Château La Cave

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Le journal télévisé s’achève. Le générique de fin retentit quand je finis de débarrasser la table. Je rebouche soigneusement le grand cru ouvert deux jours plus tôt. Jusque-là je n’en ai bu qu’un verre par repas, quasi religieusement. J’ai prévu de le finir ce soir, avant de partir. Le temps d’un café et je vais rejoindre mes invités.

C’est grâce à Winnie qu’ils sont là. Un drôle de personnage, ce Winnie. Un mauvais gars, avec de mauvaises fréquentations, qui fait de mauvais choix. Il a fallu toute l’étendue du talent de mon patron, et plus d’une fois, pour lui éviter la prison. Et probablement aussi quelques partages d’informations avec la police en quête de plus gros poissons. Bref, un type pas très recommandable. D’ailleurs, j’ai pas mal hésité avant de faire appel à lui. Mais il était le seul à qui je puisse demander de les trouver et de me les amener. J’y ai laissé jusqu’au dernier Euro de mon livret A, mais il a tout géré, et à la perfection.

Je n’ai pas eu d’autre choix que d’installer mes visiteurs dans la cave. Enfin, si, à la réflexion, j’avais le choix. J’aurais pu leur proposer les anciennes chambres des enfants. Mais ça collait mal avec les impératifs de leur séjour. Et puis je n’aime pas que des étrangers squattent les chambres des enfants. Même si ceux-là ne sont pas tout à fait des étrangers. Non, la cave, c’est bien. Le confort est un peu spartiate, mais en l’occurrence, c’est bien. C’est même très bien.

Bon, elle n’est pas très sympathique, je le concède. On y accède par un escalier extérieur, raide et sombre, aux marches moussues. Par temps de pluie, on aurait vite fait de glisser et de s’y rompre le cou. En revanche, la porte d’entrée en pvc est flambant neuve. Je l’ai faite poser récemment, en prévision de leur passage. Sur l’ancienne, les planches de bois rongées par les années et intempéries laissaient passer la lumière, le chaud et le froid, les sons. Je ne pouvais pas laisser les choses en l’état.

Je frappe. Dans l’absolu, ce n’est pas nécessaire, puisque j’ai les clés. C’est plutôt pour me signaler, même si je suppose qu’ils ont déjà entendu et reconnu mes pas. Comme ça, avant même que j’entre, ils savent que nous allons reprendre les choses là où nous les avons laissées.

Comme dans beaucoup de caves, le plafond est bas. Même moi qui ne suis pas très grande, je dois me baisser pour passer sous le chambranle. La porte franchie, une odeur âcre me prend à la gorge. Un mélange de salpêtre et d’urine, plus quelque chose de métallique. J’allume la lumière, puis je me dirige vers un établi sommaire. Une planche de bois sur laquelle des outils sont posés en vrac, à côté de quelques feuilles dactylographiées, d’un stylo feutre fluo et d’une boîte de bouchons anti-bruit.

- Alors, jeunes gens, où en étions-nous ?

Pas de réponse. Je parcours les feuillets dont une partie est surlignée de jaune.

- Bla bla bla… fracture du tibia et du péroné… fracture de la malléole externe... fracture du radius… fracture de l’arcade sourcilière… Bon, ça, c’est fait, on s’en est occupés entre hier et ce matin. Ah, oui, voilà où on en est : fracture des côtes gauches K10, K11 et K12.

Je me tourne vers mes trois hôtes.

- Alors, il faut que je vous dise : les côtes K10, K11 et K12 sont les trois dernières côtes. Moi aussi je l’ignorais avant d’avoir lu le rapport d’autopsie. Je ne vous cache pas que ça m’arrange que ce ne soient pas les côtes hautes parce que, sincèrement, je ne suis pas sûre que j’aurais pu vous les casser sans vous perforer le cœur. Et je regretterais beaucoup, beaucoup, de vous voir mourir trop vite.

J’attrape un marteau. Dans leurs yeux, l’inquiétude tourne à l’affolement à mesure que je m’approche d’eux. Les voilà maintenant qui s’agitent. Je me demande bien pourquoi. Ils savent déjà qu’ils ne pourront pas se dégager des liens qui maintiennent leurs mains dans le dos et leurs jambes aux pieds des chaises auxquelles ils sont ligotés. Ça fait près de deux jours qu’ils essaient. Leurs bâillons étouffent ce qui doit être des appels au secours. Ou à l’indulgence, peut-être. De toute façon on s’en fout, ils n’auront ni l’un ni l’autre.

Je le leur fais comprendre :

- Ah, le ruban adhésif sur la bouche ! C’est vraiment terrible, comme sensation, non ? Non seulement on ne peut ni appeler à l’aide ni implorer ses bourreaux, mais en plus, si on panique – et il faut bien avouer qu’on a toutes les raisons de paniquer dans une telle situation – on étouffe. Ben oui : quand on panique, on a besoin de plus d’air. Pour avoir plus d’air, il faut respirer par la bouche. Et respirer par la bouche, avec du scotch sur le bec, c’est pas possible. En tous cas, là encore, j’ai été précise : celui que vous « portez » aujourd’hui est très exactement le même que celui que vous avez utilisé avec ma fille. J’espère que vous appréciez le mal que je me suis donnée.

Je me positionne en face du premier. Il se met instantanément à secouer frénétiquement la tête de gauche à droite. Le marteau s’abat violemment sur son flanc. Il perd presque instantanément connaissance, la mauviette. Le deuxième se tortille tellement sur sa chaise que je dois m’y prendre à deux fois pour l’atteindre. Le troisième, lui, fait face. C’est le chef du groupe. Il plante dans le mien un regard de défi. Au moment de l’impact, il se contente de souffler puissamment. Un pratiquant d’arts martiaux, sans doute, habitué à encaisser les coups. Il est beaucoup plus dur à briser, dans tous les sens du terme. Mais ça viendra.

Je regagne l’établi, reprends les feuilles restées éparses et surligne de jaune le passage qui fait mention de la fracture des trois côtes basses.

- Et voilà. Ça aussi, c’est fait !

Je me retourne vers les trois gars. Mauviette est revenu à lui.

- Alors voilà, j’ai deux nouvelles pour vous : la bonne et la mauvaise. La bonne, c’est que nous en avons fini avec la première étape. Nous sommes arrivés au bout du rapport d’autopsie de mon fils. Vous avez maintenant très exactement les blessures que vous lui avez infligées. Hormis le coup fatal, bien sûr, puisqu’on n’en a pas terminé tous les quatre. La mauvaise, c’est qu’on va passer à celui de ma fille, maintenant. Et là, voyez-vous, il y a un point qui m’embête. J’ai bien réussi à me procurer l’adhésif et à concevoir une technique efficace pour l’étranglement. Un peu longue et pénible, peut-être, mais efficace. Mais pour le viol, je ne vais pas pouvoir coller au plus près du rapport. Je veux dire… vous êtes assis sur des chaises, à l’évidence, ça pose un problème pratique. Mais j’ai quand même trouvé une solution satisfaisante pour rester dans le thème, comme on dit. Je vais tout simplement vous punir par où vous avez péché !

Tout en parlant j’ai attrapé la pince coupante à long manche dont je me sers, habituellement, pour couper les branches des arbustes de mon jardin. Je m’approche de Mauviette qui pleure maintenant à chaudes larmes. Il m’attendrirait presque, le petit con. Il se ratatine tellement sur sa chaise qu’on dirait qu’il va finir par passer à travers les barreaux. Quand c’est au tour du chef de meute, cette fois, il en a fini de crâner. Pathétique, il tente en vain de resserrer les jambes. Ses attributs rejoignent bientôt ceux des autres sur le sol en terre battue.

Une demi-heure plus tard, je remonte de la cave. Pour de bon, cette fois. J’ai passé autour de leur cou des cordelettes que j’ai reliées les unes aux autres. Le premier qui mourra, de soif, de faim, ou d’hémorragie, peu m’importe, entraînera les deux autres avec lui : sa tête, en tombant, resserrera mécaniquement le lien autour de leur cou.

Je suis épuisée. Rien ne m’a préparée à cela. Il y a deux jours encore j’étais Madame Tout Le Monde. Une simple mère de famille, insignifiante secrétaire dans un obscur cabinet d’avocats. Je prends une longue, très longue douche. L’odeur du sang semble ne jamais vouloir s’en aller.

Enfin apaisée, je ressors le grand cru. Je m’en sers un verre que je lève en direction d’un cadre photo. On y voit mes enfants, mes amours. Heureux, souriants, confiants dans un avenir forcément radieux. C’était notre dernier Noël tous les trois. Le dernier jour où je les ai vus vivants. Le lendemain, dans un train de banlieue désert, ils ont croisé trois petites ordures. Trois petites ordures qui ont violé et étranglé ma fille. Trois petites ordures qui battu mon fils à mort quand il a tenté de protéger sa sœur. Trois petites ordures qui après avoir avoué, ont bénéficié d’un non-lieu pour vice de procédure.

- Tchin, les enfants. Je vous avais promis qu’ils ne s’en sortiraient pas. Et voilà, c’est chose faite.

J’ai fini la bouteille. Je suis assise dans le canapé, le cadre photo contre mon cœur. Devant moi, sur la table basse, deux feuilles de papier. Sur l’une, mes aveux complets. Sur l’autre, mes instructions pour la suite. A côté, mon verre au fond duquel ce qui restait de vin a séché. Et une plaquette de médicaments, totalement vide.

Mes enfants, mes amours, maman arrive. Je suis déjà en route.

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