Les trois chariots de la délégation avançaient lentement sur la steppe. Le territoire était réputé dangereux et les douze guerriers qui l’escortaient ne seraient pas de trop en cas de mauvaise rencontre.

Douze guerriers choisis parmi les plus forts et les plus agiles de la tribu, c’était une force considérable. Le plus redoutable d’entre eux était généralement en tête du convoi, mais de temps à autre, il revenait en arrière pour s’assurer que tout allait bien, en lançant des ordres comme s’il était lui-même le chef de la tribu.

Hogar avait l’étoffe d’un chef, il pouvait bien s’offrir ce petit plaisir.

Mais il prenait également ses responsabilités très au sérieux : il s’était personnellement assuré que chaque guerrier possède des armes de bonne facture, que l’état de chaque chariot soit vérifié et qu’il y ait des vivres en suffisance au cas ou le voyage serait plus longs que prévu.

Outre les guerriers, toutes les jeunes filles encore vierge avaient été convoquées, ainsi que deux membres adultes de leur famille pour chacune. S’il était impossible de convaincre le sorcier d’aider la tribu sans se soumettre à ses exigences, le chef était prêt à procéder à un tirage au sort, mais il ferait tout pour ne pas en arriver là, y compris des promesses qu’il n’avait pas l’intention de tenir.

La délégation comptait au final plus d’une trentaine de personnes dont six jeunes filles dont l’avenir allait se jouer dans les heures suivantes.

— Ça ne marchera jamais, fit une petite voix dans le dos du guerrier.

Hogar se retourna et fit face à la seule personne de la tribu sur qui il n’osait élever la voix.

— Rassure-toi, Kaerys. Ce vil sorcier n’emportera aucune d’entre vous, et certainement pas toi. J’en fais mon affaire. Mais tu devrais retourner dans le chariots des femmes au lieu de marcher, la région n’est pas sûre.

— Si elle n’était pas sûre, tu n’aurais certainement pas autorisé tes frères et sœurs à nous accompagner ; même la petite Brenda est du voyage, son babillage est épuisant. Et puis… j’aime marcher. Quant au sorcier, il est très malin.

— Je serai plus malin que lui. Nous serons plus malins que lui, répéta-t-il avec un clin d’œil.

— Si tu es aussi malin que fort, tu devrais défier le chef et prendre sa place.

— Plus tard ! proclama-t-il en bombant le torse. Il a encore trop de partisans. Mais lorsque les anciens ne seront plus là et que les autres seront fatigués de sa mollesse…

Un vrombissement l’interrompit dans son discours.

— FRELON !

Tous se précipitèrent vers l’abri le plus proche, ceux qui n’en trouvaient pas se contentant de se jeter au sol.

Tous savaient que les frelons d’acier étaient de redoutables assassins… sans doute les pires de toutes les créatures que les titans avaient créées pour détruire l’humanité.

Le frelon, car il n’y en avait qu’un, tournait autour de ses proies en décrivant un large cercle, seul son bourdonnement indiquait sa position, car nul n’aurait osé lever les yeux pour le regarder.

— Pourquoi il ne nous brûle pas ? Fit une toute petite voix.

— Tais-toi Brenda ! Supplia Kaerys.

— Parce que son dard est cassé ! Grogna Hogar.

Aussitôt, le guerrier se redressa, l’épée levée, et chargea en hurlant.

Le frelon changea de direction, Hogar frappa dans le vide. Son adversaire esquivait à une vitesse impressionnante, tournait autour du guerrier s’éloignait puis revenait à la charge…

— Viens te battre ! Espèce de lâche !

Mais le frelon ne semblait pas décidé à en découdre, après quelques minutes de poursuites, il s’éloigna dans le désert, abandonnant ses victimes apeurées et son adversaire furieux.

C’est alors qu’une puissante voix se fit entendre.

— Bienvenue sur les terres du sorcier ! Bienvenue chez moi ! Ne craignez rien, ces frelons ne vous feront aucun mal. Ils sont sous mon contrôle.

Tous cherchèrent le sorcier du regard, mais il demeurait invisible. Sa voix avait surgi de partout et de nulle part.

— ces frelons ? Répéta Hogar. Il y en a donc plusieurs ?

— Et ils sont sous son contrôle, grogna le vieux chef. Ce sont des frelons d’acier qui ont tué nos éclaireurs et c’est contre eux que le sorcier a promis de nous protéger…

— Il y a sûrement une explication, intervint Kaerys. Les frelons du sorcier ne sont certainement pas ceux qui ont attaqué nos éclaireurs…

— Silence, femme ! ordonna Hogar.

— Le ferlon s’en va, s’exclama Brenda, il faut le rattraper sinon on ne trouveras jamais le sorcier et on va se perdre.

— Ne t’en fais pas, Brenda, répondit Hogar d’une voix rassurante. Il n’a pas l’intention de nous semer, on va le suivre.

La caravane reprit sa route en suivant le frelon d’acier. Ce dernier voletait rapidement vers la steppe, revenait en arrière et signalait sa présence par un signal lumineux puis reprenait sa course. Ils arrivèrent enfin près d’un vaste espace dégagé ou le sorcier les attendait, assis en tailleur avec trois frelons voletant autour de lui. Le quatrième, celui qui avait guidé la caravane, vint se poser aux pieds de son maître comme un toutou obéissant.

— Salut à toi, chef Boris ! Je vois que tu as amené tes meilleurs guerriers, et je m’en réjouis car dans notre lutte commune contre les titans, tes hommes seront précieux.

Le chef de la tribu avait hérité du même prénom qu’un titan de l’ancienne époque. Un redoutable chef de guerre de l’Est dont le seul nom terrorisait les autres titans, y compris le puissant Jupiter.

— Salut à toi sorcier ! Il n’était pas du tout prévu d’envoyer nos guerriers au combat. Qui protègeras la tribu s’ils partent combattre les titans ? Et comment feront-ils puis qu’ils ne disposent pas d’armes magiques ?

— Et contre qui aurez vous besoin d’être protégé une fois les titans vaincus ?

— Donnez nous des armes magiques ! Beugla Hogar en frappant du plat de sa lame sur son bracelet de métal. Et nous nous occuperons des titans !

— Ah, les armes magiques, soupira le sorcier… Elles sont à la fois la force et la faiblesse des sorciers et des titans. Quand on ne sait pas s’en servir, un sorcier plus habile peut s’en emparer facilement et les retourner contre vous… Regardez ces frelons. Pensez vous vraiment qu’ils me rendent tout puissant ? Et bien il y a deux jours, ils étaient au service des titans et ils se sont imprudemment aventuré sur mes terres. Il m’a été facile de les neutraliser et d’en prendre le contrôle… mais que se passera-t-il si je vous les confie ?

— Alors venez avec nous, proposa Hogar. Vous êtes le plus habile et vous retournerez les armes des titans.

— Ce n’est pas si simple, brave guerrier ! Je ne peux retourner les armes des titans que sur mon propre domaine, et c’est pour cette raison qu’il m’est difficile de vous protéger comme j’aimerais le faire, et que je dois rester dans les parages au cas ou d’autres frelons viendraient… Ah, si seulement vous m’autorisiez à placer un renifleur dans votre village.

— Combien de bras à un renifleur ? Demanda brusquement Brenda.

— Un renifleur n’a pas de bras, intervint Kaerys. Il a une tête plate et un très long nez. C’est grâce à eux que le sorcier peut voir les frelons.

— Ils peuvent voir avec leur nez ? reprit Brenda.

— Vous semblez bien renseignées, mademoiselle, fit le sorcier, visiblement satisfait de voir les plus jeunes s’intéresser à sa magie. Le renifleur ne peut rien voir, mais grâce aux ondes sonores, je peux visualiser le passage des intrus.

— Il peut voir les sons grâce à son nez, traduisit Brenda.

— J’avoue que j’ai du mal à comprendre, avoua Kaerys.

— C’est pourtant simple, proclama Hogar. C’est de la magie !

— Oui, confirma le sorcier. C’est de la magie !

Les filles sont vraiment trop bêtes, elles cherchent toujours à tout compliquer alors que l’explication est toute simple.