2.12 Préparatifs
Sous couvert de prendre des nouvelles de Peter, je fais venir la jeune médecin qui a secouru mon nouveau protégé. Elle est le seul médecin en qui j'ai confiance pour étudier les documents médicaux. J'ai vu la façon dont elle traite son reproducteur, avec douceur, respect et amour. Un seul centre de gestion au bracelet le plus doux existant. Aucun bleu, aucune frayeur, une liberté de parole et un comportement naturel, l'homme n'a pas peur des femmes et est éperdument amoureux de sa compagne.
La jeune femme est d'accord avec Chen. Si on trouve moyen d'avoir des échantillons de sperme de manière volontaire et non-douloureuse, ce procédé est révolutionnaire, je pourrais libérer les hommes de leur esclavage. Il faut absolument le faire étudier par d'autres médecins plus compétents.
Je convoque discrètement et sans le dire aux filles les compagnons des architectes, celui de la jeune médecin, de l'avocate et Bruce. Peter vient aussi. J'explique aux garçons que la femme suicidée a remis au point une vieille méthode de procréation qui peut permettre d'éviter l'acte sexuel, de féconder un grand nombre de femmes et de relancer la natalité, sans douleur pour l'homme. La méthode n'est ni dangereuse ni invalidante si elle est bien faite, toutefois le procédé nécessite un échantillon de sperme. C'est là le problème de la méthode.
Sans détailler, je fais comprendre aux garçons que Chen et Peter ont été torturés pour trouver un moyen de récupérer un échantillon de sperme. Je leur répète et demande confirmation des dires de Chen. Est-il possible pour un garçon de bander et d'éjaculer sans douleur ? De donner du sperme de manière volontaire ? Sans acte sexuel ? Je ne veux pas de détails, juste savoir si cela est possible. Ils me confirment tous, insistant sur l'importance de cette solution miracle.
Je leur dis avoir caché quelque part en sécurité les données et les oblige à jurer de n'en parler à personne, pas même à leurs compagnes. Cela pourrait les mettre en danger. Si on les interroge, ils devront nier savoir quoi que ce soit.
Je passe en Conseil d'Alpha dans deux mois. Je ne peux pas prendre le risque de voir les tortures reprendre si de mauvaises personnes viennent à posséder ces informations. Ils me jurent tous le secret. Je leur fais tous promettre de rejoindre la rébellion si jamais les choses doivent mal tourner.
Prenant Bruce à part, dans le cas de problèmes m'arrivant, et un an après les soucis et seulement un an après et pas avant, je l'autorise à parler de cette méthode à Igor le chef des rebelles, et seulement à lui. Surpris, Bruce accepte sans dire un mot, me suppliant de faire attention à moi, inquiet pour l'amie que je suis.
En secret, je confie à Nadia les DVD de Peter et Chen montrant la technique de prélèvement par seringue ainsi que les détails des rapports expliquant la procédure. Toutes mes données essentielles et stratégiques, toutes mes données sur la rébellion. Elle et Keira sont les seules en qui j'ai assez confiance pour protéger la vie. Les seules qui n'hésiteraient pas à brûler les informations plutôt que de laisser quelqu'un s'en emparer.
Toutes les deux ont sauvé des enfants sans s'en vanter, je suis intimement convaincue qu'elles ne sont pas et ne seront jamais des délatrices. Je les ai prévenues de l'existence d'un réseau parallèle, pour qu'elles se méfient et agissent si j'échoue. Keira remontera la piste jusqu'au bout. C'est une sale fouine aussi têtue et débrouillarde que moi.
Je leur ai transmis quasiment tout ce que je savais. Tout sauf que la délatrice en chef est ma grand-mère et que je veux la buter puis me suicider. Nous avons conçu un plan toutes les trois. Un plan pour détruire ce réseau et pour protéger la vie. Aux yeux de nos sœurs espionnes, nous sommes fâchées afin que Keira et Nadia puissent agir librement.
Deux mois s'écoulent sans que nous reparlions de cela, que ce soient mes deux amies espionnes ou les garçons. Je fais croire à Déborah être en train de mener mon enquête et avoir confié les documents à des médecins.
Peter se rapproche de moi. Il découvre au fur et à mesure les décrets et nouvelles conditions de vie des hommes. Je lui donne sa liberté, il reste en ville et travaille comme ouvrier pour les deux architectes. Il apprend à peindre des murs, faire des petits travaux de bricolage et de gros œuvre comme la maçonnerie, la plomberie et l'électricité. Sous la supervision et l'enseignement des architectes ou de leurs compagnons, Peter devient chaque jour un peu plus qualifié.
Peter est très tactile et démonstratif avec moi. Lorsque Bruce parle de devenir le compagnon de Sibylle, Peter emménage avec moi pour que je ne reste pas seule et m'aide à oublier Chen.
Peter se voit confier la mission d'aller voir des hommes qui ont été maltraités et de leur redonner foi en la gent féminine. Je l'aime bien, comme un ami, toutefois, j'ai toujours Chen en tête. Peter me couvre d'attentions, de louanges et remercie le ciel en public de mon existence.
Je peux tout lui demander, devançant même mes besoins avant que je m'en aperçoive. Je suis dévorée de bisous, de petits câlins, de massage, couvée. Peter réussit à me faire oublier Chen quelquefois. Son souvenir est moins douloureux, toujours présent.
Peter veut me faire partir en vacances une semaine. On choisit la montagne, un petit chalet avec deux chambres dans une station peu fréquentée. Les gens sont très gentils. On se promène parmi les vaches. Peter mange du fromage, moi de la charcuterie.
Il me fait tomber dans la neige. On dessine des anges avec nos corps, tels des gamins. Plusieurs soirs de suite, on se planque dans des fourrés, pour essayer de surprendre des marmottes, allongés l'un à côté de l'autre. Le premier soir, Peter reste tranquille. Le second, il se colle à moi, son flanc contre le mien, son bras sur mon dos, me le caressant doucement.
Le troisième soir, sa main descend sur mes fesses. Il s'approche et essaye de m'embrasser dans le cou. Je le repousse gentiment. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Je lui dis combien il est adorable. Peter comprend et n'essaye plus de m'embrasser de la semaine.
Cependant, il continue les tendres câlins. Je le laisse me serrer dans ses bras et démêler mes cheveux, me masser la cheville quand je me la tords en glissant sur une plaque de verglas. Je me confie à lui sur ma peur d'être issue d'un viol après avoir vu les images de torture. Il tente de me rassurer.
Peter est un amour. Un garçon doux et attentionné, qui ne méritait pas d'être traité ainsi. Il parvient à me parler de son ancienne propriétaire, pas des tortures, mais du reste. Je le crois sur parole quand il me dit qu'il était obéissant, qu'il faisait la vaisselle, le ménage, les courses.
Peter me raconte qu'il massait sa propriétaire et lui cueillait des fleurs chaque jour avant les tortures. Quotidiennement, il cuisinait pour elle et lui préparait un bain chaque soir. Le jeune homme m'avoue qu'il tenta au début de faire son devoir, se préparant seul pour être suffisamment en forme. Cependant, tout retombait en voyant la femme nue, cette femme qui le frappait malgré son obéissance et qui l'enchaînait alors qu'il n'essayait pas de s'enfuir.
Peter la détestait, mais voulait faire son devoir, se disant qu'une fois enceinte, il pourrait avoir une autre propriétaire. Je le prends dans mes bras et le berce à chaque fois qu'il évoque son passé. Je lui caresse les cheveux comme pour un enfant apeuré.
Lui aussi fait des cauchemars la nuit. Parfois, il vient s'allonger à mes côtés tandis que je dors. Il me dit que ma présence le rassure. Je le tolère près de moi, je suis une sorte de doudou pour lui. Il a cette blessure dans le regard qui me donne envie de le protéger, comme Chen.
Sa peau ne m'électrise pas. Je sais qu'il ne m'aime pas. Il le croit. Ce n'est que de la peur du passé et une immense reconnaissance. Je lui présente des tas de femmes, espérant que l'une d'elles provoque cet élan de tendresse. Peter est accro à moi. Ce n'est pas réciproque. Je ne sais comment faire pour ne pas lui briser le cœur, pour qu'il ne souffre pas comme l'absence de Chen me fait souffrir.
La veille du conseil des Alpha, Peter s'incruste dans ma chambre et insiste pour rester. Il me fait la promesse que si je peux développer ma nouvelle méthode, il fera un don pour moi, pour que je puisse avoir un enfant, sans sexe puisque je refuse les contacts intimes.
Il m'embrasse à pleine bouche, un baiser doux et tendre, auquel je ne réponds pas. Peter ne se vexe pas quand je le repousse. Il sait que mon cœur appartient toujours à Chen. Je lui fais jurer de ne jamais dire à qui que ce soit y compris Chen combien j'aime mon compagnon. Je dis à Peter que je ne suis pas une gentille fille et qu'il se trompe sur moi, lui parlant de l'existence d'une fille douce, tendre, attentionnée, compatissante, faisant preuve d'empathie.
Je lui promets de lui présenter cette merveille bientôt. Un jour, il rencontrera la fille qui m'a appris la douceur, la vraie source de bonté. Il connaîtra mon amie Nanou, celle qui m'a donné de l'amour durant mon enfance, celle qui pourra le guérir vraiment. Nanou, qui m'apprit à protéger la vie, coûte que coûte, y compris au péril de la mienne. J'en suis sure, Nanou veillera sur Peter et saura le rendre heureux.
Pour la sécurité de tous, j'explique à mon ami l'importance de garder certaines choses secrètes. Je lui avoue avoir des tonnes d'informations que je ne divulgue à personne, dans l'espoir de veiller au bien-être de tous. Je lui reparle de cette méthode de fécondation qui entre de mauvaises mains peut être si cruelle.
Peter dort avec moi. Il est si adorable. Je voudrais tant lui trouver une compagne digne de lui. Je ne vois que Nanou. Il est si doux et mérite un ange. Nanou est un amour. Pour cela, je dois leur mentir à tous, pour devenir Suprême et pouvoir les rendre épanouis. Elle mérite un garçon attentionné comme Peter.
Le conseil des Alpha est rude pour mes nerfs. Un groupe militant conteste toutes mes décisions. Cinq Alpha, dont Sophie, qui soutiennent Cassandra et ont mis en place des réformes inspirées de sa dictature. Elles me lancent au visage mon taux de natalité de zéro et trouvent désastreuses mes finances. Je me défends au mieux. Elles n'écoutent pas. Je leur montre les chiffres de Cassandra, le désastre que j'ai récupéré. Je leur parle des Zêta battues, des femmes qui se suicidaient.
Les cinq tyrans nient la baisse de suicide et font témoigner des femmes de ma brutalité, des nouvelles Zêta à qui j'ai retiré leurs droits. Elles ressortent des extraits choisis de vidéos où on me voit en train de pleurer, avec Chen, lorsque j'ai visionné les deux premières vidéos. Les cinq salopes me traitent de sensible, de trop faible pour ce rôle et d'instable mentalement.
Selon elles et ce qu'elles veulent faire croire aux autres Alphas: je n'ai pas été préparée pour ce rôle, mes aptitudes d'Alpha ont été perdues. Je me fais descendre en flèche et Déborah aussi. Elles l'attaquent verbalement, l'accusant de me couvrir et de soutenir ma vengeance d'ex Zêta.
Je m'explique sur mes pleurs, sans détailler la raison de la torture, je décris en détail ce que je vis sur les vidéos. Accusant le groupe militant et les Alphas d'avoir laissé Cassandra faire effondrer la natalité en toute impunité et j'implore le conseil de me laisser refaire naître des enfants librement.
Je montre un extrait de Chen en train de se faire torturer par électrocution et fouet et des photos de Peter à son arrivée à l'hôpital. La plupart des Alphas sont choquées et s'apitoient.
Pas le groupe de soutien de Cassandra, qui m'accuse, sans surprise, de mentir. Les débats sont houleux. Toute la semaine, nous nous disputons avec une violence verbale exténuante. Je rends les coups au centuple, tel un chien enragé. Au moment du vote, les cinq Alphas contre moi votent pour ma disgrâce. Vingt autres choisissent une année supplémentaire de test. Les dix dernières dont Déborah et moi, plébiscitent ma nomination au poste de Suprême.
Sept femmes veulent la destitution de Déborah. Fort heureusement, vingt-neuf dont moi, soutiennent son maintien. J'ai donc une année de test supplémentaire sous la supervision de Déborah. Je ne m'en tire pas trop mal, pour l'instant. Mais je sais que ce conseil n'est pas fini.
Nous nous apprêtons à rentrer chez nous quand surgit un groupe de soldats armées jusqu'aux dents. Les cinq contestataires ont fait venir leurs troupes, comme je m'en doutais. Le coup d'État démarre. Je réussis à dérober un couteau à une militaire et blesse grièvement au ventre leur Chef, la Vice Suprême Sophie.
Les soldats sont trop nombreuses. Je ne peux pas toutes les tuer malgré mon niveau et ce n'est pas non plus mon plan. Je dois me faire neutraliser pour monter mon grand bluff. Je me fais arrêter ainsi que Déborah. Les cinq tyrans s'emparent de nos États et les autres passent sous leurs dominations.
Elles oublient que le conseil est filmé et retransmis en direct dans le monde entier. Il est temps de lancer mon message, mon incitation à renverser ce système pourri. Je me mets à hurler à la caméra, à destination de toutes les femmes et hommes qui regardent.
- Elles ne sont que cinq Alpha tortionnaires. Elles sont moins nombreuses. Protégeons la vie. Alliez-vous. Rebellez-vous. Zêta opprimées. Reproducteurs martyrisés. Gamma exploitées. Mes Sœurs et mes Frères. Réunissez-vous. Soudez-vous. Elles ne pourront rien contre vous si vous faites front d'un bloc. Au sein d'un même État. Entres État solidaires. Au sein d'une même rébellion. Au service de la vie. Ensemble, vous les vaincrez. Je compte sur vous. J'ai foi en vous. Je vous ai aidé. Aidez-moi à les renverser. Ne les laissez pas détruire notre rêve.
Une des cinq Alpha me fait taire en me cognant avec une matraque. Je perds connaissance.
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