elle gère les achats et les travaux. Elle contrôle la cohabitation. Pour les espionnes, elle fait la couture pour une Delta. Pour moi, elle incite les filles à devenir des rebelles. Sa grosse mission est d'approcher Irène. Je veux en savoir plus sur elle et sa famille. Elle avance vite. Elle est toujours aussi efficace pour inspirer confiance. Pour l'instant, elle me confirme que les rebelles semblent pacifistes et non violents. J'attends qu'elle rencontre en face à face Irène ou ses fils.
— Moi aussi j'ai le même genre d'infos sur les rebelles. Non violents. J'ai vu deux trois trucs bizarres et non cohérents. Ça ressemble plus à du boulot d'espionnes nettoyeuses et encore. Nos sœurs ne toucheraient pas les innocents. Peut être des endoctrinées.
— C'est mon hypothèse aussi. Des endoctrinées à la solde de Cassandra. Mais les premières endoctrinées datent d'une vingtaine d'années. Elle aurait été vite à se faire des soldats
— T'oublie sa saloperie d'enlever les enfants de moins de 9 ans. Ça en fait des gosses à formater. C'est possible avec cette garce.
— Oui. Je t'enverrais quelque chiffres pour savoir ce que tu en penses. Mais t'as raison. Elle en était capable et avait les ressources.
— A propos de ressources, tu pense y arriver à ton délire ? C'est bien beau mais c'est réalisable ?
— J'en sais rien. J'essaye. Changer les mentalités, c'est un travail de titan. Surtout que les pétasses me surveillent et font tout pour me mettre des bâtons dans les roues. Déborah, j'en fais ce que je veux mais Sophie et les autres tyrans, c'est une autre histoire.
— Nos sœurs sont avec toi. Tu peux compter sur nous. Et si il faut botter le cul à certaines, appelle moi ! Ce sera un vrai plaisir.
— Ouais ! On leur pète la tronche tout les deux, dis-je en lui faisant un check de la main.
Je reste un peu ainsi la tête sur les genoux de Keira à discuter pendant qu'elle me caresse les cheveux ou bien me tape en se chamaillant. On se raconte les deux dernières années en détail. On parle de l'avenir et de nos projets. Cela me fait un bien fou de pouvoir échanger librement sur mon projet pour l’État 34 et aussi pour après quand je serais Suprême.
Je ne peux lui parler des délatrices et de mon envie de meurtres et de suicide final. Pourtant, révéler la partie amélioration du bien-être à quelqu'un de confiance me soulage. Je sais qu'elle transmettra mes idées aux espionnes et qu'elle fera en sorte de perpétrer mon plan. Quitte à les convaincre en les tabassant. Elle est adepte de la méthode à la dure comme moi. C'est pour ça qu'on s'entend aussi bien et qu'on se chamaille aussi.
Notre discussion m'aide beaucoup à clarifier les choses dans ma tête et ses suggestions ou questions m'apportent de très bonnes idées et des solutions. Keira est très intelligente et stratège. Je ne comprends pas que ses tests l'ait classée en Zêta. La seule chose qui lui manque, c'est la diplomatie mais je dois plaider coupable. Elle se marre quand on parle de mes achats fréquents de punching ball du à une casse prématurée. Je me calme les nerfs comme je peux et le yoga, ce n'est pas mon truc.
On peaufine nos stratégies et on se promet de se revoir de temps en temps. On lit ensemble un rapport d'une espionne à propos du meurtre d'une Delta qui était très proche de Cassandra. D'après mon enquêtrice, il serait possible que la femme avait des relations sexuelles avec l'ancienne Alpha. Elle aurait appris des choses et en voulant se rapprocher des rebelles, elle se serait faite prendre par Cassandra qui l'aurait alors faite assassinée. Les hypothèses de la détective coïncident avec ce que j'ai trouvé dans l'ordi de ma génitrice.
Il me faut plus de preuves pour laver l'honneur des rebelles et dénoncer la garce. C'est clair que c'est elle qui a organisé les meurtres sanglants dans l’État. Keira est furax et m'incite à faire des saloperies à cette abomination de la nature. On trouve toutes les deux que bien des libertés ont été données à cette folle. Il nous faut surveiller plus étroitement Déborah et lui dérober les archives secrètes des Suprêmes précédentes. Quelque chose cloche et notre impatience naturelle nous dit de ne pas attendre ma promotion.
On se sépare après quelques câlins en se promettant de se revoir plus souvent. Je lui donne l'adresse de Nanou et sa nouvelle identité pour qu'elle aussi puisse retrouver la seule personne capable de nous calmer. Je lui file quelques gros billets pour ses dépenses à faire incognito, et deux trois armes que je planque dans mon bureau. Elle garde mon double de clés pour m'apporter des infos ou me voir plus facilement. Mon bureau est moins surveillé que ma maison. Plus précisément, beaucoup de personnes entrent dans mon bureau. Personne mis à part Chen chez moi.
Je lui donne le code de mon coffre fort et aussi la dizaine de planques factices dans les meubles pour occuper les intruses. Je n'ai rien besoin de lui dire pour qu'elle trouve ma vraie planque. Parmi les feuilles de brouillon, sur mon bureau à la vue de tous. Plus c'est visible, moins on y fait attention. Je lui explique comment passer les pièges chez moi au cas où elle aurait vraiment besoin de me voir à l'abri des regards et l'autorise à endormir ou bâillonner Chen si nécessaire.
On rigole sur les vaines tentatives de sbires d'autres Alphas déguisées en livreuse de pizzas ou autre âneries. Aucune n'a dépassé le portail. Celles qui ont voulu passer le mur d'enceinte ont fini avec des blessures. J'ai moi-même sécurisé mon domicile avec du verre brisé saupoudré de plantes urticantes. Si elles passent cette première ligne, j'ai électrifié le treillis des fausses fleurs qui projette aussi de l'acide en brume et de l'eau qui permet le passage du courant. Une fois à terre, elles atterrissent sur un sol parsemé de verre pilé avec d'apercevoir un second grillage électrifié lui aussi. Bref, je suis une sadique et j'assume. Keira se marre. Il ne me manque plus que des bêtes féroces. Quoique la nuit, il y a moi et je suis la pire charogne possible. Ce qui explique que les tentatives se font toujours de jour je crois.
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