7. Divertie

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« Enfin, les jardins venteux. »

Il laissa échapper un soupir d’aise en parvenant au sommet du plateau rocheux. L’ascension n’avait pas été difficile grâce au large escalier de pierre blanche, mais l’isolement de sa destination lui assurait une fréquentation très limitée. Après tout, elle se trouvait à la limite nord de l’empire, une zone fort peu attractive car impropre à la construction. Dans ce désert de roche rousse, ce relief était une véritable oasis de fraîcheur. De nombreuses variétés de fleurs y poussaient sans aucune intervention humaine, tandis que l’absence totale d’arbre rendait cette étendue de quatre hectares complètement plate. Ce qui signifiait aussi que rien ne perturbait le souffle quasi continu qui la balayait avec une force variable.

« J’avais oublié à quel point de lieu était magnifique. La vue est époustouflante, mais rien ne vaut cet océan végétal. Les plantes m’ont d’ailleurs l’air d’avoir changé depuis la dernière fois. C’est dommage pour les camélias cuivrés, mais ces orchidées légèrement reluisantes ne sont pas laides. »

Une bourrasque passa dans sa veste bleu roi, après quoi il commença à marcher sur le simulacre d’allée qui se trouvait devant lui. Chaque pas qu’il faisait le détendait un peu plus, ce qui dessinait peu à peu un sourire sur ses lèvres.

« Je n’étais pas venu ici depuis la mort de Marc-Antoine, je crois bien. À moins que ça remonte à la disparition de Lépide. Dans tous les cas, ça fait bien trop longtemps. J’en avais presque oublié à quel point ce jardin me ressource. »

Il s’arrêta en remarquant une jeune fille en robe jaune, assise à une douzaine de mètre de lui. Elle soufflait un pissenlit bleuté avec un certain épanouissement mêlé d’élégance. Sans doute parce qu’elle avait ressenti l’imposante présence du paladin d’un mètre quatre-vingt-cinq, elle réarrangea succinctement sa chevelure châtain et tourna ses yeux émeraude vers lui.

« Je ne pensais pas croiser quelqu’un d’autre en venant ici, remarqua-t-elle de sa voix claire. Mais je manque à tous mes devoirs de politesse : bien le bonjour, monsieur.

-Bonjour, mademoiselle. Je dois vous avouer que je me faisais la même réflexion.

-Nous sommes donc deux solitaires à la recherche de tranquillité, résuma-t-elle en riant. Puisque nous avons des intérêts communs, pourquoi ne pas vous installer ici ? Le murmure de la brise y est plus doux qu’ailleurs.

-Je n’y vois pas d’inconvénient », acquiesça Trajan.

Il s’approcha de la jouvencelle par quelques pas feutrés, puis prit place à sa droite, légèrement dos à elle. Cela sembla l’amuser, puisqu’elle lui lança un regard malicieux pétillant de vie. Après ça, elle revint à sa précédente activité, ne pouvant visiblement s’empêcher de pousser une petite exclamation d’admiration à chaque fois que les pétales s’envolaient. Au bout d’un certain temps, elle s’interrogea à voix haute :

« Je me demande ce qu’il y a au-delà du désert roux…

-La cité-État d’Ocea, répondit-il sans se retourner. On y fait du très bon vin glacé.

-Ah bon ? Vous y êtes déjà allé ?

-Oh, c’était professionnel.

-Et quel travail exercez-vous ? le questionna-t-elle en arrachant délicatement un autre pissenlit.

-Je suis Confidens. Le quatrième, plus précisément.

-Le quatrième… ah, Trajan le conquérant ?

-C’est exact. Puis-je vous demander votre nom ?

-Aimée.

-C’est un très joli prénom.

-Je vous remercie. Quel âge avez-vous ?

-Vingt-six ans. Et vous ?

-Seize. »

Un nouveau silence passa, après quoi elle reprit :

« Qu’y a-t-il à voir à Ocea ? Vous avez bien dû visiter un peu, non ? »

Il changea de position pour se retrouver face à elle, puis répondit :

« La statue du fondateur de la ville, Shelda, est assez impressionnante. Sinon, le grand hôtel Gator est un lieu où passer la nuit au moins une fois dans sa vie. Ma dernière recommandation est la salle aux mille fontaines, sous la place principale, mais après cela je ne saurais quoi conseiller : je ne suis pas resté bien longtemps.

-Et… vous êtes allé autre part ?

-En effet, acquiesça-t-il en hochant la tête. À Esor, Drakon ou encore Erusha.

-Eh bien, vous avez vraiment parcouru tout le continent !

-Et malgré tout, je n’ai rien trouvé de meilleur que les jardins venteux pour me reposer. Même à l’archipel d’Or.

-C’est vrai que ça doit fatiguer, d’être un si grand voyageur. Vous ne venez pas avec d’autres Confidens, d’ailleurs ?

-Non, à vrai dire, je me rends plutôt ici pour les éviter. L’ambiance est assez tendue en ce moment, c’est tout ce que je peux dire.

-Mais malgré tout, vous parvenez à vous apprécier, j’imagine.

-Certains se supportent plus qu’autre chose, mais de toute manière il le faut. Nous œuvrons tous pour la gloire de Riphas, nous devons nous serrer les coudes.

-Poursuivez-vous d’autres buts, plus personnellement ? lui demanda-t-elle d’un air songeur.

-Moi ? Non. Mon objectif se trouve être celui de notre souverain, je ne cherche donc que ça.

-Et quel est-il ?

-Une paix absolue. Tel est le présent de notre empereur pour le monde, telle est la bienveillance de sa majesté.

-Votre visage a beau être caché par votre heaume de phénix, je devine une grande admiration dans votre voix.

-Cela va sans dire. Que ce soit Lovis IV ou un autre, tous n’ont jamais cherché qu’à accomplir ceci. Ils se sont dévoués corps et âme à cette tâche, et méritent bien une telle reconnaissance.

-Pourtant, notre nation fortement militarisée n’est pas vue d’un très bon œil par les autres. Et ses très lourdes taxes n’y aident pas non plus.

-Ces impôts sont nécessaires, d’ailleurs, personne ne s’en plaint à l’intérieur de l’empire; le pouvoir rend assez bien aux sujets ce sacrifice financier par de nombreuses manières différentes. Seuls les étrangers qui l’ignorent font ce reproche. Quant à l’armée, la plus puissante que nous ayons eu jusqu’à présent, nous ne pouvons nous en passer : comment étendre le vœu impérial sans conquête ?

-Par la diplomatie ?

-Ocea nous redoute, Drakon ne sait quoi penser, Esor est notre éternel ennemi, et Erusha nous apprécie dans la mesure ou nous les laissons en paix. La réputation de l’empire est bien trop mauvaise pour envisager une telle voie.

-Moi, je crois qu’on peut arriver à n’importe quoi sans recourir à la violence.

-Vous êtes encore jeune, et plutôt candide. J’aimerais sincèrement que vous ayez raison, au fond. Malheureusement, le monde des adultes est vicié jusqu’à l’os.

-Vous me prenez pour une enfant à cause de nos dix ans d’écart ?

-Je sais que vous avez atteint l'âge de la majorité civile l'an dernier, mais à mes yeux vous en êtes encore une.

-Ça ne m’empêche pas de connaître les réalités de la vie mieux que vous ne le pensez. »

Elle souleva un médaillon de cuivre de sa poitrine avant d’ajouter :

« Comme vous le voyez, je suis marchande.

-Vous ? Ou vos parents ?

-Mo père a un poste à responsabilité dans la guilde. Il m’initie à son art.

-Je m’excuse dans ce cas. J’ai parlé sans savoir. »

Aimée eut un rire léger.

« Allons, allons, vous êtes tout pardonné.

-Je vous remercie. Maintenant que je les vois sous cet angle, vos yeux me paraissent assez particuliers : vous semblez avoir des étoiles à la place des pupilles.

-Elles se voient peu d’habitude, mais se révèlent quand je prends de l’assurance, de ce qu’on m’a dit.

-C’est ainsi depuis votre naissance ?

-Je ne sais pas trop…

-Vous mentez, ça se sent.

-En effet, s’amusa-t-elle. Mais mentir, c’est aimer à la folie ! »

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