Ma très chère Flora...
Ecrit à Leeds, UK, le 16 Juin 2012, à 20h16.
Ma très chère Flora.
Richard m'a téléphoné, hier soir. Il m'a invité à l'enterrement de Max. Je suis vraiment désolée, mais je ne pourrais pas venir. Honfleur est à des heures de route. Mais pour être tout à fait honête, ce n'est pas la seule raison pour laquelle je préfère éviter de venir.
Comment pense-tu que Florian, Tammy, Stéphane, Yves et les autres réagiraient, en me voyant ? Ce n'est pas possible. Je ne peux pas revenir à Honfleur après cinq ans. Pas après tout ce qui s'est passé. Mais, mon Dieu, ce que j'aimerais pouvoir me rendre à Honfleur. J'aimais tellement Max. Et je sais que tout le monde sera là : Richard, Daniel, Yves, Stéphane, Florian, Tammy, Jozef, Chris, Justine, Marty, Maryline, Cassy, Eva, Thomas, Simon. Et toute la fratrie, quoi. Comme toujours, ils feront les innocents. Ils se conduiront comme des gens tristes, ils poseront des fleurs sur la tombe de Max. Je trouve cela bien trop facile de commencer à aimer quelqu'un lorsqu'il est mort.
Ils n'ont jamais aimé Max, pas vrai ? Il ne voulait pas rester à Honfleur, Flora, mais sa mère et son père l'ont supplié de le faire. A chaque fois qu'il se trouvait un mêtier qu'il aimait bien, cette sale conne écrivait des fausses lettres de refus et les lui envoyait. Elle a même fini par payer son propre fils pour qu'il reste à la maison. Il aurait pu essayer de refuser, mais cela aurait-il eu un impact ? Je suis certaine que non. Sa propre maison familiale était une putain de prison. Et ses propres parents étaient ses putains de tortionnaires.
Son père Richard l'aurait fusillé s'il avait pu le faire. Cette dose de haine qu'il avait dans le regard... C'était effrayant, Flora. Richard faisait la pleureuse au bout du fil, mais c'est un très mauvais acteur. Quand il était en public, il était très gentil, le Richard. Sympathique, courtois, tout ce qui caractérisait un véritable gentleman. Mais le soir, lorsque les portes se fermaient et qu'il était seul avec sa femme et son fils, le parfait gentleman se transformait en un horrible monstre aux yeux imbibés de sang. De temps en temps, les parents de Max quittaient la maison pour la nuit. J'allais à mon balcon, la maison juste en face de la leur, et lui et moi parlions.
C'était horrible à voir. Après une nuit de torture, il était recouvert de sang et de bleus. Parfois, il avait des doigts brisés. J'ai essayé d'appeler la police, une fois, mais quand ils sont venus rendre visite à la famille Rhoten, Richard et Bernardine Rhoten ont tout simplement dit que tout était normal, les coups venaient tout simplement d'une blessure que Max s'était infligée en tombant de son vélo. Dans le patelin, tout le monde aimait la famille Rhoten, surtout Richard, ce bourgeois tellement gentil et tellement généreux. Ils avaient des amis dans la police, également. Cela aidait. Il cachait ses crimes et il y arrivait. Le chef des flics était son meilleur ami, Edward Gouro, à quoi est-ce que je m'attendais ! Apparemment, tout allait très bien chez les Rhoten. Quels cons incompétents.
J'ai fini par quitter Honfleur après m'être disputé avec les cousins et la famille Rhoten. Ils ont voulu faire passer mon "accident" de bagnole pour un putain d'accident, mais je sais qu'ils souhaitaient m'éliminer. Ils savaient que je savais tout. Richard était en colère. Sa face n'avait plus d'émotion, c'était tout simplement devenu une grosse boule rouge difforme, aux yeux pleins de sang et aux crocs pourries.
Je ne pouvais plus supporter tout cela. Je ne pouvais plus supporter la torture qu'ils infligaient à Max. Le soir de mon départ, ses parents n'étaient pas là. J'étais allée le voir pour le supplier de venir avec moi. Tout irait bien, là-bas. A Leeds, Richard et sa connasse de femme ne viendraient jamais nous retrouver : ils vouaient aux anglais une haine profonde. Mais envers qui ne possédaient-ils pas de haine, hein ?
Max a refusé. Il m'a dit que non, je disais des conneries, ses parents l'aimaient. Ils l'avaient mis au monde pour l'aimer et lui apporter le plus d'amour possible. Maintenant que j'y repense, je suis certaine qu'il s'était enfermé dans cette idée pour la simple et bonne raison que cela le réconfortait. Il aimait ses parents, ou peut-être même qu'il pensait les aimer, malgré les tortures inimaginables qu'ils lui faisaient subir. Les Rhoten sont des monstres.
Cette enflure de Richard Rhoten m'a annoncé au bout du fil que Max s'était mis une balle dans la tête. Ils l'avaient retrouvés mort dans sa chambre. Richard a peut-être oublié pourquoi j'avais quitté Honfleur, parce qu'il a eu la putain d'audacité de dire qu'il "ne savait pas pourquoi et comment son propre fils avait pu faire ça". Ce que je ne comprends pas, c'est : comment est-ce que personne n'a jamais eu des doutes sur la famille Rhoten ? Tout le monde avait l'air tellement fermé à l'idée que Richard et sa femme n'étaient pas comme ils les imaginaient... Ils avaient l'air aveugles.
Maintenant que j'y pense, Flora... Peut-être qu'ils se souviennent de la raison pour laquelle je suis partie. Peut-être que c'est une ruse pour que j'y retourne... Et peut-être que c'est cela qu'ils attendent. Que j'ai un peu de peine pour Max, et que je décide d'accepter leur invitation.
J'aimerais tellement pouvoir poser des fleurs sur la tombe de Max. Mais je ne pourrais pas le faire. Pas avant la mort de la famille Rhoten toute entière.
Encore une fois, j'espère que tu comprends que ce n'est pas à cause de toi que j'ai décidé de ne pas venir. Et c'est encore moins à cause de Max. Max ne m'a jamais rien fait. Il aurait dû s'enfuir lorsqu'il était encore temps de le faire. Si je retourne à Honfleur, Richard ne me loupera pas, cette fois-ci.
Une balle dans la tête. Le "suicide" parfait.
Pardonne-moi, Flora. Pardonne-moi. Je suis désolée.
Présente mes condoléances à la famille. Je sais qu'ils s'en fichent, mais si Richard a le droit de se donner un genre, alors moi aussi.
Signé : Lilia-Mary Perrol.
P.S.: Je t'en supplie, Flora, après avoir lu cette lettre, brûle-la. Maintenant que tu sais tout, garder cette missive pourrait être dangereux. Pour toi, aussi bien que pour moi. Je t'aime, Flora. Brûle cette lettre. Et prends soin de toi.
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