chapitre 37
La nuit est tombée sur la ville depuis environ une heure, quand une berline se gare dans le parking ouest du campus. L’université est composée de plusieurs parkings, placés à différents points stratégiques. Des caméras de sécurité et des vigiles font des rondes fréquentes. La voiture se gare sous d’un arbre très feuillu, ce qui la cache de la caméra de sécurité. Cette dernière ne dispose pas d’un bon angle afin de pouvoir lire la plaque d’immatriculation et même dans le cas où elle y arriverait, il serait impossible de retracer l’occupant de celle-ci. C’est le genre de tâches que Peterson a l’habitude d’effectuer quotidiennement. Il analyse les lieux, repérant les sorties, les caméras afin de ne laisser aucune trace derrière lui et de ne pas avoir de mauvaises surprises.
Il attend patiemment que son collègue le rejoigne. Il est arrivé dans les temps, ni en avance, ni en retard. Peterson est une personne très ponctuelle. Pour lui, c’est une qualité très importante. Il tapote son tableau de bord tout en observant les bâtiments tout autour. L’agent se demande si un des fils de Satan a vraiment élu domicile sur ce campus. Pourquoi des personnes avec une telle puissance et avec comme ambition de détruire le monde, suivrait des cours à l’université. Peterson doit avouer que cela le dépasse. S’il était à leur place, il se contenterait de mettre le monde à feu et à sang. L’agent frissonne rien qu’à cette idée. Personne ne devrait disposer du pouvoir des dieux. Personne n’aurait suffisamment de sagesse pour faire le bien, sans se corrompre et encore moins de jeunes adultes. Le bras droit du directeur soupire, en se disant que parfois le monde est très étrange.
En tout cas, si une de leurs cibles est vraiment un étudiant. Ce dernier fait tout pour passer inaperçu. Aucune activité n’a été repérée dans ce lieu et pourtant les agents du C.A.S sont à l’affût de la moindre information qui paraîtrait suspecte. Ils n’ont pas l’autorisation d’enquêter à l’intérieur de l’université, mais cela ne leur interdit pas de rester informer de la moindre activité qui dépasserait le cadre normal.
Peterson est tellement plongé dans ses pensées, qu’il ne remarque pas une ombre se faufiler vers sa voiture, ouvrir la portière côté passager et s’engouffrer à l’intérieur. L’agent pousse un hoquet de surprise, se crispant, prêt à saisir son arme avant de se calmer en reconnaissant Constantine. Ce dernier ébauche un petit sourire du coin des lèvres, comme pour s’excuser d’avoir fait sursauter son collègue.
- Désolé, je fais souvent cet effet là !
- J’ai juste failli avoir une crise cardiaque !
- Pourquoi vouliez-vous me voir, en dehors du bureau ? demande Constantine, pressé d’arriver au cœur du sujet.
- Pour ceci dit Peterson, en lui tendant une pochette cartonnée.
Constantine prend le dossier et le feuillette rapidement, l’œil vif. Il s’agit d’un rapport de police récent et de quelques dépositions. Il referme le dossier avant de dire :
- Et donc ?
- Hier soir, des délinquants ont violenté une jeune femme.
- Jusque là, rien de surprenant, cela arrive dans toutes les villes dit le détective, sur un ton blasé, pour qui la violence et la mort ne font plus d’effet.
- Mais dit Peterson, ne se laissant pas démonter. Elle a été secourue par trois individus masqués. Un de nos hommes s’est fait passer pour un avocat commis d’office et a pu obtenir la version des délinquants arrêtés. Nous n’avons aucun doute, il s’agit bien des personnes que nous recherchons.
- Ainsi donc, ils s’amuseraient aux justiciers, protégeant la veuve et l’orphelin dit Constantine, songeur, enregistrant l’information. Est-ce qu’ils ont tué quelqu’un ?
- Non, ils les ont juste mis hors d’état de nuire. Sans eux, la fille serait morte, les délinquants sont des multi récidivistes. Espérons que cette rencontre leur passera l’envie de recommencer.
- Ok, mais je ne comprends pas pourquoi vous, vous êtes déplacé ? J’aurai pu recevoir le dossier d’un de vos hommes.
- Vous ne l’auriez jamais reçu ! dit Peterson, en secouant la tête, avant de pousser un long soupir.
- Que voulez-vous dire ? demande Constantine, le fixant d’un regard perçant.
- Cross aurait étouffé l’affaire et garder ce dossier pour lui. Ce n’est pas la première fois.
- Pourquoi est ce que vous, vous confiez à moi? Vous savez que vous risquez gros en m’en parlant. Je pourrai m’en servir contre votre chef, que je ne porte pas vraiment dans mon cœur.
- Je sais que vous êtes un professionnel avant tout et je suis pour que la vérité prône sur tout le reste. Je dois avouer que je ne sais quoi penser de toute cette histoire. J’ai l’impression qu’ils ne sont pas tous là pour nous détruire comme le directeur le pense. Je crois que certains utilisent leurs pouvoirs pour aider les autres.
- Et qu’est ce qui vous fait penser cela ? demande Constantine.
- Comme je vous l’ai dis, ce n’est pas la première fois qu’ils sauvent quelqu’un. La dernière fois c’était ma fille. Elle avait été enlevée et serait morte si l’un d’entre eux, ne l’avait pas sauvé. Et il l’a fait, sans rien demander en échange. Je ne crois pas qu’un être diabolique agirait ainsi.
Constantine se contente d’hocher la tête en silence. Il sent la douleur dans la voix de l’agent. La blessure n’est pas encore cicatrisée et ne se refermera sans doute jamais. Avoir failli perdre la chair de sa chair doit être un évènement si douloureux, qu’elle laisse obligatoirement des séquelles. Le détective n’en est que plus heureux de ne pas avoir d’enfant ou d’attaches personnelles. Personne ne peut le menacer en utilisant un de ses proches car il n’en a aucun. Vivre comme un solitaire a parfois du bon.
- Je vais étudier ça de mon coté. Cela restera entre vous et moi.
- Je n’en attendais pas moins de vous dit Peterson, avant de tourner la clef de contact.
Constantine descend de voiture, le dossier sous le bras et regarde la voiture de l’agent s’engager vers la sortie. Il reste songeur, cette histoire semble plus compliquée qu’il n’y parait. Le détective doit avouer que cela ne l’étonne pas que Cross veuille cacher certaines informations Il veut que les gens les voient comme des monstres de foire à abattre et pas comme des êtres humains. Constantine va devoir travailler sur deux tableaux, mais bon il a l’habitude. Ce qui l’ennuie le plus, c’est qu’il va devoir rester plus longtemps que prévu dans cette ville, qui continue à lui donner la migraine. Et il sent que cela ne va pas aller en s’arrangeant. Constantine a le don pour prévoir ce genre de chose.
Un peu plus tard dans la soirée, Shawn a rejoint ses deux partenaires chez Cheyenne. Après avoir partagé une boisson chaude chez la jeune femme, le groupe suit Max. Ce dernier aurait découvert un endroit parfait pour s’entraîner tranquillement. Après une vingtaine de minutes de marche, ils s’arrêtent devant une bâtisse qu’ils connaissent très bien. Il s’agit de l’ancien gymnase qui a pris feu, lorsque Shawn a utilisé pour la première fois ses pouvoirs. Le français reste silencieux, sans voix. Depuis la poursuite avec le C.A.S, il n’y a jamais remis les pieds. Il se demande si ce n’est pas de mauvais goût d’utiliser un tel lieu, où des personnes sont mortes à cause de lui. Max se tourne vers son demi-frère et sourit, comme s’il avait deviné ses pensées.
- Alors, qu’est-ce que tu en penses ?
- Je dois avouer que c’est assez déroutant de me retrouver ici ! s’exclame Shawn, cherchant ses mots.
- Max, tu aurais pu au moins nous prévenir ajoute Hayden, sur un ton de reproche.
- Cela aurait gâché l’effet de surprise ! s’exclame Max, visiblement fier de lui, souriant de toutes ses dents.
- Et quelle surprise ! Tu crois vraiment que c’est l’endroit parfait ?
- Il n’y a pas mieux. Personne ne viendra fourrer son nez ici. L’édifice est en rénovation. Et n’est ce pas amusant de savoir que le premier lieu où tu as découvert tes pouvoirs deviendra l’endroit où tu vas apprendre à réellement les contrôler.
- Hilarant ! s’exclame Shawn, sur un ton sarcastique.
Max hausse les épaules. Le ressentiment de Shawn lui passe au-dessus de la tête et ne l’affecte pas le moins du monde. Il leur montre d’un signe de la tête, la porte d’entrée qui est barricadée par des planches et obstruée par des bandes jaunes.
- Bon, alors on y va ou pas ? On n’a pas toute la nuit et restés à découvert devant cette ruine pourrait attirer l’attention. C’est ce qu’on essaye d’éviter, non ? s’interroge Max, sur un ton moqueur.
Shawn ne prend pas la peine de lui répondre et se contente de le suivre. Hayden ferme la marche, après s’être assuré que personne ne les observe. Les trois jeunes préfèrent passer par la porte de derrière, qu’ils peuvent forcer sans laisser de trace.
A l’intérieur, une odeur de brûlée est toujours présente, même si le désastre a eu lieu depuis plusieurs mois. C’est comme si l’empreinte laissée par Shawn comptait bien rester à jamais dans ce lieu. L’endroit est totalement désert. Il ne reste rien que le plancher avec de larges trous à certains endroits. L’ancien gymnase n’est pas totalement plongé dans l’obscurité. Différents trous sont apparents au niveau du toit, assez larges pour laisser passer la lumière provenant de l’extérieur. Max se tourne vers eux, en souriant, fier de son idée.
- Alors j’ai assuré ou j’ai assuré ?
Shawn se sent mal à l’aise de se retrouver dans cet endroit. Il y a vécu un véritable cauchemar. Le jour du drame a marqué le début de la fin. La fin d’une vie paisible et le début d’une existence marquée par le sang et la violence. Il aimerait pouvoir tout oublier d’un claquement de doigts. Mais malheureusement ce n’est pas si simple. Le visage des personnes qu’il a tué ne le quitte jamais. Il sait que si ce soir, il n’arrive pas à dormir, il pourra remercier Max.
- Et si on s’y mettait. Je n’ai pas envie d’y passer la nuit dit Shawn, sur un ton bourru.
Il tourne la tête et observe les dégâts visibles. De grosses traces noires sont encore apparentes sur les murs, dus à la violence des flammes. Shawn regrette les évènements qui s’y sont déroulés. Il n’aurait pas dû laisser sa colère prendre le dessus. Ces jeunes méritaient une bonne leçon, mais pas de mourir de façon si atroce. Mais c’est trop tard, il ne peut plus revenir en arrière. Il doit vivre avec ce qu’il a fait pour le restant de ces jours et c’est un poids lourd à porter. Il entend Max prononcer son nom et lorsqu’il se tourne, il se prend en pleine face un bout de bois qui provient du plancher. Il recule en grimaçant de douleur et en se massant le crane endolori. Il lance un regard furibond à Max, des envies de meurtres dans les yeux.
- Non, mais ça ne va pas ! T’es vraiment cinglé ou quoi !
- Tu voulais commencer l’entraînement, non ? Alors ne perdons pas de temps !
Shawn grommelle des injures dans sa barbe tandis que Max ramasse d’autres bouts de bois. Ce n’est pas ce qui manque sur le sol.
- Ton premier exercice sera d’éviter ces bouts de bois. Tu vas devoir les brûler et les réduire en cendre avant qu’elles ne t’atteignent et tu peux me faire confiance, je suis un bon lanceur.
Shawn n’a pas le temps de rétorquer quoi que soit que Max commence l’exercice. Shawn évite le premier bout en baissant la tête, avant de réussir à se concentrer, n’ayant aucun problème à ressentir de la colère. Il puise dans ses mains et envoie des boules de feu sur les autres projectiles avant qu’ils ne puissent l’atteindre.
Max continue son exercice sans s’arrêter pendant près de quinze minutes. A la fin, Shawn se sent lessivé, la respiration haletante. Son pouvoir lui demande beaucoup d’énergie. D’habitude, il se sert d’une ou de deux projectiles enflammés pour se sortir de n’importe quelle situation. Il n’a jamais eu à s’en servir à répétition pendant une période aussi longue. En tout cas, pas jusqu'à présent. Il se rend compte que niveau endurance, il n’est pas au point.
Ensuite, c’est à Hayden. Il se sert de ses yeux pour brûler chacune de ses cibles avant qu’elle ne l’atteigne. Il s’en sort avec les honneurs, n’en ratant aucune. Même lorsque Shawn se joint à Max pour lui envoyer deux fois plus de projectiles. Le résultat est le même, les objets flambent et tombent en cendre avant qu’elles n’aient eu le temps de le toucher. La vision d’Hayden est excellente. Ses yeux deviennent rouges et des petites flammes apparaissent dans ses pupilles. Il sourit, à la fin de l’exercice, satisfait du résultat.
Vient enfin le tour de Max, il transforme ses mains en trident et pulvérise les bouts de bois, les sectionnant en deux avec ses mains en feu. Shawn doit avouer que son partenaire est vraiment doué. Sa concentration semble sans faille, ses gestes précis et nets. Il n’utilise pas plus qu’il n’en faut son énergie, ni sa force. Même si cela en coûte au français de le reconnaitre, Max est la personne la mieux préparée pour affronter leurs adversaires. C’est comme si rien ne pouvait l’atteindre. Shawn est content de l’avoir dans son camp Il ne voudrait pas être son ennemi.
Lorsqu’il utilise son autre capacité, celui de voler, Shawn est plus concentré. Il doit faire des cabrioles et pirouettes dans tous les sens pour ne pas être heurté par les pierres que lui jette son ami. Il a un pourcentage de succès de 70%. Il grimace, pas très satisfait du résultat. Il essaye d’être le plus rapide, mais jusqu'à présent, il a utilisé son pouvoir de lévitation, uniquement pour échapper à ses ennemis ou pour atteindre un objectif précis. Il n’a jamais appris à s’en servir comme une arme, ni à éviter les projectiles.
- Tu es trop statique, tu fais une cible parfaite pour tes adversaires.
- Je fais ce que je peux se défend Shawn, excédé de subir continuellement les critiques de Max.
- Max a raison sur ce coup-là. Tu dois apprendre à mieux te servir de ton pouvoir. J’aimerai avoir un double pouvoir comme toi. Mais si tu l’utilises face à Devon, il n’aura aucun mal à te trouer la peau. Tu dois apprendre à être plus rapide et efficace.
- Ce n’est pas si facile que ça dit Shawn, en soupirant, agacé.
- On n’a jamais dit le contraire. C’est bien pour cette raison qu’on vient ici dit Hayden, avec un petit sourire pour lui remonter le moral.
Après quelques efforts aériens supplémentaires, Shawn retourne au sol, afin de reprendre son souffle. Il est épuisé et ressent des douleurs au niveau de son torse et de ses avant bras. Ses partenaires ne lui ont pas fait de cadeau. Il est sûr d’avoir plusieurs bleus sur le corps. Il va lui falloir trouver une explication pour Sarah, afin de ne pas éveiller ses soupçons. Heureusement, il a encore un peu de temps devant lui pour y réfléchir. Devoir mentir à Sarah, lui fait encore plus mal que ses blessures. Il aimerait tant vivre une relation honnête et sincère.
Mais, ce n’est pas comme s’il avait le choix. S’il veut la garder dans sa vie, certaines choses doivent rester secrètes. Sinon le bonheur qu’il a eu beaucoup de difficultés à construire disparaîtra en une fraction de secondes. Pour ne laisser que tristesse et solitude, derrière lui. Il connaît ça que trop bien et n’est pas très pressé de replonger dedans.
Max et Hayden s’entraînent de leurs côtés. Shawn ne les regarde que du coin de l’œil, plongé dans ses pensées. Il se demande si cela en vaut la peine et s’ils ont vraiment une chance de battre leurs adversaires. Il a l’impression de s’entrainer pour partir en guerre. Ils sont loin de tout savoir sur les agents du CAS. Ils ont eu de la chance que jusqu'à maintenant ces derniers soient incapables de les retrouver. Mais aller au devant d’eux et les attaquer pour ensuite vivre en paix, Shawn se demande si c’est la bonne solution. S’ils ne sont pas en train de jouer avec le feu. Ils vont au-devant de graves dangers. Les personnes en face ne sont pas des débutants.
Tout ce qu’il sait, c’est qu’il aime Sarah. Tout ce qu’il souhaite, c’est pouvoir vivre assez vieux pour avoir des enfants avec elle et continuer à la voir sourire. Il ne se lasse pas de lui toucher ses cheveux si doux, de goûter à ses lèvres et de sentir son corps contre le sien. Pourtant, plus il y réfléchit, moins il voit de solutions pour résoudre tous ses problèmes. Il est obligé de se battre, quitte à tout perdre au passage.
Avant son départ pour la France, il aurait signé sans réfléchir. Mais maintenant tout a changé, sa vie a enfin un sens. Il a fini par trouver ce qu’il lui manquait pour être heureux dans cette vie. Ce joyau, c’est Sarah et rien, ni personne ne pourra le remplacer. Pour elle, il ferait tout. Il a tellement de choses à vivre avec elle. Il ne peut pas mourir… pas maintenant. Pas après avoir gouté au véritable bonheur. La vie ne peut pas être aussi injuste. Le jeune noir sort de ses rêveries, lorsque Max s’arrête devant lui et lui annonce :
- Un dernier exercice et on rentre !
- Et en quoi ça consiste ?
- Toi et moi, nous allons nous battre. Je sais que tu meurs d’envie de me rabattre le caquet. Une autre occasion ne se présentera peut être jamais. Alors je te conseille de la saisir. Mais sans utiliser ton pouvoir, juste tes poings.
- Ca me va dit Shawn, se mettant en position.
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