08. Lovham – I : Le village
-Comment ça, « il ne devrait pas y avoir de forêt ici » !? s’écria Zimmer. Vous voyez bien où nous sommes ! Vous vous êtes peut-être juste trompé en consultant votre carte !
-Non, je connais Anima, intervint Wiseman. Si elle dit que nous avons atterris au bon endroit, cela ne peut être que la vérité. Tout comme elle dit la vérité lorsqu’elle affirme qu’il ne devrait pas avoir de forêt là où nous nous trouvons.
Il observa ces bois dans lesquels ils se trouvaient tous, inquiet.
-Je ne m’avance pas trop en affirmant que l’anomalie que nous avons détectée est soit plus importante que nous l’avions imaginé, soit elle a pris de l’ampleur entre sa découverte et maintenant.
-Et lequel de ces cas est meilleur que l’autre ? lui demanda Shylvia.
-Honnêtement ? Aucun.
-Dans tous les cas, poursuivit Anima. Il nous faut découvrir la source de l’anomalie et y remédier. Et le plus tôt sera le mieux.
-Et comment on la trouve, cette source ? demanda Ryô.
-Malheureusement, elle ne se voit pas au premier coup d’œil. Ou rarement. Surtout pour quelque chose de cette ampleur. Il va falloir chercher, que cela nous plaise ou non. Alors, évitons de perdre davantage de temps. Essayons de nous diriger vers le village indiqué sur ma carte. Du moins, s’il s’y trouve encore…
Sur ces mots, elle commença à s’enfoncer dans la forêt, très vite suivit de Wiseman puis des Lions Écarlates. Ryô et les siens fermèrent la marche.
-J’espère que la paie sera VRAIMENT bonne, à la fin, lança Zimmer.
Se faufiler entre les buissons touffus et les racines planquées rendait difficile l’avancée sur une vitesse constante. Encore plus avec l’absence de repères visible, dû au manque de lumière et de cette brume qui ajoutaient une teinte sinistre au tableau. Teinte qui ne faisait que s’assombrir avec cette impression d’air pesant et cette absence de bruits environnants, si l’on faisait abstraction de ceux émis par les personnes qui tentaient de la traverser.
-Il ne se passe rien et pourtant, je ne sais pas pour vous, mais cet endroit me file la chair de poule, commenta Evran en jetant des coups d’œil inquiet tout autour de lui, toutes les secondes et qui n’eut pour réussite que d’alimenter sa paranoïa.
-Moi aussi, avoua Karloff. Je l’ai l’impression qu’on m’épie ou qu’une présence s’est posé sur mes épaules. En plus, j’ai senti de petits picotements dans ma tête…
-Toi aussi ?
-Hein ?
Karloff et Evran n’étaient pas les seuls à ressentir ces picotements dans leur tête. C’était le cas de tout le monde, depuis quelques minutes, mais pas à la même intensité. Par exemple, chez Mikazuki, la douleur de ces picotements était semblable à de petits coups d’aiguilles dans son cerveau. Rien d’insurmontable. Et pourtant…
Shylvia avait commencé à se masser la tempe, se plaignant d’une petite migraine, mais tenta de rassurer tant bien que mal les autres que ce n’était rien de grave.
En revanche, Ryô se tenait la tête et peinait à dissimuler le fait qu’il subissait une douleur intense. Mikazuki se figea un instant en le voyant, craignant que ce soit le signe d’une éventuelle crise.
-Ryô, ça va ? demanda-t-elle, inquiète.
-Oui, oui. Avance…
Bien qu’inquiète, elle lui obéit, tandis que prenait sa flasque pour boire son remède.
Le groupe poursuivait son avancée malgré ces inconvénients. Toujours pas de trace d’un rayon de soleil et la brume s’épaissit à chaque pas qu’ils faisaient.
-Si cette forêt et ce qu’elle contient font bien partie de l’anomalie, nous allons avoir du mal à y remédier, commenta Wiseman.
-Chaque chose en son temps, lui dit Anima. Nous manquons d’informations, pour le moment. Essayons d’abord d’en trouver. Quand on aura quitté cette forêt, ou du moins, quand nous aurons trouvé ce village.
-Si on le trouve…, marmonna Zimmer, de sorte que Celer et Mikazuki soient les seules à l’entendre.
Le scepticisme de Zimmer pouvait se comprendre. Ils marchaient dans une forêt qui ne devait pas se trouver ici, après tout. Qui pouvait affirmer trouver le village à sa place, après ça ?
-C’est quoi, ça ? fit Evran en pointant son doigt.
Dans la direction qu’il indiquait, tous aperçurent une lueur orange faire une percée dans ce rideau de brume. Dans des circonstances normales, ce serait un soulagement d’avoir trouvé un repère en ces lieux. Mais dans ces circonstances précises…
-Restons sur nos gardes…, suggéra Wiseman en passant devant d’un pas prudent.
Les autres lui emboitèrent le pas en l’imitant. Au fur et à mesure qu’ils approchaient de la lueur, ils purent entendre ce que des personnes en permanence sur les routes reconnaîtraient entre mille : le crépitement d’un feu.
Étrangement, à chaque pas qui les rapprochaient de cette lueur, la brume semblait se dissiper et ils purent enfin voir l’origine de la lueur et comme ils le supposaient, elle provenait bien d’un feu. Un feu de camp. Devant celui-ci, ils virent un vieillard assis, en train de fixer les flammes danser, en compagnie d'un grand chien d’une maigreur dérangeante. L’homme portait de vieux vêtements miteux, ses cheveux et sa courte barbe ne semblaient pas avoir été lavés depuis des lustres.
Le chien se mit à grogner légèrement lorsqu’il aperçut le groupe s’approcher d’eux mais son maître lui fit de petits mouvements de la main, pour l’inciter à rester calme.
-Allons, allons… Du calme, Cleric.
Le vieillard fixa le groupe et un rictus se dessina sur son visage. Puis, avec une voix grave, il s’adressa à eux :
-Eh bien… D’autres âmes perdues qui viennent à moi.
-Bonjour, mon brave, fit Wiseman. Peut-être pourrez-vous nous aider ? Nous cherchons un village qui devrait se trouver…
Il se tourna vers Anima, qui sortit sa carte et pointa du doigt l’endroit où le village devrait se trouver.
-… ici. Connaitriez-vous la direction à prendre, à tout hasard ?
Le vieillard les fixait sans dire un mot, créant un sentiment de mal à l’aise chez les plus jeunes. Elle ignorait qu’elle était la seule à le voir, mais Mikazuki remarqua que le regard de cet homme s’attardait particulièrement sur Shylvia et Ryô. Surtout Ryô.
Quand ses yeux se posaient sur lui, son rictus se transforma en véritable sourire dérangeant qui dévoilait des dents jaunes et sales.
-Monsieur ?
L’interpellation de Wiseman lui permit de ravoir son attention et son sourire disparut aussitôt. Bien qu’il ne le regardât pas droit dans les yeux, le vieillard consentit à répondre, tout en désignant une direction derrière lui :
-Je sais pas si c’est celui que vous cherchez… Mais il y a bien un village à… Oh, je dirais une bonne vingtaine de minutes.
-Vous n’êtes pas sûr ? demanda Shylvia.
-Je ne suis qu’un simple voyageur qui n’aime pas rester là où il y a trop de monde à mon goût, si je peux l’éviter.
Le chien poussa de petits couinements avant de venir passer sa tête sous la main de son maître, mais ce dernier ne lui donna qu’une seule caresse. L’animal vint alors en quémander aux autres, les plus jeunes en particulier. Zimmer eut un geste de révulsion, à cause d’une mauvaise expérience qui impliquait un riche qu’il avait volé et ses chiens. Celer ne lui donna qu’une rapide caresse, n’aimant pas les chiens plus que cela. En revanche, Mikazuki lui donna de nombreuses et affectueuses caresses. Elle aimait beaucoup les animaux et ces derniers le lui rendaient bien, en générale. Le chien aboya un peu en remuant vivement la queue, heureux de l’affection qu’on lui donnait à l’instant. Une surprise pour son maître, qui se mit à fixer la jeune fille avec autant d’intérêt que lorsqu’il fixait les deux autres, un peu plus tôt…
-Merci… de votre aide, fit Wiseman. Nous ne vous dérangeons pas plus longtemps…
-Si j’étais vous, je cacherais les oreilles de cette petite, dit le vieillard en désignant Celer du doigt.
-Pourquoi donc ? intervint Shylvia, qui semblait subitement énervée.
-Parce qu’il y a quelques jours, j’ai vu des dizaines et des dizaines de personnes marcher dans la direction que je vous ai indiqué. À en juger par leurs tenues, une bonne partie étaient des religieux et l’autre, des soldats.
Tous se stoppèrent en entendant cela. La description était maigre, mais tous pensèrent à la même chose.
-Monsieur…, commença Wiseman. Est-ce que, par le plus grand des hasards, ces personnes… arboraient sur leur tenue un soleil blanc brodé ou peint.
-Tout à fait.
Celer pâlit à cette nouvelle et Mikazuki pouvait le comprendre. Cet homme venait de confirmer que des membres de l’Église de la Lumière Éternelle et de l’Ordre du Soleil Blanc se trouvaient peut-être au bout du chemin qu’ils s’apprêtaient à emprunter.
Mikazuki avait croisé peu de ces membres depuis son arrivée dans ce pays et de ce qu’on lui avait dit d’eux, c’était des personnes détestables.
L’Église de la Lumière Éternelle vouait un culte à la déesse Lumina, la Porteuse de la Lumière Éternelle, et aussi, selon la propagande de ses fidèles, la mère du genre humain. Ce qui, d’après ce que lui avait raconté Ryô, était des histoires à dormir debout. Selon les historiens, une humaine répondant effectivement au nom de Lumina avait bel et bien existé, il y a un peu plus de trois siècles, mais il s’agissait juste d’une religieuse à la bonté hors norme qui fut canonisé et vénéré par une poignée de gens, au début. Bien vite, la ferveur aurait fait place au fanatisme et ceux qui la vénéraient ne tardèrent pas à vouloir imposer leur croyance et leurs mœurs pour bâtir les fondations d’un monde fait par et pour les humains. Rien qu’avec cette description, il apparaissait que ces personnes étaient dangereuses. Chose qui se confirma quand elles décidèrent que les déclarations de haine envers ce qui n’était pas humain ne suffisaient plus… Le plus aberrant venait du fait qu’avec le temps, ils gagnaient en partisans, en influence et en puissance. Au point de posséder au bout d’un temps sa propre armée, l’Ordre du Soleil Blanc. À ce jour, l’Église avait une forte influence de ce côté du continent, surtout dans le Royaume d’Auditore et du nouveau Royaume de Pureza. Elle avait tenté de s’implanter au sein de la Coalition de l’Aigle, sans grand succès. Idem à Pendragon, mais le roi n’aimait pas qu’une autre entité ait de l’influence sur son peuple. Quant au Saint-Royaume et à l’Empire du Nibel…
-Si l’Église ET l’Ordre sont présents, ça va nous compliquer la tâche…, commenta Wiseman.
-Juste parce qu’on a une elfe dans notre groupe ? demanda Zimmer.
-On voit que tu n’as jamais eu affaire à eux, lui dit Shylvia en croisant les bras. Ce ne serait pas la première fois qu’ils persécutent des gens justes parce qu’ils ont eu le malheur de simplement croisé un non-humain.
-Sans compter qu’ils aiment bien mettre leurs nez dans tout ce qui touche aux forces magiques et à l’occulte… Et une anomalie de cette ampleur, ils ne vont pas laisser passer l’occasion.
-L’occasion pour quoi ? demanda Mikazuki.
-L’une des raisons pour lesquelles ces gens ont tant de pouvoirs et d’influences : ils collectionnent aussi toutes sortes d’artefacts, anomalies et autres étrangetés en lien de près ou de loin à la magie…
-Ce ne sont que des rumeurs, affirma Evran, qui n’y croyait absolument pas.
-Et d’abord, comment sais-tu cela ? demanda Wiseman, visiblement assez surpris des déclarations d’Anima.
-J’ai mes sources…
Cette déclaration était on ne peut plus suspecte aux oreilles de tout le monde.
Le vieillard se mit alors à ricaner, détournant l’attention vers lui.
-Qu’est-ce que vous fait rire ? lui demanda Ryô, quelque peu irrité.
-Oh, je me disais juste que les choses prenaient un tournant plus intéressant que je ne le pensais. Et que finalement, j’allais peut-être rester pour en voir le dénouement.
Si les mots d’Anima paraissaient suspicieux aux oreilles de tous, celles de ce vieillard l’étaient encore plus.
-À ta place, je ferais pas ça, gamin, dit-il subitement.
Son chien se mit à grogner en direction d’Evran, qui avait la main à quelques centimètres de la poignée de son épée.
-Là, là ! Du calme, mon grand, dit le maître à son chien, qui cessa aussitôt de grogner.
-Evran…, fit Wiseman. Laisse tomber…
-Mais…
-Je sais à quoi tu penses et je pense la même chose… Mais pour l’heure, nous avons d’autres priorités.
Evran fixa le vieillard et son chien et, à contre-cœur, éloigna sa main de son arme.
-Notre priorité principale, continua Wiseman à l’attention des autres, est de découvrir la source de cette anomalie et d’y remédier rapidement. N’est-ce pas, Anima ?
-Exact. Si elle peut provoquer de telles choses comme la modification de l’environnement, qui sait ce qu’elle est capable de faire…
-Alors mettons-nous en route sans plus tarder. Et, jeune fille.
Celer leva la tête dans la direction de Wiseman quand il l’interpella.
-Si j’étais toi, je cacherais tes oreilles. Du moins, tant que ces fous de l’Église et de l’Ordre sont dans les parages.
Celer hocha la tête, prit une pélerine avec capuche dans ses affaires et l’enfila, en faisant en sorte qu’on ne puisse plus voir ses longues oreilles. Mikazuki voyait que cela ne lui plaisait clairement pas, elle qui était fière de ses origines d’elfe des bois.
Alors que le groupe se mit en route vers le village, Anima, celle qui fermait la marche, s’arrêta juste derrière le vieillard et le fixa. Mikazuki, qui était resté en peu en arrière par rapport aux autres, la vit et, caché derrière un arbre, observa la scène :
-Vous savez ce qu’on va trouver là-bas…, dit-elle au vieillard.
-Évidemment. Tout comme vous…
-Justement, non… Je ne suis sûr de rien.
-C’est bien malheureux. Et malheureusement pour vous tous, je ne peux pas vous aider.
-Vous ne pouvez pas ? Ou vous ne voulez pas ?
Le vieillard se mit à ricaner. Puis son ricanement se transforma en rire. Un rire empli de démence. Lorsqu’Anima tourna les talons pour s’en aller, Mikazuki, en priant de faire le moins de bruits possible, s’éloigna et tenta de rattraper les autres. Mais avant de ne plus entendre les crépitements du feu, entre deux rires fous de cet homme, elle l’entendit crier à Anima :
-Puisse votre Flamme guider vos pas, ma chère ! Et puisse les Ténèbres vous étreindre ! Vous et vos compagnons…
Ces rires firent froid dans le dos de la jeune fille, qui pressa le pas pour rejoindre les autres, avant Anima. Et malgré elle, les paroles du vieillard se logèrent dans un coin de sa tête pour s’y graver.
Après s’être regroupé et quelques minutes de marches, la lueur du feu de camp n’était plus visible.
-Je le sens de moins en moins, ce travail…, marmonna Evran avec inquiétude.
-Et dire que tu nous as vendus ça comme un travail simple avec de gros bénéfices ! lui reprocha Karloff en le poussant.
-C’est Wiseman qui me l’a vendu comme ça ! Je n’ai fait que répéter ce qu’il m’a dit !
-Les garçons ! Calmez-vous ! cria Shylvia en s’interposant.
La tension devenait palpable du côté des Lions Écarlates, alors que Wiseman restait silencieux tout en faisant mine de les ignorer alors qu’il avançait. Anima également n’avait pas prononcé un mot depuis un moment. Les trois plus jeunes se sentaient dépassé par la situation. Après tout, c’était concrètement leur première vraie mission. Ils s’attendaient plus à quelque chose de plus terre-à-terre comme protéger leur client de bandits ou quelque chose dans le genre. Et non pas à être confronter à quelque chose d’aussi surnaturelle. Ils pensaient que leur supérieur, que Ryô, serait dans le même état d’esprit. Mais ce dernier, depuis un moment, ne disait plus un mot. Il se tenait très souvent la tête et grognait comme s’il souffrait. De plus, ils remarquèrent qu’il buvait plus souvent de son remède qu’à l’accoutumé…
-Nous y voilà, fit Anima au bout d’un moment.
Du bout de son doigt, elle pointa quelques maisonnettes et cabanes visibles depuis leur position. Mais plus loin derrière, ils aperçurent également de hauts murs, du même genre que ceux quii servaient à protéger les grandes villes.
-Je suppose que ça ne devrait pas être là, fit Ryô en contempla la construction.
-À moins qu’une ville se soit bâtit sans que personne ne le sache, non, confirma Anima.
Alors que leurs nez pointaient vers les fortifications, ils entendirent des voix : un mélange de cris sonores et de complaintes.
-M’est d’avis qu’y aller tous ensemble n’est pas une bonne idée. Je propose que nous nous séparions temporairement, fit Wiseman.
-Je suis d’accord, approuva Anima. Qui sait ce que nous pourrions trouver, en plus de l’Église et de l’Ordre. Des objections ?
Les Lions Écarlates n’en émirent aucune et Ryô, au nom des siens, approuva l’approche.
Ainsi, ce furent lui, ses jeunes subalternes et Anima qui pénétrèrent le village en premier, tandis que Wiseman et les autres contourneraient le village, dans le but d’essayer d’en savoir un peu plus sur ce qui se passaient.
Les habitations semblaient désertes et Anima supposa que les villageois s’étaient réunis sur la place, où semblait se trouver l’origine de ces bruits. Par précaution ou par instinct, Ryô conseilla à tous de se tenir prêt à se battre ou à fuir, selon la situation qui se présenterait.
Une fois sur la place, ils aperçurent une petite foule, essentiellement composée de femmes, d’enfants et de personnes âgées, rassemblée autour de trois hommes en soutane blanche.
À l’abri des regards, ils observèrent la scène avec grand intérêt : les villageois offraient à ces derniers leurs biens : argent, objet diverses, nourriture… En échange de ceci, les hommes en soutane blanche leurs disaient quelques mots et le donateur ou la donatrice paraissait plus soulagé que jamais.
-Qu’est-ce qu’ils font ? marmonna Celer devant un tel spectacle.
-Je crois que c’est du commerce des indulgences, répondit Zimmer. J’ai vu des membres de l’Église pratiquer ça, quand ils venaient dans les bas-fonds de Kaderan.
-C’est quoi ? demanda Mikazuki.
-En gros, si j’ai bien compris, ils te vendent une « bénédiction » qui te permet de réduire ta « peine » pour un péché pardonné et ainsi, te laisser de plus grandes chances d’atteindre le Havre.
-Le Havre ? Qu’est-ce que c’est ?
-Sans doute le plan d’existence de leur soi-disant déesse, répondit Ryô.
-En tout cas, ils ont du succès, poursuivit Zimmer. On dirait presque que les villageois donnent tout ce qu’ils ont pour assurer leur place dans l’Au-delà parce qu’ils ont peur de mourir bientôt.
-Pour une fois, ta perspicacité semble fonctionner, dit Ryô.
Tandis que Zimmer essayait de voir si ces paroles étaient un compliment ou une pique déguisée, la foule se dissipa. Certains villageois les croisèrent et les dévisagèrent, avant d’accélérer le pas pour rentrer au plus vite chez eux. Les hommes de l’Église, avec l’aide de quelques personnes restées sur place, placèrent leurs nouvelles acquisitions sur une charrette empruntée et la firent pousser plus loin dans le village.
-Essayons de parler aux villageois pour savoir ce qui se passe ici, proposa Anima alors qu’elle se dirigeait déjà vers l’un d’eux pour lui parler.
Mais personne ne voulut lui dire quoi que ce soit. Autant à elle qu’aux autres. À chaque fois, ils se faisaient ignorer ou on leur sommait de ficher le camp avec animosité. Un vieillard les menaça même avec une fourche pour qu’ils s’en aillent et une femme emporta sa petite fille dans leur maison en criant presque qu’elle ne voulait pas que sa famille soit souillée après avoir payé si cher leur indulgence. Et ce n’était là que des personnes que l’on pouvait qualifier de « normal », dans le sens large du terme. D’autres villageois déambulaient sans leur accorder un regard, marmonnant sans cesse et à toute vitesse des mots difficiles à comprendre. Certains allaient se prostrer dans un coin et répétaient sans cesse « Ce n’est qu’un mauvais rêve… Ce n’est qu’un mauvais rêve ! ».
-Moi aussi, je vais commencer à croire que c’est un mauvais rêve, dit Zimmer en ayant la chair de poule.
-Vous avez remarqué ? fit Celer. En-dehors des vieilles personnes et de jeunes enfants, je n’ai pas vu un seul homme dans le village.
-Et en-dehors de ces trois hommes de l’Église, ajouta Ryô. D’ailleurs, ce sont les seuls membres que nous avons aperçus et pas la moindre trace d’hommes et de femmes de l’Ordre.
-Peut-être qu’ils sont repartis ?
-Avec toutes ces choses étranges, comme cette forêt sortie de nulle part et ces murs ? J’en doute.
-Ryô a raison, fit Anima. Ils ne seraient jamais partis sans en savoir plus. À moins d’y avoir été contraint…
-Par qui ? demanda Mikazuki.
-Ou par quoi… Qu’importe, pour le moment. Nous ne sommes pas plus avancés, à vrai dire. Les gens d’ici n’ont vraisemblablement pas envie de nous aider. Ou ne sont pas aptes. J’aurais aimé au moins en savoir plus sur ces murs.
-On n’a pas fait le tour complet du village, poursuivit Ryô. On… Aargh !
Ryô se tint la tête et grimaça de douleur. Avant que les autres ne lui demandent si tout allait bien, il leur fit signe de ne pas s’en faire et bu de son remède.
-Je disais donc… On peut toujours explorer le reste du village et voir si on peut faire parler quelqu’un ou trouver quelque chose.
-La partie du village où sont allés les hommes de l’Église ? Ce n’est pas un peu risqué, pour Celer ? demanda Mikazuki.
-Tant qu’elle ne retire pas sa capuche et qu’elle se fait discrète parmi nous, ça devrait aller. Et puis, ils ne sont que trois. On ne devrait avoir aucun mal à les maîtriser, lui dit Zimmer.
-À condition que les villageois ne viennent pas leur prêter main-forte…, fit Ryô en commençant à marcher.
Avec cette remarque, les plus jeunes eurent froid dans le dos en s’imaginant devoir affronter un village entier si cela tournait mal. Mikazuki eut en particulier de plus grands frissons en imaginant les enfants prendre éventuellement part à un combat…
L’investigation dans le reste du village ne fut guère mieux. Même résultat : personne ne voulait leur parler ou ceux qui le pouvaient ne disaient rien de cohérent.
Ils virent, pendant leur recherche d’informations, la charrette des hommes de l’Église près d’une grange un peu à l’extérieur et ces derniers en train de la décharger afin d’entreposer leurs nouvelles acquisitions. De toutes les âmes, c’était les seuls avec qui ils n’avaient pas parlé. Pourtant…
-Est-ce que c’est vraiment sûr, d’y aller comme ça ? demanda Zimmer.
-J’ai des doutes, moi aussi, fit Celer. Vous avez vu comment les villageois se plient en quatre pour être dans leurs bonnes grâces ? Je trouve pas ça normal.
-Moi, ils me font peur…, avoua Mikazuki. Je ne sais pas pourquoi. Je le sens, c’est tout…
-Je comprends vos réticences, leur dit Anima. Vous pouvez nous attendre ici. Ryô et moi allons leur parler.
Ce dernier poussa un grognement de douleur en se tenant la tête et alors qu’ils avaient commencé à se diriger vers cette grange, il fit signe de s’arrêter net et de se mettre hors de vue. Un vieil homme était en train de traîner une jeune femme, tête basse comme résignée, en direction de la grange. L’un des hommes de l’Église vint à leur rencontre et se mit à discuter avec le vieil homme, avant que celui ne pousse la fille vers le religieux. Ce dernier, avec un sourire qui n’avait rien de saint, sembla remercier le vieil homme et conduisit la fille dans la grange.
-Qu’est-ce qui se passe ? demanda Zimmer, inquiet par ce qu’il venait de voir. C’est quand même pas pour…
-J’espère sincèrement aussi que ce n’est pas ça…, marmonna Ryô tout en y croyant peu.
Des cris se mirent à résonner. Peu après, venant d’une direction différente, ils virent une vieille femme traînait de force une jeune adolescente, à peine plus âgée que Mikazuki ou Celer, qui se débattait de toutes ses forces en criant et hurlant qu’elle ne voulait pas y retourner. La femme lui criait dessus, lui ordonnant de la fermer, que cette petite n’était qu’une égoïste et qu’elle devrait plutôt se sentir honorée par la situation.
-Va prendre ma place, alors ! Vieille peau ! lui hurla l’adolescente.
La vieille femme la gifla de telle sorte à ce qu’on entende bien le bruit du coup avant de l’insulter et de devoir de nouveau la traîner vers la grange. À l’homme de l’Église, elle s’adressa à lui avec une grande politesse et lui souriait, alors qu’il avait assisté à toute la scène précédente sans sourciller. Au contraire, on avait l’impression que voir cela l’avait amusé.
Avec l’aide de la vieille femme, il tenta d’entraîner la plus jeune dans la grange mais celle-ci continuait à se débattre pour sauver. En conséquence, elle reçut non seulement une nouvelle gifle de la vieille femme, mais aussi une du religieux. Ils purent entendre celui-ci ordonner à la vieille de mettre l’autre à genoux, en clamant qu’il allait la discipliner comme les autres, avant elle. Pendant que la vieille femme s’exécutait, l’homme retira sa soutane et était sur le point de faire de même avec son pantalon…
À la vue de ceci, Mikazuki eut en tête ses souvenirs sur le bateau qui l’avait emmené dans ce cas. Elle avait déjà vu ce genre de chose. Quand les marins et les esclavagistes, durant la traversée, forçait les enfants qui leur plaisait à s’agenouiller et à assouvir leurs désirs pervers…
-Il faut qu’on fasse quelque chose ! s’écria à mi-voix Mikazuki avant de s’élancer vers eux.
-Non ! Mikazuki ! Att…
Ryô avait tenté de l’arrêter, mais une nouvelle douleur à la tête l’arrêta au dernier moment.
Mikazuki usait de toute la force de ses jambes pour courir aussi vite que possible. L’adolescente pleurait, alors que la vieille femme la maintenait à genoux sur le sol boueux. L’homme commençait à sortir la chose immonde qu’il cachait dans son pantalon…
-NON !
Sans merci, Mikazuki vint écraser l’arrière du genou de la vielle femme, qui le plia malgré elle en hurlant de douleur. Sans doute à cause du « crac » qu’elle entendue au moment de l’impact. Profitant de la confusion, l’autre jeune fille commença à s’enfuir, poursuivit par l’homme qui empêchait son pantalon de tomber d’une main.
-SALE PETITE GARCE ! Regarde ce que tu as fait !
La vieille femme, démente, attrapa Mikazuki par le cou et tenta de l’étrangler. Mais cette dernière, sachant quoi faire dans ce genre de situation, se libéra facilement de son emprise et par réflexe, lui donna un puissant coup de poing dans la poitrine. Là où se trouvait exactement le cœur. La vieille femme fut jetée en arrière et atterrit lourdement sur le dos, dans la boue.
Elle ne bougeait pas. Ne respirait pas. Elle était morte avant d’atteindre le sol…
Mikazuki se figea, choquée. Ce n’était pas la première personne morte qu’elle voyait. Mais pour la première fois, elle venait d’ôter une vie…
De son côté, l’homme avait attrapé la jeune fille qui avait tenté de fuir et l’avait plaqué au sol. Elle avait beau se débattre, lui était trop lourd et trop fort pour elle. Cette fois, il comptait bien lui faire ce qu’il prévoyait, en se fichant bien d’être vu.
-Même pas en rêve, sale porc !
Sortie de nulle part, Shylvia accourut dans son dos et lui planta son épée, lui transperçant le torse par l’occasion. L’homme hurla de douleur. Pas bien longtemps, cela dit. Jusqu’à ce que Ryô accoure pour le faire taire, en lui tranchant la tête.
Laissant le cadavre et la jeune fille au soin des autres, il alla rapidement retrouver Mikazuki, tandis que Wiseman, Karloff et Evran rejoignaient les autres.
-Mikazuki ?
Elle restait plantée là, à fixer le corps sans vie de la vieille femme.
-Mikazuki !
Il la secoua légèrement et elle tourna alors la tête dans sa direction, une larme coulant le long de sa joue.
-Ryô… Je… J’ai… La fille… Je pouvais pas… ! La vieille femme… Il fallait que je l’arrête ! Mais je voulais pas… ! Je voulais pas !
-C’est bon, Mikazuki. Je comprends… Calme-toi.
Doucement, il la prit dans ses bras et tenta de la calmer doucement tout en lui caressant l’arrière de la tête. Un geste qu’il faisait souvent pour calmer sa sœur et Mikazuki quand elles étaient tristes. Un geste très efficace avec elles.
Bien vite, Mikazuki put se calmer un peu, puis, à la demande de Ryô, elle alla rejoindre ses coéquipiers tandis qu’il entrait dans la grange.
L’intérieur, en-dehors de tas de pailles, il n’y avait rien. Au fin fond du bâtiment agricole, il pouvait entendre des bruits suspects. Des bruits qu’il ne connaissait que trop bien…
Au fin fond du bâtiment, il y trouva les deux hommes de l’Église. Alors que l’un faisait comme l’inventaire des offrandes des villageois avec un sourire donnant à son visage une allure grotesque, l’autre était dans la paille, allongé sur la jeune femme venue plutôt. Alors que lui souriait d’une manière tout aussi grotesque que son confrère, elle restait apathique alors qu’il allait et venait en elle tel l’animal en rut qu’il était.
Une pensée traversa alors l’esprit de Ryo. Une idée soufflée par une voix au fond de lui :
Tu n’as besoin que de l’un d’entre eux…
La lame au clair, il s’avança vers eux…
C’était vrai…
Pour avoir des informations, une seule source suffisait…
Dehors, Anima tentait de calmer l’adolescente en la serrant dans ses bras et en lui répétant que tout était fini. Shylvia, de son côté et avec l’aide de Zimmer et Celer, essayait maladroitement de réconforter, à sa manière, Mikazuki sur ce qu’elle avait fait.
Peu après, Ryô ressortit de la grange, couvert de sang, en compagnie de la jeune femme et en traînant l’un des hommes de l’Église, inconscient, par le col. À mesure qu’il approchait, les autres eurent un frisson de terreur, surtout en voyant son regard froid. Mikazuki, oubliant sur l’instant son choc, fut emplie d’inquiétude et, spontanément, accourut vers lui.
-Ryô…, dit-elle.
-C’est pas mon sang, dit-il avec froideur
Quelque chose n’allait pas. Mikazuki le ressentait sans pouvoir se l’expliquer. Ryô pouvait être distant, la plupart du temps, mais ceux qui le connaissait savaient qu’être froid ne faisait pas partie de sa nature.
-Hé !
Tous se tournèrent comme une personne. Une vielle dame légèrement bossue, de la porte entrouverte de sa maison en bois, les interpella.
-Venez vite ! Rentrez ! Vite ! Avant que les autres ne découvrent ce que vous avez fait !
En effet, il était peu probable que ce qu’ils aient fait soit passé inaperçu. Donc, sans trop tarder, ils se dirigèrent tous vers la maison de la vieille dame bossue, sans oublier de traîner l’homme de l’Église inconscient.
Pendant qu’ils s’installaient, la vieille dame bossue regarda un moment à l’extérieur, avant de refermer la porte.
-Vous avez de la chance, dit-elle en vérifiant trois fois que la porte était solidement fermée. Soit on ne vous a pas vu et entendu, soit on n’a pas osé venir vous chercher des noises.
-Merci de nous accueillir chez vous, lui dit Wiseman.
-Ah, laissez tomber les politesses ! dit-elle en se dirigeant vers la marmite placée sur le feu de la cheminée. Tout le monde s’est mis à lécher les bottes de ces crétins quand ils ont débarqué. Sans doute en espérant une protection de leur part. Mais moi, je ne suis pas dupe ! Je sais de quoi ils sont capables !
-Comment ça ?
La vieille bossue remua un peu le contenu de la marmite, une sorte de ragoût, avant de répondre :
-J’ai pas toujours vécu ici, vous savez. Avant, j’étais colporteuse. Je gagnais bien ma vie. Mais en prenant de l’âge, voyager devenait difficile. Alors, je me suis installé dans ce petit village. Un endroit tranquille et paumé, qui n’intéresse personne. Enfin, n’intéressait personne…
Alors que Ryô et Evran ligotaient solidement l’homme de l’Église sur une chaise, la vieille bossue servirent à chacun une écuelle de son ragoût. Elle apporta une attention particulière à la jeune femme, à l’adolescente, victimes de ces ordures, et aussi à Mikazuki.
-Je sais que ça ne t’apaisera pas, ma petite caille, mais tu as fait ce qu’il fallait, assura-t-elle.
Mikazuki prit une cuillerée de ragoût. Le goût était exquis et la chaleur qui se répandait en elle, agréable.
Après avoir servi tout le monde, la vieille bossue se servit et s’installa sur un tabouret pour manger.
-Pauvre petites…, dit-elle en regardant les deux filles du village manger en silence dans un coin, à l’écart. Les gens sont devenus vraiment fous depuis que toutes ces choses ont commencé…
Ces déclarations attirèrent l’attention d’Anima et Wiseman, qui demandèrent à en savoir plus, pendant que Ryô, sans demander, prit l’eau d’un seau pour se nettoyer.
-C’est arrivé un matin, commença la vieille bossue. Sans qu’on ne sache comment ni pourquoi, une forêt était apparue autour du village. Comme ça. Pouf ! Au début, elle était pas bien grande mais ça nous inquiétait quand même. Alors, on a envoyé quelqu’un pour chercher de l’aide. Pour les gens d’ici, n’importe qui avec une explication rassurante aurait suffi. Ou un moyen de refiler le problème aux autres. Je sais, ça ressemble à ces bêtises qu’on aime raconter sur les campagnards mais malheureusement, j’ai appris que certaines de ces bêtises étaient vraies…
Elle finit rapidement son écuelle et poursuivit :
-Quelque jours plus tard, des types de l’Ordre ont débarqués au village. Entretemps, la forêt avait grandi et on commençait à entendre des bruits bizarres. Surtout la nuit…
-Quel genre de bruits ? demanda Wiseman.
La vieille bossue blêmit avant de répondre :
-Je saurais pas dire… Au début, on aurait des trucs qui craquaient. Puis, certains ont entendus ce qui ressemblait à des bruits de pas. Puis, des hurlements. Les autres ont pensés à des loups. Moi, je sais à quoi ressemble les hurlements d’un loup et ça, m’sieurs-dames, c’était pas que des loups…
-Qu’est-ce qui vous a fait penser ça ?
-L’intuition. Ou les tripes. Appelez ça comme vous le voulez.
-D’accord. Et ensuite ?
-Bah… Les gens de l’Ordre qui sont venus étaient perplexes. Ils savaient pas pourquoi cette forêt était là. Ça les rendait fous ! En plus, elle grandissait de jour en jour et les bruits devenaient plus forts et inquiétant. Et puis, un jour…
Elle marqua une pause.
-Un jour, ils sont apparus. Ces murs… Nous, au village, on n’était pas débiles ni aveugles. On voyait bien qu’ils étaient dépassés. Donc…
-… donc, ils ont fait venir du renfort, finit Anima en fixant le vide.
-Et comment ! Des gars de l’Église et de l’Ordre, dont trois Inquisiteurs !
-Pardon ?! Des Inquisiteurs ?!
Tout le monde se raidit, hormis les plus jeunes, en entendant la nouvelle.
-Oui, confirma la vieille bossue. Deux hommes et une femme. Je les ai juste croisés une fois. Et ça a suffi pour me filer la chair de poule…
Elle se tut un moment, puis se leva pour boire quelque chose dans une gourde accrochée au mur.
-Que s’est-il passé, ensuite ?
La vieille bossue lui demanda un instant et but une autre gorgée de cette gourde.
-Ensuite…, commença-t-elle. Un soir, sans que personne comprenne, des… des portes sont apparus. Dans ces murs bizarres. Tout le monde a pris peur. L’Ordre et l’Église n’ont pas mis longtemps avant de s’organiser pour partir voir ce qu’il y avait derrière, avec la moitié d’entre eux. Mais le lendemain matin, les portes avaient disparues et par la suite, certains ont commencé à se comporter… bizarrement. Après ça, à chaque nuit, les portes réapparaissaient comme par magie, avant de disparaître aux premiers rayons du soleil. Enfin, « rayons du soleil », façon de parler… Avec ces foutus arbres, c’est une chance si on arrive à savoir que le jour est levé…
-Vous disiez que les gens ont commencé à se comporter étrangement. C’est-à-dire ?
-Vous en avez vu sans doute vu certains, en arrivant ici… Certains se sont mis à parler tout seul, d’autres se mettaient à crier sans arrêt, avant de disparaître dans la forêt. Et… certains se sont donnés la mort. Aussi bien les adultes que les enfants. Et ça empire avec le temps...
Les filles du village firent ce qu’elles purent pour masquer leur effroi.
-Certains membres de l’Église se sont mis à clamer que c’était notre faute ; une punition divine et que nous devions nous repentir. Les membres de l’Ordre restant ont décidé d’aller chercher les autres et ils ont enrôlés de force tous les hommes et les jeunes garçons aptes. Les femmes, les enfants, les vieillards, les handicapés et quelques membres de l’Église sont restés. Depuis qu’ils ont passés les portes, on ne les a pas revus depuis…
-C’était il y a combien de temps ?
-Je dirais… un peu moins d’une semaine. Difficile à dire. Si vous avez suivis, les arbres cachent bien le soleil, maintenant…
L’homme de l’Église commençait à se réveiller, en gémissant de douleur. La vieille bossue alla alors vers les filles recroquevillées dans leur coin et tenta de les rassurer.
-Qui l’interroge ? demanda Wiseman en le fixant avec dégoût.
-Pas moi, dit Ryô. Je serais tenté de le tuer tout de suite…
-Personne ne t’en voudrait, je pense, avoua Shylvia.
-Bon, je m’y colle. Encore…, fit finalement Evran en levant les yeux au plafond.
En une gifle, il le réveilla et, désorienté, l’homme se réveilla dans un état quelque peu confus.
-Où… Où suis-je ? demanda-t-il. Qu’est-ce que… Pourquoi j’ai la tête qui tourne ? Je…
-Hé ! Hé ! C’est moi qui pose les questions, ici ! lui dit Evran en lui donnant deux ou trois gifles de plus pour bien le réveiller.
-Mais que !? Tu oses porter la main sur un religieux ! Maudis pécheur ! Tu…
Evran le coupa en écrasant son poing en plein dans sa figure.
-Fumier ! cria l’homme de l’Église alors que son nez ruisselait de sang.
-BON ! On reprend comme il faut, mon grand ! Une question simple, pour commencer : qu’est-ce que vous faisiez ici, toi et tes petits copains ?
-Va culbuter une non-humaine, salopard !
-Eh ben, il a l’insulte facile… Et je sais pas vous, mais j’ai pas la patience de faire ça gentiment. Je peux… ?
-Fais ce que tu as à faire, Evran, et dépêche-toi de le faire parler ! lui ordonna Wiseman.
-D’accord, d’accord…
En un éclair, Evran attrapa le couteau qu’il cachait dans sa botte et planta la lame dans la cuisse du prisonnier, sans sourciller. Ce dernier hurla à la mort, sous les regards jubilatoires des filles du village. Evran recommença une fois ou deux, le temps que sa victime le supplie d’arrêter.
-Bien. Tu vas parler, maintenant ?
-Enfoiré !
-Non ? Bon ben…
-NON ! Non, c’est bon ! Je vais parler ! Je vais parler !
-Bah voilà ! On devient plus raisonnable…
Evran lui donna de petites tapes sur la joue, presque amicale, puis attendit que l’autre commence à parler :
-Nos… connaisseurs en matière disaient… avoir perçus une perturbation dans les flux magiques. On surveille ce genre de chose… au cas où on trouve… des choses intéressantes…
-Comme quoi ?
-Je te le dirais pas, raclure !
Un coup de couteau dans la cuisse plus tard :
-Tout ! On prend tout ce qu’on peut : artéfacts, anomalies qu’on peut contenir, créatures pour les étudier…
-En effet, les perturbations peuvent être des mines d’or pour tous les praticiens en magie en fonction de leur nature et de leur intensité…, commenta Anima.
-Pas seulement des praticiens. Les contrebandiers ayant les moyens aussi, ajouta Wiseman.
-Donc, vous êtes venus pour la perturbation…, fit Evran au prisonnier. D’accord. Bien ! T’es sur une bonne lancée, là ! Continue !
L’homme de l’Église fixa toutes les personnes sous ses yeux, avec haine. Puis, ses yeux se posèrent sur le couteau que tenait Evran, couvert de son sang. Il déglutit et reprit :
-On… comptait envoyer quelqu’un inspecter ça, quand un des villageois est venu nous trouver. Nos supérieurs ont juste saisi l’occasion pour envoyer du monde.
-Et c’est là que vous êtes venus aider la veuve et l’orphelin... Quelle noblesse…
-J’t’emmerde !
-Bon. Et ensuite ?
-On est venu, on a vu et… on était perdu. Enfin, nos experts étaient perdus. Ils n’expliquaient pas ces apparitions soudaines mais ils ont réussi à localiser la source de toute la perturbation. Quelque part derrière ces murs. Mais impossible de dire exactement où. Et nous ignorions jusqu’où ils s’étendaient. Nous aurions pu errer des jours avant de ne trouver ne serait-ce qu’une ouverture ou quelque chose qui y ressemblait.
Il s’arrêta un instant. Il suait à grosses gouttes. La douleur devait être insoutenable et si ses blessures restaient ainsi, il risquait l’infection. Mais visiblement, personne dans cette maison ne s’en souciait vraiment.
Il reprit alors :
-Mais un soir, comme par enchantement, des portes sous apparus dans ces murs, non loin de là. De grandes portes, comme celles que l’on peut voir lorsqu’on s’approche de grandes villes. On avait enfin un moyen de voir ce qu’il y avait au-delà de ces murs et une expédition s’est organisé à la va-vite. La moitié des nôtres ont traversé, avec pour projet de revenir au plus tard le lendemain matin. Mais quand le soleil s’est levé, les portes avaient disparus et pas la moindre trace des autres…
Pour l’instant, tout ce qu’il disait se recoupait avec les dires de la vieille bossue.
-Après ça, poursuivit-il, les gens d’ici… ont commencé… à se comporter… bizarrement. À perdre… la tête. Enfin, qui ne la perdrait… pas ? Entre les bruits bizarres… et ces choses… qui passaient les portes… qui réapparaissaient chaque soir…
-Quoi ? De quoi tu parles ! Quelles choses ?
Il se mit à rire. Mais pas un rire moqueur ou nerveux. Non, plutôt quelque chose qui se rapprochait de la folie.
-Réponds ! lui hurla Evran en lui enfonçant de nouveau le couteau dans la cuisse.
Mais l’homme continuait de rire, le faciès déformé par son hilarité. Une fois sa crise de fou rire passé, l’homme se recroquevilla sur sa chaise, marmonnant en boucle et de manière presque inaudible des mots incompréhensibles pour les personnes présentes.
Evran soupira et se tourna vers les autres :
-Je peux toujours essayer de le « secouer » un peu plus pour qu’il parle, mais à mon avis, c’est perdu d’avance…
-Ce n’est pas grave, lui dit Wiseman. De toute façon, il paraît clair que ce que nous cherchons se trouve derrière ces murs. Et quoi ce qu’il s’y trouve…
Wiseman alla à la fenêtre pour y scruter ces murs immenses.
-… cela ne m’inspire rien de bon.
Anima vint à ses côtés et regarda les autres, l’air grave.
-La… situation a pris le pire tournant que j’avais prévu, avoua-t-elle. J’aimerais pouvoir vous dire que si vous voulez tout abandonner, c’est maintenant. Vraiment. Mais si ce qu’on a appris est vrai, rien ne garantit que vous puissiez partir d’ici indemne.
-On s’en serait douté, oui, fit amèrement Ryô.
-Donc… si on peut pas repartir, autant finir le travail jusqu’au bout, non ? proposa Shylvia.
Evran soupira tandis qu’il essuyait son couteau sur les vêtements de celui qu’il venait de torturer.
-Bah, tant qu’à faire. On a un peu signé pour ça, faut dire, dit-il.
-S’ils restent, je reste aussi, déclara Karloff en faisant mine de caché sa peur évidente.
-Fort bien, fit Wiseman en souriant.
Anima regardait son escorte, attendant de voir ce qu’ils avaient décidé. Ce fut Ryô qui prit la parole :
-Comme l’a dit Evran, on a un peu signé pour ça, nous aussi. Et repartir sans compléter un contrat, ce n’est pas le genre des Ailes de Vanaheim, de toute façon.
-Merci. Et… pardonnez-moi.
Ces dernières paroles étaient destinées aux trois plus jeunes. Eux qui n’avaient pas osés parler ; eux qui tremblaient de peur mais qui suivirent tout de même le mouvement, pour ne pas paraître lâche. Eux qui, malgré leur âge, comprenait que s’il fuyait maintenant, il fuirait sans doute aussi les fois d’après. Pourtant, dans un coin de leurs esprits, ils se demandaient si c’était un si grand mal de fuir ? Si cela les gardait en vie…
-Je suppose qu’on va attendre la tombée de la nuit, fit Ryô.
-Après tout, c’est de nuit que les fêtes sont plus folles, déclara Evran en se forçant à sourire.
-D’ici là, reposons-nous. Puis, préparons-nous autant que possible. Cette nuit risque d’être longue…, déclara Anima.
L’obscurité commençait à prendre place. Deux ou trois villageois dressaient et allumaient quelques torches pour illuminer le village pendant la nuit, tandis que d’autres leur hurlaient dessus en disant qu’ils allaient attirer les choses, quand ils ne tentaient pas de les empêcher de les allumer.
-Chaque soir, c’est la même chose, maugréa la vieille bossue. Vous allez vraiment y aller ?
Tout le monde vérifiait une dernière fois son équipement, comme Karloff qui resserrait les sangles de son bouclier ou Shylvia qui enfilait ses gants avant de sélectionner les cristaux dont elle aurait besoin.
Pendant que Mikazuki ajustait une nouvelle fois ses cestes et son nenju, elle voyait Zimmer manipuler nerveusement son couteau et Celer se taillait des flèches supplémentaires, avec des branches qu’elle avait récupéré à l’extérieur, toujours en fixant les pointes. Mais celui qui l’inquiétait vraiment, c’était Ryô. Il restait dans un coin, se tenant fréquemment la tête en grognant de douleur, et n’avait presque pas parlé à quiconque depuis un bon moment. De plus, il buvait son remède bien plus souvent qu’à l’accoutumé…
-Là ! Là ! Elles sont là ! Elles sont apparues ! s’écria la vieille bossue toujours devant la fenêtre.
Wiseman et Anima accoururent pour voir et elle disait vrai. D’ici, ils pouvaient voir que de grandes portes étaient apparus sur une partie de ces murs, où elles étaient absentes il y a encore quelques minutes.
-Jeune gens ! s’écria Wiseman. Notre invitation vient d’arriver ! Il est temps pour nous de nous mettre en route !
-On dirait presque que ça lui fait plaisir, à ce vieux fou…, marmonna Zimmer à ses coéquipiers.
-Je suis peut-être vieux mais j’ai encore des bonnes oreilles, jeune homme !
La situation parvint à arracher un petit sourire aux autres.
Le hurlement d’un loup déchira la nuit. De grands bruits sourds provinrent des portes. Ces dernières commencèrent à s’ouvrir lentement.
Ryô quitta son coin et rejoignit les autres, se tenant toujours la tête.
-Tout va bien ? demanda Mikazuki, inquiète.
-Oui, assura-t-il.
Ce qui était clairement faux. Il avait la sensation qu’on plantait mille et un couteaux dans son cerveau et que quelqu’un s’amusait à les remuer un par un, par pur plaisir sadique.
Son regard croisa celui de Shylvia, qui se tint brièvement la tête en grimaçant de douleur. Comme lui. Mais l’un comme l’autre, d’un simple bref échange de regard, se mirent d’accord pour ne rien dire aux autres.
-Prêt ? demanda Evran en posant sa main sur la poignée de la porte.
Un par un, tous lui firent signe de la tête pour répondre à l’affirmative.
-Bonne chance à vous, leur dit la vieille bossue en serrant contre elle les filles qu’ils avaient sauvées. Nous prierons pour votre retour…
Evran ouvrit la porte. Karloff sortit en premier, bouclier dressé en avant et main serrant fortement sa masse d’armes. Après qu’il ait confirmé que la voie paraissait libre, les autres sortirent un à un. Ils adoptèrent la formation convenue : Anima, Shylvia, Celer et Wiseman au centre, Karloff devant, Zimmer et Evran sur les flancs et enfin, Ryô et Mikazuki couvriraient les arrières.
Pendant leur avancée, entre deux hurlements de loups à glacer le sang, ils entendirent des cris provenant de diverses maisons : des cris terreurs ou de démence, des insultes, des supplications… De la part de tout type de villageois, femmes comme enfants, jeunes comme plus vieux. Comme convenu, le groupe ne s’arrêta pas et continua d’avancer, tout en faisant de leur mieux pour faire fi de ce qu’ils entendaient…
Il ne leur fallut pas longtemps avant de faire face à ces portes grandes ouvertes, d’où s’échappait une fine brume blanchâtre et des bruits aussi étranges qu’inquiétants.
Des grognements. Ils entendaient des grognements. Aussi bien venant de derrière les portes que de derrière eux.
Lentement, Mikazuki se retourna. Se montrant à la lueur des torches, elle vit des loups se rapprocher lentement et en montrant les crocs.
-Heu… Tout le monde…
Tous se retournèrent pour voir la meute s’avancer vers eux.
-Ils doivent venir des bois, dit Celer en attrapant une flèche dans son carquois.
-Mais les loups n’attaquent pas les gens, si ? demanda Zimmer, inquiet.
-Sauf si on les provoque ou s’ils estiment qu’on envahit leur territoire. Mais à en juger par leur attitude…
Les loups n’étaient à présent plus qu’à quelques foulées du groupe. Ils n’attaquèrent pas mais continuaient à les fixer tout en leur grognant dessus de manière menaçante. L’un d’eux, un peu plus grand que l’autre, s’approcha encore plus, si bien qu’il lui aurait suffit d’un bond pour saisir facilement à la gorge sa proie. Les jambes de Mikazuki tremblaient et elle avait l’impression qu’elles seraient prêtes à se dérober à n’importe quel moment. Si l’animal décidait de passer à l’attaque, elle était convaincue qu’elle y resterait !
-Allons, allons. Pourquoi as-tu peur de si belles créatures, enfin ?
Cette voix… C’était sa voix… La voix de cette femme qu’elle entendait dans ses rêves.
Brusquement, Mikazuki la vit apparaître de nulle part à ses côtés. C’était elle ! C’était bien elle ! Vêtue de son kimono d’un blanc immaculé, sa chevelure pâle… C’était bien la femme de ses rêves !
-Vous ! s’écria Mikazuki.
-Mika ? Qu’est-ce qui te prend ? lui demanda Zimmer.
-Hein ?
-À qui tu parles ?
-Mais enfin ! Je parle à…
Elle pointait l’endroit où la femme se trouvait mais elle vit dans leurs yeux qu’eux ne la voyait pas. Comment cela se faisait-il ? Devenait-elle folle ?
Les grognements des loups l’extirpèrent de ses pensées. Elle voyait toujours la femme, qui était en train de contempler ces animaux sauvages.
-Ne sont-ils pas adorables ? dit la femme avec un sourire.
-Non, pas vraiment, je trouve…
-Si, je t’assure, Mikazuki ! Et ils peuvent être très doux.
-Je doute que…
-Mikazuki, crois-moi.
-Pourquoi je ferai ça ?
-N’aie pas peur. Je vais te guider… Tends-leur la main.
-Mais…
-Mika ! Bon sang, à qui tu parles !? cria Zimmer, les nerfs à vifs.
Même Ryô la regardait comme si elle avait commencé à perdre l’esprit. Pourtant, Mikazuki continua d’écouter cette femme :
-Tends-ta main vers le plus grand. Celle entourée par ton nenju.
-Ce n’est pas mon… Mais il…
-Il ne te fera rien, tant que tu le fais doucement.
Mikazuki commença à se demander si, finalement, elle ne devenait pas folle à écouter une femme qu’elle était la seule à voir et à entendre. Néanmoins, elle lui obéit. Quelque chose la poussait à lui faire confiance…
Lentement et fébrilement, elle approcha sa main entourée de son nenju. Le loup qui lui faisait face grogna de plus belle, ses poils se hérissaient et il reculait la tête.
-Là, là… Du calme.
Accompagnant le geste de Mikazuki, la femme posa sa main sur celle de la jeune. Elle était chaleureuse… Lentement, elles posèrent ensemble leur main sur le museau de l’animal. Ce dernier grogna toujours, mais moins fort. Lentement, elles lui caressèrent le museau. L’animal cessa peu à peu de grogner et ses poils s’aplatirent.
-Bien, brave bête.
La femme guida la main de Mikazuki pour lui faire caresser et gratter le cou du loup, qui se mit surprenamment à remuer légèrement la queue en réaction. Sitôt cela fait, les autres loups cessèrent de grogner et fixaient tous, sans exception, cette jeune fille qui gratouillait l’alpha comme un bon chien.
-J’ai vu de nombreuses choses étonnantes dans ma longue vie. Mais ça…, fit Wiseman avec stupeur.
La surprise était totale pour tout le monde. Sauf pour Anima, qui fixait Mikazuki avec intérêt.
-Je n’aurais jamais cru cela possible, marmonna Mikazuki pour elle-même alors qu’elle continuait à caresser affectueusement le loup.
-Ils ont juste peur de ce qui arrive…
-Quoi ?
De nouveaux grognements se firent entendre du côté de la porte. Et sa source ne tarda pas à se montrer. Tous se retournèrent comme un seul homme. Les loups se remirent à grogner, dans la même direction.
Se déplaçant en meute, ils virent… On aurait dit des chiens. Des chiens grandement décharné, imposants et suintants un liquide visqueux blanc là où leurs muscles étaient exposés.
-Par tous les dieux ! s’exclama Karloff. Qu’est-ce que c’est que ça !?
Les loups grognèrent bien plus fort à la vue de ces horreurs, alors que ces dernières aboyaient sourdement. Bien vite, une silhouette rejoignit ces monstres aux allures de canidés. On aurait dit… Cela avait l’air humain mais c’était d’une maigreur effroyable ; n’avait que la peau sur les os sous ses vêtements en lambeau. Et ses yeux… Ses orbites étaient vides et on ne pouvait y contempler que la noirceur du vide. D’une main, il tenait une torche et de l’autre… une faucille comme celle qu’utilisait les fermiers dans les champs.
-Qu’est-ce que… ? commença Zimmer.
La chose d’apparence humaine poussa un cri rauque et ses « chiens » se mirent à s’agiter… avant d’accourir vers eux !
-Attention !
Karloff fit barrage et l’un de ces chiens sauta sur son bouclier, usant de son poids pour lui faire perdre l’équilibre et le faire tomber. Alors que les autres le contournait pour s’en prendre au reste du groupe, Celer décocha une flèche qui se planta entre les yeux d’une de ces choses.
Les loups grognèrent de plus belle et lorsque l’alpha poussa un aboiement, sa meute se lança à l’attaque des chiens, ignorant complètement les humains et l’elfe. L’humanoïde aux portes poussa un nouveau, qu’on devinait de rage.
-Profitons-en ! cria Ryô. Passez les portes, vite !
Tous ensemble, ils coururent en direction de la chose. Evran libéra au passage Karloff en enfonçant de toutes ses forces l’une de ses couteaux dans la gorge, avant de le relever pour qu’il puisse courir aussi. La chose sur leur chemin les attaqua avec sa faucille dans des mouvements amples et grossiers, mais il fut aisément terrassé par Shylvia, qui le transperça avec son épée, sans arrêter sa course. Ils passèrent rapidement les portes pour déboucher sur un long pont en pierre. Sans ralentir, ils poursuivirent leur course sans faire plus attention au vide sous ce pont. Mikazuki jeta un regard en arrière. Les cris des loups semblaient s’être déjà évanouis…
Au bout du pont, tout le monde s’arrêta et ce qu’ils virent les laissèrent tous sans voix.
Sous les rayons d’une belle pleine lune posée sur un ciel sans étoiles…
Quelles étaient les chances que ces tunnels les conduisent vers un semblant de civilisation ?
Quelles étaient les chances qu'ils trouvent, comme perdu dans ce monde, une ville ?
Une ville semblant déserte de toute vie depuis fort longtemps mais dont les bâtisses n'avaient que peu soufferts des affres du temps. Leur taille n'avait rien à envier aux villes modernes de cette époque. Leur architecture semblait sortir d'un autre monde, ne trouvant nulles comparaisons avec ce qui existaient dans tout le royaume de Pendragon. Mais s'il fallait faire absolument un parallèle, Anima et Wiseman eurent une pensée pour les rumeurs qu'ils avaient perçus, à propos de l'architecture de l'Empire de Nibel et de ses fameuses tours qui donnaient l'impression qu'elles grattaient le ciel.
Une ville immense était là, dressée devant eux et semblant les accueillir à bras ouverts.
En la voyant, Ryô et Shylvia furent pris d’un mal de tête fulgurant. Suivi d’une impression étrange qu’ils ne purent s'ôter de l'esprit…
Directement dans leurs têtes, ils entendaient des murmures ; des voix audibles et suppliantes... Et des cris...
Alors qu’ils contemplaient cette architecture qui semblait venir d’un autre monde, un soudain son de cloche les surprirent. Au début, ils n’en entendirent qu’une mais bien vite, elles se multiplièrent, sonnant aux quatre coins de la ville de façon assourdissantes.
-Qu’est-ce qui se passe ?! hurla Karloff tentant de se boucher les oreilles.
Bien vite, les autres l’imitèrent mais les sons de cloches étaient bien trop fort pour espérer les bloquer en planquant simplement ses mains sur ses oreilles.
Peu après, Anima et Wiseman virent à l’horizon quelque chose qui leur éveillèrent une grande frayeur en eux : un mur de fumée sombre était apparu au loin et se dirigeait vers eux, engloutissant au passage la ville sous leurs yeux.
Devant cette vision, le groupe tenta tant bien que mal de fuir, mais les sons de cloches si fort perturbaient leur sens de l’équilibre et ils peinaient à tenir convenablement debout. Si bien cette fumée sombre les rattrapa et, dans des cris de peurs et de détresses, ils furent engloutis à l’intérieur. Mikazuki se sentit alors renversé puis ballotté violement. La main tendue alors qu’elle ne voyait plus rien dans cette obscurité vaporeuse, elle cria :
-Zimmer ! Celer ! Ryô ! RYÔ !!!
En réponse, elle n’entendit que ce qui semblait être le souffle du vent. Et une voix profonde d’une provenance inconnue :
Aux nouvelles âmes
Qui foulent la ville perdue de Lovham.
Puisse les Ténèbres vous étreindre
Ou voyez votre Flamme s’éteindre…
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