partie 1
L'aube commençait à poindre à l'horizon, annonçant le début d'une nouvelle journée sinistre. Sans la fatigue qui m'accablait, je ne fermerais pas l'œil. Elle ne parvenait cependant pas à empêcher la pâle lueur du jour de me réveiller. Cela valait pour chacun de mes compagnons sous cette tente dortoir. Déjà trois semaines que nous campions entre les crocs d'Itriss surplombant la grande plaine du côté nord. À l'autre extrémité, juché sur plusieurs collines, le camp du Prima Draken, empereur draquite du système Lou Drac et de ses armées. Derrière eux s'élevaient la grande chaine des Monts des Cendres.
Trois semaines de combats sanglants visant à reprendre le contrôle de l'accès aux montagnes tenu par le Prima depuis au moins deux mois. Draken était un seigneur draquite, le plus puissant depuis deux millénaires, capable d'asservir les dragons à sa volonté. Grâce à cette force il avait conquit les planètes du système Lou Drac et établit son empire. L'Alliance le pensait reput et satisfait ayant stoppé son expansion depuis une dizaine d'années. Hélas on découvrit un peu tard qu'il rassemblait d'innombrables troupes et vaisseaux en vue de se rendre sur Kurédoru.
Kurédoru, celle considérée comme la patrie d'origine de tous les dragons, elle était la pouponnière céleste de ces derniers. Les dragons scellèrent un accord avec l'Alliance afin que la planète soit protégée des convoitises. En échange ceux-ci n'étendaient par leurs territoires à travers la galaxie. Draken voulait accroitre son empire et pour se faire cherchait à asservir les dragons de Kurédoru.
Les Monts des Cendres constituaient le nid principal, contenant les œufs de presque toutes les espèces. Les dragons venaient y pondre et laissaient les petits livrés à leur sort jusqu'à leur puberté. Les jeunes étant plus faciles à manipuler, Draken s'était donc naturellement attaqué à ces montagnes.
Le problème étant l'invasion d'une armée draquite, il relevait de la compétence de l'Alliance d'y mettre un terme. Nous étions quatre confréries, appelées pour combattre et soutenir le moral des troupes, en plus de la mienne, celle de Risha, celle d'Akasha et celle d'Ephédra.
Comme d'accoutumée maintenant, je me levais avec la nausée. Je constatais que plusieurs couchages étaient déjà vides. Drake s'agita à son tour sur le lit voisin, puis jeta bas sa couverture.
— Tu as pu te reposer ? le questionnai-je.
— Disons plutôt que j'ai dormi Sahiane. En dépit des cris et de l'odeur de mort persistante.
— Ne peut-on vraiment pas placer une barrière magique filtrant ces abominables relents ? demanda une nouvelle fois Risha.
— Ça irait à l'encontre du principe...
— À armes égales ! Oui on sait, maugréa Alia coupant la parole à Auroria.
— Seulement en face ils n'ont pas à supporter ces effluves de chair en décomposition que le vent ne porte que dans notre direction, souligna Styx.
— C'est bien pour cela qu'ils ne ramassent leurs cadavres que pour les empiler. Ils souhaitent nous rendre malades, annonça Risha.
— Draken est un bon tacticien, il sait parfaitement comment tourner à son avantage nos règles, indiqua Angal.
— Je nous pensais ici pour affronter des dragonniers, mais nous avons déjà nombre de pertes et pas encore vu les plus puissants de ses soldats, se désola Ley.
— Nous ne sommes là que pour le symbole, nous devons sembler inépuisables et invulnérables pour que les troupes gardent le moral, lui répondit Akasha en se levant. Dépêchons-nous d'enfiler nos armures et allons manger pour rejoindre rapidement nos escadrons.
— Si ce n'était pas indispensable pour tenir je m'en passerai bien, déclara Mnémé.
Je m'étirais, tentant de délier mes muscles fatigués avant d'enfiler pantalon et tunique en soie d'aragne. Je laçais mes bottes, mis mes genouillères et enfin mon plastron qui s'ajusta seul à ma taille. J'accrochais mes protections d'avant bras à ma ceinture avec mon épée, afin qu'elles ne me gênent pas pour déjeuner. J'achevais en nattant mes cheveux avant de ceindre mon front avec le diadème magique possédant la faculté de se changer en casque.
Je me retournais vers mes compagnons, eux aussi équipés d'armures ajustables, aux couleurs plus ou moins criardes par rapport à la mienne blanche. Sur le champ de bataille nous étions des cibles facilement identifiables et privilégiées, sans les talents de guérison de certains d'entre nous, nous ne serions plus en état de combattre.
— Comment va ton bras ? me questionna Angal préoccupé.
La veille un coup de masse d'armes me l'avait fracturé m'obligeant à le guérir moi-même. Dans ces conditions, la douleur et les marques de la blessure persistaient presque aussi longtemps que si elle s'était remise seule. Une façon de nous rappeler à notre condition mortelle et non de demi-dieux sans faille comme certains nous voyaient.
— Les calmants font encore effets, c'est supportable, lui répondis-je en observant l'aspect violacé de ce dernier.
— Reprends en une fois ton repas avalé et applique y un sort de dissimulation, me conseilla Drake. On doit paraitre invulnérables pour préserver le moral des troupes.
Je m'exécutais et suivis le mouvement jusqu'au secteur de restauration, me composant un masque impassible à offrir à tous ceux que je croisais. Même si je ne m'autorisais pas à examiner leurs pensées je percevais les sentiments qui émanaient d'eux. Douleur, lassitude, fatigue, dégoût, peur. Je comprenais et partageais chacun d'entre eux.
L'odeur des cuisines parvenait à peine à masquer celle de charnier transportée par le vent. Je passais outre la nausée pour remplir mon estomac afin de pallier aux besoins de mon corps. Moins d'une heure après je me tenais au milieu de mon escadron aux côté de Drake. À quelques pas au nord du petit cours d'eau traversant la plaine d'Itriss. Tentant d'ignorer les monticules de corps mutilés se décomposant à la merci de l'appétit des charognards entre les soldats ennemis bien debout. Comment les draquites supportaient de voir leurs anciens compagnons d'armes traités comme cela ?
La tension augmentait de façon palpable autour de moi. Combien d'entre nous survivraient à cette journée ? Le signal du début de la bataille résonna lugubrement à travers la plaine, mon angoisse augmenta subitement. Je resserrais ma prise sur la poignée de mon épée. Les deux armés s'élancèrent l'une vers l'autre en poussant un cri de rage unifié. Je vis fondre sur moi un premier adversaire, je parais un coup venant du haut, découpais son arme avant d'atteindre sa gorge.
Désormais je n'éprouvais plus de scrupules à utiliser les capacités de mon arme pour trancher tout ce qui s'approchait de moi, bois, métal ou chair, tant que ça me permettait de rester en vie. Cependant ce carnage qui ne semblait vouloir finir écorchait mon âme et alourdissait mon épée d'heure en heure.
La présence de Drake à mes côtés me forçait à ne pas totalement craquer nerveusement et m'écrouler face à tant d'horreur. Il m'avait durement sermonné ainsi que les autres, indiquant que nous nous devions d'être exemplaires pour les soldats autour de nous qui se battaient sans jamais recevoir la moindre reconnaissance. Je savais qu'il s'imposait les mêmes résolutions avec autant de difficultés que nous tous.
J'ignorais depuis combien de temps nous nous battions, considérant la position du soleil nous approchions sans doute de la mi journée. Mes muscles me faisaient souffrir en dépit des calmants dont je savais qu'ils faisaient toujours effets. Les combats étaient ardu, à cause des morts et des blessés qui jonchaient le sol, régulièrement je glissais et prenais des coups.
L'un des deux camps sonna un appel pour demander une trêve pour le repas et le rapatriement de ceux qui nécessitaient des soins. Il nous fallait attendre la réponse favorable de l'adversaire pour souffler. Soudain la température ambiante augmenta d'un coup, je m'autorisais à observer les alentours plus globalement.
Des sillons de flammes s'éparpillaient sur toute la plaine, l'air prenait une odeur de chair brûlée écœurante. Finalement ils s'étaient décidés à utiliser leurs dragonniers. Je n'avais même pas perçut leur approche, beaucoup trop accaparée par mon combat. Je m'insultais copieusement. C'était de ma responsabilité de protéger les soldats de l'Alliance de ce genre d'attaques, c'était impardonnable.
Une ombre gigantesque fila devant mes yeux écarquillés de stupeur. Tous sur la plaine semblaient figés, le regard tourné vers le ciel. Pourquoi ? D'un coup, tous s'animèrent hurlant de terreur et fuyant. Tous ?
Des flammes chutèrent du ciel, incinérant tout sur plusieurs dizaines de mètres, rendant l'atmosphère suffocante. Je levais les yeux afin de les voir. Il y en avait des dizaines, tous entre quatre et six mètres d'envergure. Ils se rassemblaient en formation avant de revenir vers le champ de bataille pour envoyer de nouvelles salves de feu.
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