Chapitre deux : Bâtonnage

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Tout au long de leur existence, les arbres passent par une période de rude concurrence, que ce soit pour l’eau et les nutriments du sol, mais surtout pour bénéficier de la lumière du soleil. Sans cette dernière, ils ne peuvent se développer et finissent par dépérir.

L’un de ses redoutables concurrents, durant ses jeunes années, est la Fougère aigle. De par sa croissance très rapide, sa frondaison imposante et sa propension à former des colonies denses, elle finit par dominer le semis et le prive de la lumière du soleil.

Avant que cette fougère ne prenne son plein essor, les sylviculteurs se livrent à son bâtonnage, une méthode consistant à casser la tige avant que ne se déploie la fronde par un coup de bâton savamment mesuré et précis. Il est préconisé de ne pas couper la tige, auquel cas la fougère reviendra à la charge, plus vigoureuse.

Dans certaines parcelles, il conviendra de procéder à un second bâtonnage et, si besoin, à un dégagement au croissant afin de maintenir les fougères à l’écart des semis.

En Armoracia, tout seigneur possédant des parcelles forestières pouvait disposer d'une équipe de sylviculteurs. Ceux-ci, dirigés par un garde des travaux ayant juré allégeance au dit seigneur, devenaient dès lors garant de l'entretien de sa forêt.

Monticuli n'échappait pas à la règle et était propriétaire d'un bois de près de cent-cinquante-et-un hectares. C'était, en majorité, de belles futaies essentiellement composées de chênes élancés et de fort belles qualités. À quelques occasions, des hêtres d'envergure convenable leur prêtaient compagnie jusqu'à ce que l'abattage les sépare. Mais les sylviculteurs n'oubliaient pas que dans leur ombre poussaient les saules et les charmes. Deux essences prêtes à tout pour s'accaparer la lumière du soleil et les ressources du sol.

Et, à l’approche de l’été, survenait un troisième adversaire : la fougère-aigle !

Cette menace supplémentaire n’était pas à prendre à la légère. Combien de forestiers sous-estimèrent cette plante, pourtant aussi néfaste que la molinie ou le chèvrefeuille ? Combien de semis pourtant vigoureux, combien de régénérations naturelles furent anéantis par son passage ?

Mais le seigneur Regvazh et le garde des travaux identifièrent les zones où ces fougères pullulaient et, tous les ans, ils y envoyaient une partie de l’équipe de sylviculteurs pour leur régler leur compte. Cette charge revenait généralement aux pages, que l’on considérait trop jeunes pour pouvoir manier la hache et le croissant sans se blesser. Armés d’un simple bâton de bois, ils livraient bataille aux fougères et libéraient les territoires qu’elles occupaient.

Bertram fut ainsi envoyé sur une de ces parcelles, où il devait procéder à cette mission que l’on nommait « bâtonnage ».

Pour l’épauler dans la bataille, il était accompagné de deux autres pages : Badoc et Etouanac, qui avaient respectivement cinq et six ans de plus que lui. Tous deux étaient les fils de son tuteur Aldbur et partageaient nombre de traits avec ce dernier. À commencer par l’aversion qu’il éprouvait à leur égard. Le fils du seigneur Regvazh eut préféré mille fois bâtonner nu dans les orties que se retrouver avec eux sur parcelle !

Les deux frères, bien que très jeunes, s'étaient déjà forgés une solide réputation ! Si leur père était un habitué notoire des tavernes et des coups de bâton, ses enfants, quant à eux, étaient bien connus pour leur manque d'assiduité. Il était fréquent qu'ils arrivent en retard sur les chantiers, avec généralement une excuse à la clé, et qu’ils viennent à négliger ceux-ci. Leurs aînés et le garde des travaux mettaient alors un point d'honneur à contrôler toute pose de grillage, toute plantation de leur fait. Bien souvent, les deux frères devaient recommencer jusqu'à ce que le grillage tienne fermement sur les poteaux ou que les racines des plants soient enterrées à une profondeur suffisante.

Qu'importe ! Cette année, Bertram ne laisserait pas leur incompétence lui valoir les foudres du garde des travaux. Il allait s'illustrer par ses exploits grâce à sa nouvelle trouvaille : un long bâton noueux, restes débités par son père d'un malheureux sorbier des oiseleurs ayant poussé au mauvais endroit, près de la mauvaise essence.

Avec cette arme surpuissante, il fit courageusement face aux fougères qui le dominaient d’une bonne tête. Avec cette arme, aucune ne lui résista ! Il brisa leurs tiges comme des os et écrasa leurs frondes à coups de pied ! Parfois il les chargeait en s’époumonant de toutes ses forces. Trop frêles pour résister, les fougères ne purent que s’incliner devant sa force. Émergèrent alors d’entre les corps brisés des vaincues les semis de chênes, libérés de l'oppression de ces vilaines ptéridophytes. La tête de nouveau baignée par la lumière du soleil, ils lui adressèrent des hourras et des encouragements pour la suite. Il allait en avoir besoin !

À quelques pas derrière lui, Badoc et Etouanac faisaient de même. Si ce n'est qu'ils cueillaient les frondes à la main ou leur délivraient des coups de pied en pestant et en soufflotant. Lorsqu'il s'en aperçut, le fils du seigneur Regvazh bondit d'inquiétude.

« Les gars, arrêtez d'arracher les fougères ! leur cria-t-il d'un ton réprobateur. Si elles repoussent, on va devoir repasser ! »

Etouanac, l'aîné, lui lança un rictus amusé. D'une minceur et d'une pâleur qui ne ressemblaient en rien aux traits de son père, il avait en revanche hérité des mêmes cheveux noirs et courts et de la même expression maligne de celui qui ne demande qu’à médire du travail des autres mais qui trouve toujours l'occasion d'en profiter pour se fatiguer le moins possible.

« Sire Sanglier, persifla-t-il avec méchanceté ; il savait que Bertram haïssait ce surnom. Sauf votre respect, c'est toi qui ne t'y prends pas correctement. Il est connu qu'il vaut mieux arracher directement la fronde pour porter atteinte au rhizome !

— Ce n'est pas ce que maître Fiaco nous enseigne ! rétorqua Bertram d'une voix forte.

— Maître Fiaco n'a jamais été sylviculteur ! S'il est devenu prêtre, c'est à force de cirer les bottes de ton père ! C'est pas comme le nôtre qui sait de quoi il cause !

— Quoi ? C'est maître Aldbur qui vous a ordonné de faire ainsi ? Maître Aldbur qui vous a dit de ne plus bâtonner la fougère ?

— Lui-même, mon bon seigneur ! intervint Badoc, qui, lui, était la copie conforme de son père avec sa forte corpulence, ses pommettes roses et ses yeux bleus. Tu ne vas quand même pas contredire ton tuteur, pas vrai ? Pas en sachant ce qu'il t'en coûterait... »

Bertram ravala difficilement sa salive. On pouvait prêter nombre de défauts à Aldbur, mais la dextérité n’en faisait pas partie. Il était le seul sylviculteur des Glaises-Collines capable de briser les pétioles des fougères avec des coups d’estoc sans jamais rater son coup ! Et ni les années, ni son ébriété quasi-permanente n’eurent raison de cette précision martiale. Le jeune garçon décida donc de laisser ses deux collègues poursuivre à leur guise et poursuivit son propre combat, jusqu’à parvenir à l’extrémité de la parcelle.

À bout de souffle, il s’accorda une pause et évita de s'approcher des profondes ornières qui balafraient ci-et-là le layon bien droit. En cette fin du mois de magistralios, la nature reverdissait et les journées autorisaient de nouveau le retrait des laines. Mais le début de ce cinquième mois fut marqué par des pluies généreuses, dont il demeurait un reliquat dans les ornières ; désormais, c'étaient les moustiques qui abondaient en leur sein !

Ou peut-être se cherchait-il une excuse pour esquiver son reflet dans les flaques ?

« Pourquoi la Déesse a-t-Elle créée une œuvre aussi contrefaite ? » se demandait-il chaque fois qu'il apercevait son visage. Devant une telle laideur, tous ceux qu'il croisait ne pouvaient s'empêcher de grimacer et, dans le meilleur des cas, de l'ignorer froidement.

Comme sa mère.

« Bertram, mon fils, est-ce là l’attitude d’un seigneur à venir ? Vous déshonorez votre personne et votre père ! » disait-elle dès qu'il se permettait l'audace de lui faire part de ses problèmes. Mais ce visage ne suffisait-il pas à le déshonorer ? Quel seigneur pouvait obtenir l'approbation de ses sujets avec des traits si disgracieux ? Son père ne connaissait pas cette peine...

D'ailleurs son père ne savait pas ce que cela faisait d'être renié de tous. Il n'avait jamais eu à supporter des collègues sans scrupules, un tuteur qui ne savait se faire comprendre que par des hurlements et des coups de bâton, un garde des travaux qui ne reconnaissait pas votre travail à sa juste valeur et des frères et sœurs qui vous regardait comme si vous étiez le diable en personne !

Il lui fallut se rendre à l’évidence : ce visage était le sien. Cette laideur était sa malédiction. Une malédiction que lui seul devra subir tout le long de son existence. Et avec elle l’opprobre du peuple... Tout ce qu’il pouvait faire était de combler le moindre désir de la Déesse jusqu'à ce qu’un jour, Elle le guérisse de cette malédiction !

Bertram cessa donc de ruminer ses plaintes et se remit au travail.

Il eut cogné toute une cohorte de fougères, reconquis près d'un are de leur présence et délivré pas moins d'une centaine de semis lorsqu'il recroisa Badoc et Etouanac. Ces derniers, bien que plus vieux et plus costauds, avançaient à un rythme particulièrement lent, ce qui irrita fortement Bertram, qui, échaudé par ses incessants assauts, réagit au quart de tour :

« Vous vous fichez de moi ?! Vous comptez finir la parcelle à la fin de l'été ? s'époumona-t-il, face aux deux frères qui se parèrent d'un sourire goguenard.

— Hé oh, baisse d'un ton, le noiraud ! répliqua Badoc, dont le visage était couvert de sueur. Ton père et ta mère ne t'ont donc jamais appris à respecter tes aînés ?

— Contrairement à toi, on ne prend pas plaisir à agiter du bâton en tous sens, ajouta Etouanac, échevelé. Sans rire, si tu te voyais, au beau milieu de ces fougères, à hurler et frapper de toutes tes forces ! Une vraie bête sauvage... »

Le fils du seigneur Regvazh s'approcha dangereusement de l'aîné d'Aldbur et se planta à un pied devant lui. Badoc se tint en alerte, prêt à défendre son frère si le besoin s'en ressentait.

« Traite-moi encore une fois de "bête sauvage" ou de "Sire Sanglier", et je...

— Et tu feras quoi ? fit Etouanac d'une voix doucereuse. N'aurais-tu pas oublié l'une des règles essentielles de la foresterie ? "Un sylviculteur ne lève jamais son arme sur un autre sylviculteur !" J'espère que tu ne prévoyais pas de me bâtonner ?

— Reste tranquille, ou on ira le dire à ton père ! » s'exclama Badoc en le faisant tomber par terre d'une simple poussée du bras droit.

Le pauvre page sentit son cœur battre très fort sous l'effet de la colère et de l'indignation. Même si les deux frères étaient considérés par le seigneur Regvazh comme des menteurs et des tire-au-flanc, ce dernier estimait bien plus leur parole que celle de son propre fils. Peu importe ses succès ou ses peines, sa figure le rendait coupable de tous les maux de ce monde...

« Quand je pense que le garde des travaux a obligé père à prendre cette sale bestiole comme page ! pesta Etouanac auprès de son frère. À cause de lui, nous ne pouvons même plus passer boire un coup à la taverne avant de partir sur parcelle ! Et on doit trimer deux fois plus à la tâche, sans quoi il va nous cafarder à son père !

— C’est pour ça ! s’écria Badoc, comme frappé par un éclair de lucidité. C’est pour ça qu’on nous l’a collé dans les pattes ! C’est un sale petit cafard !

— Ou bien c’est parce que Regvazh ne veut pas être vu en compagnie de son fils… Tu comprends… Le fier seigneur de Monticuli en compagnie d’un bâtard… »

Etouanac eut à peine le temps de finir sa phrase que le petit poing de Bertram heurta son menton, le projetant en arrière avec autant de facilité que s’il eût été un sac de plumes ! Badoc poussa un cri d’indignation en voyant son frère chuter comme un arbre déraciné et enserra Bertram par derrière pour éviter qu’il ne s’acharne sur son aîné.

« Ne me traite jamais plus de bâtard, c’est compris ?! » s’époumona le jeune garçon à l’attention d’un Etouanac légèrement sonné.

Ce dernier revint à la charge, le bâton levé, et frappa d’estoc au niveau de l’épaule son agresseur. Bertram s’écria de douleur, tandis que Badoc le plaquait au sol pour lui faire manger de la mousse et de la terre.

« Un sylviculteur ne lève jamais son arme sur un autre sylviculteur. »

Mais Bertram n’était pas encore un sylviculteur. Il n’était qu’un vilain page aux habits usés et tout tachetés de boue, et couvert de bleus des pieds à la tête lorsque les deux frères eurent fini de « lui apprendre le respect ». Étendu de tout son long au milieu du champ de bataille, trahi par les siens, le fils du seigneur Regvazh fondit en larmes.

L’été qui s’abattit sur les Glaises-Collines fut tempétueux et frais. Et l’automne, et plus particulièrement l’hiver, qui suivirent le furent également. En cette fin d’année mille trois cent vingt-sept, la Déesse, pour une raison ou une autre, se fâcha contre les Hommes. De son souffle glacé, Elle plongea leurs terres sous un long et terrible blizzard.

Puis, par un jour de déciribir, le château de Monticuli reçut une bien étrange visite.

« Entendez ma requête, seigneur Regvazh de Tussilage ! Je viens demander droit d’asile au nom de la Déesse miséricordieuse et des lois du pays. C’est qu’il fait très froid, là-dehors... »

Regvazh leva la tête en direction d’une des étroites fenêtres situées sur les côtés de la salle d’audience. Depuis quelques jours déjà, le vent tambourinait aux portes et aux volets avec autant de fermeté qu'un prévôt le jour des impôts. Il secoua tant les chênes de la forêt seigneuriale que les sylviculteurs, inquiets pour leur sécurité, durent quitter les chantiers. Le seigneur de Monticuli décréta les intempéries et les obligea à prendre congés jusqu'à la fin de la tempête. Bien que cette décision dût être celle du garde des travaux, ce dernier ne trouva rien à redire. « Comme si un vulgaire vassal envoyé par le roi allait m'empêcher de faire preuve de bon sens ! » se dit-il, sans parvenir à éclipser le petit sourire narquois qui naissait sur ses lèvres.

Mais ce sourire fut de courte durée. Car ces vents furent chargés de flocons et recouvrirent les Glaises-Collines sous une épaisse couche de neige. Tout en prenant une longue inspiration, Regvazh pria pour le salut des plantations ayant eu lieu en fin d'année dernière.

Le seigneur de Monticuli reporta ensuite son attention sur le visiteur incongru qui lui faisait moult politesses et révérences. Il s’agissait d’une bonne femme d’âge et de corpulence respectables aux longs cheveux luisants, aux joues proéminentes et aux yeux d’un vert de houx. Il soupira.

« Hélas, ma bonne dame, ce n’est pas près de s’arrêter ! rétorqua-t-il. La Déesse ne se montre pas très misécordieuse, ces derniers temps... Si ç’eût été le cas, nous baignerions dans la lumière du soleil plutôt que sous les flocons !

— L’hiver est toujours la saison de l’eau, mon bon seigneur ! argua-t-elle sans une once d’hésitation. Si Elle décidait de vous céder un peu de feu pour adoucir cet hiver, assurément qu’il en manquerait l’été qui suivrait ! “Mieux vaut étés et hivers distincts que sempiternels frais matins”. »

Regvazh détailla avec curiosité les atours de la femme. Elle était vêtue de pied en cap de châles et d’étoffes de diverses teintes par-dessus une robe sombre. À ses bras cliquetaient des perles d'un rose nacré et des bracelets métalliques ornés de runes.

« Encore une de ces bohémiennes de marchés ! » s’exaspéra-t-il, tout en s’efforçant de ne laisser transparaître sur son visage aucune forme d’ennui. Mais les propos de la bonne femme mettaient son moral à rude épreuve. Jamais il n’avait su prendre au sérieux l'élémentalisme, cette science qui arguait que chaque saison était dominée par un élément particulier – dans le cas de l’hiver, l’eau était maîtresse. « Encore une croyance arrivée tout droit de Francoria ! Je croyais avoir tout vu avec leurs idioties d'humeurs dans le corps ! »

D’une voix doucereuse, l'ancien forestier dit :

« Il semblerait que j'ai affaire à une personne qui comprend bien mieux les intentions de la Déesse que notre... (il ne pût s'empêcher de songer au terme « bon à rien ») prêtre. Qui êtes-vous donc ? Et que venez-vous voyager par une telle tempête, vous qui vous targuez de telles connaissances ?

— Mon seigneur, répondit la femme en s’inclinant une nouvelle fois, je suis une divinatrice, experte dans la lecture des astres, des dés, de l’énergie du corps, et bien d’autres sciences encore...

— Des... sciences ? Dame, je ne sais pas si vous êtes coutumière du pays mais nous autres armoraciens ne croyons qu’en une seule science : celle des choses naturelles. Moi-même suis forestier de haut lignage et mes paumes ont la couleur de la terre. Pouvez-vous me prétendre obtenir des résultats aussi probants que la sylviculture ou l’herboristerie avec vos cartes et votre “énergie du corps” ? »

Regvazh craignit d’avoir heurté la fierté de la voyageuse par ses paroles, et se sentit désolé pour un tel manquement de politesse. Mais elle saura ainsi que nul n'évoque ces deux sujets devant lui : les sciences francoriennes... et le nom des Tussilage !

La bonne femme, pourtant, ne lui en tint pas rigueur. Elle dardait sur lui ses prunelles d’émeraude et son sourire ne la quittait pas.

« Je comprends, mon seigneur, dit-elle calmement. Vous n’êtes pas le premier, et vous ne serez pas le dernier, à ne pas croire en mes talents. Si j'ai pu offenser, par quelque affirmation de ma part, votre foi envers la Déesse toute-puissante, je vous prie de m'excuser... »

Le seigneur de Monticuli se laissa aller à une de ses cauteleuses réflexions. Il n’avait guère confiance en cette femme, comme en tous ceux qui se prétendaient capable de prédire le destin des Hommes. Ce privilège revenait à la Déesse Nature, et à personne d’autre ! Ceci dit, il n’avait aucune raison de la mettre à la porte. Bien au contraire, ce contraire aux mœurs armoraciennes et indigne de sa personne ! Jamais on ne dit de Regvazh des Glaises-Collines qu’il était un méchant seigneur et qu’aucun de ses sujets n’avait droit de siéger à sa table !

« Dame, déclara-t-il finalement, je ne puis refuser le gîte et le couvert à quiconque frappe à ma porte ! Demeurez donc à Monticuli ! Vous repartirez sereinement une fois passée la tempête. Sachez aussi que votre art m’est chose méconnue, et bien que mon cœur est voué à la sylviculture, je suis curieux de ces savoirs dont je ne suis coutumier. Si par mégarde, j’ai porté offense à l’essence même de votre profession, alors, en guise d’excuses, je vous invite lors d’un de mes dîners à nous faire une démonstration de vos talents ! »

« Par cette saison agitée, nos soupers sont bien mornes. Peut-être que vos tours de saltimbanques seront les bienvenus pour nous distraire ? » ajouta Robert en son for intérieur, tandis que la chiromancienne s’inclinait une dernière fois, le visage plein de reconnaissance.

Les Glaises-Collines ne furent pas le seul endroit en Suidium à subir les affres d’un hiver sans fin. Au nord de la province, la neige recouvrait également tout. Les branches dénudées des bouleaux et des saules, le plat des souches, les bûches de bois de chauffage disposées pêle-mêle entre les alignements de chênes brogneux, les taillis d’épaisses tiges de noisetiers... L’eau dans les bauges et les fossés s’était garnie d’une fine couche de glace, sur laquelle quelques flocons venaient s’y déposer. Louée soit la Déesse, même les ronciers les plus coriaces durent ployer l’échine sous le poids de cette neige d’un blanc pur.

Un blanc si pur que Langzé Le Sopt dut à plusieurs reprises cligner des yeux pour ne pas être pris de migraines !

Les deux mains posées sur son bâton de marche, le garde forestier responsable de la chasse dans la forêt de Chambur contemplait les quinze traqueurs parfaitement alignés devant lui sur toute la longueur de la drève. D’ici quelques minutes, il sonnera le début de la journée de chasse, et ces hommes s’élanceront dans la parcelle devant eux. Langzé leur souhaitait bien du courage car il connaissait les obstacles qui leur barreraient la route : fossés, ronciers, zones humides, taillis inextricables... De quoi mettre à mal la volonté de plus d’un.

Mais tel était le rôle des traqueurs : arpenter les parcelles d’un bout à l’autre pour attirer l’attention du gibier et le faire fuir dans la direction des chasseurs !

Postés derrière les traqueurs, assis sur des sièges en jute ou des tabourets, ces derniers vérifiaient la solidité de leur corde, la souplesse de leur arc et l’affûtage des pointes de leurs flèches. Langzé n’avait aucunement besoin de leur prodiguer des conseils ; ces vieux briscards endurcis connaissaient parfaitement leur métier ! Et il fallait être stupide pour faire la moindre remarque à quiconque savait tirer aussi précisément à l’arc...

Son dévolu se porta sur le plus jeune de ses traqueurs. Un petit page, à peine plus grand que le plus voûté des chasseurs, aux longs cheveux d’un brun tirant vers la rouille. Sa nouvelle recrue. Du moins pour aujourd’hui. Son père avait tenu à ce qu’il participe à cette journée : « À huit ans, on a l’âge de participer à sa première chasse ! », s’était-il écrié, enthousiaste. Langzé n’avait pas eu le temps de dire un mot que le petit se retrouvait déjà projeté dans ses bras.

Mais que pouvait-il trouver à redire ? Cette décision était celle de Jacques Mauricet, le seigneur de Chambur. Un seul ordre de sa part, et tous se retrouveraient à combattre les sangliers avec des frondes et des épieux de fortune... Et le roi, qui le tenait en haute estime, approuverait cette décision... « Comment s’appelait ce petit, par ailleurs ? » tenta de se remémorer Langzé en caressant sa longue barbe drue. En vain.

Sans faire attendre plus longtemps ses hommes sous le froid, Langzé prit une longue inspiration et souffla bien fort dans sa trompe de chasse.

Le son se répercuta en écho tout au long de la drève. Puis d’autres coups de trompes retentirent ; les chefs de traque transmettaient l’ordre. La traque débutait !

Tous les traqueurs franchirent d’un bond le fossé. Le fils du seigneur Mauricet eut un peu de mal à grimper la pente raide de la tranchée, rendue glissante par la neige, mais il parvint tout de même à rejoindre les autres traqueurs au sein de la parcelle.

Le page savait ce qu'il devait faire. De la même manière que les vieillards placés de chaque côté de lui, il devait marcher tout droit tout en s’assurant de maintenir trente pieds de distance avec ses voisins. Et il devait faire le plus de bruit possible, afin d’effaroucher le gibier. Alors, tout en avançant, il cria. Il s’égosilla, s’époumona, tant et si bien qu’une bouffée d’air frais lui rentra dans la poitrine et lui arracha une quinte de toux. Autour de lui se réverbéraient les cris des autres traqueurs. La forêt, paradis de quiétude quelques secondes auparavant, se couvrit de hurlements infernaux.

Les traqueurs progressèrent d’un pas nonchalant mais rapide, coordonnés par les chefs de traque. Armés de fins bâtons de noisetier, de cornouillers ou de sorbiers, ils bâtonnaient les ronciers, tambourinaient sur les troncs et les souches et s’amusaient à diverses vocalises. Le page, pour sa part, se retrouva vite empêtré dans un taillis ligoté par quelques ronces ; il y laissa quelques-uns de ses cheveux en tentant de se libérer.

Un autre roncier lui barra la route. Il était si volumineux, avec des lianes aux épines longues comme la première phalange du pouce, qu’il fut obligé de dévier légèrement de sa trajectoire afin de le contourner. La manœuvre ne fut pas du goût de son voisin, un vieillard à la mâchoire saillante et au sourire railleur, qui le rabroua sèchement :

« Hé, petit, ne rompt pas la formation ! Reste à distance ! »

Le page lui désigna le tas de ronce d’un index accusateur.

« Ce roncier est bien trop dense ! Je ne puis le traverser !

— Regarde la distance que tu mets avec ton voisin ! »

L’autre voisin se trouvait maintenant à une distance d’au moins quarante pieds. Mais le fait lui imputait davantage qu’au fils du seigneur Mauricet... Ce dernier, contrarié par l’injustice qui se déroulait sous ses yeux, dénonça du doigt l’autre fautif.

« Lui aussi esquive les gros ronciers !

— Vous n’écoutez rien, vous autres ! rétorqua le vieillard. Les ordres de messire Langzé sont...

— Je connais bien les ordres de messire Langzé, le coupa sèchement le page. Mais si j’essaie de traverser ce roncier, je vais prendre un retard considérable. Alors là notre formation sera rompue ! »

Le sardonique demeura interdit quelques secondes et ne trouva à redire à la logique du jeune garçon. Il se permit tout de même une remarque du bout des lèvres :

« Essaie quand même de secouer les ronces ! Le gibier aime s’y cacher ! »

Irrité par l’impatience du vieillard à son égard, le page s’exécuta sans grande conviction et tapa mollement dans le roncier. « Attends un peu que je le dise à Père, vieil abruti ! » pensa-t-il en avançant pour reprendre sa place après le roncier. C’est alors qu’un bruissement suspect le fit se retourner.

Une masse grisâtre, haute comme lui mais bien plus imposante en largeur, venait de surgir du buisson épineux et cavala derrière lui en projetant derrière elle un rideau de poudreuse. Avant qu’il n’ait eu le temps d’identifier de quoi il s’agissait, la bête disparut derrière le taillis. Le vieil importun de tout à l’heure prévint :

« BROCARD DERRIÈRE ! UN BROCARD DERRIÈRE NOUS ! »

L’esprit du page se concentra pour se rappeler des leçons prodiguées par son père. Un brocard, c’était le mâle d’une de ces curieuses bêtes élancées pourvues de deux cornes appelées « bois » que les gens de ce royaume employaient parfois comme montures. Bien qu’il était armoracien depuis sa naissance, il avait toujours trouvé cela étrange qu’ils n’emploient pas des chevaux, comme le faisaient les francoriens. Concluant que les gens d’Armoracia avaient des coutumes bizarres, le fils du seigneur Mauricet poursuivit la traque d’un pas plus rapide afin de revenir à hauteur de ses voisins. Même si d’autres mottes de ronces vinrent l’importuner, la neige lui facilita la traversée.

Un peu plus loin, des cris furent portés avec plus de véhémence, suivis de sons de trompe. Trois coups. Des sangliers !

Le jeune garçon trembla. Le sanglier était le plus puissant gibier que l’on pouvait croiser en forêt. Lorsqu’il se sentait menacé, sa force devenait un réel danger pour qui se trouvait en face de lui ; on ne comptait plus le nombre de traqueurs et de chasseurs dont la vie fut raflée par ces bêtes.

« Et si moi, je tombais sur un sanglier apeuré ? » s’inquiéta-t-il en raffermissant sa prise sur son bâton. Puis il s’adonna à cette réflexion qu’il jugea pertinente : « J’aurais dû demander une épée à Père... »

Fort heureusement, il n’eut pas à déplorer son manque d’équipement ni de bravoure. La traque ne débusqua pas d’autres créatures malgré toute l’ardeur que ses membres mirent dans leurs cris. Tous gravirent un fossé et débouchèrent sur une seconde drève. Celle-là même que messire Langzé leur avait indiqué sur le plan lorsqu’il leur expliqua le déroulement de la traque.

Conformément aux ordres du responsable de la chasse, tous les traqueurs s’alignèrent sur la drève et patientèrent. La formation ne tint pas longtemps car plusieurs parmi les anciens rompirent les rangs et s’en allèrent discuter avec leurs voisins. Les jeunes, eux, s’amusaient à grimper sur les vieilles cépées de noisetier. Ou bien ils testaient la solidité de la glace dans les ornières ou les mares, exerçaient leurs techniques de bâtonnage sur des ronces ou des petits semis, ou se perdaient en contemplation devant la neige. Le fils du seigneur Mauricet, pour sa part, recommençait à avoir froid.

Après une attente interminable, les traqueurs virent poindre les chasseurs du bout de la drève. D’un pas rapide, Langzé passa leurs rangs en revue et leur assigna une place en rangs derrière les traqueurs, comme précédemment. On lui demanda s’il y avait eu des pertes dans le camp du gibier ; il répondit :

« Chou blanc, mes pauvres... Aucun gibier ne fut à portée de nos arcs... »

Des traqueurs firent mine de s’offusquer, raillèrent le manque de précision des chasseurs, encensèrent l’intelligence du gibier... Malgré le froid extérieur, l’ambiance était chaleureuse entre tous les participants. Puis Langzé arriva devant le page.

« Tout va bien, mon garçon ? demanda-t-il avec un sourire franc. As-tu croisé du gibier ? »

Le jeune garçon lui narra son entrevue avec le brocard et sa fuite précipitée. Langzé fit une moue navrée avant de conclure avec sérénité :

« Au moins tu as pu voir du gibier aujourd’hui ! Certains de ton âge ont dû attendre leur deuxième, voire leur troisième traque avant d’apercevoir, ne serait-ce qu’un marcassin ! Tu as eu de la chance !

— Messire Langzé, je ne crois pas que voir un marcassin soit une chance... Surtout si sa mère n’est pas loin...

— Peux-tu me rappeler ton nom, petit ? Ton père me l’a soufflé à la va-vite, mais la mémoire me fait hélas défaut.

— Guillerme Jacquet, messire. »

Langzé répéta plusieurs fois ce nom pour enfin le graver en mémoire. Après quelques retraits de poils de sa longue barbe, ses petits yeux d’un vert pâle dévisagèrent le jeune garçon avec amusement.

« Guillerme, je puis te confirmer que tomber sur un marcassin est une chance ! Leur viande a une tendresse et une délicatesse que n’ont pas leurs aînés ! Et si tu en croises un deuxième, tu pourras te fabriquer de magnifiques pantoufles ! »

Avec un petit rire guttural, le garde forestier s’éloigna. Guillerme le regarda partir, son carquois suspendu à une épaule, sa trompe de chasse à l’autre, et son arc entre les deux. Cet homme au teint râblé et à la voix de crécelle était certes, d’une amabilité sans faille et d’une passion notable pour les fonctions qu’il occupait, mais son humour était parfois douteux...

La seconde partie de la traque débuta dès que tous les chasseurs furent installés et qu’un traqueur eut terminé son concert de reniflements et de toussotements. Bien refroidis par le froid mordant qui s’insinua sous les manteaux et les gilets, les hommes étaient résolus à se réchauffer et s’élancèrent avec plus de vivacité que précédemment.

D’un pas plus leste également. Sur cette parcelle, la discrétion était de mise ; la terre labourée sous les hêtres signalait une forte présence de gibier, notamment de sangliers. Langzé préconisa de prendre les bêtes par surprise afin de causer le plus de pertes dans leurs rangs.

Mais malgré un silence de plomb, les traqueurs ne parvenaient à dénicher aucun gibier. Il y eut bien un cri, mais il s’avéra qu’il s’agissait d’une bourde : l’un des traqueurs crut apercevoir un chevrillard alors qu’il ne s’agissait que du limier d’un traqueur qui les avait rejoints.

Puis, voyant que leurs voisins de droite peinaient à avancer, la traque ralentit l’allure jusqu’à s’interrompre. Au gré des communications, on apprit pourquoi le flanc droit ne progressait plus : les hommes qui le composaient étaient parvenus devant une roselière et s’y étaient engouffrés sur ordre de leur chef de traque. Apparemment, des traces de sangliers convergeaient en son sein. Des traces qui identifiaient clairement une compagnie ! Et de taille respectable !

« Ils feraient mieux de rebrousser chemin, remarqua l’un des traqueurs à gauche de Guillerme. A cette période de l’année, les bois de Chambur sont inondés !

— Certains endroits sont traîtres, renchérit un autre. Un mauvais pas, et ils risquent de se retrouver avec de l’eau jusqu’au cou... Voire pire...

— L’eau doit être sacrément froide par ce temps, fit un troisième en frissonnant. Comment font ces bestioles pour barboter là-dedans sans finir congelés ? »

Cette réponse, Guillerme la détenait, de même que son père, messire Langzé et tous ceux ayant déjà découpé du sanglier ! Ces bêtes massives étaient pourvues d’un solide squelette et d’une musculature très dense. Voilà pourquoi en abattre une relevait de l’exploit. On ne comptait plus les témoignages de promeneurs ayant croisé des sangliers vivants, bien que criblés de flèches ! Alors que signifiait pour eux une baignade en eaux froides ?

Des voix éclatèrent depuis l’autre bout de la parcelle. Du côté de la roselière, il y eut une agitation soudaine ! Les arbres et les traqueurs cessèrent tout mouvement et tout bruit, et un cri suraigu perça l’horizon :

« LAIE SUITÉE ! PRENEZ GARDE ! »

« Oh non... » s’inquiéta Guillerme, les yeux rivés vers la droite, aux aguets des bruissements qui se faisaient de plus en plus distincts.

Puis ils apparurent. Une laie, suivie de cinq... non, six bêtes rousses ! Bien qu’elles fussent loin, le fils du seigneur Mauricet fut impressionné par leur taille et leur masse. Il avait entendu dire que les bêtes rousses, qui n’étaient pourtant que des sangliers dans leur demi-année d’existence, pouvaient peser le poids d’un adolescent tout juste sorti de l’enfance - avec une robustesse toutefois incomparable ! Il comprenait maintenant pourquoi les sangliers donnaient autant de fil à retordre aux gardes forestiers et aux chasseurs. Ils étaient comme des petits monticules grisâtres qui filaient à toute vitesse les uns derrière les autres. Qu’un traqueur se mettre sur leur route, et il se ferait balayer sans ménagement ! Qu’une flèche atteigne une de ces bêtes, et elle lui ferait autant de dommages qu’une piqûre de moustique ! Pas étonnant que les armoraciens louent leur force pour les travaux dans les champs et le trait des éfourceaux !

Le jeune garçon fronça les sourcils lorsque des pépiements par dizaines retentirent parmi la compagnie. Or, ce n’étaient pas des oiseaux qui produisaient pareilles trilles, mais bel et bien des marcassins ! Les petits suivaient leurs sept aînés en formant une horde désordonnée. Un traqueur estima leur nombre à vingt, peut-être plus. Guillerme en dénombra d’autres, des retardataires à l'écart de la troupe. Ces pauvres petits devaient être terrifiés à la vue de ces géants alignés qui leurs beuglaient dessus dans leurs atours aux couleurs criardes. Comme il les comprenait...

L'un des petits se trouvait auprès de lui ; perdu, il tournoyait frénétiquement sur place. Guillerme s'offusqua en songeant qu'on puisse faire du mal à une créature si innocente et si mignonne, et il répugna à l'imaginer dans le rôle de pantoufle ! Dans un élan de bonté, il s'approcha doucement du petit pour le faire fuir vers sa compagnie. Là encore, les traqueurs voisins désapprouvèrent sa décision et lui intimèrent de demeurer à sa place. Et là encore Guillerme ignora leurs réflexions de vieux faisans aigris.

Un hurlement plus sonore que les autres le fit sursauter en même temps qu'il effraya le marcassin. Ce dernier fonça se terrer dans les herbes hautes, non loin de sa...

« HARO ! HARO ! LAIE SUR NOUS ! LAIE SUR NOUS ! »

Les oreilles dressées et la queue fouettant l'air, la mère meneuse chargea Guillerme ! Elle slaloma entre les touradons et les troncs fins avec une agilité déconcertante pour sa masse et parvint à prendre de vitesse les limiers qui s'étaient lancés à sa poursuite ! Entre leurs aboiements et les braillements des traqueurs, le page n'entendit plus les battements effrénés de son cœur.

Pris de court, il n'eut pas le réflexe de s'écarter du passage de la laie, comme Langzé et son père lui avaient si souvent conseillé. Un conseil bien inutile, selon lui, car la mère des jeunes marcassins saurait réagir en conséquence ! Guillerme chercha à faire peur à la laie en agitant son bâton et en bramant comme un cerf. Mais cette stratégie ne fonctionna pas. La laie, cernée de toutes parts et excitée par les cris et les aboiements, fut déterminée à casser du traqueur avant d'être abattue à son tour.

Lorsque la laie ne fut plus qu'à trois pieds de sa personne, elle s'arrêta net et esquissa un mouvement pour repartir dans la direction opposée. Guillerme y vit une opportunité et, de toutes ses forces, il abattit son bâton sur la hure adverse, un peu au-dessus de l'œil. La tige de noisetier fouetta l'arcade jusqu'à la moitié du boutoir et se brisa en deux sous le choc. Mais malgré la violence de ce dernier, la laie n'exprima son affliction que par un grognement à peine audible.

Or, l'attaque fut loin d'être inefficace et faucha la bête dans son élan, la faisant basculer sur le dos. Guillerme recula prudemment pour ne pas être atteint par un des sabots effilés qui virevoltaient en tous sens, rattachés à ces pattes courtes, noueuses, aussi fines que celles du jeune garçon. Lorsqu'un chef de traque s'approcha pour délivrer le coup de dague fatidique, la laie se remit sur ses pattes et prit la fuite. Bien que toujours sonnée, elle parvint à projeter d’un coup de hure le premier limier qui parvint à sa rencontre six pieds en l’air ; les deux autres s'écartèrent sur son passage, mais ce fut pour mieux se jeter sur ses flancs et la mordre férocement. Pareils pincements furent loin de la ralentir, et elle poursuivit son escapade sans discontinuer.

Les traqueurs cessèrent tout hurlement, et le chef de traque indiqua l'arrêt d'urgence en sonnant cinq coups longs. Il ordonna qu'on s’enquière de l'état du limier et se précipita vers Guillerme :

« Tout va bien, petit ?! s'exclama-t-il d’une voix suraiguë. Cette garce ne t’a pas blessé ? »

Le page secoua la tête, tout chamboulé par les événements. Ses jambes l'abandonnèrent ; on le fit s'asseoir contre un arbre et on lui passa un peu d'eau fraîche. Si fraîche qu’il faillit la rendre avec son repas du matin !

Cette première journée de chasse, il ne l’oublierait pas de sitôt !

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