chapitre 19
Les deux jeunes passent l’après-midi ensemble, inséparables comme jamais, à flâner dans les rues de Paris. Shawn a tenté de l’emmener au musée du Louvre, mais la jeune fille a refusé, préférant découvrir un Paris moins touristique. Surtout qu’elle dispose d’un guide qui connait parfaitement les lieux. Elle n’a pas envie de retrouver tous les touristes de passage à Paris qui souhaitent découvrir les secrets du livre : « Da Vinci code ». Après réflexion, Shawn l’emmène dans un musée totalement différent, en aucune façon représentatif de la culture française. Il la conduit au Quai Branly où sont conservés des objets des civilisations d'Afrique, d'Asie et d'Océanie. Pendant toute la durée de la visite, Sarah est totalement fascinée. Shawn s’amuse de la voir si émerveillée, il a l’impression d’être face à une petite fille qui découvre pour la première fois des tours de magie.
Ils déjeunent dans un restaurant dont la cuisine est typique du sud-ouest. La nourriture y est connue pour être assez grasse mais Sarah s’en fiche. Elle n’est pas venue en France pour faire un régime et compte bien goûter à toutes les spécialités possibles. A l’exception des cuisses de grenouilles, ça ce n’est pas possible mais alors pas du tout ! Si elle revient avec quelques kilos en plus, elle ne s’en offensera pas.
Ensuite, ils passent l’après midi à se promener le long de canaux et à visiter des lieux qui font la renommée de la ville. Comme le sacré cœur ou Notre Dame, tout en dégustant des succulentes crêpes au chocolat. A aucun moment, ils ne font allusion à la mère de Shawn. Comme si d’un accord tacite, ils avaient décidé de ne pas aborder ce sujet, au moins le temps de quelques heures.
A la fin de la journée, ils se retrouvent tout en haut de la tour eiffel. Sarah n’en revient pas du panorama majestueux qui s’offre à elle. La jeune femme regrette que Jamie ne soit présent pour voir toutes ces merveilles. Mais d’un autre coté, elle se dit que ce sera une bonne excuse pour revenir afin de l’accompagner.
Shawn lui montre les différents monuments que l’on peut apercevoir depuis une telle attitude. Sarah est totalement impressionnée, tout est tellement minuscule. Elle a l’impression que tous les édifices célèbres sont proches les uns des autres. A cette hauteur, Paris ne semble pas aussi immense qu’on pourrait le croire. Elle se tourne vers Shawn qui est penché contre le garde fou et regarde au loin, l’esprit ailleurs. Il sort de ses rêveries en voyant le sourire béat de Sarah.
- Eh bien, franchement, je ne regrette pas d’être venu. C’est encore mieux que ce que j’imaginais !
- Tant mieux, comme ça tu arrêteras de m’envoyer des vannes sur la France.
- Ah là je ne te promets rien, c’est trop tentant.
Shawn secoue la tête en souriant, abandonnant le combat. Peu importe les circonstances, Sarah est la seule personne avec qui il se sent lui-même. Même s’il ressent souvent le besoin de se retrouver seul, Sarah ne sera jamais un poids, une gêne pour lui. Quand il est à ses côtés, il se rend compte de ce que cela fait d’avoir de vrais amis. C’est si agréable de pouvoir enfin se créer tant de beaux souvenirs. Mais en même temps, cela lui fait peur car il a peur qu’un jour cela s’arrête et qu’il se retrouve à seul. D’être à nouveau invisible. Il en a trop souffert par le passé. Et même si avant il disait qu’il se moquait de ce que les gens pouvaient penser de lui, Shawn sait que c’est faux. Il essayait juste de se protéger, de créer une barrière pour ne pas souffrir.
- Ca me rappelle un film que j’adorai quand j’étais gamine, Il y’avait une scène où l’homme embrassait pour la première fois la femme qu’il aime en haut de la tour eiffel. On voit cette scène dans beaucoup de films. C’est même devenu un cliché !
- En même temps, c’est normal. C’est un lieu très romantique, surtout le soir avec Paris illuminé à tes pieds, la Seine qui scintille et les étoiles au-dessus de ta tête. J’avoue que c’est un beau spectacle.
- On voit que tu t’es intéressé à la question. Tu as dû en faire craquer plus d’une là-haut dit Sarah, d’un air moqueur, pour le taquiner.
- Si seulement c’était vrai soupire Shawn en faisant la moue.
Shawn se demande si Sarah ne vient pas de lui tendre une perche afin qu’il prenne les devants. En tout cas si cette idée lui a traversé l’esprit, absolument rien ne la trahit. Elle se contente de sourire et de respirer un bol d’air frais. Shawn aimerait reproduire les scènes qu’il a vues dans des centaines de films. Il voudrait attraper Sarah par la taille et l’embrasser d’un long baiser passionné. Mais il en est incapable. Il a épuisé tout son capital courage en rendant visite à sa mère. Il ne se voit pas dévoiler ses sentiments à Sarah, même s’il commence à penser qu’elle en sait plus qu’elle ne le laisse penser. Le jeune noir n’a pas la force de sortir avec Sarah, pas pour le moment en tout cas.
C’est très important pour lui, d’en finir avec le passé, avant de penser à son avenir. Aussi court soit-il. Etant donné que selon une prophétie, il va devoir livrer un combat à mort contre ses demi-frères. Il sait qu’il existe de grandes chances qu’il ne puisse pas fêter son prochain anniversaire. C’est comme s’il avait déjà un pied dans la tombe. Il trouve amusant qu’il soit prêt à combattre plusieurs personnes et même à mourir. Mais par contre, lorsqu’il s’agit de dévoiler ses sentiments à la personne qu’il aime, il en est tout simplement incapable. Il espère juste que si Sarah attendait qu’il l’embrasse en haut de la tour Eiffel, elle sera compréhensive et ne lui en voudra pas trop.
Ensuite, Shawn et Sarah se rendent dans un pub du 11eme arrondissement, au niveau de la rue de Lappe. Il s’agit d’un coin réputé pour sa vie nocturne et qui est considéré comme le cœur du quartier branché de Bastille. Ils avaient rendez-vous avec l’amie de Shawn. Mathilde est en compagnie de plusieurs étudiants qui suivent le même cursus qu’elle. Sarah est vite acceptée au sein du groupe. Shawn la regarde plaisanter avec plusieurs personnes, heureux qu’elle puisse profiter de ses vacances. Il ne se fait pas de soucis pour elle, même avec la barrière de la langue, Sarah reste Sarah. C’est à dire une personne ouverte, sociable et qui n’a aucune difficulté pour sympathiser avec d’autres individus. C’est une qualité qu’il aimerait posséder car trop souvent il a du mal à s’ouvrir, comme si un mur infranchissable s’était crée devant son nez. Ils passent un bon moment à discuter de tout et de rien, à sortir des plaisanteries sur les américains afin de taquiner la belle Sarah. Mais cette dernière ne se laisse pas faire, sortant toutes les blagues qu’elle connaît sur les français. Et la liste est longue !
Shawn et Mathilde discutent du bon vieux temps, se remémorant les 400 coups qu’ils ont fait ensemble. Le jeune homme doit reconnaitre que ça lui fait du bien de réussir à se détendre et à rire sans se forcer.
- Alors, vous n’êtes vraiment pas ensemble ? demande Mathilde, n’arrivant toujours pas à y croire.
- Combien de fois tu vas me poser cette question ? demande Shawn, en riant.
Mathilde se contente d’hausser les épaules. Elle reconnait qu’elle n’a pas vu son ami depuis longtemps, mais elle a toujours réussi à décrypter ses sentiments. Pour elle, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : Shawn en pince pour Sarah et vu les regards échangés, elle jurerait que c’est réciproque. Elle respecte le fait qu’il ne veut pas en parler, mais elle compte bien le faire boire, au cas où au bout de quelques verres, il se sentirait plus d’humeur à se confier. Mathilde est connue pour ne jamais abandonner quand elle a une
idée derrière la tête.
A la fin de la soirée, tout le monde a un peu trop abusé sur l’alcool. Sarah n’en mène pas large, ayant beaucoup de difficultés à tenir debout. Elle rit toute seule, trouvant le moindre mot français absolument hilarant. Shawn l’aide à rentrer dans un taxi tandis que Mathilde retourne dormir chez son copain. Le jeune homme est le seul à avoir su s’arrêter à temps. Il souhaite rester lucide pour réfléchir au moyen de se rapprocher de sa mère. Même si l’alcool l’aurait aidé à se détendre et à tout oublier, la réalité aurait fini par reprendre ses droits à un moment ou à un autre.
Dans le taxi, le conducteur jette souvent des coups d’œil dans son rétroviseur intérieur en direction de la jeune américaine. Il a peur qu’elle vomisse dans son véhicule, ne voulant pas passer des heures à tout nettoyer. Mais Shawn a réussi à le convaincre qu’il contrôlait la situation.
- Les français sont vraiment géniaux, j’ai toujours cru que vous détestiez les américains.
- C’est faux. En tout cas pas tout le monde.
- J’ai envie de rester ici toute ma vie ! C’est une ville trop géniale.
- Je crois surtout qu’il faut que tu dormes et que tu décuves.
- Je ne suis pas saoule ! Enfin, je ne crois pas…. On parlait de quoi déjà dit Sarah, totalement éméchée, avant de déposer sa tête sur l’épaule de son ami.
Une fois arrivé à destination, après l’avoir pratiquement porté dans les escaliers, le jeune homme l’aide à se coucher. La jeune fille trouve tout de même la force de se déshabiller avant de s’écrouler, de façon peu féminine. Elle ne met pas longtemps avant de s’assoupir. Shawn la regarde dormir pendant un certain temps. C’est si apaisant de l’observer, de l’entendre respirer et de voir sa poitrine se soulever à un rythme régulier. Le jeune français finit par quitter la pièce sans faire le moindre bruit. Il s’assoit dans la chambre de Mathilde et allume son ordinateur portable. Shawn a des recherches très importantes à faire sur internet. Il sait qu’il ne trouvera pas le sommeil avant de les avoir terminées.
Lendemain matin. Il est près de 10heures quand Sarah réussit à émerger du pays des songes. Elle a l’impression d’avoir les paupières collées, tellement la jeune femme a du mal à conserver les yeux ouverts. Elle sort de sa torpeur et s'oblige à se lever afin de profiter de la journée. Ce n'est pas tous les jours qu'elle se retrouve en France, elle ne veut pas perdre du temps inutilement. Elle remarque que le lit en face est vide et que personne n'y a dormi. Sarah plisse les yeux, se demandant où est son ami se trouve et surtout où il a passé la nuit.
Sa démarche en direction de la cuisine n’est pas très assurée, dû au fait qu'elle s'est levée trop rapidement et qu'elle ressent encore des vertiges. Pendant quelques secondes, tout tourne autour d'elle, comme si on l’avait placé dans une toupie. Mais ce n'est que passager, avant même qu'elle sorte du salon, elle a retrouvé sa démarche habituelle. Sarah est très chanceuse par rapport à l’alcool. Peu importe la quantité qu'elle ingurgite, le lendemain, elle sera toujours en forme, fraîche et ne ressentira pas ce que les gens normaux appellent "la gueule de bois". Elle fait le tour de l’appartement à la recherche de Shawn mais au bout d’un certain temps, elle doit se rendre à l’évidence : elle est seule.
Sarah entre dans la cuisine et trouve sur la table, un verre de jus d’orange et une assiette avec des croissants frais, ainsi qu’un petit mot écrit par son compagnon.
« Désolé de m’être sauvé. J’ai une petite course à faire, je ne serai pas long. Prends un bon petit déjeuner, je reviens vite, kiss Shawn ».
La jeune fille se demande où son ami a pu se rendre. Est ce qu’il est retourné voir sa mère ? Est ce qu’il aura le courage de lui parler ? Elle aurait aimé l’accompagner mais elle comprend qu’il a des choses à régler par lui-même. Sarah attrape un croissant encore chaud que Shawn a été cherché dans une boulangerie avant de s’en aller. Elle mord dedans avant de se diriger en sifflotant vers la salle de bains. Une bonne douche lui ferait le plus grand bien afin de remettre ses idées en place et de se réveiller totalement.
De son coté, Shawn se trouve devant un abri bus dans le 14éme arrondissement. Grace à ses recherches nocturnes, le jeune étudiant est pratiquement sûr d’être en face de la demeure de sa mère. Il veut juste l’observer et voir quel genre de vie elle mène. Ça fait environ deux heures qu’il observe la maison, se faisant discret et attendant patiemment. Il jette d’une pichenette la cigarette qu’il avait aux lèvres, rejoignant les dizaines autres qu’il a déjà fumées. C’est à ce moment que la porte de la demeure en question s’ouvre. Un homme d’une quarantaine d’année en sort, vêtu d’un costume d’homme d’affaire, suivi d’un garçon d’une dizaine d’année et d’une fille d’environ 6 ans. La mère de Shawn est la dernière à sortir.
Elle verrouille la porte d’entrée, embrasse son mari et ses enfants avant de se diriger vers sa voiture. C’est toujours un choc de pouvoir la voir en chair et en os. Il a tellement rêvé d’elle qu’il lui faudra plus qu’une journée pour s’habituer à pouvoir réellement la contempler. Il a dû mal à calmer les palpitations de son cœur, tellement il se sent tendu et a beaucoup de difficultés à ne pas le montrer. Shawn voit avec surprise le mari et les deux enfants traverser la route et se diriger vers le lieu où il se trouve. Les côtoyer de si prés ne faisait pas partie de son plan.
Cela lui fait bizarre de se trouver à côté d’enfants qu’il pourrait considérer comme sa belle-famille. D’un coté, il est content que sa mère ait refait sa vie, elle le mérite après tout ce qu’elle a traversé. Mais d’un autre, il ressent également de la jalousie. Il donnerait tout l’or du monde pour être à la place d’un de ses deux enfants. Ces derniers ont reçu l’amour de leur mère et n’ont jamais connu l’abandon. Ils ne savent pas la chance qu’ils ont. Personne ne sait ce que l’on peut ressentir sauf en en faisant l’expérience. Shawn ne le souhaite à personne, même pas à son pire ennemi.
Le mari de sa mère ne lui prête aucune attention, concentré sur une histoire que lui raconte son fils. Un autobus roule dans leur direction et s’arrête devant l’arrêt. Shawn décide de le prendre, il a vu ce pourquoi il était venu. Il décide d’aller rejoindre Sarah. La présence de son amie lui manque terriblement. Il se demande si la visite de ce matin était une si bonne idée, il se sent encore plus déprimé et plus seul.
En entrant dans le bus, la petite fille fait tomber un ours en peluche accroché à son sac. Elle ne s’en rend pas compte et suit son père vers le fond de l’autobus. Shawn hésite une fraction de seconde avant de ramasser la peluche et se dirige vers la jeune fille, avant de lui tendre l’ours.
- Je crois que tu as perdu ton ami dit-il, avec un petit sourire amical.
- Oh Teddy ! s’exclame la jeune fille en s’empressant d’attraper son ours.
- Je te l’ai déjà dis. Tu dois faire attention à tes affaires Camille ! Merci beaucoup monsieur dit le mari de sa mère.
- Pas de problème dit Shawn, mal à l’aise.
- Merci monsieur dit la dénommée Camille
Shawn hoche la tête en souriant avant de prendre congé et de s’asseoir plus loin à l’arrière de l’autobus.
Le jeune noir se sent tout bizarre et tremble de tout son corps, la tension retombe petit à petit. Il continue à jeter des regards en direction de sa belle-famille. Il sait que jamais il ne pourra rattraper le temps perdu et jouer le rôle du grand frère. Cela lui aurait pourtant plût de les prendre sous son aile. Mais le monde réel est tout autre. Sans être pessimiste ou fataliste, il ne le sait que trop bien. Sa mère et sa nouvelle famille ne vont pas l’accueillir les bras ouverts. Surtout qu’à cause de lui et de sa naissance, sa mère a vécu un véritable enfer.
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