13. Lovham – VI : Pourchassé avant de plonger
--Je commence vraiment à en avoir marre ! marmonna Zimmer.
-Tais-toi et avance ! lui souffla Celer, en le poussant pour qu’ils puissent rejoindre les autres de l’autre côté de la rue au plus vite.
Le groupe poursuivait son avancée dans cette ville en prenant le plus de précautions possibles. Bien qu’ils croisassent moins d’Errants depuis un petit moment, ils préféraient se déplacer lentement mais sûrement.
-J’ai des remontées de mauvais souvenirs de ma vie à Kaldera : on ne fait que marcher et se faufiler comme des rats dans ces foutues rues, pesta Zimmer, après qu’ils se soient réfugiés dans une maison délabrée et vide.
-Et qu’est-ce que tu veux faire d’autre, crétin fini ! lui dit Celer. Revivre ce qui s’est passé dans ce cimetière ? Si tu veux mourir, vas-y tout seul !
-Quoi ? Répète un peu pour voir !
-Arrêtez, tous les deux !
Mikazuki dut s’interposer avant qu’ils n’en viennent aux mains. Zimmer et Celer se chamaillaient souvent, certes, mais jamais jusqu’à arriver au point d’en découdre physiquement. Lili se contentait d’observer cela avec une légère consternation, pendant qu’elle récupérait encore, et Anima montra une certaine indifférence à ce passait entre eux.
-Plus nous ferons des arrêts, plus nous nous mettons en danger, déclara-t-elle quand elle jugea que cette dispute s’éternisait.
Mikazuki pouvait comprendre, mais…
-Nous marchons à l’aveugle et nous ignorons où sont les autres, dit cette dernière. Ils courent peut-être un grand danger. Qui sait ce qui se terre d’autre dans cette ville…
Anima regarda la jeune fille, dont le visage ne cachait nullement sa sincère inquiétude pour les autres. Elle se mit alors à fixer le vide, en apparence sans raison, pendant un instant, puis, d’un pas décidé, elle se dirigea vers la porte de sortie.
-Reposez-vous. De mon côté, je vais explorer les environs. Si je ne suis pas de retour dans… disons deux heures, partez à la recherche des autres sans moi. Je me débrouillerai pour vous retrouver.
-Comment ? lui demanda Lili.
-J’ai de la ressource…
-Mais…, commença Mikazuki qui ne pensait pas que c’était une bonne idée de se séparer.
-Vous êtes trop faible pour continuer. En explorant seule, je passerais plus facilement inaperçu et je pourrais même définir un itinéraire. Et, avec de la chance, je pourrais dénicher quelques informations sur l’endroit.
Ce n’était pas dénué de sens, compte tenu de ce qui s’était passé dans le cimetière. Anima était assez puissante pour se débrouiller seule. C’était rageant mais il était vrai, qu’en l’état, les autres ne faisaient et ne feraient que la ralentir.
Elle se dirigea vers la porte et posa sa main sur la poignée. Elle semblait s’apprêter à l’ouvrir, lorsqu’elle stoppa subitement son geste et s’être plongé dans une réflexion. Elle lâcha la alors poignée et se dirigea lentement vers Mikazuki, tout en fouillant dans ses poches pour y sortir une sorte de pendentif incrusté d’une pierre précieuse d’un bleu profond.
-Tu peux me garder ça, en attendant que je revienne ? lui demanda-t-elle.
Sans attendre de réponse, elle prit la main de la jeune fille et lui donna le pendentif. Mikazuki fut sur le point de lui demander la raison de son geste, mais avant que le premier mot ne puisse être formulé, Anima lui dit ceci :
-C’est juste quelque chose qui me permettra de vous trouver rapidement. Ne le perds surtout pas.
Sur ces mots, elle quitta les lieux et ferma délicatement la porte derrière elle.
Deux heures de repos. Normalement, cela devrait être assez, s’ils restaient le plus discret possible. Malheureusement, cette maisonnette ne comptait qu’une chambre avec lit et pas vraiment de quoi en faire au moins un autre de fortune. Une chance que le lit puisse accueillir deux personnes, si elles se seraient un peu. Problème : qui allait en profiter ? Et surtout, qui accepterait de partager ce lit avec quelqu’un ? Zimmer se montra étrangement enthousiaste à l’idée, mais les filles lui firent comprendre presque instantanément que quoi qu’il puisse imager dans son esprit pervers, cela n’arriverait jamais avec elles, même dans ses rêves. Surtout pas dans ses rêves. Celer ajouta même que le sol lui conviendrait très bien. Mikazuki trouva cela excessivement méchant à dire, mais elle mit cela sur le compte de l’irritation provoquée par la fatigue. Après un tirage au sort entre elles, ce furent Lili et Mikazuki qui prirent le lit de la chambre, tandis que Zimmer alla se trouver un coin pour s’endormir contre le mur et que Celer prenait le premier tour de garde.
Après ce qu’ils avaient tous vécus, on aurait pu penser que Lili ou Mikazuki auraient eu du mal à trouver le sommeil. En vérité, ce fut totalement l’inverse. Autant d’émotions fortes les avaient toutes les deux épuisées et à peine Lili avait pris place dans le lit qu’elle s’endormit l’instant qui suivit. Mikazuki, de son côté, mit un peu plus de temps à plonger pour s’endormir à son tour. Elle eut une pensée pour les autres. Est-ce que Wiseman était aussi compétent qu’Anima pour se défendre seul ? Est-ce que Karloff, Shylvia et Evran étaient ensemble ? Et Sophie, Mikhail et Ryô ? Ses craintes étaient plus grandes pour eux. Elle espérait au fond de son cœur que tous étaient en sûreté et souhaita tous les retrouver, pour quitter cet endroit maudit. Elle adressa même une courte prière à l’attention de son nenju en espérant que son souhait se réalise. Qu’un tel geste ait une incidence ou non n’avait en soit pas d’importance. Tant que cela lui permettait de poursuivre…
Son sommeil ne fut cependant pas reposant. Bien au contraire. Alors qu’elle se sentait flotter et apaisé, quelque chose perturba son moment de paix et de tranquillité. Ce n’était pas un rêve. Du moins, ce n’était pas l’impression qu’elle eut. Peut-être n’était-ce vrai qu’à moitié. Ce dont elle était sûre, en revanche, c’était ce qu’elle avait ressenti : de la peur, de la colère, de la détresse… Un tourbillon d’émotions négatives, qui n’étaient pas les siennes, retournait son esprit dans tous les sens. Et s’il n’y avait que ça… Elle entendait également des voix, sans pouvoir en définir l’origine. Certaines lointaines, d’autres proches. Certaines audibles comme une foule hurlante, quand d’autres l’étaient à peine comme un isolé qui murmurait. Certaines parlaient de manières compréhensibles, d’autres moins. Sans parler de celles dont le langage lui paraissait cryptique. Tout cela combiné lui vrillait la tête, en plus de la rendre malade. Littéralement. Une véritable torture. Elle voulait que cela cesse. Elle suppliait que cela cesse !
Du calme, Mikazuki. Je suis là…
La voix de la femme en blanc. Elle eut un effet… apaisant. Les autres voix poussèrent des cris de rage, avant de se taire. Ou plutôt, c’était comme si elles étaient emportées au loin. La sensation d’une chaleur réconfortante l’envahit ensuite, comme lorsque sa mère l’aidait à se rendormir après avoir fait un cauchemar. C’était dans ce genre de moment qu’elle lui manquait le plus… Elle se retint de pleurer et tenta une nouvelle fois de se rendormir. Avec succès.
-Mika. Mika !
Quelqu’un la secoua, ce qui la réveilla. Lorsqu’elle ouvrit subitement les yeux, il vit le regard paniqué de Celer. Elle lui fit signe de ne pas faire de bruits et de se lever. Zimmer avait l’oreille collé à la porte pour écouter ce qui se passait derrière, son couteau à la main. Lili faisait face à la porte, la main sur la poignée de son épée, prête à combattre, alors que Celer et Mikazuki restait en arrière. Mikazuki avait plus ou moins récupéré en partie. Lili, pas assez, vu l’air fatigué qu’elle affichait. Quant à Celer, même si cela paraissait aller, elle ne pouvait pas faire grand-chose : elle n’avait plus de flèches et n’avait pas pris le temps de chercher de quoi en faire. Tout ce qu’elle avait pour se défendre, c’était son couteau de chasse.
Peu après, ils entendirent ce pourquoi ils avaient interrompu leur repos : des bruits de pas, agités qui plus est. Quelqu’un ou quelque chose était avec eux dans la maison. Zimmer leva son doigt à l’attention des filles, pour qu’elles conservent le silence. Les bruits se multiplièrent, en-dehors de la pièce. Zimmer garda son doigt levé, puis en leva un deuxième et un troisième. Mikazuki et Celer comprirent : au moins trois personnes. Peu après, ils entendirent une voix s’élever et purent entendre des bribes de ce qu’elle disait :
-…font ici ? … depuis des jours… NE ME DIS PAS DE ME CALMER !... s’enfuir… RIEN À FOUTRE DES AUTRES ! …ma peau…
Les cris les firent sursauter. Des gens. Normaux. Du moins, ils l’espéraient. Celui qui avait crié avait clairement peur. Mais de quoi ?
Il y eut un grondement sonore à l’extérieur, semblable à ce qu’on entendait lorsqu’un orage éclatait. D’autres voix s’élevèrent. Apparemment, ils se disputaient.
-On devrait signaler notre présence, non ? demanda Mikazuki.
-Ça va pas !? Ils ont l’air très agités, à cause de la peur, lui dit Celer. Ils pourraient s’en prendre à nous juste en apercevant le bout de nos nez…
-Dans ce cas… on pourrait tenter de s’enfuir par la fenêtre ?
-Elle est bloqué. J’ai essayé de l’ouvrir tout à l’heure, mais rien à faire, expliqua Zimmer.
-On fait quoi, alors ?
-On attends qu’ils s’en aillent, suggéra Lili. En priant pour qu’il ne pense pas à venir vérifier cette pièce…
-C’est bien les humains, ça, marmonna Celer. Prier pour tout et n’importe quoi…
Lili était sur le point de répliquer, mais Mikazuki leur lança un regard à chacune pour leur faire comprendre que le moment était mal choisi pour de commencer une dispute.
Un autre grondement de tonnerre se fit entendre. Les voix à l’extérieur se mirent à parler moins fort.
-Zimmer, tu entends ce qu’ils disent ? lui demanda Celer.
-À peine, répondit ce dernier en tentant de son mieux pour se concentrer. J’entends un mot ou deux par-ci, par là mais… Attends… « agité »… « Ténèbres »… « venir »… « Ils vont venir… »
Un nouveau grondement ! Non… Celui-ci était différent. Rien à voir avec le tonnerre. C’était plus bref et bien moins bruyant. Mais cela n’enleva en rien son aspect inquiétant.
-Hé ! fit Zimmer. Ça s’agite, de leur côté !
Les voix à l’extérieur s’élevèrent de nouveau. Les bruits de pas résonnèrent, au pas de course, comme s’il cherchait à s’enfuir. Ou à fuir... Soudain, de nouveau ce grondement aussi étrange qu’inquiétant ! Et des cris ! Le genre de cris que Mikazuki, Celer et Zimmer ne connaissaient que trop bien. Des cris de terreurs, des supplications, avant de finir sur de l’agonie. L’un de ces cris se rapprochait de la porte, le bois grinçant sous les pas précipités.
-Non, non, non, non ! souffla Zimmer qui mit tout son poids contre la porte pour empêcher celui qui accourait dans leur direction d’entrer.
Très vite, Lili eut la présence d’esprit de venir l’aider à pousser la porte. Mikazuki et Celer ne mirent pas longtemps à lui emboiter le pas pour faire de même.
-Non ! Pitié ! PITIÉ !
C’était la voix d’un homme et il n’était plus très loin de la porte. Les quatre espéraient qu’elle tiendrait bon, tandis qu’ils faisaient bloc. Il fallait qu’elle tienne bon ! Qu’importe qui ou quoi poursuivait cet homme, ça ne devait pas savoir qu’ils étaient ici aussi !
Ils entendirent ensuite un horrible cri et quelque chose de lourd tomber trop près de la porte. L’homme qui avait crié gémissait de douleur et implorait qu’on l’épargne. Peu après, ils entendirent d’autres bruits de pas avancer, différents de ceux qu’ils avaient entendus précédemment. Plus léger, comme si la personne, ou la chose, faisait en sorte de faire le moins de bruits possible en se déplaçant. Si le bois presque pourrissant du plancher n’avait pas été là, au son, il aurait impossible de savoir qu’il y avait une autre personne dans ce couloir. L’homme demandait toujours grâce, avant de se mettre à supplier de toutes ses forces, la force du désespoir, tandis que sa voix donnait l’impression qu’il se faisait emporter au loin, dans la maison. Durant tout ce temps, on entendit un long grincement, comme si quelque chose râpait le parquet en bois. Il cria encore, de toutes ses forces… avant qu’on ne l’entende plus et de laisser place à un silence assourdissant.
Personne dans la chambre n’osa parler ou bouger. Même respirer leur paraissait dangereux, dans cette situation.
-On devrait aller voir, non ? suggéra Lili.
-Vas-y alors ! lui dit sèchement Celer. On sera juste derrière toi…
-C’est pas le moment ! coupa Mikazuki, alors qu’elle se frayait un chemin pour venir saisir la poignée de la porte et la tourner le plus délicatement et le lentement possible pour éviter de faire un excédent du bruit.
Avec prudence, elle poussa la porte pour l’ouvrir. Le grincement que cette dernière provoqua fit battre leurs cœurs si fort qu’ils menaçaient de sortir de leurs poitrines tous en même temps. Ils virent une traînée de sang partant de devant la porte et de légères traces de griffures sur le parquet. Visiblement, l’homme avait tenté de s’accrocher à quelque chose pour ne pas se faire emporter et par désespoir de cause, il avait sans doute tenté de s’agripper au sol. Malheureusement pour lui, il semblait qu’il n’ait réussi qu’à marquer ledit sol. Le tout se dirigeait plus en avant dans la maison. Toujours en ouvrant la marche, d’un pas tout sauf assuré, Mikazuki suivit la traînée pour découvrir ce qui s’était passé et, dans un espoir fou, peut-être sauver l’homme blessé.
La traînée de sang les emmena jusqu’à la porte d’entrée, grande ouverte. Dehors, il y avait de l’agitation. Mikazuki, la plus proche de la porte, se risqua à aller jeter un œil, tout en restant dissimulée.
En pleine rue, de grandes et fines silhouettes encapuchonnées, avec un armement divers allant du simple couteau à un modèle d’arbalète singulier. Certains possédaient même des armes très atypiques que Mikazuki ne sauraient dire de quel genre il s’agissait. Ces gens ou ces choses finissaient de traîner des cadavres pour les entasser et y mettre feu. Des cadavres d’Errants, pour la plupart, mais aussi, chose étonnante, quelques humains. Elle crut apercevoir également un ou deux corps d’elfes. Certains étaient atrocement mutilés. L’un d’eux avait même la moitié de la tête qui avait été comme arrachée par un choc violent. Elle dut se retenir de pousser un cri d’effroi en plaquant ses deux mains sur sa bouche. Ou de vomir. Peut-être les deux.
Les silhouettes se mirent à converser entre elles. Mikazuki se rendit alors compte qu’elles ne parlaient pas la langue commune : elle ne reconnaissait aucune des sonorités propres à ladite langue. Les mots qu’elle entendaient et qu’elles prononçaient lui donnait l’impression d’un langage plutôt brutal.
Subitement, une voix plus forte tonna derrière ces silhouettes. Encore l’une d’elle. Mais celle-ci était différente. Un peu plus grande et ses doigts paraissaient un peu plus long. Dans ses mains, elle tenait une sorte d’arme faite de bois et de fer, à première vue. C’était étrange. L’arme possédait une crosse comme on pouvait en trouver sur une arbalète, mais là où il devrait y avoir l’arc et le reste du mécanisme, il y avait ce qui ressemblait être une longue « tige » de fer.
-Qu’est-ce que c’est que ça ? marmonna Mikazuki.
-On dirait une sorte de « bouche à feu » miniature portatif.
Lili, qui s’est décidé à se rapprocher, vint observer aux côtés de Mikazuki.
-Tu as déjà vu ce genre d’arme ? demanda cette dernière.
-Hm, j’ai entendu dire que dans la Coalition, ils développent, en collaboration avec les Nains venus avec l’ancienne colonie, des armes capables de cracher du feu et du métal. D’où leur surnom de « bouche à feu ». On raconte même qu’un inventeur nain travaillerait sur des modèles portatifs, basés sur les arquebuses. Tu sais, ces bâtons qui crachent du feu aussi, qu’on trouve à l’Est…
-Et ce serait ça, selon toi ?
-Aucune idée. De ce que j’ai réussi à apprendre, on ne parlait même pas de prototype. Et si ce genre d’arme était déjà commercialisé, crois bien que tout le monde en parlerait et que beaucoup de monde tenterait de s’en procurer.
-Alors, comment cette… chose a-t-elle pu mettre la main dessus ?
-Je n’en sais rien ! Je… Attention !
Mikazuki et Lili se planquèrent lorsqu’elles virent l’une de ces choses balayer du regard dans leur direction, avant de s’adresser aux autres dans leur langue étrange. Les quatre craignaient qu’ils n’aient été débusqués et craignirent le pire. Mikazuki se risqua tout de même à jeter une nouvelle fois un œil. Une chance pour eux, ces choses étaient toutes restés dans la rue et écoutèrent parler celle avec la « bouche à feu » portatif. Quelques instants plus tard, elles se séparèrent en groupe de deux et partirent dans une direction différente, sauf la plus grande, qui partit seule de son côté.
Par sûreté, les quatre attendirent encore un peu, pour être sûr qu’il n’y avait plus personne, puis se hâtèrent de quitter cette maison puis cette rue.
-Comme si on n’avait pas assez à faire avec les Errants ! grinça Zimmer.
-Vous avez vu, les gens qu’ils ont tués ? demanda Celer.
-Difficile de les rater !
-Non, mais ce que je veux dire… Il y avait des humains, parmi les cadavres.
-Et ? On est sensé ressentir quoi, en sachant ça ?
-Mais quel… ! D’après les villageois, les seules personnes qui sont entrées dans cette ville, en-dehors de nous, ce sont des gens de l’Église et l’Ordre.
-Où tu veux en venir ?
-… Je ne sais pas si je dois te trouver stupide ou désespérant… Est-ce que ces gens t’ont paru être de l’Église et de l’Ordre, sombre crétin ?!
-Hé ! Me traite pas de crétin ! Et… heu… non. Au mieux, on aurait dit des citadins. Au pire, des campagnards. Si on ne se fit qu’aux vêtements… Où tu veux en venir, à la fin ?
-Si ces gens ne sont pas de l’Église ou de l’Ordre… D’où viennent-ils ? Clairement pas du village, en tout cas ! Donc, on peut supposer que ce sont soit des locaux…
-… soit des gens qui, comme nous, sont piégés dans cette maudite ville. Et qui sait depuis combien de temps, finit Mikazuki.
-Enfin ! Quelqu’un qui réfléchit plus de deux minutes ! Je commençais à me sentir seule…
Ils se turent tous, perdus dans leurs pensées.
-Vous ne devriez pas rester à découvert comme ça.
-AAAAH !
La femme en blanc était de nouveau apparue et lui avait causé la frayeur de sa vie. Le cri de surprise de Mikazuki avait surpris les autres
-Quoi ? lui demanda Celer, la main sur son cœur qui battait aussi vite que celui d’un lapin apeuré.
-Non, rien. C’est juste… Non, rien. Désolée, désolée.
-Ne sois pas si surprise de m’entendre ou me voir, voyons.
-N’importe qui serait effrayé d’entendre une voix sortie de nulle part ! souffla Mikazuki à la femme en blanc.
-Hm, je pensais que tu serais habitué, maintenant.
-Qui s’habituerait si vite à parler à quelqu’un que personne d’autre que moi ne peut voir et entendre ?!
-Je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la question, avoua la femme avec une certaine légèreté.
Un grondement sonore fit sursauter le groupe. Celer pointa du doigt le ciel qui se couvrait de nuages aussi sombres que menaçants. D’autres grondements ne tardèrent pas suivre. Un orage semblait sur le point d’éclater.
-Ne restons pas là, fit Celer. Trouvons un abri.
-Et Anima ? demanda Mikazuki.
-Mika, tu as bien vu qu’on ne peut pas rester dans le coin ! Ces choses rôdent toujours et elles sont clairement dangereuses ! Et puis, regarde-nous ! On n’est pas vraiment en état de se battre, pour l’instant. Le mieux qu’on puisse faire, pour notre sécurité, est de s’éloigner le plus possible. Et de toute façon, Anima a bien dit qu’elle nous retrouverait si on partait, non ?
Mikazuki hocha la tête pour approuver, à contrecœur. Cela ne lui paraissait pas convenable de partir ainsi, sans Anima, sans tenter de trouver un moyen de lui indiquer, d’une manière ou d’une autre, dans quelle direction ils partaient. Quand bien même celle-ci avait assurée qu’elle les retrouverait.
Mikazuki tenta de se rassurer en se persuadant qu’une femme comme elle avait de la ressource et que trop s’en faire pour elle ne servait à rien. Elle tenta.
-Bon, fit Zimmer, où est-ce qu’on… ?
Soudainement, quelque chose passa rapidement devant ses yeux, ce qui le fit sursauter.
Un carreau. Un carreau d’arbalètes avait filé devant lui pour rebondir sur un mur et tomber au sol. Ils tournèrent la tête pour apercevoir l’une de ces choses encapuchonnées au bout de la ruelle, pointant son arbalète dans leur direction.
-Merde ! s’écria Zimmer.
La chose se mit alors à crier, sans doute pour alerter les autres de sa découverte.
-COUREZ !
Qu’importe qui avait dit ça, les quatre se mirent à détaller dans les ruelles. Bien vite, derrière eux, des cris inhumains ne tardèrent pas les talonner et d’autres carreaux se mirent à filer au-dessus de leurs têtes. Les choses encapuchonnées les pourchassaient comme des chasseurs face à leurs proies.
-Je déteste cette ville ! hurla Zimmer durant sa course.
-Arrête de parler et c… ! commença Celer.
À nouveau, ce grondement étrange ! Subitement, Celer chuta au sol, avant de rouler-bouler. Mikazuki se précipita vers elle et voulu la relever. Elle vit alors un trou ; une plaie béante au niveau de son épaule, comme si quelque chose l’avait traversé. Un autre cri inhumain. Elle se retourna, en levant la tête, vers la source de ce cri. Sur un toit à proximité, la chose plus grande que les autres avec son arme singulière. Mikazuki crut voir de la fumée s’échapper de la « tige » de l’arme, alors que la chose cherchait quelque chose dans une besace.
-Mika ! Bouge !
Les cris de Zimmer ramenèrent son attention dans la ruelle, où les choses encapuchonnées pointaient leurs arbalètes. Ils allaient tirer ! Elles ne devaient pas rester là ! Elle attrapa Celer et même si elle se doutait qu’à cause de sa blessure, elle souffrirait le martyr, elles allaient mourir en servant de cible facile ! L’instant d’après, elle les vit presser la détente, déclenchant l’envolée des carreaux. Mikazuki avait à peine relevé son amie à moitié que les carreaux avaient déjà parcouru la moitié de la distance qui les séparaient d’une mort certaine.
-NON !
Zimmer courut vers elles, les attrapa et les plaqua contre un mur pour les sauver in extremis. Les choses qui venaient de tiraient poussèrent des cris de rage, tandis qu’elles rechargeaient, alors que d’autres accouraient dans la direction du groupe.
-Courez ! hurla Lili.
Mikazuki, après avoir aidé Celer à se remettre debout, se remit à courir. Le groupe quitta la ruelle pour retourner en pleine rue. Lili, en tête, se précipita vers une maison et tenta de pénétrer en force à l’intérieur, espérant certainement s’en servir d’abri, mais sans succès. La course reprit alors, jusqu’à arriver sur une grande place faisant face à une grande église.
Les choses les talonnaient et avec une blessée avec eux, elles ne tarderaient pas à les rattraper. Cela semblait être la fin…
Des cris de panique s’élevèrent subitement derrière eux.
Ils se retournèrent alors, en ralentissant leur course. Les choses encapuchonnées s’étaient étrangement arrêtés juste avant de pénétrer la place. Sans raison apparente. Elles étaient plantées là, sans même lever leurs armes, et se mirent même à reculer avec prudence, comme si quelque chose dans cet endroit les effrayait. Même la chose qui les dirigeait, qui avaient rejoint les siens, n’osa pas s’approcher davantage. Sa tête se tourna alors vers le groupe. Ils ne pouvaient pas voir son visage ni son regard, mais ils le sentaient. Ils sentaient une rage frustrante émanée d’elle, encore plus lorsqu’elle poussa un cri à leur encontre.
-Ne restons pas là ! dit Lili en aidant Mikazuki à porter Celer.
En pressant le pas, ils se traînèrent jusqu’à l’église. Certaines de ces choses s’en étaient allés, d’autres s’étaient positionnées aux différents accès de la place, sans les quitter des yeux. Mais aucune ne se permise de s’aventurer plus.
-Tout ça ne me dit rien qui vaille, dit Mikazuki en les voyant si hésitant à les poursuivre. J’ai l’impression d’échapper aux loups pour mieux foncer tête baissée dans la gueule du dragon…
-Je pense la même chose…, confia Lili.
Pourtant, elle ouvrit les portes de la cathédrale et fut la première à pénétrer à l’intérieur, suivie rapidement des autres. Mikazuki fit s’asseoir Celer et jeta un dernier coup d’œil dehors, pour constater que les choses encapuchonnées ne voulaient vraiment pas les poursuivre, puis referma les portes.
-Je crois qu’on ne craint rien, pour l’instant, dit-elle.
-Génial… On va pouvoir s’occuper de ma blessure, alors ? demanda Zimmer.
-Quoi ?... ZIMMER !
Dans la panique et la confusion, les autres n’avaient pas remarqués le carreau profondément enfoncé dans le flanc du jeune homme, qui se laissa tomber sur les fesses sur le sol froid et poussiéreux. Lili et Mikazuki le trainèrent aux côtés de Celer et entamèrent les premiers soins avec ce qu’ils avaient, à savoir plus grand-chose. Manquant de bandages, ils durent déchirer des morceaux de tissus de leurs vêtements pour compenser. Lili connaissait également des sorts curatifs. Mais d’une part, ce n’était pas son domaine de prédilection et de l’autre, elle n’avait récupéré assez de force que pour atténuer en partie la douleur.
-Tu as très mal ? demanda Mikazuki à Celer.
-C’est dans ces moments que je regrette de ne pas avoir plus d’onguent ou d’herbes médicinales… Ou même un peu d’alcool. Maintenant que j’y pense, je n’y ai jamais goûté.
-Pareil. On changera ça en rentrant, alors.
-Ça marche.
Elle serra aussi fort que possible le pauvre morceau de tissu autour de la compresse de fortune pour arrêter le saignement. Ce n’était pas parfait mais elle allait devoir faire avec, le temps de trouver mieux. Du côté de Lili et Zimmer, qui gémissait de douleur :
-Serre un peu les dents ! lui dit Lili, irritée. Tu es un homme ou non ?
-J’aimerais bien t’y voir, moi !
-Oh, mais quel garçon douillet… Bon, attention. Ça va faire mal.
-Quoi ? Encore plus que main-PUTAINDEBORDELDEMERDE !!
Lili avait arraché d’un coup le carreau enfoncé dans le flanc de Zimmer, sans le prévenir, et se dépêcha de bander la blessure pour empêcher qu’il ne perde plus de sang. Ensuite, elle apposa sa main sur la blessure, tandis qu’elle tenait les mèches blanches nouées qui lui servait d’amulette dans l’autre. Une légère lueur entoura sa main posée durant une seconde et Zimmer se mit à moins grimacer de douleur. Là aussi, ce n’était pas parfait mais elle ne pouvait pas faire mieux.
-Désolée de te dire ça, mais tu vas devoir tenir bon jusqu’à ce qu’on trouve mieux pour te soigner, lui dit-elle en toute franchise.
-D’accord. Je dirais à mon sang de pas se faire la malle entretemps, alors...
-C’est bon signe, si tu as encore la force de plaisanter…
Celer, avec l’aide Mikazuki, se releva difficilement. Affaiblit, Zimmer ne pouvait pas marcher seul et devait prendre appui sur Lili.
Ce fut ainsi qu’ils débutèrent l’exploration de cette église. À l’inverse des bâtiments qu’ils avaient visités, l’endroit était dans un relatif bon état de conservation. Si on faisait abstraction de la poussière qui se soulevait à chaque pas, les murs étaient en bonne état, les vitraux et les bancs semblaient comme neufs et les différentes statues, bien qu’inquiétante, ne semblaient pas avoir souffert des effets du temps. Mais ce qui les frappa vraiment fut l’autel dressé… couvert de bougies allumées et d’offrandes diverses, de la vulgaire babiole à la nourriture. Fraîche.
-Il y a eu des gens, ici. Récemment, dit Lili.
-Mais est-ce que c’est une bonne ou une mauvaise chose ? demanda Celer, un peu pâle.
Personne ne se risqua à donner une réponse qu’on jugerait trop hâtive et l’exploration se poursuivit. Mikazuki trouva une porte menant au sous-sol, tandis que Lili en trouva une qui devait mener au quartier du prêtre ou quelque chose comme ça. Malheureusement, cette porte refusait de s’ouvrir, à l’inverse de celle qui menait au sous-sol.
-Pourquoi j’ai l’impression qu’il va encore nous arriver une tuile ? demanda Zimmer avec un certain agacement dans sa voix.
-Si tu veux, on peut toujours attendre ici que tu te vides de ton sang ou que ces trucs dehors décident de finalement de faire fi de leurs craintes et de venir finir le travail, lui dit Lili.
-Personnellement, je m’en passerai…, fit Celer, la main posée sur sa récente blessure.
-Je dis juste que je le sens pas, c’est tout ! poursuivit Zimmer en fixant l’escalier derrière la porte menant à une obscurité peu rassurante.
-On prend note de tes inquiétudes, lui dit Lili tout en commençant à descendre les marches avec lui.
Mikazuki et Celer emboitèrent le pas et ils descendirent tous au sous-sol. Ce dernier était faiblement éclairé par quelques torches, en moins bon état que le reste à l’étage. Leur présence montrait que quelqu’un était passé par ici et récemment. Était-ce une bonne ou une mauvaise chose restait à déterminer… Et aussi, bien qu’on ne les vît pas, on entendait distinctement des rats couiner dans les coins. Ce qui fit frissonner de terreur et de dégoût Mikazuki.
-Tant qu’ils restent loin de nous et dans le noir…, marmonna-t-elle pour se rassurer.
Elle et Lili attrapèrent chacune une torche. Autant pour éclairer les coins les plus sombres que pour se rassurer avec de la lumière et un peu de chaleur.
-Jusqu’où ça s’étend, à votre avis ? demanda Celer.
-Qui sait ? Après tout ce qu’on a vu, je m’attends à tout, fit Zimmer. Même à des rats géants, tiens !
-AAAH ! Parle pas de ça ! s’écria Mikazuki avec une voix suraiguë.
-Heu… D’accord… Mais pourquoi ?
-Mika déteste les rats, expliqua Celer.
-Vraiment ? Pourquoi j’étais le seul à pas savoir ?
-Parce qu’elle ne l’a dit qu’à moi, une personne de confiance.
En vérité, Sophie et Ryô aussi étaient au courant, mais Mikazuki pensa qu’il valait mieux garder ça pour elle, vu à quel point Celer pouvait parfois nourrir une certaine animosité envers Sophie, rien qu’à l’évocation de son nom.
-Allons-y, dit Lili. Et faîtes attention où vous mettez les pieds. Surtout s’il y a des rats…
Mikazuki se serait bien passer de cette nouvelle évocation des rats, alors qu’elle faisait une grimace disgracieuse.
-Alors, tu n’aimes toujours pas les rats, à ce que je vois...
-AAAAAAAAAH !
Les autres sursautèrent et se tournèrent vers elle.
-Quoi !? firent les trois en chœur.
-Pardon… Juste… heu… juste un rat que j’ai cru voir passer rapidement.
Ils soupirèrent de soulagement et reprirent la marche. Celer commença même à marcher seule. Pendant ce temps, Mikazuki fusillait du regard la femme en blanc, qui venait encore d’apparaître sans crier gare.
-Quoi ? demanda cette dernière comme si elle ne s’était pas rendu compte de ce qu’elle avait fait.
-Arrête de faire ça ! dit Mikazuki à voix basse tout en marchant. Mon cœur ne tiendra pas, dans cette situation, et c’est vraiment… chiant !
-Oh ! Une telle vulgarité qui sort de ta bouche ! Les bras m’en tombent…
-Ne te moque pas de moi ! C’est vraiment pas le moment !
-Tu es trop tendue, Mikazuki. Et ce n’est jamais bon, quel que soit la situation.
-Si seulement je n’étais que tendue…
Elle frotta alors son avant-bras avec sa main libre.
-Tu as peur aussi.
Mikazuki ne confirma pas, mais ne nia pas non plus.
-Ne t’en fais pas. Je reste avec toi. Toujours.
La jeune fille hocha la tête, en partie rassurée. Si elle avait pu, elle aurait tenu la main de la femme en blanc. Quel dommage que cette dernière était intangible…
Ils prirent leur temps pour fouiller le sous-sol. Rien. En-dehors d’un peu de mobilier et la présence de rats, qui filaient à toute allure dès qu’ils entraient dans le champ de vision de l’une des personnes qui tenait la torche. Le sous-sol était vide.
-On peut remonter, maintenant ? supplia Mikazuki qui luttait intérieurement pour ne pas céder à la panique chaque fois qu’elle apercevait l’un de ces rongeurs. On peut tenter d’ouvrir l’autre porte à l’étage, non ?
-D’accord, approuva Lili. Clairement, il n’y a rien ici…
-Merci…
-Hé, attendez ! cria Celer.
Cette dernière inspectait une imposante armoire. Elle passait ses doigts fins sur toutes les faces du meuble, oreilles tendues.
-Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda Zimmer.
-Je suis pas sûre mais…
Elle arrêta aussitôt sa main puis vint pousser le meuble, qui bougea un peu. Lili vint alors l’aider et ensemble, elles le décalèrent, pour dévoiler un trou assez grand dans le mur, ainsi qu’une échelle qui les emmenait plus profondément sous terre.
-Pourquoi ça ressemble de plus en plus à ces histoires qu’on se raconte autour du feu, le soir, pour se faire peur ? fit remarquer Zimmer, qui tirait une tronche qui disait qu’il aimerait être ailleurs.
-Vous vous racontez ce genre d’histoires ? leur demanda Lili avec une grimace mêlant à la fois surprise et dégoût.
-Comme beaucoup de monde, lui répondit Celer en lui prenant la torche des mains pour mieux inspecter le trou.
-Vous ne faîtes pas ça, dans l’Ordre ? lui demanda Mikazuki.
-Pas du tout !
-Vous faîtes quoi, alors ? demanda Zimmer. Tu vas pas me dire que vous récitez des prières ou des trucs comme ça. Si ?
Lili le foudroya du regard mais consentit à lui répondre, avec une certaine fierté :
-Si tu veux tout savoir, nous autres, dans l’Ordre, quand nous établissons un camp, pour passer le temps, il nous arrive de discuter, de chanter et de rire. Il nous arrive aussi de nous raconter des histoires, mais il s’agit de contes et légendes épiques, où la moralité, la bravoure et la ténacité sont les…
-Ouais, ouais. J’ai compris. Pas d’histoires d’horreurs. Pas la peine de t’éterniser sur ta réponse et de faire la fière, aussi.
-De toute façon, je ne comprends pas qu’on puisse raconter ce genre d’histoire atroce. Ni même pourquoi on les invente.
-Parce que c’est marrant de se faire peur ? De temps en temps.
-Je ne vois pas en quoi éprouver de la peur peut être amusant. Depuis que nous sommes ici, tu t’amuses, peut-être ?
-Non. Et ça n’a rien à voir avec…
-Tu sais quoi ? Ce genre d’histoire n’est bon que pour des dég…
-Est-ce qu’on peut revenir à nos problèmes actuels ? Merci ! coupa Celer, qui voulait juste qu’ils se taisent.
Les deux se turent alors, mais il apparaissait clairement que cette discussion n’était pas terminée.
-On va vraiment descendre ? demanda Zimmer. On pourrait pas juste… attendre Anima ou quelqu’un d’autre ?
-Et combien de temps ? lui demanda Celer. On s’est bien éloigné de notre point d’origine et rien ne dit que ces trucs dehors ne vont pas finalement prendre d’assaut l’endroit ou que d’autres Errants vont venir se joindre à la fête.
-Et même si on attend, poursuivit Lili, on n’a pas d’eau ni de nourriture. Ce sont les autres qui les ont. On sera peut-être mort de soif ou de faim, si on compte uniquement sur l’éventualité qu’on nous trouve.
-Sauf si on se penche sur la solution du cannibalisme…
Les trois autres pâlirent et fixèrent Celer avec un grand étonnement, tandis que cette dernière avait la main posée sur sa tête et grimaçait de douleur.
-… Je plaisante.
Ils n’étaient pas sûr de cela, surtout parce qu’elle avait conservé un air sérieux en le disant…
-Plus sérieusement, voilà nos options : on attend dans cette église une aide qui n’arrivera peut-être pas ou on tente notre chance pour se sauver nous-même en quittant cette maudite ville.
Mikazuki fut surprise par ces dires. Elle fixa Celer et s’approcha lentement d’elle :
-Attends… Et pour les autres ?
-Oh, pour l’amour de… Mika ! Tu es stupide !?
L’étonnement se dessina alors sur le visage de Mikazuki. Et sur celui de Zimmer aussi. De mémoire, jamais Celer ne s’était permise d’insulter Mikazuki. Jamais.
-Tu as bien vu ce qu’il y a dans cette ville ! poursuivit Celer en haussant le ton. Ils doivent être mort ! Anima ! Wiseman ! Evran ! Karloff ! Shylvia ! Mikhail ! Cette conne de Sophie ! Et ton Ryô…
De nouveau, elle se tint la tête en affichant un visage peint par la douleur. Les autres aussi ressentirent une douleur à la tête, allant du picotement, comme pour Mikazuki, au vrillement, dans le cas de Celer.
-D’ailleurs ! Je n’ai jamais compris pourquoi tu es toujours avec lui. Depuis que j’ai rejoint la troupe, je me pose la question…
-Celer, arrête…, lui dit Zimmer tout en faisant en sorte de se placer entre elles.
Mais cette dernière l’ignora
-T’es quoi, pour lui ? Une confidente ? Non, je ne crois pas… Vous avez l’air bien plus proche que ça… Oh, mais c’est peut-être…
Mikazuki n’en croyait pas ses oreilles ni ses yeux. Le visage de son amie, lorsqu’elle prononçait ces paroles… Il était méconnaissable. Elle n’aurait pas su dire s’il s’agissait juste de colère ou s’il n’y avait pas autre chose derrière.
-L’Elfe…, commença Lili. Je ne sais pas de qui tu parles. Mais même moi, je vois que tu commences à aller trop loin…
-Toi, la fanatique de l’Ordre, je t’ai pas sonné ! Alors, tu la fermAaaaAAAaaAAah !
Celer lâcha sa torche pour tenir sa tête à deux mains, son mal semblant se renforcer. Pas que chez elle, d’ailleurs. La douleur s’accrut chez les autres aussi. Chez Mikazuki, cela avait muté en une sensation qu’on lui donnait des coups de poings sur la tête, la faisant tituber et gémir de douleur. Pour Lili et Zimmer, celle-ci était telle qu’elle les mit à genoux. Quant à Celer… elle était à deux doigts de se rouler par terre en hurlant pour exprimer cette souffrance qui l’assaillait de nul part. Tout cela se déroula pendant quelques secondes, avant qu’ils ne se mettent tous à haleter. Ils s’échangèrent ensuite des regards, chacun se demandant ce qui avait bien pu provoquer cela…
-Ça va paraître bizarre mais merde ! Il faut que je pose la question, fit Lili. Depuis que vous êtes dans ville… Est-ce que vous ressentez des maux de tête réguliers ?
Zimmer et Lili la regardèrent avec étonnement, avant de se regarder entre eux, confus.
-Je… Moi, oui, répondit Zimmer. Mais… juste de temps en temps. Comme si je recevais un coup.
Celer baissa la tête, fixant le sol, les yeux écarquillés.
-Moi aussi, dit-elle. Depuis le début. En permanence. J’ai l’impression que mon crâne va exploser.
Les deux regardèrent alors Lili, qui se tenait la tête, en disant :
-J’ai une petite douleur constante à l’arrière du crâne, moi aussi. Mais elle augmente par moment…
Plus que de l’inquiétude, de la peur commençait à naître, qu’elle soit fondée ou pas. Les regards se tournèrent alors vers Mikazuki :
-Je… n’ai rien de tout ça.
-Quoi ? fit Celer, qui paraissait incrédule.
-Je veux dire… Je n’avais rien, jusqu’à maintenant.
-Rien, avant ce qui vient de se passer ? lui demanda Lili.
-Non, rien. Vraiment, assura Mikazuki.
-Et la douleur ? À quel point était-elle forte ?
-Je… j’avais l’impression qu’on me donnait des coups très léger sur la tête.
-C’est tout ?! s’indigna Celer, comme si cette situation lui paraissait injuste.
-Celer ?
L’elfe ne dit rien, mais son visage trahissait ce qu’elle pensait sur cette situation anormale. Ce qui l’était et personne ne remit ça en doute. Mais alors que Lili était sur le point de poursuivre cette conversation, Celer, sans consulter les autres, se dirigea vers l’échelle et glissa le long de cette dernière.
-CELER !
Mikazuki accourut pour la rattraper mais trop tard. L’elfe avait disparu dans ces Ténèbres inquiétantes.
-Il faut qu’on la rattrape !
Elle attrapa alors l’une des torches et descendit l’échelle à son tour. Alors qu’elle descendait avec prudence, elle entendait pester Zimmer, qui la suivit. En levant la tête, elle vit la lumière de l’autre torche, ainsi que Lili qui fermait la marche. Pendant la descente, Mikazuki cria le nom de Celer. Pas de réponses. Elle persista à l’appeler, mais n’eut comme réponse qu’un léger écho…
L’échelle les mena dans ce qui apparaissait être les égouts, à la vue de l’humidité ambiante. Et de l’odeur. Et des rats qui s’y promenaient tranquillement.
-Où qu’on aille, j’ai l’impression que les égouts ont tous, sans exception, la même odeur, commenta Zimmer, sa main couvrant sa bouche et son nez.
-Tu as oublié les égouts de Dernell ? demanda Mikazuki.
-On s’était promis qu’on n’en reparlerait plus jamais…
Le tunnel dans lequel ils se trouvaient était plongé dans le noir, impossible de voir ce qu’il y avait au loin sans lumière. Mikazuki appela de nouveau Celer et n’eut que pour seule réponse un léger écho.
-Où est-ce qu’elle est partie ? marmonna-t-elle avec inquiétude.
-Comme si on n’avait pas déjà assez de problèmes comme ça…, ajouta Zimmer, tout aussi inquiet.
Une fois Lili descendue de l’échelle, elle demanda aux autres s’ils voyaient quelque chose qui pourrait leur indiquer dans quelle direction Celer serait partie. Ils examinèrent tout ce qui se trouvait près de l’échelle, mais ils ne trouvèrent qu’un sol couvert de crasse et de déchets en tout genre. Mais ce fut en s’éloignant un peu que Mikazuki crut voir quelque chose au sol. Elle rapprocha sa torche pour avoir plus de lumière et il n’y avait plus de doutes possibles : c’était une empreinte, faite dans un amas boueux nauséabond. Du moins, ça avait l’apparence de la boue…
-Venez voir ! J’ai trouvé une empreinte !
Les deux autres la rejoignirent aussitôt, pour constater eux-mêmes. À y regarder de plus près, il y avait en vérité plusieurs empreintes partir dans une direction. Lili montra beaucoup de réticence à se lancer à la poursuite de Celer dans ces conditions. Mais elle céda face à l’insistance de Zimmer et surtout celle de Mikazuki, Cette dernière ouvrit alors la voie et marcha dans la même direction que les empreintes de pas. Son inquiétude pour son amie ne fit que croître. Cette dernière n’était pas dans son état normal et qui sait ce qui pouvait lui arriver. Cette ville abritait son lot d’horreurs et quelque chose lui disait qu’ils n’en n’avaient eu qu’un aperçu. Cela ne fit que renforcer sa détermination mais peut-être aussi baisser sa vigilance, vue qu’elle accéléra le pas en appelant Celer d’une voix forte.
-Hé ! Moins fort ! lui dit Lili, qui fermait la marche. On ne sait pas sur quoi on pourrait tomber, ici !
Mikazuki n’écoutait pas et continuait à avancer rapidement. Son attention ne se portait que sur les quelques traces du passage d’une personne, qui se faisait moindre au fur et à mesure. Si bien que l’inquiétude se transforma en détresse et la détresse se changea alors en peur. Peur qu’il lui soit arrivé quelque chose. Il fallait se hâter ; faire vite…
Mikazuki…
Qui sait ce qui pouvait lui arriver ? Elle était seule, avec peu de choses pour se défendre…
Mikazuki.
En plus, elle était blessée ! Les premiers soins n’étaient que superficiels ! Et si ses blessures se rouvraient !?
Mikazuki !
La trouver. La trouver. Ne pas penser à autre chose. Se concentrer sur Celer. Uniquement sur Celer. Celer, Celer, Celer…
MIKAZUKI !
Mikazuki s’arrêta subitement lorsqu’elle vit apparaître devant elle la femme en blanc, qui faisait mine de lui barrer le chemin. Un réflexe. Elle avait oublié, l’espace d’un instant, qu’elle était intangible et qu’elle aurait pu la traverser comme si de rien n’était. Mais le fait qu’elle ait crié et son apparition soudaine avait été suffisante pour que la jeune fille s’arrête.
-Mika ?
Il sursauta légèrement et se retourna vers Zimmer.
-Qu’est-ce qu’il y a ? Tu t’es arrêté comme ça, sans raison.
-Je…
Elle se tourna vers l’endroit où se tenait la femme en blanc, mais cette dernière avait disparue, une nouvelle fois.
-Non, rien… Continuons.
Ils se remirent en marche, la prudence en plus, au grand soulagement de Lili. Oui, c’était sûrement ce que la femme en blanc voulait dire à Mikazuki, pensa cette dernière. L’inquiétude ne devrait jamais prendre le pas sur la prudence, alors qu’on était conscient que le danger rôdait autour de nous.
Ils ne surent pas combien de temps ils marchèrent dans ces tunnels sombres et nauséabonds. Et ils trouvaient cela de plus en plus étrange que Celer ait réussi à parcourir une telle distance dans une telle pénombre. Pour autant que Mikazuki et Zimmer le savaient, Celer n’était en rien nyctalope. Et si la piste était vraiment fiable, sa course donnait l’impression qu’elle savait où elle mettait les pieds. Tout cela n’avait pas de sens…
-C’est quoi, ça ? demanda Zimmer en pointant du doigt quelque chose.
Au loin, ils aperçurent une source lumineuse orangée mais surtout, ce qui ressemblait à une silhouette. Peut-être Celer, peut-être pas. Dans le doute, Lili dégaina son épée et passa devant, en demandant aux autres de ne pas s’éloigner d’elle. Ils s’approchèrent alors lentement. La source de lumière s’avéra être une lanterne allumée. Quant à la silhouette, c’était un homme, un humain, à la barbe hirsute, le corps couvert de crasse, terriblement maigre, qui se tenait la tête et la secouait, le regard dément. Il ne remarqua même la présence du groupe lorsqu’il arriva près de lui.
-Monsieur ? fit Lili. Est-ce que… vous allait bien ?
L’homme ne leur répondit pas. Il pouvait parler, mais ne leur adressa aucuns de ses mots, qu’il semblait garder pour lui et son apparente folie :
-Les choses qui hantent les Ténèbres… les horreurs en marche… Grands Anciens… Âmes damnées… Elles arrivent ! Elles sont là ! …occultation… apôtres… Avatar… Les festivités débutent… L’Élévation… Nous sommes les mets… nous sommes les invités… les victuailles… la chair… le plaisir… la douleur… la faim…
Ce qu’il disait n’avait aucun sens. Il ne semblait pas dangereux, apparemment. À part pour lui-même, lorsqu’ils le virent s’arracher des touffes de cheveux. Lili proposa qu’ils le laissent tranquille, ce que les autres approuvèrent. Surtout qu’il y avait plus intéressant : une échelle juste à côté.
-Vous pensez que Celer aurait pu monter ? demanda Zimmer.
Mikazuki inspecta les alentours mais pas d’autres traces pas. La piste s’arrêtait ici. Soit elle avait mystérieusement disparue, soit elle avait effectivement grimpé à l’échelle. Et après une rapide inspection, ils virent des traces de vase sur les barreaux. Quelqu’un était donc bien monté.
Sans consulter les autres, elle commença à grimper l’échelle, bientôt suivit des autres. Ils laissèrent ainsi l’homme avec ses divagations, dont les paroles devenaient, à mesure de leur ascension, des murmures inquiétants…
L’échelle les mena dans une pièce lumineuse, meublée de sorte à penser à un bureau. Les torches éclairaient les lieux d’une lueur orangée, qui donnait une ambiance chaleureuse, de sorte qu’on se serait presque cru en plein jour.
-C’est… très différent de ce qu’on a vu jusqu’ici, commenta Zimmer en frottant un peu sur sa blessure bandée.
-Tu saignes à nouveau ? lui demanda Lili.
-Je survivrais… Ou je vais essayer, au moins.
-Chut ! fit soudainement Mikazuki.
-Quoi ?
-Vous n’entendez rien ?
Intrigué, les deux autres tendirent l’oreille. Ils entendirent effectivement ce qui semblait être le son d’une voix étouffée provenant de l’ouverture qui menait vers un long couloir. Comme attiré, ils se mirent à avancer en direction de cette voix mystérieuse. C’était étrange… Ils n’en avaient nullement l’intention, au départ. Mais ils posaient leurs pieds l’un après l’autre, indépendamment de leur volonté.
-Qu’est-ce… qui…
Quelque chose n’allait pas. Très vite, l’esprit de Mikazuki s’embrouillait. Elle n’arrivait plus à penser correctement… Parler devenait difficile… comme si elle ne savait plus comment faire… Sa vision se troubla… lui donnant l’impression qu’un voile se formait dans son regard… Elle tenta… de se retourner… pour demander aux autres… s’ils ressentaient la même chose… comme avec les maux de tête… Elle distingua une masse floue s’écrouler sur le sol… tandis qu’une autre essayer de tenir debout… en s’appuyant contre le mur. Mikazuki sentit ses jambes… se dérober… Elle atterrit sur ses fesses…
La voix lui paraissait… plus forte… tout en étant… toujours étouffée. Cela… n’avait pas de sens, selon elle…
Mikazuki !
Elle avait… étrangement… sommeil…
Mikazuki !!
Elle ferma… les yeux… tout en ayant… la… sensation de… tomber… dans le vide… Tout s’obscurcit… La… voix… Elle…
MIKAZUKI !!!
Subitement, Mikazuki, debout, prit une grande inspiration comme si elle émergeait la tête de l’eau et avait manqué de se noyer. Elle tomba à genou, sur une surface humide, en crachant ses poumons et tenta du mieux qu’elle le pouvait de reprendre son souffle.
-Il s’en est fallu de peu…
La femme en blanc était là, accroupie à côté d’elle et tapota doucement son dos, le temps qu’elle se calme.
-Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Quelqu’un ou quelque chose a tenté de pénétrer ton esprit.
-Tenté ? fit Mikazuki, surprise. Il n’a pas réussi ?
-Non. J’ai fait en sorte qu’il ne puisse pas.
-Comment ?
-Ce n’est pas le plus important, pour l’instant.
Elle pointa du doigt quelque chose et Mikazuki vit… les ténèbres. Une obscurité, accompagnée d’un froid glacial, et une étendue d’eau montant jusqu’à ses chevilles allant jusqu’à la ligne d’horizon. Elle ne pouvait voir cela que grâce à la femme en blanc qui irradiait d’une lueur pâle.
-Qu’est-ce que… ? Où sommes-nous ?
-Quelque part à la frontière du rêve et de la réalité. L’Entre-deux.
-Comment tu peux le savoir ?
-Toute personne qui s’apprête à rêver, éveillé ou non, passe par-là. Les êtres comme moi utilisons cet instant pour vous faire transiter.
-Mais… comment… ?
-Lorsque tu t’endors, est-ce que tu te mets à rêver immédiatement ? Ton esprit n’erre-t-il pas auparavant dans une obscurité ? C’est durant ce laps de temps, court ou long, que tu traverses cet endroit avant pénétrer le monde des songes.
-Je ne comprends pas tout… Mais de ce que je comprends, c’est que tu m’as sauvé et mise en sécurité ici ?
-Justement…
Subitement, quelque chose capta leur attention. Des murmures ; des chuchotements. Les mêmes qu’avait entendu Mikazuki un peu plus tôt.
-Le voilà qui repasse à l’attaque…
-Celui qui a essayé de pénétrer mon esprit ?
-Oui. Il ne faut pas rester là. Tu es trop vulnérable, ici.
-Quoi ? Mais où veux-tu que… ?
-Mikazuki ! Le temps presse ! J’ai réussi à l’arrêter cette fois, mais je ne suis pas sûre de renouveler l’exploit !
-Qu’est-ce que je fais ?
-Cours ! Cours aussi vite et aussi loin que possible, jusqu’à arriver quelque part !
-Mais… Et toi ?
-Ne t’en fais pas. Je serais juste derrière toi.
Les chuchotements s’intensifièrent, en plus de donner la sensation qu’ils se rapprochaient rapidement.
-Cours !
Le cri de la femme en blanc fit enfin réagir Mikazuki et, dans une direction aléatoire, elle se mit à courir aussi vite qu’elle le pouvait. Étrangement, elle se sentit légère comme une plume qui virevoltait au gré du vent. Un bref instant, elle se retourna pour constater que la femme en blanc, comme elle l’avait promis, courait juste derrière elle. Mais elle remarqua aussi derrière elles une paire d’yeux luisants flottants les poursuivait.
-Ne t’arrête pas ! Cours !
Cette vision effraya la jeune fille et fit de son mieux pour accélérer. Elle courut, courut jusqu’à en perdre haleine, chacun de ses pas provoquant un éclaboussement dans l’étendue d’eau qu’elle traversait. Les murmures derrière elle se transformèrent en paroles au sens inconnu mais au son clairement menaçant. Elle pouvait sentir un faible souffle froid lui lécher la nuque. Elle poussa un cri alors qu’elle tentait d’accélérer encore sa course, désespérant de distancer cette chose à ses trousses et n’osant pas imaginer ce qu’elle lui ferait si elle la rattrapait.
Soudain, l’obscurité et l’étendue d’eau disparurent pour laisser place à un blanc immaculé.
Surpris par cette transition soudaine, Mikazuki trébucha et se roula-boula sur quelques mètres. Un frisson d’effroi lui parcourut l’échine. La chose allait l’avoir, à présent ! Elle se redressa aussi vite qu’elle le put… et ne vit que la femme en blanc. Pas le moindre signe de la chose qui les poursuivait. À son grand soulagement…
-C’était vraiment ça qui a tenté d’entrer dans mon esprit ?!
-Il semblerait, répondit la femme en blanc avec calme.
-Dans ce cas, je ne te remercierai jamais assez de m’avoir sauvé !
-Je t’en prie.
Mikazuki se releva et prit le temps de contempler ce nouvel endroit où elle avait atterri.
-C’est… très blanc.
-Le Monde des Songes, expliqua la femme en blanc.
-Pourquoi… est-ce si blanc ?
-Imagine une toile blanche, où l’inconscient de tout être doué de conscience serait une palette de couleurs lui permettant de peindre le tableau à son image à chaque venu dans ce monde.
-… Je n’ai rien compris.
La femme soupira de lassitude, ce qui énerva légèrement Mikazuki, qui avait l’impression d’être prise pour une imbécile. Comprenant par la même occasion ce que pouvait ressentir Zimmer ou Mikhail, par moment.
La femme en blanc proposa qu’elles continuent d’avancer, ajoutant par ailleurs qu’elles n’étaient en sûreté et que la chose pourrait revenir d’un moment à l’autre.
-Il n’y a pas un moyen de nous débarrasser d’elle ?
-En l’état, je crains que non. Il faudrait un pouvoir assez grand pour l’affronter. Ou, à défaut, plusieurs qui s’unissent.
-Quel genre de pouvoir ? Comme ceux d’Anima ?
-Par exemple. Ou comme le tien.
Mikazuki s’arrêta et fixa la femme, stupéfaite.
-J’ai… un pouvoir ?
La femme la regarda comme si sa déclaration précédente était on ne peut plus normal.
-Bien sûr.
-Mais… Quand !? Comment !? Non, c’est impossible !
-Pourquoi tant de surprise, Mikazuki ?
-N’importe qui serait surpris ! Je n’y crois pas ! C’est impossible !
-Pourquoi penses-tu que c’est impossible ?
-Parce que… il faudrait que je sois un être qu’exception. Et je ne le suis pas ! Je ne suis… qu’une fille banale qui essaie de survivre ! Rien de plus ! Je ne peux pas avoir un quelconque pouvoir ! Je ne veux pas !
-Et pourtant, Mikazuki… Ce pouvoir, il est bien là, en toi. En sommeil. Qui n’attends que de se réveiller.
-Non, non, non !
Mikazuki se tenait la tête, accroupie, au bord des larmes. Elle ne pouvait pas y croire. Elle ne voulait pas y croire !
-Comment peux-tu le savoir, d’abord !? cria-t-elle.
Sur le point de pleurer pour de bon, elle sentit une main chaude saisir la sienne. À son grand étonnement, c’était la femme qui venait de lui prendre la main. Elle qui était normalement intangible. D’ailleurs, elle se souvint que, plus tôt, elle lui avait tapoté le dos. « Qu’est-ce qui se passe, encore ? » pensa-t-elle.
-Je le sais parce que…
Mais avant qu’elle ne puisse en dire plus, elles entendirent ce que semblait être… des pleurs. Les pleurs d’une petite fille.
-Dis… Tu m’as bien dit que c’était le Monde des Songes, ici ?
-Oui.
-Est-ce que ça inclut les cauchemars ?
-Oui.
-… J’aurais aimé que tu me mentes, là, honnêtement.
-Nous ne devrions pas traîner trop longtemps. Qui sait si la chose arrivera à nous retrouver.
-Et où est-ce qu’on pourrait aller ?
Mikazuki n’entendit pas ; ou plutôt, n’écouta pas la réponse. Malgré elle, les pleurs captaient entièrement son attention. Qui pleurait ? Pourquoi ? Ne pouvait-elle rien faire pour aider ? Des vagues de souvenirs du temps de sa captivité lui revinrent en tête, ainsi que les pleurs de ses camarades qui suppliaient une aide qui ne vint jamais…
Finalement, elle savait où aller. Ses pas se mirent à la guider en direction des pleurs. La femme en blanc ne tenta pas de l’en empêcher et la suivit, sans dire un mot.
Elles ne mirent que quelques petits instants pour trouver l’origine des pleurs : une petite fille rousse.
-Hé, fit Mikazuki en s’approchant avec prudence. Est-ce que… ?
Lorsqu’elle fut à une certaine distance, le blanc infini autour d’eux prit formes et couleurs. Comme si quelqu’un peignait, des murs, des fenêtres, des meubles se dessinaient pour donner forme à une chambre. Mikazuki, pour la première fois depuis le début de cette aventure, fut émerveillée par ce qu’elle voyait.
Mais cet émerveillement fut de courte durée lorsque les pleurs résonnèrent à nouveau. Une nouvelle fois, elle s’approcha de la petite fille.
-Arrête de pleurer !
Mikazuki sortit lorsqu’elle vit apparaître près de la petite fille une forme trouble ; huileuse qui avait une voix de femme plutôt âgée, légèrement déformée. À sa vue, elle a de suite pensé à de la peinture qui avait trempé trop longtemps dans l’eau.
-Oublie ta mère ! Une égoïste, comme à son habitude !
Une autre forme huileuse apparut à côté de la petite fille, plus grande et avec une voix d’homme âgé :
-Ce qu’elle a fait est une vraie honte ! Encore plus lorsqu’elle est revenue enceinte ! Moi qui comptais la marier avec le fils d’un noble influent ! Je suis devenu la risée du milieu ! Et tu oses la défendre ! Estime-toi déjà heureuse que nous t’ayons gardé, malgré tout !
La petite fille ne fit que pleurer de plus belle tandis que les reproches et autres méchancetés à son encontre émanaient de ces formes.
-Tu as rejoint l’Ordre ? Et alors ? Que veux-tu que ça me fasse ? Tu veux que je te félicite ? Tsss… Au moins, essaie de ne pas faire honte à notre famille, comme ta stupide mère…Mais ce sera sans doute trop demander. Comme tout le reste.
-Toi, l’empotée ? Dans l’Ordre ? Humpf… Au moins, tu pourras être autre chose qu’une incapable. Va, maintenant. J’ai autre chose à faire que t’accorder mon temps.
-Qui est ton père ? J’aimerais bien le savoir, moi aussi ! Que je puisse le faire exécuter pour avoir salit le nom de ma famille ainsi ! Arrête de pleurer, gamine stupide ! Ou je vais t’en donner une bonne raison, moi !
-Où est ta mère ? Sans doute morte, vu que nous n’avons pas eu de nouvelles depuis… Ah ! Arrête ça tout de suite ! Arrête de pleurer ! Tais-toi ! TAIS-TOI ! J’en ai plus qu’assez de tes pleurnicheries ! Tu es bien la fille de ta mère, petite idiote ! Nous avons vraiment été trop tendre avec elle ! Mais crois-moi quand je te dis qu’avec toi, ce sera bien différent ! Je m’en vais te dresser, moi ! Tu vas voir !
-Il n’y a pas un jour où je regrette de t’avoir accueilli sous mon toit…
-Si ta mère t’aime ? Est-ce qu’une mère abandonnerait son propre enfant pour disparaître je ne sais où ? Tu as ta réponse. Et pleurs en silence ou tu vas tâter du bâton ! Je ne suis vraiment pas d’humeur à t’entendre, aujourd’hui !
Tout de suite après ça, les formes huileuses se mirent à frapper la pauvre petite fille. Elles frappèrent encore et encore. Elles continuaient même quand la petite fille se recroquevilla au sol, en protégeant sa tête. Elle pleura de plus belle, suppliant qu’on arrête de la battre et appelant à l’aide avec sa petite voix.
-Maman… à l’aide…
Comme attendu, personne ne vint…
Non. Quelqu’un vint. Quelqu’un qui avait tout vu et qui refusait de rester plus longtemps sans rien faire. Mikazuki accourut et tenta de frapper l’une des formes de son poing, mais elle passa à travers à place, en ressentant une sensation de froid. Toutefois, la forme s’évapora dans les airs en poussant un cri strident. L’autre forme releva la tête, se rendant compte de la présence de la jeune fille, et se mit à reculer. Mikazuki vint s’interposer avec la chose et la petite qui cessa de pleurer en voyant celle qui l’avait sauvé. La forme sembla trembler sous le regard colérique de Mikazuki et recula encore.
-Disparais !
Et la forme obéit et s’évapora, ne laissant rien derrière elle.
La petite fille rousse reniflait et regarda sa sauveuse, l’air interrogatif. Mikazuki, quant à elle, se retourna pour lui sourire, avant de s’accroupir.
-Ça ira, lui dit-elle en se voulant rassurante. Ils ne viendront plus t’embêter…
La petite fille recommença à pleurer et se jeta dans les bras de Mikazuki, qui la réconforta. Elle en avait l’habitude. Elle l’avait déjà fait plusieurs fois avec des enfants de la bande qui venait de perdre un parent.
La petite continua de pleurer. Mais ses pleurs se transformèrent alors. Ce n’était plus des pleurs de petite enfant mais de quelqu’un de plus âgé. Mikazuki la regarda de nouveau et, à la place de la place, elle tenait dans ses bras… Lili.
-Mi… Mikazu… ki ? fit Lili, confuse. C’est… vraiment toi ?
-Oui.
Si tôt qu’elle se rendit compte de ce qu’elle faisait, Lili se décolla rapidement de la jeune fille et se tourna pour frotter énergiquement son bras contre ses yeux pour sécher ses larmes, visiblement gênée d’avoir été vu dans cet état.
-Qu’est-ce qui… t’es arrivé ? lui demanda Mikazuki.
-Je ne sais pas…, lui répondit Lili. Tout ce dont je me souviens, c’est des murmures et de la voix de mes grands-parents qui… Enfin, jusqu’à ce que je me réveille dans tes bras.
-Je vois…
-Et toi ? Tu te souviens d’un truc ? Et d’ailleurs, où on est ?
-Dans le Monde des Songes.
-Quoi ? Mais comment… ? Et d’ailleurs, comment tu le sais ?
-C’est elle qui me l’a dit.
-Qui ?
-Enfin, elle ! Juste l…
Mikazuki pointa l’endroit où était censé être la femme en blanc. Cette dernière avait disparu. Encore. Pourtant, Mikazuki aurait juré qu’elle était encore lorsqu’elles trouvèrent Lili, sous sa forme de petite fille. Où était-elle passée ?
-Tu es sûre que tout va b…, commença Lili, avant de s’arrêter et de pointer quelque chose qui dépassait de la poche de Mikazuki. Hé ! C’est quoi, ce truc qui brille ?
Celle-ci regarda à son tour et sortit ledit objet brillant de sa poche. C’était son nenju qui brillait d’une faible lueur pâle.
-C’est normal, ça ? demanda Lili avec un grand étonnement.
-Non, pas du tout, assura Mikazuki. C’est la première fois que ça arrive !
-Incroyable…, continua Lili en observant l’objet. Ça réagit comme les catalyseurs de l’Ordre, quand on utilise nos miracles.
-Des quoi ?
Lili fouilla dans ses poches et sortit ses fameuses mèches de cheveux dorées nouées.
-Dans l’Ordre, on appelle ça des catalyseurs. Pour faire simple, ce sont des objets bénis par la Déesse ou par se représentants, leur conférant des pouvoirs. Ce n’est pas exactement comme de la magie, mais je serais incapable de t’expliquer exactement comme ça fonctionne. Tout ce que j’ai retenu, c’est que ça se base sur notre foi et dévotion envers la Déesse et que ça nous permet d’utiliser des incantations créées par l’Ordre mais aussi l’Église.
-Et tu penses que mon nenju serait pareil ?
-En tout cas, ça m’y fait penser…
Quand bien même cela pourrait être vrai, Mikazuki n’avait rien d’une mage, d’une magicienne ou tout autre adepte. Pourquoi une telle chose arrivait ? Surtout maintenant.
-Heu… Mikazuki…
Lili pointa quelque chose au loin. Un nuage de fumée. Un nuage de fumée d’un noir d’encre, semblable à celle qui les avait engloutis lorsqu’elles avaient posé le pied dans la ville, qui grandissait et qui se dirigeait lentement dans leur direction.
-Allons-nous-en, suggéra Mikazuki tout en enroulant son nenju autour de son bras droit.
Les deux filles, par instinct, coururent pour fuir cette fumée.
-Combien de temps on va courir ? demanda Lili. Il n’y a rien ici, pour se cacher !
-Je ne sais pas ! Je t’ai trouvé rapidement parce que tu étais proche de l’endroit où j’ai atterri.
-Qu’est-ce que tu sais, de ce Monde des Songes, là ?
-Pas plus que toi. Elle était sur le point de m’expliquer lorsque je t’ai entendu.
-Qui ça, elle ?!
-Elle, la…
Avant qu’elle ne puisse finir sa phrase, le nenju de Mikazuki se mit à briller plus fort… et à lui tirer le bras dans une autre direction !
-AAAAAAAAH !
Les deux filles poussèrent en chœur un cri de stupeur et un peu de peur en voyant ça.
-Qu’est-ce qui se passe !? s’écria Lili.
-Je sais pas ! lui dit Mikazuki, tandis que l’objet continuait de lui tirer le bras.
-Débarrasse-t’en ! Débarrasse-t’en !
-Non ! C’est le seul souvenir qu’il me reste de ma mère !
Le nenju tira de nouveau par plusieurs à-coups, comme s’il insistait pour aller dans la direction qu’il pointait. Mikazuki était de plus en plus effrayé, sans compter que la fumée noire continuait son avancée. Mais il était hors de question de se débarrasser du nenju ! Hors de question que le dernier souvenir de sa mère…
Par ici !
Mikazuki… venait d’entendre la voix de la femme en blanc ! Elle regarda de tous les côtés mais, étrangement, ne la vit nulle part. Le nenju continuait de tirer et une nouvelle fois, elle entendit la voix lui dire « Par ici ! ». Elle regarda la fumée noire se rapprocher puis Lili, avant de lui dire :
-On va par-là !
Lili, surprise et confuse par ce qu’elle venait d’entendre, était sur le point de protester mais à peine avait-elle ouvert la bouche que Mikazuki lui attrapa le poignet et couru dans la direction indiquée par l’objet. La fumée se rapprochait et l’instant d’après, les murmures maintenant trop familiers résonnèrent dans leurs oreilles. Mikazuki continuait de courir en tenant Lili, espérant qu’elle avait fait le bon choix.
Pendant leur course, subitement, comme lorsqu’elle avait trouvé Lili, le blanc infini laissa de plus en plus place à autre chose, comme si on peignait par-dessus. Bientôt, des bâtiments prirent forme, ainsi que des rues… Le paysage semblait familier et elles pensèrent qu’elles retournaient dans cette maudite ville. Mais à mesure que le tout prenait, elles se rendirent compte que l’architecture n’était pas la même. C’était une ville, oui, mais complètement différente de celle où elles étaient piégées. Plus elles avançaient, plus elles se rendirent compte que l’endroit paraissait sale, délabré, malfamé.
Mikazuki se retourna pour voir que la fumée avait disparu et que les murmures s’étaient tut. Elles ralentirent alors leur course pour reprendre leur souffle.
-C’est… c’est quoi, cet endroit !? demanda Lili.
-Peut-être le rêve de quelqu’un. Comme le tien où tes grands-parents…
-D’accord… Vu toutes les folies qu’on croise, je veux bien le croire…
-Attends… Je reconnais cet endroit…
-Quoi ? Mais comment ça se fait ?
-Je ne suis venu qu’une fois mais ça m’avait marqué, d’une certaine façon. Ce sont les quartiers pauvres de Kalderan. Là où…
-Au voleur !
Elles sursautèrent et se retournèrent. Sorti de nulle part, une foule de formes huileuses se tenaient debout dans la rue. Juste après, elles virent un petit garçon, crasseux et blessé, courir en tenant fermement une miche de pain dans ses petits bras, poursuivit par une forme huileuse assez grande qui lui criait dessus de façon menaçante.
-Rends-moi mon pain, saleté de voleur !
Le petit garçon manqua de les bousculer en ricanant, jusqu’à ce qu’une autre ombre vienne lui faire un croche-pied pour le faire tomber, la miche de pain roulant jusqu’à une flaque d’eau boueuse. Le petit garçon se mit à ramper vers le pain pour le récupérer, mais la forme qui le poursuivait le rattrapa enfin puis lui écrasa la main. Le garçon hurla de douleur puis la forme se mit à le rouer de coups de pieds.
-Sale déchet ! Je vais te faire passer l’envie de me voler ! Va crever dans ton coin et laisse les autres gagner leur vie honnêtement !
Le petit garçon se recroquevilla, protégeant sa tête d’un mauvais coup. Pendant ce temps, les autres formes huileuses encourageaient celle qui malmenait l’enfant, certaines venant même lui prêter main-forte.
-C’est abject, mais assez courant, hélas, fit Lili. N’empêche, même si c’est un rêve, s’en prendre ainsi à un enfant ne devrait pas être… Hé ! Mikazuki ! Qu’est-ce que tu fais !?
Cette dernière, comme avec Lili tout à l’heure, s’approcha de la petite foule de formes huileuses et les écarta de son chemin, avant de saisir l’une de celles qui tabassaient le garçon et de le frapper avec son poing où son nenju était enroulé. Comme avec Lili, le choc fit s’évaporer la forme huileuse et fit reculer les autres, sauf la plus grande. Cette dernière avait cessé de s’en prendre au garçon et fixa de ses yeux inexistants la jeune fille du haut de sa taille imposante. Sans crier gare, la forme tenta de la saisir mais elle dévia le bras d’un revers du poing et riposta de deux coups de poing dans l’estomac. La forme, contrairement aux précédentes, ne disparut pas mais tomba en sol, poussant des gémissements de douleur. Ce qui ne l’empêcha pas de saisir le mollet de Mikazuki. Qu’il lâcha aussitôt quand Lili planta son épée dans son bras.
-N’y pense même pas !
Tout de suite après, Mikazuki lui écrasa la tête avec son poing droit et la forme disparut. Les autres formes prirent peur et disparurent d’elles-mêmes, sans demander leur reste.
Lili soupira de soulagement en rengainant son épée.
-Je n’aurais pas aimé me battre contre eux tous…
Lorsque les filles voulurent voir si le petit garçon allait bien, elles le virent en train de ramper vers la miche de pain qui avait trempait dans l’eau boueuse… et commencer à le manger.
-Hé ! s’exclama Lili. Mange pas ça ! Tu vas tomber malade !
Elle voulut lui prendre la miche de pain des mains mais le garçon s’y accrocha avec l’énergie du désespoir, en criant qu’il avait faim et qu’il devait manger. L’irritation gagna Lili face à son entêtement et continua d’essayer de lui arracher le pain des mains et de la bouche. Après une courte lutte, elle y parvint enfin. Le garçon tenta alors de relevé, blessé, le bras tendu :
-Le pain… Rends-le moi…
Mikazuki vint alors prendre la main du petit garçon et le regarda :
-C’est bon, Zimmer. Tu n’as plus à voler pour manger…
Lili fut plus que surprise. Le petit garçon, quant à lui, la regarda un instant puis fondit en larme, avant que Mikazuki ne le prenne dans ses bras, pour lui caresser tendrement la tête pour le calmer.
-Mika…
-Oui ?
-…On t’a jamais dit que tu avais une douce poitrine ?
L’instant d’après, elle lui décocha un coup de poing en guise de représaille, ce qui le fit tomber à la renverse.
-Je ne regrette rien…, marmonna ce dernier en se tenant la joue.
Il se redressa doucement, la main posée sur sa blessure au flanc.
-Comment tu as su que c’était Zimmer ? demanda Lili à Mikazuki.
-Il m’avait raconté ses journées Kalderan où il devait voler pour pouvoir manger. Dont la fois où il avait volé un boulanger qui l’avait rattrapé et roué de coups, avec l’aide de passants.
-J’en fais encore des cauchemars, le soir…
-Ceci explique cela…, marmonna Lili.
-Mais… On est où, là ? On dirait Kalderan mais pas complètement…
Rapidement, les filles lui expliquèrent la situation.
-… Vous vous foutez de moi ?
-Après tout ce qu’on a vécu, tu as vraiment tant de mal à y croire ? lui demanda Mikazuki.
-…
-C’est bien ce que je pensais…
Tandis qu’elle l’aida à se relever, les murmures s’élevèrent de nouveau. La fumée noire revint et commençait à engloutir les lieux, lentement.
-Heu… Je sais pas vous, mais moi, je reste pas ici.
-J’approuve, fit Lili en commençant à courir.
Les deux suivirent bien vite, alors que la fumée se mit à se déplacer plus vite que tout à l’heure. Peu après cela, ils virent, en se retournant, une paire d’yeux luisants jaunâtre flotter dans la fumée. Très vite, un visage se dessina autour de ces yeux. Un visage inhumain ; monstrueux, à l’image des démons qu’on décrivait dans ces histoires effrayantes.
-Nom de la Déesse ! s’écria Zimmer en accélérant le pas.
-Tu oses blasphémer devant moi ?! s’écria Lili.
-C’est pas le moment ! Il faut…
Brusquement, le nenju de Mikazuki recommença à briller et à tirer dans une certaine direction. Une nouvelle fois, il montrait la voie.
-Par ici ! hurla Mikazuki en pointant une ruelle adjacente.
-Quoi ? Mais t’es malade ! s’écria Zimmer. Ce truc va nous rattraper si on…
-Tais-toi et obéis ! lui cria Lili en l’attrapant par le poignet pour l’entraîner de force.
Le trio emprunta la ruelle, toute comme la chose dans la fumée, engloutissant tout sur son passage en talonnant le groupe. Un cri bestial sortit de la fumée, alors que le visage se rapprochait.
-Il va nous avoir ! cria Zimmer.
-Alors cours au lieu de parler !
-On est mort ! On est tellement mort ! C’est la fin ! La fin, je vous…
Soudainement, le décor autour d’eux s’effaça… et ils commencèrent à chuter dans le blanc infini. Tandis qu’ils hurlaient, ils virent que la fumée noire avait aussi disparu, ce qui fut un soulagement.
Quelques secondes plus tard, ils atterrirent sur un sol dur, toujours dans le monde blanc.
-Je savais pas qu’on pouvait avoir mal dans un rêve…, gémit Zimmer, allongé.
-Peut-être parce qu’on ne rêve pas, suggéra Lili en se relevant péniblement. On est peut-être juste à moitié endormi…
-Ouais, bah, dans tous les cas, c’est pas agréable…
Mikazuki se relevait de son côté, les hanches endoloris à cause de la chute. Le nenju continuait de briller et lui indiqua une nouvelle direction.
-Heu… C’est normal, ça ? demanda Zimmer en pointant l’objet.
-Cherche pas à comprendre, conseilla Mikazuki. Dis-toi juste que depuis le début, ça nous aide à trouver les autres.
-Vachement utile dans ce genre d’endroit, quand tu y penses…
-Jusqu’ici, ça nous gardé en vie, dit Lili. Tant qu’il continue, je veux bien continuer à le suivre.
-Mouais… Je vous fais confiance mais je garde à œil sur ce truc. J’ai pas entièrement confiance.
-Et tu comptes faire quoi contre un objet magique qui brille ?
-Le casser ?
Mikazuki, en entendant cela, regarda Zimmer avec un grand sourire. Mais ce dernier sentit les mauvaises ondes s’échappant d’elle et cria presque qu’il renonçait à son idée, allant même jusqu’à encenser l’objet. À cet instant, Lili prit note dans son esprit que Mikazuki pouvait être effrayante à sa façon.
Le trio suivit donc la direction indiquée par le nenju. Ils marchèrent pendant ce qui leur paru une éternité, sans croiser rien ni personne. Tout ce qu’ils voyaient était une étendue d’un blanc immaculé sans fin.
-On va marcher encore combien de temps ? demanda Zimmer.
-D’habitude, on tombait rapidement sur quelqu’un, lui expliqua Mikazuki.
-Au moins, ça nous laisse le temps de souffler un peu, fit Lili.
-Pardon ? Tu es en train de nous dire que notre situation est « bonne » ? lui lança Zimmer en la foudroyant du regard.
-Tu préférais te faire courser par la fumée de tout à l’heure.
Zimmer choisit le silence comme réponse.
Une longue marche plus tard, rien n’avait changé. Toujours le blanc à perte de vue, toujours personne. Et pourtant, ils suivaient toujours la direction indiquée par le nenju.
-Ce truc doit être cassé, déclara Zimmer.
-Je commence à le penser aussi, fit Lili.
Mikazuki ne disait rien. Elle continuait de suivre la voie. Jusqu’ici, le nenju de sa mère les avait menés à quelqu’un. Et elle était convaincue qu’il continuait. C’était juste que cette personne était…
-Hé ! fit subitement Zimmer en s’arrêtant.
-Quoi ? lui demanda Lili en faisant de même.
-Vous n’avez pas rien senti ?
-De quoi ?
-Le sol… Il tremble.
-Quoi ?
Les filles regardèrent à leur pied. Zimmer avait raison. C’était léger mais elles sentirent de légères secousses… Secousses qui gagnèrent en ampleur au fur et à mesure !
-Oh, ça pue, cette histoire…
À peine avait-il dit ça, le sol sous leur pied sembla… s’incliner. Ils se regardèrent, surpris, puis furent inexplicablement projeté sur le côté, comme on jetterait quelque chose au loin, avant de se mettre à chuter de nouveau dans ce vide blanc.
-Encore !? cria Lili.
-Y en a marre ! hurla Zimmer.
Mais alors qu’ils chutaient, le blanc du monde commença à laisser place à une nouvelle palette de couleur qui servit à dessiner ce qui ressemblait à l’intérieur d’une longue et large d’une cheminée. Du moins, ce fut à quoi ils pensèrent en premier lieu. Mais avec une observation plus attentive, ils se rendirent compte qu’ils tombaient en réalité… dans un long couloir.
-Mais c’est quoi ce… ! commença Zimmer.
À peine eurent-ils pris conscience de l’environnement que ledit couloir se mit à rouler sur lui-même pendant leur chute, avant de s’arrêter net, permettant au trio de tomber sur le sol froid.
-Normalement, dans les rêves, quand on tombe, on ne se fait pas mal…, grommela Mikazuki en relevant en massant ses hanches endolories.
Les deux autres approuvèrent, tandis qu’ils se remettaient sur leurs deux jambes.
-Bon. Étant donné ce qu’on a vu jusqu’à présent, vu qu’on est dans un nouveau décor, je suppose que c’est le rêve de quelqu’un d’autre, déclara Lili. Ou un cauchemar.
-Ouais… Se faire tabasser n’est pas vraiment ce que j’appellerai un « beau rêve », moi ! lança Zimmer.
-Reste à savoir dans le rêve de qui nous…
Le sol sous leur pied trembla. De nouveau.
-Oh, c’est pas vrai ! On peut pas être tranquille, un peu !? hurla Zimmer en levant le poing au plafond.
Puis vint une sorte de secousse qui leur fit perdre l’équilibre. Puis une autre, plus violente, qui fit tournoyer le couloir, le mobilier et les passants avec. Un vase plein faillit s’écraser sur la tête de Mikazuki et Zimmer évita de peu qu’une armoire ne transforme son crâne en bouillie.
-Tout le monde va bien ? demanda Mikazuki.
-Si tu demandes si on est encore en vie, je crois que oui, fit Zimmer en vérifiant qu’il n’avait pas d’autres blessure.
-Je suis en vie… Mais je ne dirais pas que je vais bien, dit Lili.
Elle montra aux autres le grand morceau d’un miroir qui s’était brisé et planté dans sa main gauche. Elle l’enleva ensuite, avant de bander celle-ci avec ce qu’elle pouvait pour arrêter l’hémorragie.
-Je crois que ma théorie tend à se confirmer…
-Quelle théorie ? demanda Zimmer, qui redoutait un peu de l’entendre.
-Même si nous sommes dans le Monde des Songes… Vu qu’on est conscient – du moins, c’est l’impression que ça donne, on ressent la douleur, nos blessures semblent réelles… Et donc, si on meurt…
-… on ne réveille pas. On meurt vraiment, finit Mikazuki, qui semblait avoir compris.
-Exactement.
-Mais… ce n’est qu’une théorie, non ?
-Je n’ai rien pour le prouver. Pour en être sûr, il faudrait qu’on se réveille. Si on est vraiment endormis…
-D’accord… Pour moi, ça devient compliqué, tout ça, avoua Zimmer.
-Je suis avec toi, sur ce coup, approuva Mikazuki.
Une nouvelle secousse mit fin à la discussion.
-Quoi, encore !? râla Zimmer.
Une autre secousse, plus forte ; plus violente. L’instant d’après, quelque chose éventra le couloir : une main gigantesque. Ou plutôt, il s’agissait de cette fumée sombre qui avait prit la forme d’une main gigantesque et qui manqua de peu de les écraser. Main qui se retira bien vite après cela, laissant un trou béant au plafond, offrant une vue sur un vide blanc qu’ils ne connaissaient que trop bien, à présent. Le couloir se secoua nouveau, tourna tel une roue en faisant valdinguer tout ce qui s’y trouver. Une nouvelle secousse… et le couloir vola morceaux, détruit par cet immense main, rattaché à un long bras. Ce fut ce qu’aperçut Mikazuki lorsqu’elle fut valdingué cette fois dans ce blanc infini, avec les autres, avant d’atterrir lourdement et de rouler sur un sol marbré flottant. À force d’être secoué dans tous les sens, les siens étaient un peu perturbé, si bien qu’il lui fallut quelques secondes pour finalement prendre conscience de son environnement. En plus du morceau de sol sur lequel elle se tenait, tout autour d’elle voletait rochers, sols, morceaux de bâtiments divers… Il y avait également des arbres, des morceaux de forêts… Il y avait même de l’eau en suspension dans les airs ! Tout cela et bien d’autres choses. Mais ce n’était pas là le plus impressionnant.
Tout cela gravitait autour d’un immense nuage de fumée sombre inquiétant dont émanait des éclairs rougeâtres. Elle vit alors la partie supérieure prendre la forme de la tête qui les a poursuivis, tandis qu’un bras semblait s’extirper. Ce bras semblable à celui qui avait éventré ce couloir. Peu à peu, le nuage prit la forme non aboutit de ce qui ressemblait à une créature gigantesque au crâne imposant, une multitude d’yeux luisants dont deux qui brillaient de mille feux, munie de deux paires de longs et gigantesques bras mais d’une paire de jambes minuscules comparé au reste du corps, croisé en tailleur, lui donnant l’air d’être assis dans ce grand vide.
Mikazuki fut à la fois impressionnée et terrifiée par cette vision à laquelle elle faisait face. Même dans ses pires cauchemars, elle n’a jamais vu pareille monstruosité ou aurait pu l’imaginer. D’ailleurs, quel esprit sain pourrait imaginer une telle chose ?
-Mikazuki !
C’était la voix de Lili ! Aussitôt, Mikazuki la chercha du regard, pour alors la trouver juste au-dessus de sa tête, perchée sur un petit morceau de terre qui se désagrégeait petit à petit.
-Je suis soulagée ! Tu vas bien ! lui dit Mikazuki en souriant.
-Oui ! Attends, je descends !
-Quoi ? Attends, c’est assez haut ! Tu ne risques pas…
Sans attendre la fin de la phrase, Lili sauta pour atterrir près de Mikazuki, non sans grimacer un peu au moment de la réception.
-Tu t’es fait mal, hein ? lui dit Mikazuki qui s’en doutait.
-Juste un peu. Mais si c’est le prix à payer pour ne pas rester bloquer sur…
-AU SECOURS !
Cette fois-ci, c’était la voix de Zimmer ! Qui venait d’en-dessous ! Les filles accoururent sur un rebord pour le chercher du regard et elles le virent sur ce qui semblait être un énorme morceau de ce qui appartenait à une voûte, courant comme un dératé… pour échapper à l’une des mains de la créature qui se rapprochaient pour tenter de le saisir.
-ZIMMER ! cria Mikazuki, horrifié.
-SAUVEZ-MOI ! hurla se dernier alors que l’ombre de la main de la créature le recouvrait.
Elles n’y arriveraient pas ! C’était trop haut ! Elles se casseraient quelque chose, dans le meilleur des cas, si elles sautaient ! Et quand bien même elles arriveraient à le rejoindre, ce serait bien trop tard ! La main était sur le point de le saisir. Ou de l’écraser !
-AAAAaaaAAAAaaaaaaAAAAAAH !!!
Un éclair s’abattit subitement sur le bras géant en pleine action, sectionnant ce dernier, qui se mit à flotter comme tout ce qui était fracturé. Bien vite, de menaçants nuages sombres et chargés d’éclair se dessinèrent au-dessus de la créature. Ils s’étendirent tel de l’encre dans de l’eau, créant un semblant de ciel orageux. Brusquement, s’extirpant de ces nuages, un point lumineux. Qui fondit sur la créature, suivit d’éclairs qui frappèrent deux autres de ses bras, qui furent également sectionnés.
-Qu’est-ce qui se passe ?! s’écria Mikazuki. Je ne comprends plus rien ! Il se passe trop de choses en même temps !
-Je ne sais pas mais vu que c’est le monde des songes, j’imagine que ce soit normal que ce soit si chaotique, tenta d’expliquer maladroitement Lili.
-Quoi ?
-Est-ce que tout tes rêves semblent cohérents ?
-… Non, pas vraiment.
-ATTENTION !
Dans un fracas assourdissant, cette plateforme sur laquelle elle se tenait entra en collision avec un bloc de pierre massif et elle se mit à tomber vers le morceau de voûte en contre-bas. La plateforme, dans sa chute, pencha de plus en plus, au point qu’elles ne tenaient plus en équilibre dessus et finir par tomber, avant qu’elle ne s’écrase. Fort heureusement, elles n’étaient plus si haut à ce moment-là et l’atterrissage fut moins douloureux.
-On tombe beaucoup trop souvent, ici…, fit remarquer Mikazuki, qui commençait vraiment à en avoir assez.
-Les filles !
Elles aperçurent Zimmer courir dans leur direction, en un seul morceau apparemment. Toutefois, cette joie fut de courte durée quand elles aperçurent d’énormes blocs de pierre fondre dans leurs directions !
-COUREZ !!!
Une nouvelle fois, ils se mirent à courir pour préserver leur vie. Tandis que les blocs pulvérisaient ce morceau de voûte, Mikazuki vit que la créature était toujours en prise avec ce point lumineux qui voletait autour de son immense comme un moucheron. Elle vit aussi, avec effroi, que la créature avait saisit l’un de ses bras brumeux flottant pour le rattacher au reste de son corps comme si de rien n’était. La créature agita alors ses bras soit pour attraper ce point en vol, soit pour lui envoyer une nuée de gravats.
-MIKA ! DEVANT TOI !
Elle était tellement absorbée par ce combat qu’elle manqua de tomber du rebord. Du morceau de voûte, il ne restait presque rien hormis un carré à peine plus grand qu’un champ. Carré qui n’existerait plus dans quelques secondes puisqu’un imposant morceau d’arc de triomphe allait bien le percuter.
-On est foutu ! hurla Zimmer en voyant ce qui arrivait droit sur eux.
-Là ! En bas ! cria Lili en pointant du doigt vers le bas ce qui ressemblait à un lac flottant, dont une partie de l’eau coulait sous forme de petite cascade dans le vide.
-Tu veux qu’on saute !? Mais t’as vu la hauteur ?!
-Tu préfères quoi ? Te faire écraser ou plonger avec un petit risque de te casser quelque chose ?
Sans attendre la réponse, Lili sauta. Mikazuki suivit et Zimmer, après une légère hésitation, fit de même criant à Lili, pendant sa chute, qu’il viendrait la hanter s’il mourait à cause de ça !
Le carré se fit bien pulvériser par le morceau d’arc, qui continua de filer vers le lac volant et percuta un morceau de terre qui était sur sa trajectoire. Le lac flottant commença à tourner sur lui-même et le trio craignait qu’à force, ils n’atterrissent pas dans l’eau mais sur l’une des berges. Heureusement pour eux, ils finirent bien à l’eau. Mikazuki battit des bras pour remonter à la surface. Une fois la tête hors de l’eau, il se débattit avec énergie pour ne pas couler. Ce n’était pas qu’elle ne savait pas nager. On lui avait appris. Mais très récemment…
-Je te tiens !
Elle sentit un bras lui entourer la poitrine et la tirer. Lili la tenait et l’emmenait vers un endroit où ils purent avoir pieds.
-Au secours !
Zimmer, de son côté, se débattait dans l’eau pour ne pas couler et une fois que Lili put laisser Mikazuki rejoindre la berge seule, elle vint le sauver de la noyade et le ramener aussi.
-Heuarg ! fit Zimmer, une fois sur la terre ferme, en vomissant à cause du trop-plein d’eau qu’il avait avalé. Finalement, j’aurais dû apprendre à nager avec les autres…
-Et moi, je remercie les autres de m’avoir un peu appris, enchérit Mikazuki.
-De rien, au fait…, fit Lili qui sortit enfin de l’eau.
-Désolée. Merci de…
Alors qu’ils commençaient tout juste à reprendre leur souffle, quelque chose perturba cette accalmie lorsque quelque chose de lourd tomba si rapidement dans le lac que l’eau s’éleva assez haut au point d’impact et engendra une grande vague qui les renversa.
-Non mais c’est bon ! hurla de rage Zimmer en levant le poing en direction de la créature et du ciel orageux. Vous pouvez nous lâcher un peu !?
Comme une réponse à sa complainte, le sol se fissura sous leurs pieds, faisant toute la diagonale du lac. Juste après, la terre s’ouvrit et une partie du lac alla d’un côté alors que l’autre partie partait dans la direction opposée, faisant vider petit à petit le lac. Le trio sauta sur la partie qui s’éloignait de la créature, alors que cette dernière regardait et se tournait dans leur direction.
-Et maintenant ? demanda Mikazuki qui s’attendait au pire.
C’est alors qu’elle se rendit compte que le point lumineux de tout à l’heure avait disparu. Il n’était nulle part dans le ciel. Où avait-il bien pu passer ?
À peine avait-elle pensé à ça qu’une forme émergea du peu d’eau qu’il restait. Les trois prirent peur, pensant qu’une nouvelle catastrophe était en train de leur tomber dessus.
La chose avait une apparence humanoïde. Une grande paire d’ailes d’un noir de jais sortait de son dos. Sa chevelure d’un blanc pur comme la neige…
L’esprit de Mikazuki tilta. Ce n’était pas une chose en face d’elle. C’était une personne. Une personne qu’elle connaissait…
-Sophie ?
Oui, il s’agissait bien de Sophie. Ses vêtements, sa silhouette, son bâton… Plus de doutes possibles Mais la couleur de ses ailes et…
-AaAaAaaaaaAAAAAaaah !
Ces yeux… Ce regard… Semblable à celui d’un animal en rage. Un regard qu’elle n’avait que trop vu, ces dernières années. Le même que celui de Ryô, quand il faisait une crise.
-Sophie ? répéta Mikazuki.
-RAAAAAAAAAAAAH !!!
Sophie accourut vers eux et avant qu’ils ne puissent réagir, il se jeta sur Mikazuki et enserra ses mains autour de son cou pour l’étrangler.
-Nom de… ! Lâche-là !
Zimmer accourut et essaya de lui faire lâcher prise, en vain. Et ce, malgré l’aide que vint lui apporter Lili. Mikazuki commençait à manquer d’air. La pression sur sa gorge ne faisait que devenir plus forte, alors que les larmes lui montaient aux yeux.
-So…phie… S’il… te plait…
Les supplications de Mikazuki ne l’atteignaient pas. Sophie serrait ses doigts de plus en plus fort et sa conscience commença à sombrer…
NON !!!
Le nenju de Mikazuki se mit à briller ; à briller de manière éblouissante ; aveuglante. Face à cela, Sophie lâcha le cou de Mikazuki pour protéger ses yeux et recula en poussant des cris et des grognements de douleur comme si cette lumière lui faisait du mal. Mikazuki, elle, toussa un bon coup avant de reprendre un souffle régulier, pour ensuite s’étonner de la situation.
La lumière attira l’attention de la créature, qui poussa un cri qui semblait rempli de rage à sa vue. Ses quatre mains convergèrent vers le groupe. Ses mouvements leur parurent lent mais la taille démesurée de ce qui s’approchait d’eux les paralysa de peur. La lumière faiblit en intensité mais continua de briller.
-Mi… ka… ?
Sophie titubait et ne parvint qu’à tenir difficilement debout qu’avec l’aide de son bâton.
-Sophie !
Mikazuki attrapa son amie lorsqu’elle tomba finalement et perdit conscience dans ses bras.
Les mains de la créature étaient proches. Ils perçurent alors une sorte de vrombissement. Pas dans leurs oreilles. Non, dans leur tête. Puis vinrent les murmures, qui se transformèrent en une voix distincte profonde et caverneuse leur parlant dans un dialecte qui leur était inconnu. Mikazuki avait l’impression que ces mots vrillaient dans sa tête, tentant de pénétrer profondément en elle. Tout le monde tomba alors à genoux en se tenant la tête, gémissant de douleur. Mikazuki commença à saigner du nez… Les mains de la créature commencèrent à se refermer sur eux… La fin semblait proche…
Non, pas comme ça ! Tout ne pouvait pas se finir ainsi, pensa la jeune fille. Elle voulait retrouver ses autres compagnons. Retrouver Ryô. Retourner chez elle, en Amaterasu.
Non ! Ça ne pouvait pas finir ainsi ! Elle refusait que cela se passe ainsi !
Mikazuki
En un clignement d’yeux, elle se retrouva dans la cour du domaine fleurit qu’elle voyait si souvent dans ses rêves, sous son ciel nocturne habituelle étoilé faiblement illuminé par un croissant de lune. Et si elle était ici, cela voulait dire…
-Mikazuki.
La femme en blanc apparut devant elle, sortie de nulle part, comme à son habitude.
-Pou… pourquoi suis-je ici !? s’écria Mikazuki, en panique. Mes compagnons ! Ils sont… !
-Ils vont bien, lui assura la femme. Pour l’instant.
-Comment peux-tu le savoir ?
-Mikazuki… Sais-tu où nous sommes ?
-Je…
Elle s’était souvent posé la question lorsqu’elle venait ici. La première réponse que son esprit trouva était un rêve…
-Ce n’est pas un rêve, Mikazuki.
-Comment sais-tu que… ?
-Tout ce qui se trouve ici, Mikazuki… est en toi.
-Quoi ?
La femme désigna aussi bien le domaine que le ciel au-dessus de leur tête et dit :
-Tout ceci, Mikazuki, est un monde créé que tu as créé.
Elle était abasourdie par ces mots mais par-dessus tout, elle n’y croyait pas ! Cela lui paraissait impossible ! Le bon sens lui hurlait que cela était impossible ! Elle voulait le lui crier ! La traiter de menteuse ou de folle ! Une personne normale lui aurait sorti ça !
Et pourtant, la première chose qui lui vint à l’esprit, ce fut :
-Mais… comment ?
La femme lui sourit et s’avança vers la jeune fille pour lui prendre les mains.
-Je pensais te guider pas à pas. Mais les évènements récents ont accéléré les choses…
Ce n’était pas des explications, ça ! pensa Mikazuki. Elle avait besoin…
Le fil de sa pensée s’interrompit. Les murmures… Ils étaient revenus ! Mais ils paraissaient lointains, étouffés.
-Nous manquons de temps, Mikazuki ! Écoute-moi ! Je peux t’aider à vous sauver ! Je peux t’aider à atteindre ton but ! Tu peux sauver tes compagnons !
-Co… comment ?! Comment pourrais-je vaincre une chose pareille !
-La vaincre, non. La repousser, très certainement. Je peux la repousser et vous forcer à vous réveiller !
-Alors pourquoi ne pas l’avoir fait ? Et pourquoi avoir disparu quand Lili est redevenue elle-même ?
-Me montrer à toi hors de ton monde me demandait trop de force. Et je pouvais t’aider, d’ici. En te guidant vers ceux que tu voulais retrouver.
-Ceux que je voulais…
Les pièces s’assemblèrent dans sa tête : son nenju qui brillait et la guidait dans le monde des songes, cette lumière qui avait repoussé Sophie dans sa crise de folie…
-C’était toi…
La femme hocha la tête pour confirmer.
Les murmures devenaient plus distincts et se rapprochaient…
-Mikazuki… Tu me fais confiance ? lui demanda la femme en blanc.
La jeune fille la regarda. La raison d’ordinaire lui aurait crier de se méfier. Mais au fond d’elle, elle le sentit. Elle sentit… qu’il n’y avait pas de raison de douter. Elle serra les mains de la femme et hocha la tête pour lui répondre « oui ».
Les murmures se changèrent en une voix distincte !
Mikazuki… Ce pouvoir est tien et le sera toujours.
Unique, comme toi.
Ce nom, tout le monde l’entendra.
Mais de ta bouche, ta magie, elle réveillera.
Ta propre magie.
Vas-y.
Prononce ce nom que tu ne pouvais pas entendre, jusqu’ici.
Je suis toi, tu es moi… Nous sommes.
Mon nom est…
Un battement de cils plus tard.
Mikazuki était revenu sur ce morceau de terre. La créature allait toujours la saisir, elle et ses compagnons, qui voyaient très certainement leur fin arriver à grand pas.
Non. Ce n’était pas la fin. Loin de là.
Poussée par son instinct, Mikazuki tendit son bras droit, là où elle avait enroulé le nenju de sa mère ; son nenju. Puis, dans un murmure, elle prononça ce nom :
-Tsukihime…
L’objet s’illumina comme précédemment, éblouissant tout le monde, sauf Mikazuki. La créature, en voyant cela, écarta ses mains comme si cette lumière le brûlait, ce qui ne fit qu’attiser sa colère. Pendant ce temps, le nenju se brisa en morceaux… pour se transformer sous les yeux ébahis de tous. D’un nenju de perles noires qui avait souffert des affres du temps, il se changea en un nenju de de quatre-vingt-huit perles d’un blanc pur et étincelant, qui s’enroula de lui-même autour du bras de sa propriétaire.
La créature, voyant cela, poussa une sorte de hurlement, tandis qu’il leva une paire de ses bras au-dessus de sa tête. De petites particules rougeâtre se mirent à converger entre ses paumes, qui ne tardèrent pas à grossir et à fusionner en une sphère de la même couleur.
-Sûrement pas/Sûrement pas !
Le bras de Mikazuki se mit à rayonner intensément puis, comme guidée par Tsukihime par la pensée, elle fendit l’air d’un revers poing. Un faisceau lumineux partit de son bras et fila à grande vitesse vers la créature. Ou plutôt, vers l’amas de particules au-dessus de sa tête. La créature poussa un nouveau cri. Un cri d’horreur. Le faisceau frappa les particules, déclenchant une explosion si violente qu’elle souffla ce qui se trouvait aux alentours. Le souffle était si puissant et violent que le groupe s’envola, avec la sensation de recevoir un mur en pleine figure, tel l’aigrette d’un pissenlit qui se dispersait au gré du vent. Mais alors qu’ils se faisaient tous repousser au loin et dans des directions différentes, ils furent suspendus avec le reste pendant un court instant, avant de se faire aspirer vers un unique.
À partir de là, ce que perçut Mikazuki n’était plus très clair. Elle eut l’impression que son corps s’étirait dans tous les sens, se contorsionnait, changer de forme, d’état. Un coup, elle se sentait légère comme le vent, un autre, elle avait l’impression que son corps coulait tel l’eau d’une rivière… Une multitude de sensation la frappait, toutes en même temps. Trop pour son esprit qui ne pouvait le supporter. Elle hurla ; supplia que cela cesse !
Puis vint un calme inattendu. Tout revenait lentement à la normale. Mikazuki flottait. Elle flottait dans un endroit qu’elle ne reconnaissait pas. Une grande salle faiblement éclairée par des torches diffusant une lueur pâle d’un feu tout aussi pâle. Des étagères remplis de livres. Certains jonchaient même le sol, ouverts ou non. Un bureau, croulant sous les livres et les parchemins. Derrière ce bureau, une silhouette vêtue de noire, dissimulant son visage sous une capuche et un parfaitement lisse et blanc, avec seulement deux ouverture pour les yeux.
Mikazuki ne comprenait pas ce qu’elle faisait ici et se demandait qui pouvait bien être cette personne penchée en train de lire un…
L’homme leva soudainement la tête. Leur regard se croisèrent. Elle entendit alors ces mots. Les mots sortant de la bouche d’un homme :
-Toi ?
Ce fut pas la surprise dans le ton de la voix de cette homme qui l’interpella. C’était le fait que cette voix…
Mikazuki se sentit aspiré de nouveau. Les sensations d’étirement revinrent mais ne durèrent qu’un instant, avant qu’elle ne commence une chute sans fin et se mette à crier.
L’instant d’après, elle prit une profonde inspiration comme si elle respirait pour la première fois, et se releva brusquement, paniquée.
-Hé ! Hé ! Doucement, petite. Calme-toi. Respire.
Mikazuki obéit et prit le temps de se calmer pour réguler son souffle. Petit à petit.
-Voilà, c’est mieux. Pfiou ! Tu nous as fait une belle peur !
Elle tourna la tête pour alors voir le visage familier qu’était celui d’Evran, qui la salua d’un geste de la main. Elle se rendit alors compte qu’elle était allongée dans un lit de fortune.
-Qu’est-ce qui s’est… passé ? lui demanda-t-elle.
-C’est plutôt moi, qui devrait poser cette question ! Vous êtes apparus comme par magie, baignant dans de la lumière, au beau milieu de leur cachette ! Les gens ont paniqué et ont crus un instant qu’ils étaient attaqués !
-Des gens ? Il y a d’autres personnes, ici !?
Evran hocha la tête pour confirmer.
-C’est une femme, Iosephka, qui m’a emmené ici. Enfin, plutôt « traîné » … Mes compagnons et moi nous sommes faits attaquer…
-Et… Karloff ? Et Shylvia ?
La mine d’Evran s’attrista et préféra baisser les yeux que de répondre. Mikazuki s’imagina alors le pire et comprit aussi que c’était sans doute pour ça qu’il ne voulait pas en parler plus.
-Je… Vous avez « vous », tout à l’heure. Je n’étais donc pas seule.
-Non… Tu… tu es apparu avec l’autre gamin, une gamine qui portait l’uniforme de l’Ordre et la fille aux cheveux blancs…
-Ils vont bien !?
-Un peu mal en point, mais rien qui ne soit soignable, apparemment. On s’est déjà occupé de toi, d’ailleurs.
Mikazuki constata qu’effectivement, on avait pansé ses blessures. Pendant son inspection de son corps, son regard se posa sur son nenju. Qui paraissait inchangé. Comme si de rien n’… En y regardant de plus près, elle se rendit compte que les perles noires avaient retrouvé un certain éclat, comme si elles étaient neuves. Comment ? Puis, elle repensa à ce qui s’était passé plutôt. À la femme en blanc. À… Tsukihime. Était-ce son œuvre ?
-Bon… Je sais que tu viens d’émerger, mais…
Ils regardèrent puis, avec le plus grand sérieux, il lui demanda :
-Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Qu’est-ce qui vous est arrivé depuis qu’on a posé les pieds dans cette foutue ville ?
Elle le fixa un moment, puis soupira.
-Ça risque d’être long…, avoua-t-elle.
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