16. Lovham – IX : … la tempête.

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La panique se répandit rapidement tel une épidémie de peste. Plus d’un se précipitait vers la sortie la plus proche et quitter les lieux, qu’importe que son rôle fût de défendre la place ou non. Les amis l’instant précédent devinrent les obstacles pour le salut à écarter ; à piétiner sans merci. Tenter de sauver son prochain n’était pas une priorité et devenait à présent la chose la plus stupide à faire. Maintenant, ceux qui choisissaient de fuir au lieu de lutter devaient courir plus vite que l’autre, pour que ce dernier se fasse attraper et ralentisse les assaillants.

La communauté vola en éclat en moins de cinq minutes et pour la majorité, ceux qui ne voulaient que fuir, c’était chacun pour soi. Il n’y eut qu’une poignée qui décida de prendre les armes et à défendre leur repaire, certes répugnant mais qui était tout de même chez eux.

Tout cela se déroula très vite sous les yeux de Mikazuki. Elle eut du mal à y croire. Comment pouvait-on sciemment tourner les dos à des gens qui étaient des amis ; des frères ?

-Mika ! Mika !

Les appels de Zimmer l’extirpèrent de ses pensées.

-Il faut qu’on sorte Sophie de là ! Bouge !

-Je… Attends ! Et les autres ? On ne peut pas… !

-On n’a pas le temps, pour le moment ! Il faut… !

Les cris inhumains ne tardèrent pas à se faire entendre plus distinctement, mêlés aux bruits des combats proches. Suivirent les cris d’agonie, de douleurs et de terreurs qui se mêlèrent à la cacophonie, avant que ne débarque deux pauvres hommes bataillant maladroitement contre une bande d’Errants décharnés qui agitaient leurs armes en espérant toucher mortellement quelque chose. C’était grossier et inefficace contre un guerrier aguerri, mais amplement suffisant contre des personnes qui savaient et pouvaient à peine tenir une arme correctement. Ces deux hommes n’avaient aucunes chances…

-Non…, souffla Mikazuki en les voyant tomber sous les coups.

-Mika ! l’appela Zimmer, après que Lili l’a aidé à mettre Sophie sur son dos et à prendre ses affaires.

Mikazuki ne bougea pas, tétanisé par l’affreuseté de ce qu’elle voyait : des Errants qui débarquaient en masse et qui s’attaquaient à tout ce qui respirait. Les malades furent les premières victimes, cibles faciles, puis vinrent les blessés qui pouvaient à peine bouger pour se sauver et enfin, ceux qui tentèrent désespérément de les retenir, la plupart étant blessés, pour permettre aux autres de se sauver. Il fallut que Lili l’entraîne de force pour qu’elle commence enfin à bouger.

Les couloirs grouillaient de personnes courant dans tous les côtés, guidés par la panique. Des affrontements avaient lieux çà et là entre les habitants, les Errants et des créatures… « Affreuses » serait un doux euphémisme. On aurait plutôt dit des monstres sortis des cauchemars d’esprits tourmentés et dérangés, comme, par exemple, des mélanges entre un homme et un lézard.

-Où est-ce qu’on va !? cria Lili en continuant de tirer le bras de Mikazuki.

-N’importe où, sauf ici ! lui lança Zimmer alors qu’il courait dans des directions prises au hasard.

-Tu n’as pas plus vague, comme réponse !?

-J’suis trop occupé à trouver une sor-NOM DE LA DÉESSE !

Au détour d’un énième couloir emprunté, ils tombèrent sur une sorte de… La description qui collerait le mieux à la chose devant eux serait un croisement en un chien décharné et un reptile à la gueule béante avec de longues dents, qui était en train de mâchouiller ce qui restait d’un pauvre bougre qui n’avait pu s’enfuir.

-Grrrrrrr, grogna la bête qui venait de remarquer leur présence.

-Demi-tour ! Demi-tour, nom de la Déesse ! somma Zimmer juste avant de tourner les talons.

-Arrête de blasphémer devant une servante de la Déesse, espèce de sa-NOM DE LA DÉESSE !

Un Errant, armé d’une masse, fit irruption au bout du couloir et se précipita sur le petit groupe, tandis que l’abomination, de l’autre côté, bondit sur eux !

-Mika !

Quand cette dernière vit Lili faire le premier pas en direction du monstre, Mikazuki ne prit qu’une fraction de seconde pour savoir quoi faire et commença à se ruer vers l’Errant. Dans un premier temps, elle bloqua le bras de l’Errant, qui avait commencé à abattre son arme, puis, de la paume de sa main, elle le frappa au visage et dans la continuité du mouvement, l’écrasa et l’encastra, surprenamment, contre une paroi. De son côté, Lili dégaina son épée, manquant de peu de frapper Zimmer, et enfonça la lame dans la gueule grande ouverte du monstre, transperçant sa tête avec une certaine aisance, et le fit chuter au sol. Elle retira ensuite son arme de la carcasse, non sans difficulté, et eut une expression dégoutée en voyant ce liquide noir, sans doute le sang de la chose, enduite sur la lame.

-C’est absolument… dégoûtant…

Par précaution, elle vint ensuite enfoncer sa lame dans le cœur de l’Errant que Mikazuki avait vaincu, puis elle prit une minute pour nettoyer son arme.

-Tu crois vraiment que c’est le moment de faire ça ! lui reprocha Zimmer, en lui faisant les gros yeux, tandis que la panique résonnait tout autour d’eux.

-Dois-je te rappeler que je suis la seule de nous trois à avoir une arme ? J’aimerais bien t’y voir, moi, si elle devient inutilisable !

-J’en avais une, d’arme, moi aussi, je te signale !

-Et où elle est, maintenant ? Hm ? Hein ?

-… Je l’ai perdue.

-Voilà ! Alors maintenant, tu te t…

Des cris monstrueux résonnèrent non loin de là et d’un regard, ils se mirent d’accord pour se remettre cette conversation à plus tard.

-Comment on sort d’ici ?! s’exclama Zimmer.

-Attendez ! Et Evran ? fit Mikazuki.

-On a d’autres soucis dans l’immédiat, lui dit sèchement Lili en regardant toujours derrière son épaule pour voir s’ils avaient quelque chose à leur trousse.

-Je suis d’accord avec elle, ajouta Zimmer. Loin de moi l’idée de ne pas vouloir me soucier de lui, mais pour l’instant, on est trop occupé à sauver nos peaux !

À peine ces mots prononcés qu’ils pénétrèrent dans une large salle où des affrontements faisaient rage. D’un côté, les réfugiés qui luttaient du mieux qu’ils pouvaient pour leur vie, peu ou pas habitués au maniement des armes. De l’autre, la plupart des Errants, qui agitaient leurs armes plus qu’ils ne les utilisaient réellement, agressifs et avec l’avantage du nombre, en plus épaulés par des créatures terrifiantes qui ne faisaient pas de distinction entre alliés et ennemis.

-Mais d’où ils sortent tous !? s’exclama un homme après avoir terrassé un énième ennemi, avant qu’un autre ne lui lacère le bras avec une épée ébréchée.

Priant pour ne pas prendre un coup perdu, Zimmer, avec Sophie sur le dos, tenta de se frayer un chemin dans ce champ de bataille improvisé et on ne peut plus chaotique, alors que Lili et Mikazuki faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour repousser les assaillants qui jetaient leur dévolu sur eux. Lili tranchait, entaillait ou parait, Mikazuki frappait, brisait des os ou bloquait. Un contre un, aucunes difficultés. En nombre, tout se compliquait : l’important était de ne pas se faire submerger ou ce serait la fin.

Zimmer avait presque atteint une sortie lorsque l’épée de Lili, une nouvelle fois couverte de sang et de fluides corporels divers, ne fit cette fois pas son œuvre et peina à entailler un nouvel Errant qui s’était jeté sur lui. Heureusement que Mikazuki était juste à côté, dégageant la chose d’un coup de pied en pleine tête, avant de le mettre au sol après une frappe violente de la paume de la main contre son torse.

Toutefois, quelque chose lui paraissait… différent. Depuis toujours, quand elle donnait un coup, elle rencontrait toujours une forme de résistance. Ici… Pourquoi sa main avait-elle pu si facilement s’enfoncer dans le torse de cette chose, au point d’avoir senti et entendu ses côtes se briser ?

-…ika…

Mikazuki était là, debout, au-dessus de corps de monstre qu’elle venait de tuer de la seule force de ses mains. Une première. Si facilement… Elle avait toujours mis un point d’honneur à contrôler ses coups. Assez pour mettre hors d’état de nuire l’ennemi sans jamais le tuer. Et là, elle…

-Mika !

Zimmer et Lili, à l’entrée d’un tunnel, regardaient leur amie, qui s’était subitement plantée devant la chose morte et qui tentait de encore de comprendre comment elle y était parvenue plus facilement que d’habitude.

-Mika ? répéta Zimmer.

Mikazuki resta silencieuse. À défaut de paroles, son corps s’exprima, d’une certaine façon, à sa place en se mettant en mouvement pour rejoindre ses compagnons.

Zimmer voulut l’interpeler de nouveau, sans doute pour lui demander si tout allait vraiment bien, mais Lili, d’un regard, lui fit comprendre que le moment était mal choisi.

Leur course les mena jusqu’à une salle contenant un passage derrière une grille en train d’être emprunté par les habitants des lieux. Probablement une sortie. Sur suggestion de Lili, ils étaient sur le point de leur emboîter le pas. Jusqu’à ce que ces derniers ne ferme la grille précipitamment et firent poids de leur corps pour la maintenir fermée, pendant que l’un d’eux verrouillait le portail à clé !

-Quoi !? Non mais vous vous foutez de ma… ! Hé ! Ouvrez-nous, bordel ! Ils sont derrière nous ! leur hurla Zimmer en donnant des coups de pied dans la grille. OUVREZ, BORDEL DE MERDE !

Mais ces gens ne dirent rien. La peur dans les yeux et sans trace de remord, ils tournèrent les talons et se sauvèrent le plus vite et le plus loin possible.

-REVENEZ, BANDE DE CHIENS !

-Laisse tomber, Zimmer. On va prendre l’autre sortie, lui dit Lili.

-Fais chier ! Ces connards nous condamnent peut-être à mort et…

Un gémissement dans son dos l’interrompit, suivi de légers mouvements. Sophie venait de lentement ouvrir les yeux.

-Hé, regardez qui revient parmi nous. Bien que ce ne soit pas le meilleur moment…

-Zimmer…, lui lança Lili avec un ton des plus glacial.

-Désolé…

-Pose-moi à terre…, lui demanda Sophie.

Ce dernier s’exécuta et, en douceur, l’aida à poser pied à terre. Toutefois, elle eut du mal à trouver son équilibre, jusqu’à ce qu’il lui rende son bâton pour qu’elle puisse s’y appuyer.

-Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle sur un ton affaiblit.

-Pour faire court, on se fait attaquer et on doit se sauver avant d’être submergé.

-Vous avez retrouvé les autres ?

-Heu… Evran, le mercenaire présenté par Wiseman. Et c’est tout, malheureusement…

-Je… vois…

-Heu… Dis, Sophie, est-ce que tu te souviens… ?

-Zimmer ! coupa Lili. Ce n’est peut-être pas le meilleur moment !

-Ouais. Ouais, c’est vrai ! On en parlera quand on sera sorti de ce bourbier !

-Sophie, tu peux marcher ? lui demanda Mikazuki.

-Si on doit aller vite, dans mon état… je risque de vous décevoir.

-Bon… Ben, je vais devoir te porter encore.

-Avoue que la situation te plaît un peu quand même. C’est sans doute la première fois que tu touches une fille si longtemps.

Zimmer préféra ne rien dire, mais l’expression de visage trahissait ses pensées, ce qui provoqua l’hilarité de Sophie, qui vint s’installer sur son dos, et celle de Mikazuki. Lili, elle, lui lança un regard empli de jugement.

Des cris d’Errants, proches, leur parvinrent du tunnel qu’ils avaient emprunter pour venir. Cette issue étant bloquée, ils se dirigèrent vers l’entrée d’un autre tunnel, en espérant qu’elle débouche loin d’ici. Mais à peine avaient-ils posé un pied devant l’entrée de celui-ci qu’ils virent débouler en trombe Evran, en compagnie de Iosephka et d’un autre homme.

-BON SANG ! s’écria Zimmer en faisant un bond de surprise en arrière. Vous pouvez pas prévenir de votre arrivée, au lieu de nous faire peur comme ça !?

-Ah, les gamins ! fit Evran avec un certain soulagement lorsqu’il les vit. Déesse soit louée, vous n’avez rien…

-Oui, on n’a rien, on va bien. Si on ne prend pas en compte l’innommable cauchemar qu’on est en train de vivre ! Sans parler des monstres qu’on a au cul !

-D’accord, d’accord… Calme-toi. Bon, avant toute chose, sortons d’ici. On peut rejoindre la surface via le tunnel qui…

Evran se tut lorsqu’il vit le portail fermé et fonça pour tenter de l’ouvrir, mais en vain. Il poussa un cri de frustration, puis se tourna vers Iosephka.

-Pitié, dîtes-moi que vous avez la clé pour ce portail !

-Nous n’avons que deux exemplaires de cette clé et l’autre était dans notre salle de commandement…

-… qui grouille maintenant d’Errants et autres joyeusetés prêtes à nous arracher la tête si on va là-bas, termina Evran en frappant la grille du pied. Bon, voyons voir la serrure. Avec de la chance, je peux peut-être essayer de la crocheter…

-Par pitié, oui ! s’écria Zimmer. N’importe où ne peut pas être pire qu’ici…

Des cris leur parvenaient des tunnels et ils se rapprochaient. Et ce n’était clairement pas des cris humains…

-Toi et ta grande bouche…, lui dit Lili en le foudroyant du regard.

-MAIS COMMENT JE POUVAIS SAVOIR, MOI !

-Quoi que vous projetiez de faire, Evran, faîtes-le maintenant ! lui somma Iosephka en dégainant son katana.

-D’accord ! J’ai besoin de temps et de concentration. Surtout de concentration ! Retenez-les à tout prix ! Eh, toi ! dit-il en désignant Zimmer. Je vais pas pouvoir me battre et tu n’as pas d’arme. Utilise la mienne en attendant.

-Faut pas me le dire deux fois ! s’écria ce dernier en venant prendre l’épée d’Evran à sa ceinture.

Mikazuki aida Sophie à aller s’appuyer contre la grille, à côté d’Evran. Elle n’était pas en état de se battre et elle n’était pas sûre de faire une arrière-garde complètement efficace, mais elle assura qu’elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour aider.

-Le but est de repousser les Errants et toutes créatures qui débarqueront ici, le temps qu’Evran puisse ouvrir la grille, déclara Iosephka. Pas de pitié. Elles n’en auront pas pour vous. Et Evran, par les tous les dieux existants, faîtes ce que vous avez à faire le plus vite possible, si vous voulez mourir ici.

-Génial. Ça ne me rajoute pas de pression sur mes épaules, vraiment…, marmonna ce dernier alors qu’il sortait ses outils de crochetage.

Les cris n’étaient plus très loin. On pouvait aussi bien entendre des supplications bien humaines à vous glacer le sang qu’un mélange de rugissements bestiaux et de râles. Et qui ne frissonnerait pas de terreur en se rendant compte que les voix humaines s’étaient finalement tut et que les autres venaient dans leur direction ?

-Sieur Evran…, fit Lili en serrant davantage la poignée de son arme. À mon humble avis, si vous ne voulez vraiment pas mourir dans d’atroces souffrances…

-JE SAIS, J’AI ENTENDU AUSSI ! coupa ce dernier avec une voix forte dont on percevait le mélange d’impatience et de panique. Je fais aussi vite que je peux !

Ces rugissements multiples non seulement se rapprochaient, mais de plus, une partie d’entre elles avait l’air… de se fondre, de s’unir pour que ressorte une unique voix caverneuse et menaçante.

L’instant d’après, les premiers Errants, armés jusqu’aux dents, débarquèrent en trombe et se jetèrent sur les premiers êtres vivants qui entraient dans leur champ de vision. Mikazuki, Lili, Zimmer, Iosephka et son subordonné se défendirent bec et ongles : le son des armes qui s’entrechoquaient, de la chair qui se déchirait et des impacts des corps qui s’effondraient sur le sol résonnaient entre ces quatre murs. Sophie, en retrait, apportait un soutien à distance et Evran était toujours affairé à ouvrir cette grille.

-Evran, accélérez ! À ce rythme, nous ne tiendrons pas longtemps, lui dit Iosephka après avoir tranché en deux à l’horizontal l’un de ses ennemis.

-J’y suis presque…, dit Evran, concentré.

-Evran ! Nous sommes presque submergés ! lui cria Mikazuki en manquant de peu de se prendre un coup de masse rouillée en pleine tête.

-J’y suis presque.

-Evran ! Grouille ! hurla Zimmer après avoir planté son épée dans le torse de son ennemi, sans parvenir à la retirer après ça.

-J’y suis presque !

-EVRAN ! crièrent-ils tous à l’unisson.

-J’AI DIT QUE J’Y…

Clic !

-J’Y SUIS ! hurla de victoire Evran en ouvrant la grille.

-On se casse ! déclara Evran en courant vers Sophie pour la porter.

Les autres étaient sur le point de le talonner lorsque le cri menaçant et caverneux de tout à l’heure retentit de nouveau. Proche. Très proche. Trop proche, à leur goût.

À la suite d’Errants pénétrant les lieux, une abomination se montra devant eux. Si on tentait de la décrire, on pourrait dire qu’il s’agissait d’un amas d’Errants qui tentaient de se mélanger ; de fusionner partiellement et de manière grossière pour former une créature grotesque dont le semblant de tête, qui était relié aux épaules par d’épais tissus de chaires, touchait presque le plafond. Une bonne partie du corps manquant. Là où devait se trouvait son bras et une partie de son torse, il n’y avait qu’un trou béant. Un trou que de petites mains qui émergeait du corps semblaient tenter de combler, en vain. De son unique main difforme, la créature attrapa un Errant à portée, qui poussa un cri de panique, et l’écrasa contre elle. Ou plus précisément, à l’emplacement du trou béant. Là, le corps de l’Errant commença à se fondre avec celui de la créature comme si on ajoutait de l’argile à une statue en plein façonnage. Juste un peu. L’équivalent d’une brique que l’on poserait pour former un mur destiné à la construction d’une maison. Tout ce qui restait maintenant de l’Errant absorbé, c’était une main qui s’agitait désespérément dans le vide…

-Qu’est-ce que c’est que ce putain de truc, encore !? s’écria Zimmer, paralysée à la fois par la surprise et par la peur que lui inspirait l’apparence la vue de cette créature qui défiait sa compréhension.

Et il n’était pas le seul. Tous ne pouvaient plus bouger, surtout en voyant les Errants tenter de fuir la créature qui les attrapaient un à un pour qu’ils fassent partie intégrante de son corps. Tous, sauf Iosephka.

-Ne restez pas plantés là ! hurla-t-elle. Courez !

Ce hurlement ramena Mikazuki, Lili, Zimmer et Evran à l’instant présent et ils avaient commencé à reculer pour se diriger vers la sortie. Toutefois, l’homme de Iosephka, en train de trembler de peur, ne put se défaire de sa paralysie. Encore moins quand la créature s’approcha d’un pas rapide dans sa direction, bousculant un Errant sur son chemin, tendit sa main géante et l’attrapa. Le pauvre homme cria en s’agitant dans tous les sens, mais ses cris s’étouffèrent dans la chair en apparence nécrosé. Iosephka vola à son secours et tout en dégainant sa lame, elle frappa la main du monstre pour qu’il le lâche. Mais l’entaille, pour quelque chose de ce gabarit, n’était que superficielle. La chair était tranchée, mais pas de sang ou un fluide s’y rapprochant ne coula. Elle frappa encore et encore avec son katana pour qu’elle le lâche, mais ces coups ne firent qu’abimer la peau sans que le monstre ne montre que cela lui faisait quelque chose. Sans se soucier de ce qu’elle lui faisait, il pressa la tête de l’homme de Iosephka dans la paume de sa main et un craquement plus tard, l’homme, après un ultime sursaut, cessa de bouger. La créature lâcha alors le corps sans tête. Sa grande main était couverte de sang, de morceaux de crâne et de matière cérébrale.

Iosephka s’immobilisa quand elle entendit le bruit du corps sans vie toucher le sol. Son souffle s’accéléra. Elle poussa ensuite un cri court mais sonore.

La créature se tourna ensuite vers elle et il commença à tendre la main dans sa direction. Elle bondit en arrière… et commença à courir vers la sortie.

-Courez… Courez !

La bande lui obéit et se mit à courir ; à fuir ce monstre qui se lança à la porte. Après plusieurs coups qui résonnèrent dans le couloir qu’ils avaient emprunté, il détruisit la grille pour pouvoir passer et les poursuivre. Ses grandes enjambées lui permirent d’être aux talons de ses proies, sans pour autant les rattraper.

Du moins, au début.

Petit à petit et malgré lui, Zimmer commençait doucement à perdre de la vitesse. La fatigue et le poids de Sophie sur son dos lui faisaient payer et il avait beau forcer, rien n’y changeait.

-Zimmer, pose-moi ! lui ordonna Sophie lorsqu’elle se rendit compte de son état et que la créature gagnait du terrain.

-Pas… question… que je te laisse… ici, dit-il en essayant tant bien que mal d’économiser son souffle.
-On va mourir tous les deux à ce rythme ! Zimmer ! Laisse-moi et sauve…

-Je te laisse pas ici ! Je pourrais plus me regarder en face si je le fais ! Sans parler du fait que ta mère et tes frères me tueront, si je reviens vivant chez la bande ! Donc, tu te tais et…

Vint alors la catastrophe. Le genou qui se mit à flancher. Le faux pas. Suffisant pour perdre l’équilibre et tomber au sol avec la personne que l’on transporte. À peine Zimmer et Sophie avaient commencé à se relever que le monstre n’était plus qu’à deux foulées d’eux, le bras tendu. Qu’importe qu’ils arrivent à se mettre debout ou non, ils étaient fichus.

C’était ce qu’avait constaté Mikazuki lorsqu’elle s’est retournée après les avoir entendu tomber. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Elle le devait !

Ensemble, Mikazuki !

Le monstre posa le pied à terre. Il n’était plus qu’à une foulée d’eux. Sur les murmures de Tsukihime, elle posa le pied au sol, prit une grande inspiration pour que l’air circule dans toutes les fibres des muscles de ses jambes ; concentrer toute l’énergie nécessaire sur son appui… et relâcher d’un coup en expirant. À la vitesse de l’éclair, elle se retrouva maintenant entre ses amis et le monstre avec son bras à moitié tendu.

-TSUKIHIME !

Son nenju au poignet brilla d’une lumière aveuglante avant de se transformer en celui de quatre-vingt-huit perles blanches étincelantes qui s’enroula autour de son bras. La main du monstre était sur le point de la saisir et d’un coup de poing avec ce chapelet, par, pourrait-on dire, miracle, elle l’arrêta net. Mieux encore, elle repoussa cette main et fit tituber le monstre d’un ou deux pas en arrière. Dire que les autres étaient ébahis serait un doux euphémisme : aucun humain normalement constitué n’aurait été capable de repousser une créature pareille à mains nues. Le monstre grogna et repartit à l’assaut avec sa main tendue, qui fut repoussé avec aisance d’un revers du poing de son adversaire. Puis, en un éclair, Mikazuki bondit jusqu’au niveau de ce qui semblait être sa tête et lui donna un nouveau coup d’une force telle que le monstre fut légèrement projeté en arrière avant de tomber lourdement sur le sol. Dès que son pied le toucha à son tour, elle se retourna et courut vers Zimmer, pour l’aider à se relever, et Sophie, pour la soulever et la porter.

-On s’en va, dit-elle.

-Heu… Mais t’as tué le…, commença Zimmer en pointant le monstre du doigt.

Mais il blêmit rapidement quand il vit ce dernier remuer et commencer, même péniblement, à se relever. Avant de commencer à courir avec les autres.

-Je croyais que tu l’avais eu, moi !

-J’aurais bien voulu aussi !

La bande courut sans se retourner. Le monstre ne se laissait pas distancer et poussait des cris rauques qui rebondissaient contre les parois du tunnel. Zimmer manqua de tomber à nouveau mais Mikazuki le rattrapa par la ceinture et se mit à le porter comme un vulgaire seau vide, faisant fi de son poids.

-Mais comment… ? commença à demander ce dernier.

-Plus tard, les questions ! coupa Mikazuki en continuant à courir.

-La sortie n’est plus loin, leur dit Iosephka.

Et en effet, ils aperçurent un escalier menant vers l’extérieur à plusieurs mètres. Poussés par l’espoir, ils accélérèrent autant qui leur était possible pour sortir le plus rapidement d’ici. Malheureusement, la montée des marches les força à ralentir la cadence, ce qui permit au monstre de les rattraper. Il tenta de les attraper, encore une fois, mais Mikazuki, après avoir poussé Zimmer et Sophie pour qu’ils montent plus vite, s’interposa entre lui et le reste du groupe pour, une nouvelle fois, dévier le bras tendu du monstre avec un coup. Mais la riposte ne se fit pas attendre et d’un mouvement rapide, sans qu’elle ne puisse réagir à temps, il écrasa Mikazuki contre le mur. Du moins, il avait essayé. Partiellement encastré dans le mur, Mikazuki n’était pas tout à fait indemne, mais bien vivante. Et prête à rendre les coups. Revers du poing pour se dégager de cette main immense, bond en avant pour arriver au niveau de sa tête, poing serré, le nenju illuminé… Le tout pour aboutir à ce qui allait être, à ce moment, à un coup de poing monstrueusement puissant. Puissant au point qu’au moment de l’impact, ce qui servait de tête au monstre vola éclata comme une jarre en argile après sa rencontre avec un rocher lancé à haute vélocité.

Alors qu’il était en train de chuter jusqu’en bas des escaliers, Mikazuki contempla ses mains, surprise d’avoir eu une telle puissance en sa possession, tandis que son nenju reprenait sa forme originelle et qu’une grande fatigue la fit tituber un court instant.

Un pas après l’autre, Mikazuki. Nous deviendrons forte ensemble…

La voix douce et rassurante de Tsukihime la fit sourire, alors qu’elle remontait lentement les marches pour rejoindre les autres.

-Mika !

À peine sortit à l’air libre que Sophie vint se jeter sur Mikazuki pour la prendre dans ses bras et lui donner un doux et chaleureux câlin, tandis que les autres semblaient soulagés de la voir être revenue en vie. Cette dernière n’aurait jamais cru que l’atmosphère sombre de cette ville, éclairée les lueurs froides de ses lampadaires, lui aurait manqué à ce point. Ou peut-être était-ce juste sentir un peu d’air frais qui lui faisait un peu de bien…

-Regarde-toi ! s’écria Sophie lorsqu’elle remarqua les légères blessures de son amie. Il faut qu’on s’occupe de toi !

-Ne t’en fais pas, Sophie. Je pense que ça peut attendre… Il faudrait qu’on se mette à l’abri, avant.

-Elle n’a pas tort, approuva Iosephka. L’extérieur ne reste jamais sûr longtemps, ici. Trouvons un endroit où nous poser un instant et…

-Et bien. Je ne pensais pas que ma petite balade dans les rues me ferait tomber sur un groupe qui, on peut le dire, singulier…

Ils se retournèrent comme un seul homme pour voir marcher vers eux d’un pas assuré, appuyé contre son bâton de mage orné d’un cristal vert émeraude, Wiseman, un grand sourire dessiné sur son visage.

-Vous ! s’écria Sophie en écarquillant les yeux et en pointant l’intéressé du doigt.

-Bordel, Wiseman ! s’écria Evran en allant à sa rencontre. Je pensais pas dire ça un jour, mais je suis tellement content de vous voir…

-Et bien, Evran, pour me dire ça, tu as vraiment dû passer de très mauvais jours.

-Si tu savais…

Mikazuki le voyait sourire, mais elle avait beaucoup de mal à croire à une quelconque sincérité dans ses paroles.

Wiseman balaya de son regard le petit groupe, avant de revenir sur Evran.

-Il n’y a que vous ?

Evran regarda à son tour les autres, avant de prendre une mine sombre pour répondre à Wiseman :

-Oui, il n’y a… que nous. Sh… Shylvia… et Karloff… sont morts…

-Celer… On a perdu la trace de Celer…, ajouta Zimmer en baissant les yeux.

-Anima nous avait retrouvé, mais elle est repartie de son côté, poursuivit Mikazuki. Pour explorer et trouver des informations. Nous ne savons pas où elle est, à présent.

-Et on ne sait pas où se trouve Mikhail et Ryô…, finit Sophie.

-Oh, pour Mikhail, ne vous inquiétez pas, lui dit Wiseman. Je l’ai retrouvé hier. Il attend dans ma cachette. Il se repose. Lui aussi, apparemment, a vécu beaucoup de choses…

-Mikhail !? Est-ce qu’on peut…

-…aller le voir ? poursuivit Wiseman avec une certaine désinvolture. Mais très certainement. De tout façon, avant que je ne vous trouve, je songeais à rentrer. Allons-y. Vous avez bien besoin de soins, de repos et d’un repas.

-Et d’un bain, ajouta Zimmer après s’être rendu compte qu’il empestait. Qu’ils empestaient tous.

-Là, je crains que ce soit un peu plus compliqué. Mais nous tâcherons de trouver une solution.

Sur ces mots, avec Wiseman à leur tête, la troupe laissa donc derrière eux les souterrains de la ville et les horreurs qu’ils y avaient vus et les personnes qui y étaient mortes.

Alors qu’ils marchaient, Mikazuki, en faisant rouler les perles de son nenju avec son pouce, leur souhaitant de trouver le repos.

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