Jeu sous les draps blancs
Elle se réveille au petit matin dans les draps blancs de l'hôtel, seule.
Ses yeux sont éblouis par les rayons vifs qui transpercent les voilages. Un carillon d’église musical et bref signale une demi-heure, sans doute celle de sept heures, que l’éclat du soleil levant confirme. Elle dort depuis une vingtaine d’heures, imbibée de gin tonic et de barres chocolatées, son dernier repas improvisé dans cette chambre providentielle, alors que le sol semblait se dérober sous chacun de ses pas.
Un tambourin frappe encore sous son front comme un métronome. Ses paupières s’entrouvrent lentement et se collent à nouveau. Elle évite de penser, rester dans le sommeil et fuir la réalité, sa réalité, rejoindre un rêve ou même un cauchemar pour changer de peau, aimer le présent et construire l’avenir.
Le temps s’écoule dans une somnolence agitée. Des bruits d’étage signalent résolument que la journée a commencé. Sa conscience accepte la fin du jeu de cache-cache, la fin d’une brume épaisse qui a tenté d’ensevelir son récent passé. Des fulgurances approchent et la font trembler.
Jade et Arnaud, emmitouflés comme en plein hiver à l’arrière d’une voiture. Des mains qui s’agitent, enfermées dans des moufles de laine, qui empêchent d’envoyer des baisers. L’ours en peluche, avec un ruban rouge et un grelot autour du cou, qui se dresse la patte en l’air et se retourne pour se blottir contre une épaule, serré, enfermé dans des petits bras incrédules. Des bouches qui s’ouvrent grand mais dont aucun son ne parvient. La voiture s’éloigne. C’est Anton qui conduit.
Elle ne sait pas où il les emmène.
Une dispute, des cris, des menaces, une gifle, des pleurs. La peur, pour la première fois. Presque dix ans de mariage et un inconnu dans la cuisine. Les lames luisantes des couteaux. Avouer, accepter, regretter. Quoi ? Peu importe, n’importe quoi, tout, ce qu’il attend, ce qui va le calmer, ce qui va sauver la famille, un amant, un autre, depuis longtemps, des mensonges, des dépenses, des absences… Oui, non, c’est pas bien, je ferai plus, pardonne-moi…
Elle se souvient de sa violence mais pas de ses reproches. Elle a mené une vie simple, une vie d’épouse disponible et gestionnaire, souriante et attentive, de la cuisine au salon, de l’école au magasin, du stade au lit. Elle déborde d’amour pour ses enfants sans négliger son mari. Elle ne se souvient pas de lui avoir un jour menti.
Elle s’est réfugiée dans cet hôtel après la dispute. Peut-être même qu’il l’a d’abord bousculée hors de la maison.
Elle se lève pour que sa mémoire cesse de sommeiller. Elle se dirige vers la douche comme un zombie. Faire couler l’eau pour évacuer le désarroi qui la souille et la peur qui la trouble. Pour l’instant, elle ne peut pas réfléchir, trop engluée dans une mélasse épaisse de culpabilité et d’angoisse.
Maintenant, scruter le miroir, chercher un indice, sécher toute l'eau qui continue de couler.
Elle s'apaise dans une large serviette blanche, s'allonge et fixe le plafond. Elle voit les yeux de Jade et d'Arnaud. Sa gorge se ferme, elle ne réussit pas à déglutir. Un gazouillis la ramène à la chambre d'hôtel. Elle vient de recevoir un texto.
« Ton putain de mec me doit cent mille euros. Magne-toi si tu veux revoir tes chiards. Tu auras les consignes demain même heure. Et tu fermes ta gueule, j'aime pas la poulaille. »
Anton… Il l'avait rencontré dans un casino clandestin. Il avait juré qu'il était juste entré boire un verre, qu'il ne jouerait jamais…
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