Chapitre 7
Écrit en écoutant notamment : Sefa - Nobody Said It Was Easy [Frenchcore]
Sur le chemin du retour, un craquement bruyant se fit entendre et Côme s’arrêta brusquement.
— Les gars, j’ai déraillé, attendez-moi trente secondes ! s’exclama-t-il.
Il s’affaira un moment sur la chaîne, mais finit par demander de l’aide en constatant que certains maillons s’étaient méchamment bloqués dans tout le mécanisme. Sous l’œil surpris de Félix et Julian, Rémi proposa immédiatement son aide :
— C’est bon, on va régler ça ensemble, vous pouvez déjà rentrer et nous mettre quelques boissons au frais ! Pour moi une bière, si vous le voulez bien.
Alors que les deux s’éloignaient, il ramassa une fine branche pour faire levier et débloquer l’emmêlement coriace.
— Juste pour que tu saches, évite de continuer à pédaler quand tu sens que la chaîne tombe, la prochaine fois.
— D’accord, merci Rémi. Et en fait, c’était quoi l’histoire de ce matin avec Félix et Julian ?
Il se demanda s’il était vraiment opportun d’évoquer le sujet avec l’éducation conservatrice reçue par Côme, mais Félix avait suffisamment insisté sur le fait qu’il était un membre à part entière du groupe, alors pourquoi le lui cacher ? De toute manière, l’idée de dévergonder lui-même le petit Côme l’amusait d’avance, et Félix saurait comme prévu compléter ses explications avec son habile rhétorique. Par contre, il tournerait bien la chose de manière à omettre ses propres égarements quant à cette histoire.
— Félix nous a annoncé tout à l’heure qu’il est gay.
— Cela veut dire qu’il couche avec des garçons ? demanda-t-il les yeux écarquillés.
— N’allons pas si vite en besogne, il n’a que quinze ans comme nous. Ton expérience avec la gent féminine, par exemple, n’est probablement pas très avancée non plus !
— C’est vrai, rougit-il, peu habitué à ce genre de conversations. Mais sinon, Félix, il ne peut pas redevenir comme avant ? Il est tellement sympa pourtant.
— Pourquoi le devrait-il ?
— Heu… Je ne sais pas trop. Mais ça serait plus normal le connaissant.
— Ah là là, Côme… Je t’en épargnerai les raisons, mais je me suis un peu renseigné sur toutes ces questions les derniers temps. J’avoue que je pensais plutôt comme toi au début, si ce n’est que le petit Jésus n’avait rien à faire là-dedans. Cela fait partie de l’identité de Félix depuis qu’il est né, et puis il ne faut pas penser qu’il doit ressembler aux personnes… extraverties qu’on peut voir parfois à la télé.
— D’accord !
Malgré son hochement de tête, il semblait encore réfléchir profondément. Rémi était lui satisfait de son « discours » et finit par libérer la transmission du vélo, avant d’aller essuyer ses doigts luisants de graisse noire dans les hautes herbes. Ils remontèrent en selle et atteignirent quelques minutes plus tard la maison, où Félix et Julian se trouvaient en grande discussion, allongés sur les transats de la terrasse.
— Vous en avez mis du temps !
— Oui, c’était fait exprès pour que la bière ait le temps de refroidir, répondit Rémi en se dirigeant vers le réfrigérateur. Vous voulez faire un jeu de carte en même temps ?
Côme alla chercher un paquet et ils préférèrent se mettre à l’ombre du parasol.
— Vous connaissez la crapette rapide ? demanda ce dernier.
— Euh… non.
— J’y joue souvent avec mes cousins, vous allez voir, c’est super. Tout d’abord, chaque joueur dispose quinze cartes en colonnes successives, comme lors d’un solitaire, puis retourne une carte du paquet restant. Le but est de…
— Trop compliqué ! coupa Rémi. Qui est d’accord pour un « président » ?
Étant donné qu’ils connaissaient déjà tous les règles, le choix fut vite fait. Côme ne râla pas trop longtemps, devenant « président » au premier tour, tandis que Rémi, qui occupait maintenant le statut de « trou du cul » depuis trois tours, accusait ses amis de se liguer contre lui. Il était d’habitude assez mauvais perdant, mais sa boisson lui fit prendre la situation avec plus de légèreté. En guise de revanche, il prit plaisir à former un rot qui indigna Côme, puis alla jeter consciencieusement, d’un pas chaloupé, la bouteille vide dans le bac de recyclage adéquat, sur l’importance duquel Côme avait insisté.
En y réfléchissant, Rémi était fasciné de voir comment l’annonce de Félix le matin même semblait lointaine et sans importance. Côme s’était bien rendu compte que pas grand-chose n’avait changé ; Julian restait réservé, ce qui n’avait rien d’inhabituel.
Même s’ils avaient prévu de fêter l'anniversaire de Rémi le lendemain soir, ils veillèrent jusqu’à minuit passé pour lui exprimer leurs vœux avant d’aller se coucher. Pourtant, la discussion que Félix avait eue avec Julian lorsqu’ils étaient seuls ne le laissait pas s’assoupir : mis en confiance par les impressions de Rémi, il avait pris son courage à deux mains pour dévoiler à Julian ses sentiments. Celui-ci avait écouté très attentivement son discours, l’œil brillant. Il avait même rougi et s’était recoiffé à la fin de la tirade de Félix, avant de bégayer :
— Franchement… ça me touche beaucoup. Je me pose encore des questions sur moi-même en fait. Mais c’est vrai que peut-être si j’étais plus à l’aise… Enfin, tu vois…
— Il n’y a aucun souci ! J’avoue que je suis surtout soulagé de te l’avoir dit.
— Et puis je pense qu’il ne faut de toute façon pas risquer notre amitié… par contre, je serais très heureux d’avoir quelqu’un avec qui discuter de tout ça.
— Faisons comme ça, tu as raison, c’est le plus raisonnable ! On ne va pas gâcher nos derniers jours ici bêtement.
— Ah tiens, les voilà !
***
Une courte averse matinale laissa place à un soleil radieux. Réveillé avant tout le monde, Côme fit un aller-retour à la boulangerie-pâtisserie pour acheter un gâteau. Entre sa misérable tentative de drague sur les conseils de Rémi lors de la fête nationale, les discussions grivoises du soir et surtout Félix, ces vacances n’étaient pas de tout repos. Au moins, la maison était toujours assez en ordre, ce qui était le plus important vis-à-vis de ses parents. Pour l’instant, le programme de la journée n’était pas encore défini, mais au vu du succès rencontré par ses propositions depuis plusieurs jours, il décida qu’il valait déjà mieux s’abstenir de proposer une soirée à La Frégate – le restaurant breton guindé du coin qu’il connaissait bien grâce à ses parents – pour l’anniversaire de Rémi, fût-il payé par l’enveloppe laissée par ses parents.
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