04. La dernière bataille au Royaume de Rhéa
Le sanglier grommelait insouciamment dans sa forêt, en quête de nourriture en cette matinée estivale jeune mais déjà chaude. Ses sabots soulevaient la poussière au sol et venait se coller à ses poils. Vivant sa vie comme tous les jours, il ne se doutait pas qu’on l’observait, perché en haut d’un arbre. Depuis le lever du soleil, Mikazuki, qui avait à présent atteint sa treizième année de vie, attendait.
Un sifflement retentit dans l’air et l’animal fit s’agiter ses oreilles tout en bougeant la tête à droite et à gauche, à l’affût d’une autre étrangeté dans son environnement. Mikazuki, après avoir entendu le signal, se tint prête. Normalement, elle n’aurait pas besoin d’intervenir mais un plan sans faille, ça n’existait pas…
Elle attendit…
Attendit…
SCHLACK !
-GRUIIIIICK !
Le sanglier s’écroula presque aussitôt après avoir poussé son cri, lorsqu’il reçut cette flèche dans le cou.
-WOUHOU ! cria un garçon à la chevelure blonde hirsute tout en sortant de son buisson. Très joli tir, Celer !
Mikazuki sauta de sa branche et s’avança vers le sanglier, qui vit ses souffrances abrégées par le garçon blond à l’aide de son couteau. Juste après, une petite elfe sortit d’un autre buisson, tout en rangeant son arc.
-J’ai cru qu’il allait se sauver, en m’entendant siffler, dit l’elfe Celer alors qu’elle regardait le garçon vider l’animal.
-Moi aussi, avoua Mikazuki. Et dans mon état, je n’étais pas sûr de pouvoir l’attraper.
-Pourquoi ? Qu’est-ce que t’as ? demanda le garçon.
Mikazuki ne répondit pas et préféra garder le silence. Celer, elle, se mit à un rouer le garçon accroupi de coups de pieds.
-AÏE ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai dit ? demanda-t-il.
-Abruti de Zimmer ! lui lança Celer. Il y a des sujets que les femmes n’abordent pas avec les hommes !
-AÏE ! Mais arrête ! Laisse-moi lui faire la peau, à ce sanglier !
Pendant que Celer malmenait Zimmer, Mikazuki s’éloigna un peu, la main sur son ventre. Depuis hier, elle avait ses premières menstruations.
Un moment important dans son pays, marquant la fin de sa vie de petite fille et son entrée dans le monde des femmes. Elle aurait alors pu porter son premier linge de corps pour montrer qu’elle était maintenant une adulte. Un évènement qui aurait été fêté dignement par sa famille avec le reste du village…
Mais le linge de corps, elle le portait depuis son arrivée dans ce pays et ici, la première menstruation n’était que le signe que la jeune fille pouvait à présent enfanter. Pour être reconnue comme une adulte ici, elle devait atteindre sa seizième année de vie, comme tous les humains.
En vérité, à l’apparition de ses premières règles, Mikazuki eut la peur de sa vie en voyant le sang sur ses vêtements et ses draps et avait fait une crise de panique. Ceux qui étaient venus voir ce qui se passait ne parvenant pas à la calmer, ils appelèrent Sophie, sa plus proche amie. Fort heureusement, cette dernière trouva les mots juste pour la calmer et lui expliquer que ce qui lui arrivait était tout à fait naturel ; que ce n’était rien… Mais pour se rassurer, Mikazuki était quand même allé voir le docteur Alcott avant de quitter le camp. Une chance que la bande pût compter sur un vrai médecin…
Une fois l’animal vidé, Mikazuki et Zimmer le mirent sur leurs épaules avant de marcher en direction du camp. De son côté, Celer comptait retourner voir si ses pièges avaient fonctionné. En voyant le tas d’organes qu’ils laissaient derrière eux, Mikazuki pensait que c’était du gâchis mais l’animal aurait été trop lourd pour eux, même à trois. Et puis, ils s’étaient aventurés assez loin dans les bois et faire le voyage avec ce sanglier sans s’en être occupé sur place aurait été compliqué. Surtout que, sur le chemin, Celer était tombé sur des traces indiquant la présence possible de loups dans les environs.
Après une bonne heure pour traverser ces bois, ils regagnèrent le camp, qui était en pleine agitation. Chose compréhensible. Aujourd’hui, l’armée pendragonienne et les mercenaires qu’elle employait pour grossir sa force armée comptaient mener leur dernier assaut contre la capitale du petit Royaume de Rhéa pour l’annexer, comme tant d’autres avant lui.
Les vivres commençaient à manquer pour cette campagne et le ravitaillement était devenu difficile : il tardait à arriver jusqu’aux lignes de front. Si bien qu’on demanda à chaque bande et compagnie de mercenaires de se débrouiller pour se nourrir, en attendant. C’était pour cela que Mikazuki, comme bien d’autres, était parti chasser.
Celer revint, avec deux lièvres morts dans les mains, peu après que Mikazuki et Zimmer ait confié la carcasse et la peau du sanglier au responsable des provisions. Ce dernier les félicita pour leurs prises, mais leur dit qu’ils devraient sans doute y retourner dans la journée.
-Je pensais gagner ma vie en tant que mercenaire, moi. Pas comme chasseur, grommela Zimmer alors qu’ils s’éloignaient.
-Faut bien manger. Et comme le ravitaillement tarde…, lui dit Celer.
-Oui mais moi, j’en a marre de me taper les corvées. Je voudrais un peu d’action ! J’ai pas quitté les bas-fonds de Kaderan pour ça !
-Ah ? Tu es si pressé que ça d’aller sur le champ de bataille ? Au mieux, on t’affectera comme aide pour quelqu’un de plus expérimenté.
-Peuh… La chef n’est pas du genre à rechigner quand il s’agit d’envoyer des enfants se battre, d’habitude.
-Elle pense surtout efficacité, à mon avis. Parce que je vois mal des enfants, novices de surcroit en tant que combattant, rivaliser avec des forces armées entraînées depuis des années.
Mikazuki ne participait pas à la conversation. Elle avait vraiment mal au ventre et n’avait qu’une hâte : retourner dans sa tente et s’allonger un peu.
-Mika !
Quelqu’un lui sauta au cou, par derrière. L’espace d’un court instant, il entraperçu quelques mèches de cheveux argentés virevolter devant elle. Elle tourna alors la tête et vit le visage rayonnant de Sophie.
-Tout s’est bien passé ? Tu ne t’es pas sentit trop mal ?
-Sophie… J’étouffe.
Mikazuki ne détestait pas l’affection que lui portait Sophie mais parfois, elle pouvait être étouffante.
-Mais ! Tu n’aimes plus que je te fasse des câlins ou quoi ?
-Si, mais…
-De toute façon, ça m’arrêtera pas pour te faire des câlins et…
Subitement, Celer attrapa le bras de Sophie et la força à relâcher son étreinte affective.
-Elle t’a dit de la lâcher, lui dit froidement l’elfe.
Les deux filles se fusillèrent du regard et dégageaient une sorte d’aura menaçante, qui fit reculer rapidement Zimmer et Mikazuki, qui craignaient de devenir les dommages collatéraux de l’affrontement à venir.
-Ne va pas croire qu’être la fille de la chef te permet de faire tout ce qui te chante, lança Celer.
-Ce n’est pas à toi de me dire à qui je dois montrer et donner mon affection, lui dit Sophie toute souriante mais avec un regard à vous glacer le sang, pendant qu’elle se dégageait le bras.
-Je dirais plutôt que tu l’imposes…
-Tu es jalouse ?
-Tu veux te battre ?
-C’est perdu d’avance… Te concernant, je précise.
-Parce que je peux t’éclater facilement.
-Sauf si je suis plus rapide.
Bientôt, on ne voyait plus qu’elles en train de se « disputer ». Celer et Sophie ne s’étaient jamais entendue et encore moins sur le fait de partager l’amitié de Mikazuki. Si Celer se voyait comme une amie proche, Sophie se considérait comme une grande sœur.
-Elles me font peur…, marmonna Zimmer.
Mikazuki soupira et les laissa se battre en elles, non sans annoncer qu’elle allait se reposer dans sa tente. Zimmer tenta vainement de la convaincre de ne pas le laisser seul, avant que les deux autres ne commencent à se lancer jurons et autres insultes.
Mikazuki marchait rapidement, tout en évitant de rentrer dans une personne qui filait rejoindre le reste des troupes. Plus qu’un an avant qu’on ne la laisse faire ce genre de travail, pensa-t-elle. Les petites tâches lui convenaient aussi mais au niveau de la solde, ce n’était pas terrible. Difficile de faire des économies, comme ça…
À quelques pas de sa tente, elle entendit des cris venir dans sa direction et bien vite, telle une tempête, elle vit Mikhail se faire poursuivre par une Jo folle de rage.
-Reviens ici, espèce de nodocéphale ! lui cria-t-elle.
-De quoi tu me traites ? Et je t’ai déjà dit que c’était un accident !
-Je viens de te traiter de « tête-de-nœud », crétin d’inculte ! Et fais pas l’innocent ! Je t’ai bien vu, en train de m’épier pendant que je m’habillais !
-Je te répète que c’était un accident ! C’était ta grande sœur que je voulais voir ! Toi, y a aucun intérêt…
-QUOI !? OSE ME LE REDIRE EN FACE, POUR VOIR !
Mikazuki soupira en les voyant disparaître dans la foule. Il ne se passait pas une journée sans que ces deux-là ne se disputent. Le plus souvent pour un rien.
Une fois dans sa tente, elle défit sa queue de cheval et s’allongea sur sa paillasse sans prendre la peine de se déchausser. Son ventre lui faisait toujours mal et tout ce qu’elle voulait, c’était que la douleur se calme, ne serait-ce que pour un moment.
Elle ferma les yeux et tenta de dormir un peu…
Depuis peu, elle faisait des rêves étranges. Et… elle se demandait si ce monde était réel…
Elle n’était plus dans sa tente, allongée sur sa paillasse. Éclairée par une lune dans un ciel nocturne sans étoiles. Mikazuki marchait dans un champ de fleurs.
-Tsubaki ?
Tsubaki. « Camélia », en amaterasien. Mikazuki se rappela que sa mère aimait les fleurs. Elle lui avait appris le nom de toutes celles qu’elle connaissait et leur signification, bien que Mikazuki ne se souvenait pas de toutes…
Elle marchait lentement dans un champ de camélias blanc. L’endroit lui était inconnu mais elle ne ressentait aucune inquiétude. En fait, c’était tout le contraire. Elle trouvait l’endroit rassurant ; accueillant. Plus loin dans le champ, elle aperçut un torii, un portail constitué de deux montants verticaux supportant deux linteaux horizontaux, qu’on installait à l’entrée des sanctuaires de son pays. Ses pas l’y menèrent naturellement. En avançant, elle remarqua que les fleurs commençaient à changer. Elles se transformaient. Littéralement. Sous ses yeux.
-Wasurenagusa…
Wasurenagusa. « Myosotis », en amaterasien.
Les fleurs bleues apparaissaient tout autour du torii dressé fièrement au milieu de nulle part. Mikazuki scruta ce qu’il y avait derrière mais ne vit que des fleurs à perte de vue. Le seul endroit qui en était dépourvu se situait juste avant de franchir ce portail imposant et intimidant, maintenant qu’elle le voyait de près...
Elle fut tentée de le franchir… Pour voir si elle apercevait autre chose…
Ses pieds… Ses jambes… Elles refusaient de bouger… Pourquoi ?
Non… Pas encore.
Bientôt.
Mikazuki cru entendre une voix de femme. Elle regarda tout autour d’elle mais ne vit personne…
Pourtant
elle perçut encore les échos… mais
ils étaient
si
lointain
à présent.
-Mika ?
Mikazuki ouvrit brusquement les yeux et vit le visage de Sophie.
-Tu te sens mieux ? demanda cette dernière.
-Un peu…, fit Mikazuki en se redressant. Tu es là depuis longtemps ?
-Non. Mais… Tu étais agité dans ton sommeil. Je croyais que tu faisais un cauchemar…
-Pas un cauchemar, non. Juste… un rêve étrange.
Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce rêve. À chaque fois, les fleurs étaient différentes mais le torii était toujours là ; toujours le même. La seule différence avec les autres fois, c’était la voix de cette femme qu’elle avait brièvement entendue… Une voix qui lui fit remonter quelques souvenirs de sa vie, dans son pays natal…
-Pardon, ma Mika. Mais je voulais te voir vite fait avant que je ne parte…
-Que tu partes ? Mais où… ?
Quelqu’un entra dans la tente à ce moment-là. C’était Ryô, paré d’une armure de cuir clouté teinté en noir. Depuis qu’il prenait ce médicament que lui concoctait le docteur Alcott, son état de santé était plutôt stable. Bien qu’il lui arrivât en de rares occasions d’avoir une crise de violence.
Il avait cessé depuis peu d’assurer l’éducation de Mikazuki, sa mère lui confiant de plus en plus de tâche au sein de la bande. Néanmoins, il essayait toujours de trouver le temps d’aider la jeune fille pour son entraînement au combat.
-Il paraît que tu te sens mal, dit-il en la regardant allongée sur sa paillasse.
-C’est rien, grand frère, lui assura Sophie. Notre petite Mika est sur le chemin qui l’amène à devenir une femme.
-Ah. Elle a juste ses premières règles, alors…
-Aucunes délicatesses ! C’est bien les hommes, ça !
Sophie donna de petites tapes à son frère, qui ne réagissait pas. Mikazuki regardait la scène avec un air amusé, mais son regard se posa vite sur l’arme que portait Ryô à la ceinture. Un cadeau reçu pour son quinzième anniversaire. Un katana, un sabre typique de l’Archipel d’Amaterasu.
C’était sa mère qui le lui avait offert, en précisant que cela venait du père des triplés. Que dans sa famille, l’enfant aîné d’une fratrie recevait, le jour de ses quinze ans, un katana forgé des mains de son père. Toutefois, dans le cas de Ryô, son père avait forgé cette lame que peu de temps après la naissance de ses enfants car, à cause de la vie qu’il avait choisie, celle de mercenaire, il pouvait mourir à tout moment. Et il tenait absolument à s’assurer que son aîné reçoive cette arme le moment venu, qu’il soit en vie ou non. Dès qu’il eut l’arme entre les mains, Ryô s’exerçait chaque jour avec.
Mais pourquoi était-il en tenue de combat ? Alicia lui aurait demandé de remplir un contrat ou quelque chose comme ça ?
-Plus important, Sophie, dit Ryô en lui attrapant les mains pour qu’elle arrête de le frapper. Les troupes sont presque prêtes. Nous partons dans peu de temps.
-… D’accord, dit sa sœur en baissant les yeux.
Les troupes ? Voulait-il dire… ?
Mikazuki se leva presque d’un bond, en espérant se tromper.
-Vous participez au combat à venir ?
Sophie détourna le regard et resta silencieuse.
-Notre mère a estimé que nous étions en âge, lança Ryô comme si cela était tout à fait normal.
-Les enfants, ceux qui n’ont pas seize ans, ont toujours été envoyé pour assister sur les champs de batailles comme celui-là. Pas pour y participer pleinement.
-Mais on n’est pas des enfants comme les autres, Mikazuki. Et tu le sais très bien.
Bien sûr qu’elle le savait mais quand bien même, elle aurait pensé que Dame Alicia aurait plus de considération pour ses enfants. Ce n’était pas que des forces militaires spéciales !
Mais à quoi bon ? Si la chef en avait décidé ainsi, ce n’était pas elle qui lui ferait changer d’avis. Participer à cette campagne était une aubaine pour la bande et s’il fallait mettre toutes les chances de son côté pour l’emporter et être payé…
-Sophie, allons-y. Maman n’aime pas attendre. Même si c’est nous.
Ryô sortit de la tente puis Sophie le suivit, après qu’elle ait embrassé Mikazuki sur le front et lui ait dit de se reposer tant qu’elle le pouvait. Ce fut donc le cœur serré qu’elle regarda partir ses plus proches amis, en souhaitant au fond d’elle qu’ils reviennent en vie…
-Tu aurais pu lui dire un mot gentil, avant de partir, dit Sophie à l’attention de son frère.
-Pour quoi faire ? Elle connaît les risques qu’on prend.
-Non, cette fois, c’est différent et tu le sais. C’est pas une petite escarmouche, comme les autres fois. Une bataille, c’est plus violent et plus chaotique.
-Tu veux lui rendre service ? Reviens en un seul morceau.
-C’est plutôt à moi de te dire ça !
-Tu es sa meilleure amie. C’est pour toi qu’elle s’inquiète le plus.
-Non, ce n’est pas pour moi qu’elle s’inquiète le plus…, murmura Sophie.
-Quoi ?
-Rien. Je parlai à moi-même…
Sur le chemin, ils furent rejoints par Mikhail, qui ajustait ses cestes et sa propre armure en cuir tout en transportant sur ses épaules des protections supplémentaires.
-Sophie ! dit-il, irrité, en lui donnant les pièces d’armure. Tu comptais y aller sans protections !?
-Mais elles me gênent ! Et puis, je suis une mage ! Je ne serais pas autant exposé que vous deux !
-C’est pas une excuse ! Tout peut arriver : une flèche perdue, un éclaireur qui arrive à se glisser derrière nos lignes… Ryô ! Dis-lui, bon sang !
-Écoute-le, Sophie, dit Ryô. Pour une fois qu’il dit quelque chose de censé…
-D’accord ! grommela-t-elle en commençant à mettre ses protections aux bras.
Bien vite, ils quittèrent tous les trois le camp et rejoignirent leur groupe : Sophie alla retrouver les autres mages et Mikhail, l’une des unités d’attaque éclair.
Ryô, pour sa part, devait retrouver sa mère avec les autres commandants d’unités.
Du haut d’une colline surplombant la large plaine qui s’étalait sous ses yeux, il retrouva sa cousine Hela, en armure de cuir clouté aussi et sa rapière à la ceinture, qui l’attendait.
À ses côtés, il y avait aussi Gastar, commandant des unités de protections des mages depuis un an. Il y avait également Korzack, un homme chétif et détestable, mais aussi commandant des unités responsable des engins de siège et des archers. Et bien évidemment, il y avait Astrid, commandante des unités de première ligne, de l’unité de cavalerie lourde et bras droit d’Alicia, ainsi que Stella, commandante des unités d’attaque éclairs, des éclaireurs, de la cavalerie et bras gauche d’Alicia.
Alicia, elle, contemplait la bataille qui avait déjà commencé sur la plaine entre l’armée royale de Pendragon et ce qui restait de l’armée de Rhéa. On pouvait entendre d’ici le bruit de l’acier qui s’entrechoquait, mêlé aux cris d’agonie et de rage des hommes et femmes qui donnaient leur vie, au nom de leur patrie.
-Dame Alicia ! Nos troupes sont prêtes à partir ! annonça Astrid.
-Bien…, fit Alicia en se tournant vers ses commandants.
Les quatre lui faisaient face. Tous étaient au garde-à-vous devant elle. Tous, sauf Korzack,
-Qui a convié les ch’tis n’enfants chez les grandes personnes ? demanda-t-il en désignant d’un air dédaigneux Ryô et Hela.
-Un peu de respect ! lui cria Astrid. Tu parles du fils aîné de Dame Alicia et de sa nièce !
-Mais toi aussi, tu te demandes ce qu’ils font là, avec nous. Je ne fais que dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
-Ça ne te donne pas le droit de parler d’eux ainsi !
-Je dis juste qu’ils n’ont rien à foutre ici. Qu’ils retournent à leur place. C’est pas pour rien qu’on fout les gamins inutiles avec…
-Korzack… Poursuis cette phrase et ta femme et tes enfants devront enterrer ta dépouille avant la fin de la journée…, intervint Alicia sur un ton très menaçant.
Korzack se tut aussitôt mais ne se gêna pas pour dévisager les deux adolescents. Alicia s’adressa alors à tout le monde :
-Comme convenu avec les officiers de l’armée, cette dernière occupera le gros des troupes de Rhéa sur la plaine. Pendant ce temps, nous marcherons vers la capitale et lanceront l’assaut pour nous en emparer.
-Ouais, on nous refile le sale boulot, en gros…, commenta Gastar en se grattant la tête.
-En effet. Nos objectifs : prendre d’assaut l’entrée de la ville, pénétrer à l’intérieur puis rejoindre le palais, en prendre possession et faire prisonnier la famille royale.
-Et la demande de capitulation ? demanda Stella.
-C’est le problème des officiers, pas le nôtre.
-Que fait-on de la famille royale, une fois celle-ci capturée ? demanda Ryô.
-Hé, le gamin ! Qui t’a demandé de l’ouvrir ? Personne. Alors tu…
-Korzack. La ferme, lui dit Alicia.
Et ce dernier obéit sagement, pour la laisser répondre :
-Les ordres sont clairs : si les membres de la famille royale montrent une quelconque résistance, nous sommes autorisés à les tuer. D’autres question ?
-Juste une. Pourquoi moi et Hela sommes là ?
-J’y viens, justement.
Tout le monde semblait n’attendre que ça : des explications du pourquoi deux adolescents qui n’avaient normalement pas l’âge pour aller sur un champ de bataille y participaient et pourquoi assistaient-ils à cette réunion ?
-Ryô… Hela… Je vous confie à chacun une unité.
À cette annonce, en dehors de Stella, la surprise fut générale.
-Quoi !? C’est une blague ! s’insurgea Korzack.
-Chef ! intervint Gastar pour empêcher son camarade de dire le mot de trop. Avec tout mon respect… J’admets que votre fils et votre nièce sont doués, pour leur âge. Mais ils n’ont presque pas d’expérience dans ce genre de…
-Je suis au courant, merci. Et j’ai pris ma décision ! Si elle ne nous vous convient pas, je n’en ai rien à faire. Autre chose ?
Face à cette déclaration, tout le monde garda le silence. Alicia envoya ensuite ses commandants rejoindre leurs troupes et ordonna à Ryô et Hela de la suivre.
Alors que les premières troupes partaient devant en contournant autant que possible la zone de guerre, Alicia emmena les deux adolescents devant leurs unités d’une trentaine d’hommes et de femmes chacune, dont faisait partie Krom l’Orc, ainsi qu’un cheval pour chaque nouveau commandant. Ils se mirent presque immédiatement au garde-à-vous en présence de leur chef.
-Voici vos unités, dit Alicia aux deux adolescents. Nous avons prévu de lancer un assaut frontal sur l’entrée de la capitale. Pour l’instant, vous allez rejoindre l’endroit où l’armée pendragonienne est parvenue à faire passer, à la barbe de l’ennemi, des trébuchets qui doivent être monté à l’heure qu’il est. Quand ces derniers ouvriront le feu, je lancerais l’assaut. Quand une brèche s’ouvrira, vos unités devront foncer directement au palais royal. Et si possible, s’y infiltrer pour capturer la famille royale.
Des murmures s’élevèrent à l’entente de ce plan fou, mais surtout dû au fait qu’ils allaient être dirigés par ceux qu’ils considéraient encore comme des enfants.
-Prendre d’assaut le palais royal avec si peu de guerriers ? Qui plus est des novices pour la plupart. Même moi, je vois clairement que c’est du suicide, fit Ryô en balayant du regard les personnes suivantes.
Ces hommes et femmes avaient tout juste un équipement correct et d’un simple regard, Ryô arrivait à voir que certains n’avaient jamais participer à ce genre d’opération.
-Je le sais, Ryô. C’est pour ça que je compte sur toi et Hela, pour faire des miracles.
-Les miracles, c’est pour les désespérés, Maman. Et puis, tu as toujours dit ne jamais compter dessus avant un combat.
-Moi, personnellement, je ne compte pas dessus. Eux, si, dit-elle pointant ses hommes du doigt.
-C’est n’importe quoi…
D’autres murmures, plus réprobateurs, s’élevèrent. Il avait beau être son fils, ils n’aimaient pas la façon dont il discutait les ordres.
-Ryô…, continua sa mère calmement. Contrairement à moi et à la plupart des nôtres, tu es très savant et personne ne remet en cause le fait que tu te battes bien. Mais tu as encore à apprendre sur comment diriger des gens…
-J’en sais suffisamment pour…
-Les livres ne suffisent pas, mon fils. Ne deviens pas comme ces officiers issus de la noblesse qui s’imaginent pouvoir commander des armées, alors qu’ils n’ont jamais pris la peine de salir leur armure.
Mère et fils se fixèrent du regard. Le fils, bien que réticent, se plia finalement à la volonté de sa mère.
-Bien. Tu prendras la tête de l’unité avec Krom, qui te secondera. Hela prendra l’autre. Et soyez prudents.
-Compte sur nous, ma tante, lui dit Hela. Et ne t’en fais pas, je garderais un œil sur lui.
Alicia sourit à sa nièce puis s’en alla rejoindre les troupes qui n’étaient pas encore partis.
Tandis que Hela alla prendre le commandement de son unité, Ryô s’avança vers la sienne. Krom vint à sa rencontre, bien droit et fier d’arboré les cicatrices qu’ils avaient gagnées dans de précédentes batailles. Certaines étaient même récentes.
-Tes ordres, petit chef ? demanda-t-il avec sa grosse voix.
-Petit ? C’est comme ça que tu t’adresses à ton commandant ?
-Chez les Orcs, on appelle « petit chef » quelqu’un qui dirige des hommes dans une bataille pour la première fois.
-Je vois…
-Et tu es aussi le petit de la chef. Donc, c’est normal que je t’appelle comme ça.
-Je vois.
Les autres derrière Krom continuaient de murmurer. Mais l’un d’eux était plus audible que les autres, comme si cela était fait exprès.
-… folle de nous confier à son morveux. Elle va nous faire tuer !
En entendant ça, Ryô écarta Krom de son chemin et se dirigea vers celui qui venant de dire ça sans prendre la peine de se dissimuler. Un visage familier. Il était maintenant plus âgé mais Ryô aurait reconnu son visage entre mille.
-Si tu as quelque chose à dire, Drum, dis-le plus fort…, lui lança Ryô avec défi.
-Ou sinon, quoi, le morveux ? J’ai plus d’expérience au combat que toi, le petit malade à sa maman. Elle viendra pas te sauver les miches… Et puis, toi, t’es tout seul. Et j’ai pas oublié pour mon bras…
Bien vite, deux hommes encerclèrent Ryô en ricanant.
-Drum ! Arrête tes conneries ! dit l’un des guerriers. C’est le fils de…
-Bah quoi ? Les blessés et les morts sur le champ de bataille, c’est pas nouveau, dit-il avec nonchalance. Et puis, quand on y réfléchit, on lui rend service, à la chef, en se débarrassant d’un dispensable.
Cette fois, il n’y avait plus de murmures mais des voix claires et fortes qui n’approuvaient pas les propos de Drum. Si fortes que Hela et son unité les entendirent.
Drum et ses amis avaient leur main sur leur arme et affichaient clairement leurs intentions. Mais de cette situation… Ryô en ria.
-Qu’est-ce qui te fait rire, le morveux ?
-Tu n’as pas entendu ta chef ? Je suis commandant de ton unité. Tu devrais savoir ce que ça implique…
-J’en ai rien à foutre, des ordres de ta folle de mère !
Drum avait commencé à dégainer son épée mais un éclair d’acier trop tard par rapport à Ryô, qui avait dégainé son katana et frappé en même temps pour lui ouvrir la gorge et regarder Drum tomber au sol sans sourciller. Les deux autres prirent peur en voyant leur ami mourir si vite, lâchèrent leurs armes et tentèrent de fuir mais Krom les arrêta facilement et les assomma.
Il y avait quelques règles qu’Alicia avait instaurée très vite, quand elle a pris les commandes des Ailes de Vanaheim. L’une d’elles était que toute personne faisant preuve d’un manque de respect ou d’insubordination envers son commandant serait sévèrement puni, de mort s’il le fallait. Drum avait manqué non seulement de respect à Ryô mais aussi, à sa mère, la chef des Ailes. La question ne s’était même pas posée dans sa tête : la sentence était la mort.
-S’il y a d’autres contestataires aux décisions de la chef, qu’il s’avance et qu’on règle ça vite. Parce qu’on a un boulot à faire.
La lame encore sanglante, Ryô attendait mais personne ne s’exprima. Krom, lui, souriait à pleine dents pointues en constatant que son petit chef était comme sa mère : un chef qui n’hésitait pas à se salir les mains quand cela s’imposait.
-Bien. Si c’est réglé, mettons-nous en marche. Nous avons une famille royale qui nous attends, dit Ryô en essuyant le sang sur sa lame.
Sans attendre davantage, les unités de Ryô et d’Hela se mirent en marche, leurs commandants respectifs en avant, à cheval.
Pendant que la ligne de front continuait d’évoluer en fonction des rapports de force entre l’armée de Pendragon et celle de Rhéa, les troupes des Ailes de Vanaheim faisaient un immense détour de chaque côté pour éviter d’être repéré. Presque tous les quarts d’heures, des éclaireurs prévenaient les commandants si les voies qu’ils empruntaient étaient libres et leur permettre, si besoin était, de changer le tracé. Ryô et Hela faisaient avancer leurs troupes prudemment, tout en leur réclamant une vigilance constante. Les plus jeunes semblaient obéir sans discuter et les autres… Disons qu’ils restaient sceptiques à l’idée d’obéir à plus jeune qu’eux mais si c’était les ordres de la chef…
Ils marchaient depuis deux bonnes heures. Bien qu’éloigné des combats, ils purent entendre tout du long le chaos du combat au loin, le son des métaux qui s’entrechoquent, les cris de rage mais aussi d’agonie… Si certains faisaient comme si de rien n’était, d’autres devaient se forcer pour faire abstraction. Et les moins expérimentés, malheureusement pour eux, ne pouvaient que subir en silence et tenter de se consoler en se disant qu’ils n’étaient plus très loin de leur destination.
Ce fut alors que tous entendirent au loin… de la musique. Une mélodie jouée sur un luth. Par prudence, Ryô et Hela firent signe aux autres de ralentir le pas. Un peu plus loin, ils aperçurent quelqu’un assis sur un rocher au bord de la petite route à peine visible à cause des hautes herbes qu’ils empruntaient. Les deux commandants allèrent à sa rencontre, tandis que leurs troupes continuaient leur marche.
C’était une jeune fille d’à peine une douzaine d’année à la chevelure étrangement bleu ciel, vêtue de différentes nuances de bleu et d’un tricorne, qui jouait tranquillement de son luth, pour peut-être couvrir les bruits de la guerre. Elle était jeune mais Ryô pouvait deviner à sa façon de jouer que la maîtrise de son instrument était le fruit d’une longue pratique.
-Bien le bonjour, leur dit-elle avec le sourire tout en continuant à jouer.
-Que fais-tu ici ? demanda Hela. C’est dangereux.
-Je sais. Je voyageais mais je suis malheureusement tombé sur cette bataille. Je pensais attendre qu’elle passe mais je me demande si, en fin de compte, je ne vais pas faire un détour. Si possible, j’aimerais ne pas avoir à rebrousser chemin…
Elle mentait. Ryô en était sûr. Qui voyagerait avec juste les vêtements qu’on portait et un instrument de musique ? Cette fille n’avait même pas de sac de voyage. Pourquoi mentait-elle ? Cependant, elle n’avait pas l’air d’une éclaireuse ou d’une espionne ennemie. Juste d’une jeune fille qui jouait les bardesses sur des sentiers perdus. Mais mieux valait un excès de méfiance qu’une confiance aveugle.
-D’où viens-tu ? demanda-t-il.
-Hmm… De très loin. D’une contrée dont le nom ne vous dira rien, même si je vous le donnai.
Elle semblait dire vrai. Mais quelque chose au fond de Ryô lui murmurait également qu’elle ne disait pas tout…
-Vous n’avez pas l’air de me croire, dit-elle en gardant le sourire.
-Non, du tout, lança Ryô franchement.
La jeune fille rigola un peu, tandis que les troupes n’allaient pas tarder à passer devant elle.
-Ce sont vos guerriers ? Maintenant que j’y pense, vous êtes jeunes, pour commander, non ?
-L’âge n’a rien à voir avec les compétences, fit Hela.
-Hmm, c’est bien vrai.
La jeune fille joua quelques notes sur son luth.
-Le moral n’a pas l’air d’être au beau fixe, dans les rangs…, commenta-t-elle.
-Difficile qu’il le soit, si près du champ de bataille…
-C’est vrai…
La jeune fille joua de nouveaux quelques notes alors que les premiers guerriers étaient à deux pas d’elle.
-Il est temps de reprendre la route, fit Ryô en tirant sur les rênes de son cheval. Qui que tu sois, tu ferais mieux de ne pas traîner trop longtemps ici…
-J’apprécie vos conseils.
Hela s’en alla la première et retourna en tête.
-Si tu cherches un endroit où attendre que ça se tasse, il y a camp, plus loin. Ce sont des gens bien, ils t’accueilleront. Dis-leur juste que tu viens de la part de Kurokage Ryô.
La jeune fille lui sourit et le remercia, en disant qu’elle y irait sans faute.
Alors que Ryô partit pour rejoindre Hela et que les guerriers défilaient devant elle, elle se mit à jouer un air et entama un chant. Le son de sa voix, en plus d’être mélodieux, avant un effet apaisant et, aussi fou que cela paraissait, rendit plus serein ceux qui l’entendait. Même Ryô, qui n’était pas mélomane, appréciait entendre ce chant dans la langue pendragonienne. Alors qu’il s’éloignait, le chant semblait s’évanouir…
Toujours conscient qu’ils allaient bientôt risquer leur vie, ces guerriers continuaient leur marche. Mais maintenant, ils étaient plus confiants et calmes.
À la mi-journée, dans une clairière loin des yeux de la ligne de front, les derniers trébuchets finissaient d’être monté, à portée et pointés en direction de la capitale. Les quelques soldats de Pendragon présents virent arriver les mercenaires et à en juger par leurs regards, ils n’étaient pas forcément ravis. Mais ces regards devenaient plus durs lorsqu’ils se posaient sur les non-humains dans les rangs des Ailes de Vanaheim.
-Abrutis…, marmonna Hela en jetant un regard mauvais à ces hommes.
-Laisse courir, lui dit Ryô. Tu vas pouvoir te défouler sur le champ de bataille.
-Et c’est sensé me réconforter ? On dirait que tu n’attends que ça, toi.
-Je ne fais que ce pourquoi je suis le plus doué…
-C’est le plus important, n’est-ce pas ? approuva Hela en affichant le sourire dont elle avait le secret, celui qui lui faisait ressembler à un serpent.
Ils emmenèrent leurs troupes à l’orée du bois. La capitale était devant eux, à une dizaine de minutes à galops de cheval, derrière ses murs. Si les informations obtenues étaient bonnes, l’équivalent d’un bataillon d’homme pour assurer sa protection.
-Je continue de penser que c’est du suicide…, dit Ryô à mi-voix et de manière à ce que les autres n’entendent pas.
-Ce ne serait pas drôle, sinon…, fit Hela en souriant.
Il soupira : l’instinct guerrier Valkyrja de Hela commençait à prendre le dessus, lui faisait oublier les faits pour pouvoir profiter pleinement de l’ivresse du combat quand ce dernier commencerait. Mais comment lui en vouloir, quand son propre instinct commençait à s’éveiller aussi ?
Peu après, le reste des troupes, menées par Alicia, commença à se mettre en position. Les cavaliers se préparaient à mener la charge, les archers prirent position pour que leurs cibles soient à portée d’une volée, les quelques mages se tinrent à l’arrière pour préparer leurs sorts, les quelques engins de siège qu’ils possédaient arrivaient…
Les unités à pieds fixaient leur objectif et n’attendaient qu’un mot de leurs commandants ou de leur chef pour lancer l’assaut. L’impatience était palpable, autant celle de taper sur quelque chose de vivant que celle d’en finir et d’empocher la solde promise. Humains, elfes, nains mais aussi une poignée de sauriens, quelques hobgoblins simplets donnant des ordres à des goblins crétins, un nombre signifiant de goblins ayant l’esprit plus affûté…
Soudain, un grand fracas semblable au tonnerre se fit entendre. Un autre suivit puis un autre et ainsi de suite… Six fracas bien distincts, suivis de grandes boules de feu en train de voler vers la capitale.
Les trébuchets avaient tiré les premiers projectiles.
Certains frappèrent les murs, les autres passèrent au-dessus pour frapper la ville. Les troupes postées pour la défense de celle-ci s’agitèrent et commencèrent à se mettre en position. Ce fut ce moment-là que choisit Alicia pour lancer l’attaque.
-EN AVANT ! hurla-t-elle à pleins poumons
La cavalerie ouvrit le bal, avec à sa tête celle de la charge lourde ainsi qu’Astrid et Alicia, suivit de près des unités à pieds. L’objectif : enfoncer les lignes ennemis pour créer une ouverture dans les rangs ennemis. Ces mêmes ennemis qui tenaient leurs positions non loin des portes.
Peu après, Ryô et Hela firent bouger leurs troupes pour suivre le plan prévu.
Un grondement se fit soudainement entendre.
Provenant de la capitale, trois cavaliers galopaient en direction des assaillants. L’un de ceux qui chevauchaient était un jeune homme, à pleine plus âgé que Ryô et contrairement aux autres, ne portait pas d’armure prévu pour le combat mais une armure d’apparat destinée à exposer sa richesse plus qu’autre chose. Les cavaliers s’arrêtèrent à bonne distance de la porte principale et les Ailes étaient encore assez éloignés.
Un nouveau grondement retentit. La terre se mit à trembler légèrement.
Le jeune homme en armure d’apparat prit le fouet qu’il avait attaché à sa ceinture puis, lorsqu’il vit cette petite armée être à portée de voix, se mit à crier :
-VOUS PENSIEZ VRAIMENT QUE NOUS N’AURIONS RIEN PRÉVU EN CAS D’ATTAQUE SURPRISE !? HA ! LES PENDRAGONIENS SONT DÉCIDEMMENT ENCORE PLUS BÊTE QUE CE QU’ON NOUS RACONTAIS ! JE VAIS VOUS ÉCRASER ICI-MÊME, ESPÈCE DE CLOPORTES !
Il fit claquer son fouet et le sol se mit à trembler. Alicia et Astrid, avec la cavalerie, n’étaient qu’à quelques mètres quand les chevaux se mirent à s’affoler. Alicia remarqua alors un détail auquel elle n’avait pas fait attention durant sa chevauchée : le sol où ils se tenaient avait été retourné. Sur une large superficie.
Comprenant qu’il y avait danger, Alicia ordonna à la cavalerie de battre en retraite.
Mais trop tard…
Une main géante s’extirpa de la terre pour prendre appui et permettre au géant tapis dessous de faire son entrée en scène, neutralisant au passage plus de la moitié de la cavalerie normale et presque intégralement la lourde. Le reste fut balayé par le second géant qui sortit du sol. Alicia et Astrid furent projetées de leurs montures, mais s’en sortirent indemnes de cette attaque avec quelques rares cavaliers survivants.
-CREVEZ, CLOPORTES ! hurla le cavalier en refaisant claquer son fouet.
Alors que l’un des géants, d’une main, écrasait ceux qui s’en était sorti, le deuxième voulut faire de même avec ceux avec qui Astrid et Alicia se trouvait. Ses mouvements avaient beau être d’une certaine lenteur, Alicia comprit qu’elle ne pourrait se sauver elle et ses hommes en même temps.
-JE VOUS INTERDIS DE TOUCHER À MA MÈRE !
Tout de suite après, ce géant fut frappé par deux rais foudroyant dans les yeux, qui les fit exploser. La créature se mit à hurler de douleur et à gigoter dans tous les sens, les mains sur son visage, alors que son sang s’échappait de ses orbites désormais vides.
La responsable, Sophie, bâton de mage avec son orbe au bout en main, était en train de voler dans les airs à l’aide d’une paire d’ailes d’un blanc immaculé qui lui était apparu dans le dos. L’héritage des Valkyrja, réservé uniquement à celles qui devenaient des femmes.
Sophie avait quitté son poste, mais avait sauvé plusieurs personnes par son intervention. La troupe de Hela arriva à la rescousse des blessés et les unités à pieds changèrent leur formation pour leur assaut : un quart, la troupe de Ryô compris dedans, s’occupait des géants et le reste poursuivait la charge vers la capitale. Entre temps, le cavalier au fouet et sa garde rapprochée avait déjà battus en retraite et les engins de siège eurent le temps de se mettre en position pour attaquer les géants. Ils utilisèrent les arbalètes à tour, qui tiraient leurs dondaines pour causer de sérieux dégâts aux monstres, sans parvenir à les tuer. L’un d’eux chancela et tomba sur son genou, en manquant d’écraser les personnes au sol.
-Astrid, fit Alicia en attachant solidement son bouclier au bras. Débarrasse-nous de ça.
-Oui, ma Dame ! déclara cette dernière en tenant fermement son marteau de guerre.
Astrid, dans son armure lourde avec fourrure et d’un pas assuré, marcha vers les géants. Celui rendu aveugle par Sophie se faisait asticoter par cette dernière, à l’aide de sorts moins puissants, et l’autre avait commencé le mouvement pour balayer ce qu’il y avait au sol, à l’aide de son immense bras. Astrid, elle aussi, fit apparaître ses ailes et d’un bond, s’envola vers le visage du géant. Le ciel s’assombrit très rapidement, les éclairs ne tardèrent pas à se faire entendre. Tenant son marteau de guerre à deux mains et préparant à frapper, elle cria néanmoins avant :
-Tonne, Torden !
À peine ce cri retentit que la foudre vint s’abattre sur la tête de l’arme, qui fut parcouru d’éclairs. Elle poussa un nouveau cri aussi puissant que féroce et avant que le géant ne l’attrape, Astrid effectua une frappe si puissante que non seulement, le coup eut l’impression de tonner tel le tonnerre mais elle réussit à briser la mâchoire du monstre. Avant que la tête fasse une rotation en demi-cercle, brisant la nuque du géant au passage. Alors que celui-ci s’écroulait au sol, Astrid vola ensuite vers le géant aveugle, qui continuait de gesticuler désespérément. Elle prit alors un peu plus d’altitude et, de toute sa force, abattit le marteau sur le sommet du crâne chauve du monstre. On crut entendre une nouvelle fois le tonnerre tonner, bien moins fort que tout à l’heure, et le choc du coup fit s’enfoncer la tête de ce géant dans son buste, jusqu’aux oreilles. Celui-ci n’eut pas le temps de commencer à tomber qu’Astrid vola vers son torse pour lui asséner un nouveau coup. Un grondement de tonnerre plus tard et le choc le fit se soulever légèrement du sol avant qu’il ne tombe à l’opposé de là où se trouvait les troupes au sol.
Pendant ce temps, Alicia menait la charge aux portes principales.
L’ennemi était en déroute et en sous nombre car il ne s’imaginait pas que les géants seraient battus si facilement. De plus, les murs subissaient par moment les projectiles des trébuchets placés au loin, mais étaient encore loin de s’effondrer.
À la porte même, le gros des défenses positionnés devant elle venaient de tomber et on fit venir les béliers pour l’enfoncer. Le tout en évitant de se prendre une flèche de la part des archers, des pierres ou de l’huile bouillante jetés par les autres soldats en haut des murs.
Les derniers non loin des portes continuaient la bataille avec acharnement et, avec la force du désespoir, tentaient de repousser l’ennemi. En vain.
La troupe de Ryô protégeait bec et ongles le bélier, avec le soutien des hommes de Gastar, qui était sur le point d’enfoncer la porte.
-ENCORE ! hurla l’un de ceux qui manipulaient le balancier du bélier.
La tête de la machine de guerre frappa encore et encore. Chaque coup endommageait les portes, qui n’allaient pas tarder à céder.
-ENCORE !
Quelques coups encore avant la brèche. Malgré les efforts des soldats de Rhéa, cela semblait inévitable.
-ENCORE !
Les derniers coups s’abattirent… et un large trou apparu enfin dans la porte. Assez large pour permettre aux troupes de pénétrer d’enfin pénétrer dans la ville. Bien vite, les remparts tombèrent entre les mains des Ailes de Vanaheim et les portes furent ouvertes.
Les combats continuèrent dans les rues. Mais le nombre de soldats présents en ville et faisant face aux mercenaires était risible, au point où l’on pouvait sérieusement se demander s’il y avait vraiment résistance.
Au crépuscule, la ville était aux mains des mercenaires et ils furent rejoints par l’armée pendragonienne, qui avait écrasé l’armée ennemie un peu plus tôt dans la journée. Il ne restait plus que le palais à prendre d’assaut et à forcer la famille royale à capituler.
-TENEZ VOS POSITIONS, VERMINES ! cria l’un des derniers officiers de l’armée de Rhéa aux derniers soldats qui défendaient l’entrée palais.
À ceux qui se demandaient pourquoi il y avait si peu de soldats pour défendre les rues de la ville, la réponse était que ces derniers s’étaient repliés pour protéger le palais et ses occupants. Mais ces défenses ne tardèrent pas à tomber, submergés par le nombre d’assaillants.
Les premiers hommes pénétrèrent dans le palais, avant de s’y répandre. Alicia, accompagnés de Stella, d’Astrid et de quelques hommes, foncèrent jusqu’à la salle du trône, dans l’espoir maigre d’y trouver au moins le roi de Rhéa. Mais ils n’y trouvèrent que quelques soldats et une pitoyable tentative d’embuscade…
-Ah, je suis fatiguée…, soupira Astrid après avoir défoncé le crâne de son dernier adversaire. J’ai envie d’un bain chaud…
-Moi, c’est d’autre chose, dont j’ai envie…, fit Stella en retira la pointe d’une lance qu’elle avait « emprunté » à un ennemi de la gorge de sa dernière victime. Ou plutôt, dont j’ai besoin…
-Sœur Stella… Ce que tu fais avec Gastar ne nous intéresse pas…
Stella rougit légèrement alors que les quelques hommes présents rigolèrent un peu.
-Le roi et sa famille doivent se cacher quelque part, dit Alicia. Qu’on fouille de fond en comble le palais !
-À vos ordres ! dirent en chœur Astrid et Stella.
Les hommes s’apprêtaient à quitter en premier la salle, quand quelque chose les fit hurler avant de s’attaquer à eux. Rapidement, quatre créatures imposantes, rondouillardes et affreusement laides, à la peau couverte de roches, déboulèrent en grognant et massacrèrent ceux qui essayaient de sortir, ne laissant plus qu’Alicia, Astrid et Stella.
-Des trolls…, fit Stella en faisant une grimace disgracieuse à la vue de ces choses.
-Je déteste les trolls…, ajouta Astrid en faisant la même.
Peu après, une figure familière fit aussi son entrée. Le jeune cavalier au fouet, l’air furieux.
-Vous avez tués mes géants…, maugréa-t-il. Vous savez combien cela m’a coûté pour les capturer, morues !?
-Il vient de nous traiter de « morue », ce petit con ? demanda Astrid aux autres.
-Il semblerait…, confirma Alicia.
-Vous tuer ne me calmera pas… Je vais prendre mon temps. Lentement, mes trolls vont vous…
-Donc, techniquement, ce sont tes trolls qui vous essayer de nous tuer. Pas toi, fit remarquer Stella.
-Ils sont à moi ! S’ils vous tuent, ça revient à moi qui vous…
-Le pire, c’est que je pense qu’il est sérieux…
-Encore un nobliau qui ne fait jamais rien de lui-même, ajouta Astrid.
-MOI, UN NOBLIAU ?! Sales chiennes de gueuses ! Je suis Astarion Orianno, prince de Rhéa et un être bien supérieur à…
En entendant « prince de Rhéa », l’intérêt pour sa personne revint aux yeux des trois femmes. Alicia s’avança alors pour faire face aux quatre trolls, qui grognèrent de plus belle à sa vue.
-Astrid. Stella. N’intervenez pas. Je manque d’exercice et c’est l’occasion.
-Bien, Dame Alicia, firent les deux autres en chœur.
Alors qu’Alicia fondait sur ces créatures, sourire aux lèvres, on pouvait entendre les bruits des combats provenant d’ailleurs, dans le palais.
Dans le hall d’entrée, alors que les autres fouillaient le palais, Ryô et Hela, avec quelques-uns de leurs hommes, achevaient ceux qui refusaient de se rendre, par fierté. Parfois, ils accordaient un baroud d’honneur à ceux qu’ils jugeaient méritant. Les autres se voyaient purement éliminés, pensant facilement vaincre des adolescents.
Tandis que Ryô achevait le dernier fou qui pensait le vaincre, Mikhail pénétra dans le hall et vint à sa rencontre. Il avait de légères blessures aux bras et aux jambes, mais rien de bien grave à première vue.
-Rah ! Vous avez fini ici aussi ! s’exclama ce dernier, déçu.
-Tu as quitté ton poste ?
-Oh, ça va. Il n’y a pratiquement plus d’ennemis à abattre… Où est Maman ?
-En train de régler un problème dans la salle du trône, si je me fie aux bruits… Et ce n’est pas une raison pour quitter ton poste ! D’abord, Sophie et maintenant, toi… Maman ne va pas vous rater, quand on rentrera.
-Comme si tu n’avais jamais rien fait dans son dos…
-Oui mais moi, j’ai toujours fait en sorte qu’elle ne découvre pas ce que je fais…
-Attends que je lui dise !
-Sur la base de quoi, elle va te croire ?
Mikhail se tut aussitôt et Hela se mit à rire.
-Laisse tomber, Mikhail, lui conseilla-t-elle. Tu n’arriveras jamais à le prendre en défaut.
-La ferme… Je l’aurai, un jour. Tu peux me croire, je l’aurais !
-Tu auras quoi ?
Sophie arriva à son tour, l’air guillerette. À part quelques coupures et bleus, elle semblait en pleine forme.
-Toi aussi ? fit Ryô en la voyant débarquer. Arrêtez de faire n’importe quoi et pensez à vos supérieurs. Le fait que vous soyez les enfants de la chef ne veut pas dire…
Des cris retinrent soudain leur attention. Cela provenait des portes menant à l’aile ouest. On aurait qu’on poursuivait quelque chose ou quelqu’un… Par précaution, Hela et Ryô ordonnèrent à leurs hommes de se tenir prêt.
Les bruits se rapprochèrent rapidement. Des pas, des cris…
Soudainement, les portes s’ouvrirent dans un fracas assourdissant et quatre personnes, essoufflées et effrayées de voir l’envahisseur en face, déboulèrent dans le hall : un vieil homme et une femme qui pourrait presque être sa fille plus âgée, ainsi qu’une jeune fille avec une épée dans les mains et un garçon un peu plus âgé que Ryô et armée d’une lance.
Derrière eux, d’autres hommes des Ailes de Vanaheim débarquèrent, leur bloquant toute retraite.
Personne n’eut trop de mal à deviner qui était ces personnes : leurs beaux vêtements les trahissaient, ainsi que leurs bijoux. Même leurs armes étaient de bien meilleures factures que que celles de ceux qui les encerclaient. Mais la plus grande des trahisons fut cette couronne que le roi de Rhéa ne s’était pas résigné à lâcher, au péril de sa vie.
-Misérable…, souffla le roi en balayant les lieux du regard. Vous osez fouler mon palais ! Vous et ces… choses ! cria-t-il en pointant les quelques non-humains présents. Vous…
-Père, cela suffit, fit le jeune homme. Nous ne pouvons plus combattre ni fuir… Au moins…
-Ne t’avise pas de songer à la reddition, fils indigne !
De sa grande main, le roi gifla son fils devant tous, alors que sa mère n’osa pas prendre sa défense.
-Le courage t’a toujours fait défaut, à l’inverse de ton jeune frère ! Lui, au moins, continue de se battre pour moi ! Et son pays…
-Et il ne tardera pas à perdre, intervint Ryô en s’avançant vers la famille royale.
-Silence, vermine ! Mon autre fils a dressé des monstres que des cloportes comme vous ne…
Des cris inhumains, littéralement, résonnèrent depuis la salle du trône, à l’étage. Puis, des cris plus humains et des supplications ne tardèrent pas suivre.
-Consolez-vous en vous disant qu’il y a une faible chance que votre fils soit encore en vie… Mais vu ce qu’il a fait, plutôt dans la journée, je n’y compterais pas trop.
-Sale gamin ! Je vais te faire disparaître ce petit air suffisant !
Il poussa alors son fils en direction de Ryô :
-Va et bats-toi pour ton roi et ta patrie, Numérion ! lui ordonna-t-il. Ou au moins, meurs pour elle !
De telles paroles choquèrent la reine et la princesse. Le prince, lui, paraissait apathique fasse à la situation. Pourtant, ce fut avec cet état d’esprit qu’il saisit fermement sa lance. Sans préambule, il lança une attaque à l’aveugle contre Ryô et Hela, ceux qui étaient les plus en avant du groupe. Hela dégaina rapidement sa rapière et dévia l’estoc en direction de Ryô, qui, sans sourciller, attrapa la hampe de l’arme d’une main. Numérion tira un coup sec pour libérer son arme mais à sa grande surprise, celle-ci ne bougea. Hela en profita pour à son tour attaquer et tenta plusieurs frappes. Chacune d’elles furent soit évité soit bloqué par la partie de la hampe qu’il pouvait encore manipuler à sa guise. Après une dernière esquive, il tenta de dégager une nouvelle fois son arme en tirant d’un coup sec vers lui. Toutefois, au même moment, Ryô lâcha délibérément prise et le prince Numérion, surpris, perdit un court instant l’équilibre. Ce fut cet instant que Ryô choisit pour fondre vers lui et frapper avec son katana tout en le dégainant de son fourreau, tranchant en deux la hampe de la lance. La lame de Hela trancha ensuite dans la cuisse du prince pour lui faire mettre genou à terre puis d’un coup de pied au torse, Ryô l’envoya au sol. Défaite prévisible.
Allongé sur le dos et tentant de reprendre son souffle, le prince regarda ensuite son arme puis ses adversaires :
-Ce n’était pas un combat loyal, déclara-t-il.
-Sur un champ de bataille, il n’y a que les idiots qui combattent loyalement, déclara froidement Hela en rangeant son arme.
-Ou les suicidaires, ajouta Ryô en rangeant la sienne.
Le roi, fou de rage, releva de force son fils blessé et commençait à le couvrir d’injures pour sa défaite, lorsque Ryô s’avança vers lui avec un regard menaçant. Ce dernier, lâche qu’il était, mit son fils blessé devant lui pour lui servir de bouclier humain. Ceux qui assistaient à ce spectacle ne savaient pas ce qui était le pire : une telle lâcheté de la part de ce roi ou le fait qu’il était prêt à sacrifier l’un de ses enfants, blessé en plus, si cela lui donnait une chance d’échapper à un sort funeste. Mais ce qui était indéniablement triste, c’était que le prince semblait résigné à jouer le rôle du sacrifié.
Lentement, Ryô dégaina sa lame de son fourreau et la pointa en direction du roi :
-Je ne le dirais qu’une fois. Rendez-vous maintenant et vos vies seront épargnées. Résistez et… vous connaissez la suite.
Sa voix était calme mais menaçante. Son regard, froid. Son visage, inexpressif. Ryô avait de nombreux talents et l’intimidation passait au rang d’art avec lui. Même les personnes qui n’étaient pas concernés par son avertissement ne purent s’empêcher de trembler.
Le roi claquait pathétiquement des dents mais écumait également de rage, sans pour autant oser faire quelque chose. Quant au prince, celui-ci ne semblait pas disposé à combattre. Peut-être s’était-il rendu compte qu’il ne s’en sortirait pas vivant, avec autant d’adversaires autour de lui. Ne les voyant pas bouger ni parler, Ryô en conclut qu’ils ne comptaient pas se rendre et s’apprêta à donner l’ordre d’attaque quand…
-Attendez ! s’écria la reine.
Elle s’avança alors, en tremblant légèrement mais en tentant quand même de rester digne. Lentement, à la surprise de tous, elle s’agenouilla devant Ryô et lui demanda :
-Je vous en prie. Ayez au moins pitié pour mon fils et ma fille, ici présents. Épargnez leur vie et je consens à me faire prisonnière et à accepter le sort que vous me réservez…
-Asteria ! s’écria son époux. Comment oses-tu ployer devant…
-Je vous en prie ! s’écria la jeune princesse en lâchant son arme et en s’agenouillant à son tour. De grâce, épargnez la vie de ma mère ! Rien ne vous oblige à lui ôter la vie !
Ryô posa son regard sur le roi, toujours planqué derrière son fils.
-Et votre père ? demanda-t-il à la princesse.
Elle ne répondit pas de suite. Mais quand elle le fit, ce fut avec une grande froideur :
-Faîtes-en ce qui vous chante. Après ce qu’il vient de faire, nous n’en avons cure…
À ces mots, le roi fut choqué ; scandalisé et proféra un torrent d’insultes envers sa famille.
-Grand frère, fit Sophie en s’approchant un peu de lui. Ils n’ont aucune échappatoire. Pas la peine de faire couler le sang plus que nécessaire, non ?
Ryô soupira, rengaina son arme et ordonna à ses hommes de les faire prisonniers. Il ordonna également que le roi soit séparé du reste de sa famille. Ce dernier protesta énergiquement mais il fut vite calmé après une correction.
-Hela, je te laisse te charger de la suite, ici, lui dit Ryô. Je vais voir comment si ma mère en a terminé, en haut.
-Entendu.
-Sophie. Mikhail. Avec moi. Qu’au moins, je puisse vous garder à l’œil et peut-être limiter votre future punition…
-Trop aimable…, marmonnèrent Mikhail et Sophie.
Ainsi, les triplés montèrent jusqu’à la salle du trône.
En y entrant, ils trouvèrent le cavalier au fouet, tremblant comme une feuille. À ses pieds, outre les corps des membres des Ailes gisant au sol, il y avait les corps sans vie de deux trolls. Deux autres trolls, blessés, faisaient face à Alicia, sans blessures et sans présenter le moindre signe de fatigue.
-Qu’est-ce que vous fichez, bande de d’écervelés ! Débarrassez-vous d’elle !
L’un des trolls grogna et se tourna vers son congénère :
-Gruk ! La dame faire bobo, gémit-il. Moi plus vouloir tape-tape !
-Grok, toi débile ! Si nous pas tape-tape la dame, petit prince pas donner miam-miam !
-Arrêtez de parler et attaquez ! cria Astarion en claquant son fouet sur le dos rocailleux des trolls.
-Mais Grok vouloir miam-miam !
-Alors Grok taper la dame !
-Non ! Dame faire mal avec truc pointu ! En plus, dame fait peur à Grok…
-Heu… Oui, dame faire peur à Gruk aussi…
-C’est de moi que vous allez avoir peur, si vous ne vous bougez pas !
Alors qu’Astarion continua de fouetter vainement les deux trolls, ces derniers poursuivaient tranquillement leur conversation :
-Donc, si dame faire peur à Gruk et Grok, quoi faire nous ?
-Plus taper la dame ?
-Mais si nous plus taper la dame, plus avoir de miam-miam, non ?
-Rah, choses compliqués avec zhumains !
-Heu… La situation a pris un tournant assez…, commença Astrid.
-Particulier ? finit Stella.
-J’allais dire « bizarre » mais c’est une autre façon de voir les choses, j’imagine…
Alicia poussa un soupire d’impatience puis remarqua la présence de ses enfants. Voyant que son regard était tourné vers autre chose que lui, Astarion suivit celui-ci et s’étonna de voir les enfants d’Alicia dans son dos.
-Que faîtes-vous i…
Sans le laisser finir, Mikhail s’avança rapidement vers lui et le mit au sol d’un violent coup de poing au visage.
-Désolé, dit-il en se tournant vers Ryô, mais sa voix m’insupportait à force de l’entendre depuis tout à l’heure.
-Ne t’inquiète pas. C’est moi qui l’aurais fait, si tu ne t’en étais pas chargé, lui dit Ryô en regardant le prince au sol.
-Pareil, ajouta Sophie.
-Je peux savoir pourquoi vous n’êtes pas à vos postes, tous les trois ?
-Je viens te prévenir qu’on a attrapé la famille royale, dit Ryô.
-D’accord. Et vous deux ?
-Heu…, firent Mikhail et Sophie.
Alors qu’ils cherchaient une bonne excuse, les deux trolls s’avancèrent et se penchèrent au-dessus du prince Astarion :
-Lui mort ? demanda Grok.
-Pas croire, répondit Gruk. Mais autre humain avoir taper fort, quand même.
-Nous faire quoi, maintenant ?
-Moi pas savoir…
-Mais… Dame va encore taper nous ?
Les deux trolls se retournèrent lentement vers Alicia, qui leur sourit avant de leur faire signe de la main de venir à elle. Effrayés, les deux trolls préfèrent venir se cacher derrière Ryô. Mais difficile de cacher deux trolls imposants derrière un jeune homme. Mikhail et Sophie ne purent s’empêcher de rire à la situation. Même Astrid et Stella durent cacher leur visage pour ne montrer que cela les amusait aussi.
-Pitié, petit humain, fit Grok. Toi protégez nous de dame qui tape fort.
-Pardon ? fit Ryô en pensant qu’il plaisantait.
-Elle avoir massacré Crok et Cruk. Eux avoir peut-être dit trucs pas bien sur elle…, commença Grok.
-…mais pas une raison pour sortir tripes de Cruk et couper gorge de Crok, finit Gruk.
Alicia rengaina alors son épée.
-Bien. Puisque tout est bien qui fini bien, je vais aller retrouver les officiers de Pendragon pour régler les détails.
-Et on fait quoi d’eux ? demanda Ryô en désignant les trolls.
-Je te laisse gérer ça, mon fils. Cela te donnera un avant-goût de la charge de chef.
Alors que sa mère, suivit d’Astrid et de Stella, quittait la salle du trône, Ryô, sous les rires de son frère et de sa sœur, se demandait pourquoi c’était à lui de faire ça.
-Au fait, vous deux ! fit Alicia avant de quitter définitivement la pièce, en désignant son autre fils et sa fille. Nous aurons une petite discussion, une fois au camp…
Les deux cessèrent aussitôt de rire et devinrent blême. Cette fois, ce fut Ryô qui riait de leur malheur.
-Dame partie…, fut Gruk en restant derrière Ryô.
-Dame revenir pour taper ? demanda Grok.
-Non. Mais si vous continuez à me coller, c’est moi qui vous tape ! cria Ryô.
Les deux trolls reculèrent d’un bond et se serrèrent l’un contre l’autre en le regardant.
-Petit homme faire peur aussi, dit Gruk.
-Oui ! Comme la dame, approuva Grok.
-Bon. Comment je vais me débarrasser de vous deux ?
-Gruk ! Moi pas vouloir mourir !
-Moi pas vouloir mourir non plus, Grok !
-Heu… Grand frère, intervint Sophie. Tu vas vraiment les tuer ?
-Et tu veux que j’en fasse quoi, sinon ?
-Et bien, deux trolls, si tu veux mon avis, ce n’est pas rien. On pourrait les recruter, non ?
Ryô fixa sa sœur un instant puis se mit à réfléchir, comme s’il posait le pour et le contre dans sa tête.
-Hé ! T’es pas sérieux ! s’exclama Mikhail.
Un temps de réflexion plus tard, Ryô s’adressa de nouveau aux trolls :
-Qu’est-ce que vous allez faire, maintenant que votre maître est vaincu ?
-Nous pas savoir…, répondit Gruk.
-Voilà ce que je vous propose : vous vous mettez à mon service et je m’engage à vous donner à manger au moins trois fois par jour.
-D’accord ! firent les trolls en chœur.
-Si facilement !? s’étonna Mikhail.
-Petit prince nous donner à manger seulement une fois tous les jours, expliqua Gruk. Alors manger trois fois tous les jours…
-Mais il faudra la mériter, votre bouffe, fit Ryô. En travaillant dur.
-Moi pas aimer travailler…, grommela Grok.
-Sinon, pas de nourritures.
-Moi adorer travailler !
Ainsi, au terme de la journée, Ryô fit acquisition de deux trolls.
Le lendemain, Alicia remit le roi aux mains des forces armées de Pendragon et une fois son or récupéré, elle et ses troupes se retirèrent, en emmenant leurs compagnons tombés au combat.
Leur retour fut un soulagement pour ceux qui les attendaient. Mais certains durent pleurer la perte d’un proche, également. Le repos n’allait pas être pour tout de suite. Il fallait songer à organiser des funérailles pour ceux qui avaient donnés leur vie. Humains, elfes, nains ou autres… Cela n’avait pas d’importance. Pour Alicia, ils étaient avant tout des Ailes de Vanaheim. Et à ce titre, ils méritaient un dernier hommage. Il y eut des cris et des pleurs mais surtout des hommages à ces valeureux. L’Histoire ne retiendrait pas leurs noms mais ils resteraient dans les mémoires de ceux qui les ont connus…
Le soir même, on fêta enfin la victoire à coups de mets succulents et divers en abondance accompagné d’alcools, sans compter la bonne compagnie d’hommes et de femmes touchant une solde pour ce genre de service au sein de la bande. Les exploits guerriers de Hela et Ryô étaient sur la bouche de toutes les personnes qui les avaient vu combattre et firent naître l’admiration chez les plus jeunes.
Cette nuit-là, Mikazuki fut assaillit de questions de la part de ces derniers, puisqu’en-dehors des membres de la famille, elle était la personne la plus proche de Ryô. Toutefois, par respect pour lui, elle ne révéla rien. Même à Celer ou Zimmer, tout aussi curieux.
Il était bien tard et pourtant, les festivités ne faiblissaient pas. Avant de retourner dans sa tente, Mikazuki alla rendre un livre qu’elle avait emprunté à Ryô quelques jours plus tôt. En chemin, elle aperçut Mikhail en train de se chamailler avec Jo pour une obscure raison et plus loin, Sophie danser gaiement avec une fille autour d’un des feux, alors que la jeune musicienne qui les avait rejoints il y a peu jouait de son luth. Encore plus loin, elle vit Astrid faire un jeu à boire en compagnie avec Krom, Gruk et Grok ainsi que d’autres personnes. Alors qu’elle n’était qu’à quelques pas de la tente de Ryô, elle vit Stella entraîner Gastar dans sa tente…
Arrivée à destination, elle entendit du bruit à l’intérieur. Elle s’éclaircit la gorge et s’annonça :
-Ryô ? C’est Mikazuki. Pardon de te déranger, mais j’ai quelque chose qui t’appartient.
Quelques instants plus tard, Ryô sortit de la tente, le torse nu. Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait ainsi mais depuis peu, cela la gênait, au point d’en détourner le regard.
-Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Ryô.
-Je… t’avais emprunté ce livre…, dit-elle en tendant ce dernier.
Alors qu’il reprenait son bien, Mikazuki put apercevoir l’intérieur de la tente brièvement…
-Merci, dit Ryô après avoir vérifié que son livre n’était pas abîmé.
Mikazuki resta planté là un instant.
-Mikazuki ?
-Hein ? Pardon… Je crois que je ne suis pas encore entièrement remise.
-Repose-toi. Qui sait quand on te confiera un travail important.
-Oui…
Sur ces mots, elle prit congé et retourna dans sa tente. Toutefois, l’image de ce qu’elle avait aperçu brièvement à l’intérieur de la tente de Ryô lui resta en tête et elle ne savait comment réagir. Il n’y avait pas de doutes sur ce qu’elle avait vu : c’était Hela, en train de se déshabiller…
Quelques jours plus tard, le roi de Rhéa, sous la contrainte, abdiqua et céda son royaume à l’autorité du roi de Pendragon. Ainsi, le royaume de Rhéa ne fut plus et devint une énième province du royaume de Pendragon. Après cela, l’ancien roi de Rhéa et son fils Astarion furent condamnés à mort. Normalement, le reste de la famille aurait dû subir le même sort, mais mystérieusement, ces derniers avaient disparu le jour de la prise de la capitale…
Un soir, après que Ryô et Hela avaient terminés leur affaire en sueur, cette dernière, avec son sourire reptilien, fit glisser son doigt sur le torse de son cousin avant de venir lui mordiller la lèvre inférieure.
-Tu sais que tu vas la rendre jalouse, un jour, lui dit Hela.
-Qui ça ? demanda Ryô.
-Parfois, tu es un peu bête…
Elle l’embrassa alors, avant de le regarder avec un air plus sérieux :
-Ryô, je voudrais te demander quelque chose de… bizarre.
-Plus bizarre que ce qu’on fait ?
-Je suis sérieuse.
-Quoi ?
-Est-ce que… dans ton sommeil… tu entends une voix ?
Ryô la regardait mais ne répondit rien.
-La voix que j’entends…, continua Hela. Elle a l’air lointaine mais j’ai l’impression qu’elle se rapproche. Et... Sophie m’a confié en entendre une, elle aussi, depuis peu.
Ryô fit de son mieux pour le cacher mais il était bien surpris. Lui aussi entendait une voix. Depuis qu’il apprenait à manier le katana légué par son père. Au début lointaine, elle se rapprochait de plus en plus vite à mesure que le temps passait. Mais il avait gardé cela pour lui, pensant qu’il s’agissait peut-être d’un autre effet de sa maladie.
-Ryô… Il faut que tu saches autre chose.
-Quoi ?
-Je le tiens de Sophie… Elle avait promis de garder le secret, mais cela l’inquiète un peu…
-De quoi ?
Hela le regarda droit dans les yeux.
-Elle m’a dit que Mikazuki lui a confié entendre une voix également. Dans son sommeil…
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