Lettre de Marie à Jean
Marmande, le 20 octobre 1914
Mon tendre aimé,
Tu es parti par un bel après-midi d'été, au son du tocsin, la fleur au fusil comme les autres mobilisés, confiant et plein d'espoirs pour le futur. Mais depuis ce premier jour d'août, où je t'ai vu disparaître, happé par la cohorte de soldats qui t'accompagnait, je suis sans nouvelle de toi. Je ne sais que penser de cette guerre que l'on disait rapide et qui s'éternise. Tu m'avais fait la promesse d'être de retour pour les moissons, mais tu n'es toujours pas là, et moi je me languis de toi. Tous ces mois sans pouvoir te voir ni te toucher, sans sentir ta présence à mes côtés, ont été durs à supporter. Mon tendre amour, je suis inquiète. Comment te portes-tu ?
Ici, les premiers frimas ont fait leur apparition. As-tu reçu les chaussettes en laine, l'écharpe et les gants que je t'ai envoyés ? Je l'espère du fond du cœur car je me refuse à t'imaginer grelottant dans le froid des tranchées. Yvette a eu de la chance, elle a reçu une lettre de Pierre hier. Et toi, mon amour, pourquoi ne m'écris-tu pas ? Elle n'a pas voulu me la lire à haute voix mais assure que tout va bien, même si je lui trouvais un air bien triste en me disant cela. Tu sais que petit Jean va avoir une sœur ? Ils l'attendent pour le début de l'année. C'est Pierre qui doit être heureux ! J'espère qu'il aura droit à une permission pour l'occasion.
Que dirais-tu si je te t'annonçais que mon ventre ne cesse de s'arrondir ? Ta mère est persuadée que je vais mettre au monde un garçon. Je ne sais pas comment elle peut en être aussi sûre. Quoi qu'il en soit es-tu heureux de te savoir bientôt père ? Je voulais attendre avant de t'en parler, on ne sait jamais... Mais ta mère a tenu à ce que je t'en informe le plus vite possible. Elle me dit que cette nouvelle te donnera encore plus de courage pour te battre et nous revenir en vie. je t'en supplie, prends soin de toi, fais bien attention. Je ne veux pas d'une décoration ou d'un quelconque honneur qui signifieraient que tu n'es plus. Non, je veux juste te revoir vivant. J'ai vraiment hâte que tu rentres, que nous soyons à nouveau réunis, ma joie de vivre n'est plus sans toi.
Aujourd'hui, j'ai aidé ton père à ranger le bois dans la grange, en préparation des nombreux feux de cheminée que nous allons faire dès qu'il fera plus froid. Il commence à fatiguer, tu sais, surtout depuis ce mauvais rhume dont il n'arrive pas à se défaire. Mais ne t'inquiète pas, ta mère et moi prenons bien soin de lui. Je pense qu'il aimerait avoir de tes nouvelles, même s'il ne dit rien. J'ai l'impression qu'il se fait beaucoup de soucis pour toi, comme nous tous.
Apparemment, Pierre n'a pas été très loquace à ton sujet dans sa correspondance. Êtes-vous toujours dans le même régiment ?
J'espère que ce courrier te parviendra ainsi que tous les autres que je t'ai envoyés depuis ton départ et pour lesquels je n'ai reçu aucune réponse. En attendant celui qui ne manquera pas d'arriver, j'en suis sûre, je constitue un herbier avec les dernières fleurs et feuilles du jardin. Tu trouveras d'ailleurs ci-joint dans l'enveloppe, une petite violette séchée que j'ai cueillie en pensant à toi.
Je t'envoie mille baisers
Ton épouse dévouée
Marie
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