Je suis en train d'essayer une robe estivale quand nous entendons une femme apostropher son compagnon. Il a fait tomber une caisse et des fruits se sont abîmés. Elle lui parle méchamment puis le gifle, ce qui le fait tomber à terre lui aussi. La femme s'apprête à lui donner des coups de pieds. J'interviens aussitôt et m'interpose. Je bloque sa jambe avec la mienne et lui chope le bras.

Sans révéler qui je suis, je lui rappelle les directives de l'Alpha et l'incite à se calmer rapidement. J'ai beau n'avoir que seize ans, mon ton autoritaire et ma détermination la font s'arrêter illico, à moins que ce soit le broyage de son bras avec ma poigne ferme. Je laisse la policière des lieux lui faire un rappel des nouvelles directives et lois. Je m'éloigne avec Chen.

Mon compagnon semble mal à l'aise et n'arrête pas de se retourner. Je surprends un regard entre lui et le jeune homme au sol. Je pressens qu'ils se connaissent. Je demande confirmation à Chen. Il m'écrit le code du jeune homme dans la main. En posant des questions à Chen, je comprends que c'est un de ses camarades d'orphelinat, né la même année que lui.

C'est son ami d'enfance. Je regarde plus attentivement le jeune homme. C'est un métis afro-caucasien de taille moyenne, aux cheveux rasés et aux yeux noirs, dans un état de santé très moyen. Ses vêtements couvrent son corps, mais je détecte sept entraves, le maximum, celle au cou saigne un peu. Il boite et semble être battu. Chen souffre pour son ami.

— Chen ? ... Tu sais, ça peut être cool d'être le mec de l'Alpha.. Embrasse-moi. Un vrai baiser langoureux et je t'offre un beau cadeau.

Mon compagnon ne fait pas vraiment attention à mes paroles, pensant que j'ai vu un beau vêtement ou de la bouffe pour lui. Chen m'accorde un baiser sans vraiment de passion pour avoir sa récompense. Il a la tête ailleurs et pense à son ami. Peu importe. Ce cadeau-là, je sais qu'il va lui faire plaisir. J'en suis sûre. Sa joie me récompensera. Déjà certaine de ce que je vais voir, j'abandonne Chen et me retourne vers la femme et son compagnon.

— Enlève ton haut. Je veux examiner tes poignets, ton cou, ton dos et tes bras.

Le jeune homme hésite et ne sait pas quoi faire entre se soumettre à une femme ou subir les coups de sa propriétaire. La femme hurle et essaye de me frapper. Je suis vive. Je lui attrape le bras et lui tords. Elle ne peut plus bouger. Je passe mon bracelet sur le sien. Elle aurait dû y réfléchir à deux fois avant de s'en prendre à une soldat surentraînée, son Alpha de surcroît.

— Je suis Alpha Inès. Tu viens de désobéir à mes lois. Tu as frappé ton compagnon. Tu as refusé un contrôle de son état de santé. Tu as agressé une femme. Tu as agressé ton Alpha. Moi, Alpha Inès te condamne ce jour. Je prends possession de ton reproducteur et t'interdis d'en avoir un nouveau. Tu mérites la prison et la rétrogradation en Zêta toutefois, je suis d'humeur clémente aujourd'hui. Tu gardes donc ton statut et tes biens sauf ton reproducteur pour le moment. Tu seras contrôlée régulièrement pour m'assurer que tu respectes les lois dorénavant. Pour méditer sur tes crimes et ton mauvais comportement, tu vas passer quarante-huit heures en prison. Ton dossier est placé sous surveillance. À la prochaine incartade, tu deviendras une Zêta.

La policière revient en courant et me remplace. Me reconnaissant enfin, elle passe les menottes à la femme en me présentant ses excuses mille fois. Je lui indique la sentence que je viens d'ordonner. La femme est emmenée en prison immédiatement. Je me dirige vers le jeune homme à terre et m'agenouille.

— Bonjour.

Terrorisé par la scène à laquelle il vient d'assister et par mon statut d'Alpha, le jeune homme essaye d'enlever son haut. Je l'arrête de la main.

— Ce n'est plus nécessaire maintenant. Je m'appelle Inès. Je suis l'Alpha de cet état. Tu es sous ma protection maintenant. N'aie plus peur. Je vais prendre soin de toi. Je te présente Chen, mon compagnon. Je crois que vous vous connaissez. Tu peux te relever et me suivre ou as tu besoin d'aide ?

Je me relève et lui tends la main. Il arrive à se lever tout seul. Chen a rappliqué. C'est lui qui me prend la main et me l'embrasse pour me remercier. Il vient de comprendre ce que j'ai fait et surtout ce qui va arriver dans les prochains jours.

— Tu vois que c'est cool d'être mon mec. Je viens de t'offrir un coloc. Elle n'est pas top, ton Alpha ? Lui dis-je en riant.

Je crâne un peu pour faire sourire Chen. Il est crispé, hésitant sur mes intentions et ayant peur d'avoir entraîné son ami dans une situation encore pire. Pour détendre mon compagnon, je me tourne vers son camarade qui secoue la poussière de ses vêtements et lui demande d'une voix douce :

— Tu habites loin ? Tu as beaucoup d'affaires ?

Il me répond négativement. Il a chaud. Je vois qu'il transpire avec ce soleil. Je lui tends ma bouteille d'eau pour qu'il boive. Chen lui fait signe oui devant son hésitation. Je ramasse la caisse de fruits seulement, j'ai présumé de mes forces. Les délicieux melons sont trop lourds pour moi. Chen me pousse doucement et me la prend des mains, l'air narquois, comme pour me traiter mentalement de faible fille. On se chamaille du regard. J'adore ça, quand il n'a pas peur de moi.

Nous nous dirigeons vers la voiture. Je demande à son ami de m'indiquer la route de son domicile. Il parle d'une voix douce et inquiète. Devant la maison, il panique à l'idée qu'il n'a pas le code d'accès. C'est le moment pour fanfaronner un peu.

— T'inquiètes pas. Je suis l'Alpha. J'ai plein de pouvoir. Je rentre où je veux. Va chercher tes affaires. Chen va t'aider si tu as besoin.

Je présente mon bracelet devant le boîtier et la porte s'ouvre. Le jeune homme passe devant moi. J'en profite pour faire une petite danse prétentieuse à l'égard de Chen dans le dos de son ami, pour faire rire mon compagnon si tendu. La maison est en bon état, mais sale. Des cartons de pizzas et des fringues de femmes traînent un peu partout. Je fais copain-copain avec un petit chat tout gris tandis que les garçons font le sac de mon nouveau protégé. Il revient avec un sac de voyage et me surprend avec le chat. Minou ou minette va lui faire un câlin.

— C'est mon chat. Je l'ai adopté. Ma propriétaire ne sait pas qu'il est là. Je... Est-ce que je peux aller voir les voisins pour que quelqu'un prenne soin de lui ?

Je m'accroupis et tapote le sol. Le chaton me rejoint. Je le prends dans mes bras. Sa bouille toute ronde et son ronronnage me font craquer. Je ne veux pas le confier à des inconnus qui pourrait lui faire du mal. Je décide de l'embarquer pour avoir trois colocataires dans ma jolie demeure.

— Non. Il est trop beau. Je le kidnappe et le ramène chez moi. C'est mon prisonnier. Tu m'aideras à en prendre soin. En plus, il ronronne quand je lui fais des câlins. LUI, dis-je regardant Chen droit dans les yeux.

Je parviens à faire sourire mon compagnon, qui réalise enfin que je n'ai pas de mauvaises intentions. Son ami ne sait pas trop quoi faire. Il suit les indications de Chen. Nous partons rapidement. Le jeune homme semble soulagé de quitter ces lieux tout en étant inquiet de sa nouvelle destination.. Je planque minou dans ma veste et fais un arrêt au SCBB le plus proche pour faire quelques emplettes, de quoi manger pour nous ce soir et quelques bricoles urgentes pour le chat.

J'envoie Chen et son ami en mission nouvelles fringues et produits d'hygiène corporelle. J'ai de la chance. Il y a une boutique de bracelets dans la galerie commerçante. Je prends un bracelet de gestion et un doux pour le second poignet et je rejoins le rayon croquettes et litières pour Minou. Attrapant quelques ingrédients de plus pour le repas, je récupère les deux garçons à l'automate de paiement. Je me débarrasse des mes encombrants sacs dans les bras de Chen avec un sourire satisfait.

Nous rentrons à l'appartement de vacances. Je libère mon prisonnier qui roupille tranquillement au chaud de ma veste. Lui installant une gamelle d'eau et de croquettes dans la cuisine et une litière basique dans la salle de bains, je reçois mon quota de câlins poilus. Les garçons ont déballé les courses et tout rangé. Je lance une machine avec le nouveau linge et me mets à cuisiner. Tandis que ça cuit, je m'occupe de mon nouveau protégé.

— Tu t'appelles comment ? Dis-moi ton prénom ou celui que tu aimerais porter.

Observant Chen qui le rassure du regard, le jeune homme me répond Bruce. Tout comme pour mon compagnon, j'improvise une fausse cérémonie en l'aspergeant de quelques gouttes d'eau et en lui écrivant son prénom, le mien et celui de notre ami commun dans les paumes respectives. Bruce est paumé et lui aussi cherche à comprendre où je veux en venir. Il ne cesse de regarder Chen pour se rassurer.

— Je te baptise. Dorénavant, tu t'appelleras Bruce. Tu seras autorisé à m'appeler Inès et à me tutoyer. Je prendrais soin de toi et te soignerais. En échange, tu ne me feras pas de mal et m'aideras dans les tâches quotidiennes comme l'éducation du féroce félin que je viens d'adopter et la compréhension des signes de tête du dénommé silencieux Chen ici présent.

Je demande à Bruce de se mettre en sous-vêtements pour lui retirer les bracelets des jambes et des biceps. Je prérègle le bracelet de gestion et lance le transfert de données. Je lui dis d'aller se doucher et ordonne à Chen de l'aider à soigner les blessures du bas de son corps. Lorsqu'ils ont fini, le transfert est terminé.

Je fais l'échange de bracelets sur ses poignets et en profite pour lui soigner les deux bras. Je lui retire le collier du cou. Il a une petite coupure. Quelques coups sur le corps. Il est dans un meilleur état que Chen lorsque je l'ai recueilli. Cependant, il n'est pas dans l'état qu'un homme devrait être. Il n'était pas bien soigné. J'ai bien fait de le récupérer.

Le repas est cuit. Il est temps de satisfaire nos estomacs qui grognent et de montrer mon nouveau protégé que la vie peut être plus douce. Un estomac plein est moins prompt à se rebeller. J'ai bien l'intention de m'attirer les bonnes grâces de ce Bruce afin d'amadouer l'ours grognon et muet qui me sert de compagnon.

— À table. Ensuite, j'irais dormir pendant que Chen t'expliquera le fonctionnement de ton bracelet.

Bruce est affamé, Chen le ressert avec une mine réjouie qui fait plaisir à voir. J'avais prévu des quantités suffisantes et les deux garçons sont rassasiés. Tandis qu'ils digèrent et font la vaisselle, je vais me doucher et me préparer à dormir. J'entends la voix des deux garçons qui papotent à voix basse. Celle de Chen est assez grave pour le peu que j'entends. En tout cas, il est heureux d'avoir retrouvé son pote et pense que je suis plutôt cool. Je sautille de joie toute seule.

MERDE ! Je n'ai pas pensé qu'il n'y avait que deux lits dans l'appart. Ils sont trop petits pour que les deux garçons dorment ensemble. Chen m'a entendu jurer. Il vient voir pourquoi je râle. Je lui fais part de mon oubli en m'auto-engueulant pour mon étourderie. Chen me fait un grand sourire pour se moquer de moi et me pousse vers mon lit. Je tente de me chamailler avec lui.

— Quoi tu bouscules ton Alpha ? C'est une faute grave. Répréhensible. Tu vas être condamné sévèrement. Nan, mais sérieux, on va faire comment ?

Je ronchonne. Chen m'appuie sur les épaules. Il est plus fort que moi en force pure. Je le laisse faire. Je proteste juste pour l'embêter. Mes menaces n'ont aucun effet, Chen a trop l'habitude de mes gamineries. Il reste stoïque et enlève ses chaussures, son tee shirt et son pantalon. Putain, qu'il est beau. Un corps couvert de cicatrices et musclé. Je crois qu'il va s'allonger par terre et tire un oreiller et une couverture pour lui donner.

Chen les rejette sur le lit et passe au-dessus de moi. J'avale ma salive en le voyant dévêtu au niveau de mes yeux. Pourquoi donc il me fait autant d'effet ? Il s'allonge à côté de moi, contre le mur et me fait ma bise du soir. Je dois avoir l'air ravie parce qu'il sourit et se marre. Son ami se dirige vers l'autre chambre et se couche. Le chat le suit. Je me mets sur le côté pour prendre moins de place. On est vraiment serré l'un contre l'autre. J'ai la tête sur son biceps. Il me tient dans ses bras. Je suis aux anges. Je murmure tout bas.

— Si j'avais su que j'aurais le droit de redormir avec toi, je t'aurais trouvé un coloc beaucoup plus tôt.

Chen ricane et secoue la tête. Je suis impossible. Le bras qui était sur mon flanc remonte. Il tourne mon visage vers lui. Je me retourne et lui fait face. Chen plonge ses yeux bleus dans les miens et m'embrasse. Un vrai baiser, langoureux et tendre, sans avoir la tête ailleurs. Je savoure ce moment trop court. Ma récompense, pour avoir secouru son ami.

Mon corps s'électrise à ce contact fugace. Il met fin au baiser et me caresse les cheveux. Chen embrasse mon front et me serre pour que je m'endorme contre lui sans tomber. Je glisse un bras sous le sien et me blottie avec tendresse. Je me sens si bien, ma joue sur la peau de son torse. Je dois faire attention. Si je m'attache trop, il pourrait devenir mon point faible.