Une sonnerie dans la nuit !

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Il disait qu'il rappellerait dans la soirée pour donner ses instructions.

Depuis je tournais en rond dans la maison à m'en rendre dingue. Mais qui était ce gars. Et encore, j'évoque un gars mais sans aucun doute que sa voix était trafiquée, un peu comme dans les films de prise d'otage.

Dans les tons graves, une voix très forte, virile, presque animale...

*

Tout commença par un simple coup de fil sur mon fixe, un mardi matin, vers 10 H 00.

D'habitude, je ne répondais jamais car la plupart du temps, les appels correspondaient à des démarches publicitaires. Et je supportais de plus en plus mal ces interlocuteurs qui tentaient avec une certaine assurance de me placer un chauffage, de l'éolien, de la géothermie ou des panneaux solaires.

Alors je décrochai le téléphone, prêt à éconduire l'interlocuteur malheureux.

  • John Marshall à l'appareil.
  • Monsieur Marshall ! s'annonça l'interlocuteur par une voix très puissante. Bonjour ! Je pense que vous devriez vous asseoir.
  • Mais pourquoi donc, je vous prie ? Fis-je, poussant les voilages de la fenêtre, tout en scrutant la rue par de rapides regards furtifs, de droite et de gauche.

J'entendais dans le combiné des graines qui tombaient sur une surface métallique. J'imaginais dans ma tête qui commençait à bouillonner, comme un sablier qui égrenait le temps. À moins que ce ne fût les perles d'un chapelet que l'interlocuteur agitait près du combiné.

  • Êtes-vous assis à présent ?
  • Mais qui êtes-vous ?
  • Calme-toi John. Calme-toi ! Tout va bien se passer. Ça n'sert à rien de monter dans les tours !
  • Venez-en au fait, ou bien je raccroche ! Et on n'a pas gardé les vaches ensemble. Alors ton tu, tu te le gardes.

*

Mince. Je perdais mon self-control,et il n'avait fallu que quelques secondes pour cela.

J'entamais une série de respirations profondes pour abaisser ma tension nerveuse. Je pris place alors sur l'une des chaises de ma salle à manger, tout en maintenant mon combiné sans fil dans la main, le haut-parleur activé. Sur la table trainaient épars mes derniers courriers, quelques quittances et des revues de tourisme qui vantaient la location itinérante dans le sud de la France, en camping-car.

En ce début de mois d'octobre, l'air doux évoquait une journée de printemps, mais là je transpirais en abondance comme en plein été. J'attrapai dans un geste nerveux des mouchoirs en papiers pour éponger mon front dégarni.

  • Ai-je toute ton attention John ?
  • Oui, fis-je assez dépité, tentant de maîtriser ma colère qui couvait sous mon crâne.

En attendant, je balançais à hautes doses des giclées acides dans mon estomac.

  • Bien. As-tu lu le journal du jour ?
  • Oui ! Pourrait-on en venir au fait ?

En me penchant vers l'avant, je jetai un œil sur la une de la presse nationale, étalée sur le guéridon du salon. Elle mettait en garde les lecteurs contre les arnaques téléphoniques qui grandissaient dans le pays. Le principe en était simple. On faisait pression sur un proche de la famille ou sur un bien matériel important et en échange on demandait un service comme celui de transporter incognito de la drogue, de l'argent ou des armes.

L'avantage pour les truands résidait dans l'utilisation de tierces personnes, non fichées, sans casier judiciaire et qui attireraient peu les soupçons des forces de police. Les menaces s'avéraient donc bien réelles et le phénomène grandissant, selon de nombreux témoignages de victimes citées dans l'article.

  • John !
  • Oui ? Dis-je en serrant les dents.
  • On détient ta fille, John ! Écoute !
  • Papa ?
  • Oui ma puce. Tu vas bien ? Dis-je angoissé.
  • Oui je vais bien. Mais j'ai peur Papa.
  • Allez c'est bon ! Alors John, es-tu réceptif à présent ?
  • J'te préviens, tu touches un cheveu...
  • Et tu vas faire quoi ! Hein ! Écoute, écoute. Calme-toi. On va agir en douceur. Tu sais. Un accident peut si vite arriver. On tombe, on se blesse. Une entorse. Une fracture.
  • Salopard. Enfoiré ! Fis-je, en crachant des trainées de bave et en m'essuyant le visage, nappé de sueur.
  • Bon, je vois que j'ai à présent toute ton attention. On va bientôt raccrocher. Dans ta poubelle à l'extérieur, tu iras récupérer un grand sac de sport. Et tu le chargeras dans le coffre de ta bagnole. On te rappelle mercredi dans la soirée, avant minuit. Alors pas de bêtise John. Pas de bêtise. Ok ?
  • Ok ! fis-je dans une réponse réflexe pleine de morgue.

Des images passaient en boucle et j'imaginais les pires choses pour ma fille. Sans réfléchir, je pris un stylo et traçai des traits, des courbes, puis écrivis des mots : instruction, mercredi, minuit, un sac de sport, poubelle, voiture.

Mon cerveau procéda à des divisions de cette information agressive. Dans ma tête, les pensées tournaient, comme les bulles d'une eau bouillonnante dans une casserole. La communication se tut, dans une sorte de ploc sonore avec un effet strident de Larsen.

*

Ma vision se rétrécît dans un effet tunnel, phénomène bien connu dans les situations de stress intense.

Alors je courus dehors.

Je rangeai dans la foulée le bac-poubelle avec le couvercle jaune à côté de ma Citroën. J'ouvris le coffre. Puis j'entrepris un tour sur moi-même, comme pour observer les fenêtres des maisons voisines. J'entendais de petits engins à moteur thermique qui taillaient des haies dans les parcelles mitoyennes quand d'autres coupaient l'herbe des pelouses.

Rien d'inhabituel.

Des chiens aboyaient.

Des chevaux galopaient dans un manège d'extérieur à deux cents mètres sous les acacias.

Pas de regards intrusifs.

Pas de passants.

Alors le sac toilé de couleur noire qui pesait le poids d'un âne mort passa du container dans mon coffre de voiture. Je ressentis une envie folle de l'ouvrir pour voir le contenu mais je me retins de le faire. Au bruit de chocs métalliques, je misai sur des armes.


Mais pourquoi. Sans doute une sorte de conviction qui habitait mon hyper-perception.

Dès lors, je tentai de reprendre le cours de ma vie, l'angoisse nouée au ventre à l'idée que l'individu au téléphone puisse s'en prendre à ma petite.

*

Mercredi 23 H 30. Nuit noire.

L'éclairage urbain a cessé depuis une demi-heure. Dans la rue tout semble calme et le village s'endort. Les films de la soirée touchent à leurs fins. Les chiens dorment à l'abri. Les lumières du voisinage s'éteignent une à une. D'autres s'allument quelques instants puis cessent, provenant des salles d'eau ou des toilettes.

Le traditionnel rituel avant de se coucher.

*

23 H 45.

Je coupe l'éclairage intérieur de la maison et je garde une veilleuse allumée sur une prise murale. Dehors, un halo commence à poindre derrière les lignes sombres et ramifiées de la forêt toute proche. Avec la lumière de mon portable, je jette un œil au calendrier des pompiers sur l'un des placards de la cuisine.

  • Mercredi, Pleine lune.

Suis-je bête ! La lueur, bien sûr.

  • Lever à 23 H 34. Coucher à 08 H 06, dis-je à voix haute, comme pour me rassurer.

*

Le téléphone sonne.

Mon cœur cogne et mes oreilles bourdonnent.

J'essuie ma main gauche soudain moite sur la manche de mon pantalon et je saisis le combiné.

  • Allo ! dis-je d'une voix mal assurée.
  • John. Tout est Ok ? Répond mon interlocuteur avec une intonation cynique et joueuse.
  • À votre avis !
  • Motivé ! J'aime ça. En forme alors ? Que dirais-tu d'une petite balade ?
  • Hum !
  • Une petite livraison et tu rentres. Et bien sûr, on te rend ta fille. Qu'en penses-tu ?
  • Où dois-je me rendre ?
  • Droit au but. C'est bien. J'apprécie. On te propose de rallier un rendez-vous de chasse à minuit trente. Au Passage du gué sur la Bleue. Tu vois l'endroit.
  • Oui, j'connais.
  • Tu te pointes. Sans lumière. Tu t'gares. Et t'attend...

*

Je roule fiévreux pendant quinze minutes.

La lune éclaire la route comme en plein jour. Pas un nuage. L'éclat si fort ne me permet pas de distinguer les étoiles dans le ciel. Deux cents mètres avant d'arriver près du relais de chasse, je coupe mes feux de croisement. Je me range au ralenti sous les ombrages de grands hêtres, à deux pas d'une aire de repas aménagée.

Au bout d'un laps de temps de deux minutes qui semblent durer une éternité, je vois des ombres humaines se détacher de la pénombre. Mes sens chauffés à blanc me jouent des tours.

Quelqu'un ouvre le coffre de ma voiture.

Je sens que l'on retire le sac logé à l'intérieur.

Je regarde droit devant moi.

Mais mes yeux jettent par moment un rapide coup d'œil dans le rétroviseur du parebrise où je devine l'agitation qui règne grâce à la veilleuse du coffre allumée. On dépose à présent quelque chose de lourd.

Ils...

Deux individus s'éloignent à présent.

L'un porte le grand sac et se dirige droit vers un gros 4x4 noir en version pick-up. Je le devine à présent grâce aux reflets de la carrosserie qui luisent sous les éclats argentés de la lune. L'autre individu vient alors à la hauteur de ma fenêtre et tape sur la vitre à l'aide d'un objet métallique.

  • Alors John. C'est ok ?
  • Et ma fille !
  • Rentre chez toi. Tout va bien se passer. On lui a donné un somnifère. Elle dort dans ton coffre. Elle aura une grosse migraine.
  • Connard.
  • Du calme John ! Du calme ! Répond-il d'une voix un peu trainante. Je remarque un timbre différent de celui au téléphone.
  • On s'connait pas John, mais t'as assuré !
  • Sans déc' !
  • Tu nous oublies à présent. Et l'on ne devrait jamais se revoir. Alors, pas de bêtises. Tu ne dis rien aux keufs, bien sûr.
  • Bande d'empafés. Vous êtes vraiment de gros malades ! Dis-je d'une colère froide.

À présent, je n'ai plus peur. Au contraire. Je sens que l'adrénaline me galvanise. Je retrouve un semblant de dignité.

  • Ah, au fait John ! Tu connais l'expression, Il ne faut jamais dire jamais. Alors surveille ton téléphone, singe-t-il en agitant sa main en forme de combiné près de son oreille. On pourrait avoir encore besoin de tes services ! La qualité s'avère si rare de nos jours.

*

Jeudi, 04 H00 du matin.

Service des urgences de l'hôpital de ville.

J'attends que ma fille se réveille.

Les constantes sont bonnes selon le médecin et les infirmières.

Ma petite, dans une sorte de profonde léthargie en raison des doses de somnifères, se repose dans un lit médicalisé. Elle semble hors de danger.

Ma petite puce va s'en sortir.

Et c'est l'essentiel...

Autour de moi, le téléphone sonne sans cesse.

Chaque appel trace une entaille sur mon cœur fragile.

Alors j'essaie de faire le vide...

=O=

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